CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 3 janvier 2025, n° 23/07757
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caviar (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze
Avocats :
SCP GRV Associes, SCP Atallah Colin Michel Verdot et Autres, Selarl Ingold & Thomas - Avocats, SAS Ollyns, Selarl BDL Avocats, Association Carreras, Barsikian, Robertson & Associes
FAITS ET PROCÉDURE:
La SA [X] SA est la société mère de la société Caviar [X] SA dont elle détient le capital à hauteur de 61% depuis 1978.
M.[E] [X] est président de la société Caviar [X] SA. Son fils [H] [X] est le président de la société [X] SA.
[Z] [X] est cousin germain avec [E] [X].
La branche familiale d'[E] [X] et de son fils [H] détient la majorité du groupe.
Le 12 juillet 2018, [T] [C] a cédé à son oncle [Z] [X] la totalité des 610 actions qu'elle détenait dans la société [X] SA et de ses 473 actions dans la société Caviar [X].
Le 13 juillet 2018, [Z] [X] a cédé les actions qu'il venait d'acquérir à son fils, [G] [X].
Avant ces cessions, [G] [X] détenait depuis une donation-partage de son père en mars 2015, 505 actions en pleine propriété et 505 actions en nue-propriété de la société [X] SA et 412 actions en pleine propriété et 412 autres actions en nue-propriété dans la société Caviar [X], l'usufruit étant détenu par [Z] [X].
Le 1er septembre 2018, [T] [C] a notifié, par courrier, aux deux sociétés les cessions intervenues, et le 20 septembre suivant [Z] et [G] [X] ont fait de même, demandant l'inscription de ces cessions sur les registres de mouvements de titres en vue de l'assemblée générale mixte que devait tenir chacune des sociétés le 27 septembre 2018.
Par lettre du 22 septembre 2018 les sociétés [X] SA et Caviar [X] ont refusé d'inscrire ces cessions, considérant [T] [C] comme toujours actionnaire au motif que les cessions étaient nulles en ce qu'elles avaient violé la clause d'agrément stipulée par l'article 7 des statuts des deux sociétés, qui avait été introduite dans les statuts en 1985 et qui avait été complétée en 1991.
Par acte du 28 décembre 2018, [Z] et [G] [X] ont fait assigner les sociétés [X] SA, Caviar [X] et [E] [X] devant le tribunal de commerce de Paris pour voir ordonner sous astreinte l'inscription des cessions sur les registres des mouvements de titres des sociétés et prononcer la nullité des assemblées générales du 27 septembre 2018.
Le 25 janvier 2019 les sociétés [X] SA et Caviar [X] et M.[E] [X] ont assigné [T] [C] en intervention forcée.
Par jugement du 14 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris a :
- ordonné aux sociétés [X] SA et Caviar [X] SA d'inscrire les cessions dans les livres des sociétés sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par société, et ce pendant trois mois, à compter du 7ème jour suivant la signification du présent jugement, comme suit :
- Le 12 juillet 2018, cession par [T] [C] de 610 actions de [X] SA et de 473 actions de Caviar [X] SA à [Z] [X].
- Le 13 juillet 2018, cession par [Z] [X] à [G] [X] de 610 actions de [X] SA et de 473 actions de Caviar [X] SA,
- prononcé la nullité des résolutions des assemblées générales ordinaires tenues le 27 septembre 2018 par [X] SA et Caviar [X] SA,
- condamné in solidum les SA [X], Caviar [X] et [E] [X] au paiement de la somme de 25.000 euros à [Z] [X], de 25.000 euros à [G] [X] et de 25.000 euros à [T] [C], en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné in solidum les SA [X], Caviar [X] et [E] [X] aux dépens.
Par déclaration du 19 juin 2019, la SA [X], la SA Caviar [X] et [E] [X] ont interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 8 avril 2021 la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement et statuant à nouveau, a dit que les statuts des sociétés [X] et Caviar [X] contenaient des clauses d'agrément préalable des conseils d'administration en cas de cession entre actionnaires, sauf dans les cas limitativement énumérés par les statuts, constaté que les cessions des actions des sociétés [X] et Caviar [X] consenties par [T] [C] à [Z] [X] le 12 juillet 2018, et par [Z] [X] à [G] [X] le 13 juillet 2018 sont entachées de fraude, en conséquence, a prononcé la nullité desdites cessions, dit que la demande de communication de pièces était devenue sans objet, dit n'y avoir lieu à inscrire ces cessions dans les livres des sociétés [X] et Caviar [X], dit n'y avoir lieu de prononcer la nullité des résolutions des assemblées générales ordinaires tenues le 27 septembre 2018 par les sociétés [X] et Caviar [X], débouté les parties de leurs demandes de dommages et intérêts et d'amende civile et condamné [T] [C], [Z] [X] et [G] [X] aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer ensemble, à chacune des sociétés [X] et Caviar [X] et à [E] [X] une somme de 30.000 euros, soit au total la somme de 90.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
[Z] et [G] [X] ainsi qu'[T] [C] ont formé un pourvoi contre cet arrêt, [E] [X] et les sociétés Caviar [X] et [X] SA ont quant à eux formé un pourvoi incident.
Par arrêt du 15 mars 2023 la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et amende civile, l'arrêt rendu le 8 avril 2021, remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée, condamné [E] [X] et les sociétés [X] et Caviar [X] aux dépens, et au paiement d'indemnités procédurales.
Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel appréciant l'existence d'une clause d'agrément par référence à la loi en vigueur au jour de la cession, c'est à dire l'article L228-23 du code de commerce issu de l'ordonnance 2004-604, s'était fondée sur des motifs inopérants, dès lors que l'article L228-23 du code de commerce en sa rédaction issue de l'ordonnance du 24 juin 2004, comme de celle issue de l'ordonnance du 22 janvier 2009, permettait, mais n'imposait pas de soumettre à agrément les cessions d'actions entre actionnaires, sans rechercher, comme elle y était invitée, si à la date d'adoption des statuts, les actionnaires des sociétés avaient eu l'intention de soumettre le périmètre des clauses d'agrément de ces sociétés à toutes les modifications légales ultérieures ou si, au contraire, prenant en compte l'impossibilité légale, alors en vigueur, de soumettre à agrément les cessions d'actions entre actionnaires, ils avaient entendus soumettre à agrément, sous réserve des dérogations expressément prévues par les statuts, les seules cessions d'actions à des personnes non associées.
Par déclaration du 17 avril 2023, les sociétés Caviar [X] et [X] SA ainsi que M.[E] [X] ont saisi la cour de renvoi.
Par conclusions n°3 remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 février 2024, la société [X] SA, la société Caviar [X] SA, M.[E] [X] demandent à la cour de renvoi, de déclarer leurs demandes recevables, infirmer le jugement du 14 juin 2019 en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, enjoindre [Z] [X] et [T] [C] de produire l'original complet du contrat de cession des actions des sociétés [X] SA et Caviar [X] SA qui serait intervenu entre eux, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision, enjoindre [G] [X] de produire la preuve de l'ordre de virement émanant de sa part de la somme de 1.900.779,50 euros en faveur de [Z] [X], correspondant au prétendu prix de cession des actions, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision, juger qu'à la date d'adoption des statuts, les actionnaires des sociétés [X] SA et Caviar [X] SA avaient eu l'intention de soumettre le périmètre des clauses d'agrément de ces sociétés à toutes les modifications légales ultérieures, juger que les cessions des actions des sociétés [X] et Caviar [X] consenties par [T] [C] à [G] [X] par l'intermédiaire de [Z] [X], prétendument effectuées les 12 et 13 juillet 2018, ont été conclues de manière frauduleuse en violation des clauses d'agrément prévues par les statuts des deux sociétés, prononcer la nullité, ou l'inopposabilité aux sociétés concernées, des cessions alléguées des actions des sociétés [X] et Caviar [X] consenties par [T] [C] à [G] [X] par l'intermédiaire de [Z] [X] prétendument effectuées les 12 et 13 juillet 2018, en ce qu'elles ont été conclues de manière frauduleuse en violation des clauses d'agrément prévues par les statuts des deux sociétés,
en toute hypothèse, rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions adverses, condamner [Z] [X], [G] [X] et [T] [C], in solidum à leur verser à chacun la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Marie-Catherine Vignes, cabinet GRV Avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs conclusions n°2 remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, M. [G] [X] et M.[Z] [X] demandent à la cour de renvoi de juger irrecevables, et subsidiairement mal fondées, les sociétés [X] SA et Caviar [X] SA ainsi qu'[E] [X], en leur demande nouvelle tendant à voir déclarer les cessions des actions des 12 et 13 juillet 2019 (2018) inopposables aux sociétés [X] SA et Caviar [X] SA et aux fins d'injonction de communication de pièces, débouter les sociétés [X] SA et Caviar [X] SA ainsi qu'[E] [X], de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, confirmer le jugement du 14 juin 2019 en ce qu'il a :
' ordonné à [X] SA et Caviar [X] SA d'inscrire les cessions suivantes dans les livres des sociétés sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par société, et ce pendant trois mois, à compter du 7ème jour suivant la signification du présent jugement, comme suit :
Le 12 juillet 2018, cession par Mme [T] [C] de 610 actions de [X] SA et de 473 actions de Caviar [X] SA à M. [Z] [X].
Le 13 juillet 2018, cession par M. [Z] [X] à M. [G] [X] de 610 actions de [X] SA et de 473 actions de Caviar [X] SA;
' prononcé la nullité des résolutions des assemblées générales ordinaires tenues le 27 septembre 2018 par [X] SA et Caviar [X] SA;
' condamné in solidum les SA [X], Caviar [X] et M. [E] [X] au paiement de la somme de 25.000 euros à M. [Z] [X] de 25.000 euros à M. [G] [X] et de 25.000 euros à Mme [T] [C], en application de l'article 700 du code de procédure civile;
' ordonné l'exécution provisoire dudit jugement;
' débouté les parties de leurs demandes autre, plus amples ou contraires;
' condamné in solidum les SA [X], Caviar [X] et M. [E] [X] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 137,86 euros dont 22,76 de TVA.
- les recevoir en leur appel incident et y ajoutant, condamner in solidum les sociétés [X] SA et Caviar [X] SA ainsi qu'[E] [X], à leur verser à chacun la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Frédéric Ingold, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, Mme [T] [C] demande à la cour de renvoi,
- à titre principal, de juger que l'agrément stipulé par l'article 7 des statuts des sociétés [X] SA et Caviar [X] ne s'applique pas aux cessions entre actionnaires, en conséquence confirmer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, débouter les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- subsidiairement, si la cour retenait que l'agrément stipulé à l'article 7 des statuts s'appliquait aux cessions entre actionnaires, juger en tout état de cause que les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] ne démontrent pas que les cessions intervenues seraient constitutives d'une fraude, en conséquence confirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, débouter les sociétés [X] SA et Caviar [X] et M. [E] [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- à titre infiniment subsidiaire et en tout état de cause, si la cour retenait que l'agrément stipulé à l'article 7 des statuts s'appliquait aux cessions entre actionnaires et retenait l'existence d'une fraude, juger qu'il n'est pas contestable ni contesté que la cession intervenue entre elle et son oncle [Z] [X] n'est pas soumise à agrément en application de l'alinéa 17 de l'article 7 des statuts, qui stipule que 'toutes cessions et transmissions d'actions sont libres entre parents collatéraux au deuxième ou au troisième degrés, juger que la cession intervenue entre elle et [Z] [X] repose sur des motifs réels et légitimes, en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] de leur demande de nullité des cessions intervenues entre elle et [Z] [X], statuant à nouveau, débouter les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] de leur demande de nullité ou d'inopposabilité des cessions intervenues entre elle et [Z] [X], cette demande d'inopposabilité des cessions étant en tout état de cause irrecevable car nouvelle en cause d'appel et en tous cas mal fondée,
- en toute hypothèse, sur la demande des sociétés [X] SA et Caviar [X] et de M. [E] [X] visant à l'infirmation du jugement en ce qu'il a annulé les délibérations des assemblées générales ordinaires des sociétés [X] SA et Caviar [X] du 27 septembre 2018, juger que les délibérations des assemblées générales ordinaires des sociétés [X] SA et Caviar [X] du 27 septembre 2018 doivent être annulées, du fait de sa prise en compte en qualité d'actionnaire à l'occasion de ces assemblées générales, en conséquence confirmer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, débouter les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] de leur demande d'infirmation du jugement, en ce qu'il a annulé les délibérations des assemblées générales des sociétés [X] SA et Caviar [X] du 27 sepembre 2018,
- en tout état de cause, débouter les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et notamment de leur demande de production forcée sous astreinte de l'original du contrat de cession conclu entre elle et [Z] [X] en date du 12 juillet 2018, qui est irrecevable et en tout cas mal fondée et condamner solidairement les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] à lui payer 20.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive, ainsi qu'une somme supplémentaire de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures.
SUR CE
- Sur la demande de communication de pièces
Les appelants demandent à la cour d'enjoindre sous astreinte, d'une part, [Z] [X] et [T] [C] de produire l'original complet du contrat de cession des actions des sociétés [X] SA et Caviar [X] SA qui serait intervenu entre eux, d'autre part, [G] [X] de produire la preuve de l'ordre de virement émanant de sa part de la somme de 1.900.779,50 euros en faveur de [Z] [X], correspondant au prétendu prix de cession des actions.
[G] et [Z] [X], ainsi qu' [T] [C] soulèvent, au visa des articles 564 et 565 du code de procédure civile, l'irrecevabilité de cette demande, arguant qu'[E] [X] et les sociétés [X] avaient sollicité devant le tribunal que soient communiqués certains documents, lesquels ont été versés au débat et que suite à cette communication ils ont abandonné cette demande, avant de la former à nouveau devant la cour de renvoi.Ils considérent que l'abandon de leur demande en première instance rend cette demande irrecevable à hauteur d'appel.
[E] [X] et les sociétés [X] répliquent que les éléments qui avaient été produits en délibéré étaient dépourvus de valeur probante et ne permettaient donc pas d'attester des deux cessions. Ils contestent avoir abandonné leurs demandes en première instance.
- sur la recevabilité
Il ressort du jugement que par note en délibéré du 5 avril 2019, Mme [C] a communiqué un protocole d'accord daté du 12 juillet 2018 conclu entre elle-même et [Z] [X] et que les sociétés [X] et [E] [X] y ont répondu par note en délibéré du 8 avril suivant.
Il s'en déduit que la production des pièces en cause devant la cour avait déjà été évoquée en première instance de sorte que cette demande n'est pas nouvelle à hauteur d'appel.
Il ne résulte ni des mentions du jugement, ni des éléments aux débats, la preuve que [E] [X] et les sociétés [X] auraient considéré les pièces produites par note en délibéré comme répondant à leur demande et qu'ils auraient en conséquence purement et simplement renoncé à la communication sollicitée. Au contraire, dans leur note en délibéré du 8 avril 2019, répliquant à la communication effectuée par Mme [C] trois jours plus tôt, ils relevaient que le document consistait en une copie occultée à près de 60% d'un prétendu contrat de cession sous seing privé, émanant du conseil d'[T] [C], qui ne saurait valoir preuve.
La demande de communication de pièces sera jugée recevable.
- sur la demande de communication de l'original complet du contrat de cession entre [T] [C] et [Z] [X]
Figure aux débats la copie de l'acte de cession conclu entre [T] [C] et [Z] [X], déjà produit en première instance.Ce document comporte 5 pages, pour partie occultées. Toutefois, la partie lisible du document suffit à identifier le cédant et le cessionnaire, l'objet de la cession (les titres [X] et Caviar [X]), le prix de cession (pour les titres [X]: 1.671.000 euros/ pour les titres Caviar [X]: 111.000 euros, soit un prix total de cession de 1.782.000 euros, représentant un prix fixe non ajustable), les modalités de paiement de ce prix (900.000 euros payables avant le 21 septembre 2018/ 882.000 euros payables en plusieurs fois et au plus tard à la date du 5ème anniversaire de la date de réalisation), la date de réalisation ( le transfert des titres intervenant le 12 juillet 2018), ainsi que la date de signature ( [Localité 14], le 12 juillet 2018). Ce document comporte par ailleurs la signature du vendeur( [T] [C]) et de l'acquéreur ( [Z] [X]).
Sont en outre produits par les intimés, les imprimés Cerfa datés du 12 juillet 2018 et déposés à la DGFIP le 19 décembre 2018 correspondant à ces cessions, les ordres de mouvement desdits titres, et la justification d'un virement de 900.000 euros effectué par [Z] [X] depuis son compte ouvert au CICau bénéfice de [T] [X], le 13 septembre 2018.
Ainsi, l'occultation d'une partie de l'acte de cession pour des raisons de confidentialité, ne nuit pas à une connaissance suffisante des conditions de la cession litigieuse, et suffit aux débats.
La demande de communication de l'original du contrat de cession sera en conséquence rejetée.
S'agissant de la demande de preuve du virement par [G] [X] de la somme de 1.900.779,50 euros en faveur de [Z] [X].
Sont versés aux débats par les intimés les ordres de mouvement correspondant aux cessions consenties par [Z] [X] à son fils [G] [X] et les imprimés Cerfa qui s'y rapportent datés du 13 juillet 2018 et déposés à la DGFIP le 19 décembre 2018.
Est également communiquée par les intimés, en pièce 19, la justification d'un crédit de 1.900.779,50 euros porté le 30 août 2018 sur le compte de M.et Mme [Z] [X] ouvert dans les livres de la banque suisse Vontobel. Si cette pièce ne précise pas la provenance de cette somme, force est de constater que son montant correspond exactement au prix total de cession des actions, porté sur les imprimés Cerfa relatifs aux cessions consenties par [Z] [X] à [G] [X] pour des montants de 1.782.000 euros et 118.000 euros.
Ce document attestant du paiement d'une somme correspondant au prix de cession, il n'y a pas lieu de faire droit à la plus ample demande de communication de pièces.
- Sur la nullité des actes de cession
Au soutien de leur demande d'annulation des cessions litigieuses, les sociétés [X] et [E] [X] font valoir qu'elles ont été conclues:
- en violation des clauses d'agrément applicables aux cessions entre actionnaires,
- de manière frauduleuse tant dans la forme que sur le fond,
- de manière fictive,
- avec la volonté de nuire au groupe [X].
- Sur la violation des clauses d'agrément
Les appelants exposent pour l'essentiel qu'en 1985, il a été inséré dans les statuts des deux sociétés [X] une clause d'agrément générale, sans aucune restriction, autre que la 'dispense de la loi', que le 26 décembre 1991, les actionnaires des deux sociétés ont ajouté trois paragraphes apportant quelques dérogations limitatives à l'obligation d'agrément, qu'il résulte de la lecture a contrario du troisième alinéa ajouté en 1991 que les cessions ne sont pas libres entre collatéraux au-delà du 3ème degré, peu important qu'ils soient ou non actionnaires, que la volonté claire des actionnaires a été de restreindre la liquidité des titres à un cercle familial très proche, qu'[T] [C] et [G] [X] étant parents collatéraux au 4ème degré, la clause d'agrément leur était applicable, que l'ordonnance du 26 juin 2004 a autorisé ergas omnes les clauses d'agrément sans la réserver aux seules cessions aux tiers, que les statuts de 1985 et 1991 étant déjà conformes à ce texte, il n'était pas besoin de les modifier à la suite de l'ordonnance de 2004 pour qu'elles s'appliquent de plein droit aux cessions entre actionnaires. Ils concluent que toute cession intervenue en violation d'une clause d'agrément est nulle en vertu de l'article L228-23 du code de commerce.
[G] et [Z] [X] demandent à la cour d'interpréter la clause d'agrément, exposant que la commune intention des parties n'a jamais été d'étendre le périmètre de la clause d'agrément au gré des évolutions législatives, mais au contraire d'en restreindre le champ d'application aux seules cessions avec des tiers et que l'intention des parties doit s'apprécier au jour de la signature de l'acte. Ils renvoient au texte de la résolution ayant adopté la clause d'agrément en 1985, qui visait à mettre en place une clause d'agrément limitant la libre transmission des actions de la société aux tiers et soulignent que la publication de la modification statutaire dans un journal d'annonces légales n'étant une simple formalité, l'absence de précision quant au champ d'application de la clause d'agrément ne constitue pas un élément permettant de déterminer la commune intention des parties.Ils précisent que les alinéas ajoutés en 1991 à l'article 7 des statuts, ne constituent pas des dérogations à l'alinéa 1er qui s'appliqueraient aux actionnaires puisque ces nouvelles dispositions ont été adoptées sous l'empire de la loi de 1966.
Concernant les règles de droit transitoire, ils considèrent que l'ordonnance de 2004 n'a pas eu pour effet de modifier automatiquement les statuts concernant le périmètre des clauses d'agrément dès lors que la loi ne dispose que pour l'avenir, n'a point d'effet rétroactif et que les statuts de toutes les sociétés sont de nature contractuelle et donc soumis au principe de la loi ancienne, de sorte qu'une modification statutaire aurait dû être réalisée dans l'hypothèse où les actionnaires auraient souhaité étendre le périmètre de la clause aux cessions entre actionnaires.
[T] [C] conclut dans le même sens que [Z] et [G] [X], arguant que la volonté des parties était bien de restreindre l'agrément aux seules cessions aux tiers.Elle considère donc que les termes « sauf dispense de la loi » signifiaient l'interdiction d'une clause d'agrément entre actionnaires puisqu'au jour du vote de ladite clause la loi l'interdisait.
Sur ce, la cour:
Les parties ne s'accordant pas sur le sens à donner aux dispositions des statuts instaurant une clause d'agrément lors des cession d'actions, il convient de rechercher si ces dispositions sont parfaitement claires ou si elles nécessitent une interprétation.
Les clauses d'agrément étant libellées de façon identique dans les statuts respectifs des sociétés [X] SA et Caviar [X], l'analyse qui suit est commune aux deux sociétés [X].
L'article 7 des statuts des sociétés [X] établis en mars 1985, 'Forme et transmissions des actions' stipule que 'Sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions, quelles qu'en soient la nature et la forme, est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration'.
Cette clause, libellée en des termes très larges, ne précise pas si elle s'applique aux seules cessions à l'égard des tiers.
Toutefois, cette clause a été rédigée sous l'empire de la loi du 24 juillet 1966 qui prévoyait ' Sauf en cas de succession, liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant, la cession d'actions à un tiers, à quelques titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts.'
Ces dispositions, codifiées à droit constant en 2000 à l'article L228-23 du code de commerce, ont été interprétées par la jurisprudence, compte tenu de l'emploi des termes ' la cession d'actions à un tiers', comme la possibilité pour les sociétés anonymes de mettre en place une clause d'agrément à l'égard des cessionnaires tiers à la société, mais non pas de prévoir un agrément pour les cessions intervenant entre actionnaires.
Dans ce contexte juridique, la clause d'agrément ne pouvant utilement s'appliquer qu'aux seules cessions au bénéfice des tiers, il ne peut être déduit de la seule généralité de la clause, que les actionnaires ont entendu l'appliquer sans distinction à toute cession, y compris entre actionnaires.Ces derniers ont en effet pu estimer inutile, dans cette configuration juridique, de préciser davantage.
Cette clause doit donc être interprétée en recherchant la commune intention des parties au travers d'éléments complémentaires.
La résolution soumise au vote des actionnaires lors l'assemblée générale extraordinaire du 23 mars 1985, résolution destinée à inclure dans les statuts une clause d'agrément, est ainsi rédigée ' L'assemblée générale décide de mettre en place une clause d'agrément limitant la libre transmission des actions de la société aux tiers'( mis en gras par la cour).
C'est bien cette résolution, telle que votée à l'unanimité par tous les actionnaires, et non l'extrait raccourci que le dirigeant a fait publier au BODACC, qui traduit la commune intention des actionnaires et qui vient éclairer le sens de la clause non précise insérée dans les statuts.
Il se déduit du texte de cette résolution qu'en 1985, la commune intention des parties était d'appliquer la clause d'agrément uniquement aux cessions d'actions aux tiers.
Lors de l'assemblée générale du 26 décembre 1991, alors que l'état du droit était inchangé, les associés ont été appelés à voter sur la résolution suivante ( troisième résolution):
'L'assemblée générale sur proposition du conseil d'administration, décide de compléter le texte de l'article 7 des statuts au moyen de trois derniers alinéas nouveaux rédigés de la manière suivante:
' Est libre la création d'une indivision légale ou conventionnelle entre actionnaires ou entre actionnaires et autres personnes pouvant bénéficier d'une cession ou transmission exonérée du droit d'agrément stipulé aux termes du présent article.
Est également libre le transfert d'un droit de jouissance ou d'usage à une société en participation constituée entre actionnaires ou entre actionnaires et autres personnes pouvant bénéficier d'une cession ou transmission exonérée du droit d'agrément stipulé aux termes du présent article.
Enfin, toutes cessions et transmissions d'actions sont libres entre parents collatéraux au deuxième et troisième degré.'
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, ces ajouts ne confirment, ni n'établissent que les cessions entre actionnaires étaient soumises à agrément. En effet, d'une part, à date, l'état du droit n'avait pas été modifié de sorte que les cessions entre actionnaires ne pouvaient pas valablement être soumises à un agrément préalable, d'autre part, le lien fait aux deux premiers alinéas entre les actionnaires et 'autres personnes pouvant bénéficier d'une cession ou transmission exonérée du droit d'agrément' présuppose que les actionnaires sont exonérés du droit d'agrément.
Il ne peut davantage être déduit a contrario du troisième alinéa, selon lequel les cessions sont libres entre parents collatéraux jusqu'au 3ème degré, que l'agrément est nécessaire pour les cessions entre actionnaires au-delà du 4ème degré. En effet, ce troisième alinéa à la différence des deux premiers n'évoque pas du tout les actionnaires, mais seulement les 'parents collatéraux'. Ce troisième alinéa doit en conséquence être compris comme visant les cessions à l'égard de parents collatéraux non actionnaires et donc comme limitant le périmètre de la clause d'agrément adoptée en 1985 qui s'appliquait en cas de cession à l'égard de personnes non actionnaires, fussent-elles collatéraux.
Il n'est donc pas établi qu'en 1991, l'intention des actionnaires avait évolué s'agissant de la libre cession des titres entre actionnaires.
L'ordonnance du 24 juin 2004 a modifié l'article L228-23 du code de commerce, et l'a ainsi libellé ' Dans une société dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé, la cession d'actions ou de valeurs mobilières donnant accès au capital, à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts'. Cette clause est écartée en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant.
Ces dispositions ont été reprises dans l'ordonnance du 22 janvier 2009.
La suppression de la référence à un tiers a donc permis d'instaurer dans les sociétés anonymes une clause d'agrément aux cessions entre actionnaires
Les appelants déduisent des termes 'sauf dispense de la loi' introduisant l'article 7 des statuts, que l'intention des actionnaires était que la clause d'agrément suive les évolutions législatives, et partant que les nouvelles dispositions s'appliquent à partir de 2004 aux cessions entre actionnaires.
Toutefois, s'il était devenu juridiquement possible de mettre en place une clause d'agrément pour les cessions entre actionnaires, il ne s'agissait que d'une faculté et non d'une obligation. L'ordonnance de 2004, qui ne restreignait pas le champ d'application des clauses d'agrément, mais au contraire l'ouvrait, ne s'appliquait pas de plein droit aux statuts existants, les associés restant libres de le prévoir ou non.
Il est constant que les actionnaires n'ont pas postérieurement à l'ordonnance de 2004 adopté de nouvelles dispositions concernant la clause d'agrément.
Les termes 'Sauf dispense de la loi' ne précisent pas si la loi à prendre en compte est celle en vigueur au jour de la mise en oeuvre de la clause ou celle au jour de l'adoption de la clause dans les statuts. En outre ces termes peuvent signifier la simple volonté de se conformer aux restrictions que la loi pourrait prévoir ultérieurement.
Cette analyse se trouve corroborée par les débats intervenus lors de l'assemblée générale du 27 septembre 2013, au cours de laquelle [Z] [X] avait soumis au vote des actionnaires la modification de l'article 7 des statuts visant à permettre la liberté totale de cession des actions. La 9ème résolution tendant à voir modifier comme suit les statuts ' [...] Les actions sont librement négociables. Elles se transmettent par virement de compte à compte.[...]' a été rejetée à la majorité des voix.
Le procès verbal de constat, dressé par l'huissier de justice qui assistait à l'assemblée générale du 27 septembre 2013, rapporte les propos d'[E] [X], président directeur général de [X] SA, exposant les raisons pour lesquelles le conseil d'administration propose de ne pas adopter la résolution soumise par [Z] [X], en ces termes : 'La plupart des sociétés anonymes non cotées voient la cession des actions à un tiers soumises à une clause d'agrément. Les statuts de la société comportent donc un tel dispositif voulu par les fondateurs, puis par les différents actionnaires par la suite. Il n'est pas particulièrement sévère. La mesure ne vise pas à réduire la liquidité des actions, mais à empêcher l'entrée dans l'actionnariat de personnes dont la présence pourrait notamment être contraire à l'intérêt de la société, voire emprunte une volonté de nuire'. ( mis en gras par la cour).
Ces propos faisaient suite au refus de l'entrée au capital d'un fonds d'investissement dans le cadre d'une cession dont le cédant était [Z] [X].
L'opposition manifestée par [E] [X] quant à la suppression de la clause d'agrément vise directement 'la cession à un tiers', et ' l'entrée dans l'actionnariat' compte tenu des risques que cela pourrait représenter pour la société. Il n'évoque aucunement la nécessité d'un agrément dans le cadre d'une cession entre actionnaires qui ne présente pas a priori les mêmes risques, alors que plusieurs années s'étaient écoulées depuis l'ordonnance de 2004, mais insiste au contraire sur le fait que la clause en vigueur n'est pas particulièrement sévère, or soumettre à un agrément préalable les cessions de titres entre actionnaires limite incontestablement la liberté de cession des titres et constitue une disposition sévère.
Au regard de ces éléments, les termes ' Sauf dispense de la loi' ne peuvent être interprétés comme la volonté des actionnaires de voir intégrer de plein droit dans les statuts toute évolution législative et partant d'élargir sans nouvelle délibération, la clause d'agrément aux cessions entre actionnaires.
[Z] [X] étant l'oncle d'[T] [C] et détenteur de droits de vote au sein des sociétés [X] et [G] [X] étant actionnaire de ces sociétés, les appelants manquent à établir que les cessions litigieuses sont intervenues en violation des clauses d'agrément.
- Sur la fraude et la fictivité des cessions
Les appelants soutiennent que ces ventes en apparence successives dissimulent en réalité une interposition de personnes afin de contourner la clause d'agrément en cas de refus du conseil d'administration, [T] [C] ne pouvant pas céder directement ses titres à son cousin [G] [X] sans agrément préalable du conseil d'administration. Il soulignent que la date des seconds ordres de virement est raturée, qu'elle était initialement celle du 12 et non du 13 juillet 2018 et que la volonté des intimés était en l'espèce d'empêcher le rachat des actions d'[T] [C] par les sociétés et de renforcer la position de [G] [X] au sein du groupe.
[Z] et [G] contestent toute fraude, et soutiennent que la bonne foi étant toujours présumée, c'est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce.Ils font valoir que la fraude suppose de caractériser l'intention d'éluder une régle légale ou conventionnelle et l'emploi de moyens à cette fin, l'intention frauduleuse devant être établie à l'égard de chacun des participants et qu'il appartient au juge de vérifier si l'acquéreur intermédiaire n'était animé d'aucun affectio societatis et si la cession n'avait que pour seul objet d'éviter de solliciter un agrément. Ils ajoutent que l'existence d'un motif légitime à l'opération entreprise exclut la fraude, que la fraude aux clauses d'agrément concerne essentiellement des cas dans lesquels un tiers entrait au capital de la société, qu'en l'espèce, il s'agit uniquement de cessions entre actionnaires, qu'aucune clause d'agrément n'était nécessaire à la cession entre [Z] et [G] [X] et [T] [C].
Ils contestent également toute fictivité des cessions, leur existence étant par les pièces aux débats.
[T] [C] soutient que la caractérisation d'une fraude consécutive au contournement d'une clause d'agrément nécessite trois critères à savoir: le fait que la première cession ait pour seul objet de permettre la deuxième cession, le fait que la personne interposée ne soit pas animée d'un affectio societatis, et le fait que le bénéficiaire final des actions soit un tiers à la société.
Pour contester le caractère frauduleux de la cession, elle expose que le paiement des actions n'a pas eu lieu au jour de la cession à savoir le 12 juillet 2018 mais selon un calendrier qui prévoyait le paiement de 900.000 euros avant le 21 septembre 2018 et 882.000 euros en plusieurs échéances par la suite, qu'elle justifie de la réalité de la cession à [Z] [X] par un extrait de l'acte de cession, les ordres de mouvement, les imprimés CERFA et par un virement de 900.000 euros intervenu le 13 septembre 2018.
Elle ajoute que la cession de ses actions était justifiée par un motif économique et que la somme proposée par [Z] [X] était plus intéressante que celle proposée par [E] [X] et que cette cession s'inscrit dans un contexte ancien et continu d'aide financière et morale octroyée par [Z] [X] à son bénéfice, et que les appelants souhaitent faire annuler la cession afin de profiter de sa détresse financière en lui rachetant ses parts à très bas prix.
Sur ce, la cour:
Par courrier daté du 1er septembre 2018, [T] [C] a informé [E] [X] des cessions intervenues en ces termes ' J'ai le plaisir de t'informer que mes actions ont été cédées en intégralité soit 473 actions Caviar [X] et 610 actions [X] à Monsieur [G] [X]. / J'en profite pour me réjouir de cette transaction qui a pu satisfaire entièrement, et plus qu'espérée, mes ambitions./ Je suis reconnaissante à Monsieur [G] [X] d'avoir procédé à cette transaction et je vais enfin pouvoir jouir et profiter de mon patrimoine qui est resté bloqué contre mon gré à gré et dans des conditions insatisfaisantes durant tant d'années./ Je te remercie par avance de bien vouloir enregistrer ces transactions dans ton registre de mouvement de titres y étant précisé que Monsieur [Z] [X] a également détenu mes titres dans l'intervalle. [...]
Le 20 septembre 2018, [G] [X] a écrit à [E] [X]
' J'ai le plaisir de vous informer que je suis le nouveau propriétaire des actions d'[T] [C] qui a cédé ses titres de [X] SA et de Caviar [X] SA. Je vous ai fait parvenir les ODM en originaux par recommandé et je vous serais reconnaissant de bien vouloir me communiquer en retour une attestation d'inscription en compte faisant état du registre de mouvement de titres de chacune des sociétés modifiés du fait desdites cessions. [....] Il est de l'intérêt social de l'entreprise d'avoir un actionnariat disposé à participer activement à la vie de l'entreprise et de pouvoir apporter son concours. Ce qui est mon cas. Par ailleurs [T] [C] est parfaitement satisfaite d'avoir pu trouver une solution financière à ses problématiques personnelles, ce à quoi nous pouvons tous nous réjouir de concert. Enfin, il avait été évoqué ensemble le bien fondé d'un actionnariat plus condensé à des multiples occasions et je suis certain que vous serez sensible à cette nouvelle très positive pour tous et pour la cédante en particulier. [...]'.
Il n'est pas contesté qu'[T] [C], confrontée à des difficultés financières depuis des années, souhaitait céder les titres qu'elle détenait dans les sociétés [X], de sorte que le motif des cessions, d'ordre économique, était bien réel. Elle a en définitive trouvé accord sur les conditions financières de ces cessions avec son oncle [Z] [X] et son cousin [G] [X].
S'il ressort des courriers ci-dessus rapportés que le cessionnaire final des actions était [G] [X], raison pour laquelle Mme [C] se dit reconnaissante à l'égard de ce dernier, Mme [C] n'a aucunement dissimulé cette situation, puisqu'elle évoque dès le 1er septembre 2018 la détention des titres par [Z] [X] ' dans l'intervalle', que cette cession répondait pour Mme [C] à un impératif économique et si elle a arbitré la cession en faveur de son oncle, c'est parce qu'elle considérait le prix de cession plus avantageux que ce qui lui était offert par ailleurs, notamment par les sociétés.
Il est justifié d'un virement de 900.000 euros daté du 13 septembre 2018 effectué depuis le compte CIC de [Z] [X] au profit d'[T] [C], ce montant correspondant à la partie du prix de cession payable avant le 21 septembre 2018. Deux autres règlements sont intervenus en octobre 2019 (265.000 euros) et juillet 2019 (241.000 euros) soit un total versé de 1.406.000 euros, étant relevé que Mme [C] avait antérieurement, en 2010, emprunté 100.000 euros à son oncle, prêt qui selon ses indications n'avait pas encore été remboursé à la date des cessions.Il existait manifestement des relations privilégiées et de confiance entre [T] [C] et [Z] [X].
[Z] [X] expose que tout en souhaitant honorer ses engagements à l'égard de sa nièce en difficultés, il a souhaité à son tour retrouver des liquidités et réaliser une plus-value en cédant les actions à son fils.
Il est également justifié (pièce 19 de [Z] [X]) qu'une somme de 1.900.779,50 euros a été créditée le 30 août 2018 sur le compte de M.et Mme [Z] [X] ouvert dans les livres de la banque suisse Vontobel. Si cette pièce ne précise pas la provenance de cette somme, force est de constater que son montant correspond très exactement au prix de cession cumulé des actions, porté sur les imprimés Cerfa constatant les cessions entre [Z] [X] et son fils [G] [X].
Les imprimés Cerfa correspondant à ces cessions de droits sociaux ont été déposés à la DGFIP le 19 décembre 2018, ainsi qu'il ressort du tampon apposé sur ces imprimés.
Des paiements sont donc intervenus au titre de chacune des ventes, les ordres de mouvement ont été signés par les cédants successifs, de sorte que le moyen pris de la fictivité des cessions n'est pas fondé.
L'affectio societatis de [Z] [X] existait à la date de son acquisition, puisque s'il avait cédé en 2015 à son fils [G] [X] la nue-propriété de ses actions, il en avait conservé l'usufruit, et disposait donc avant les cessions litigieuses toujours du droit de vote, conformément à l'article 8 des statuts selon lequel le droit de vote attaché à l'action appartient à l'usufruitier, et avait vocation à percevoir les dividendes.
Par ailleurs [G] [X] était dès avant l'acquisition des titres de Mme [C] auprès de son père déjà actionnaire des sociétés [X], les appelants indiquant dans leurs conclusions qu'il détenait avant les cessions litigieuses 9,8% du capital social de [X] SA et 5,4% du capital social de Caviar [X].
[G] [X] étant actionnaire des deux sociétés et la clause d'agrément ne s'appliquant pas aux cessions entre actionnaires, il est indifférent qu' [T] [C] et [G] [X] ne soient cousins qu'au 4ème degré puisqu'une cession aurait pu intervenir directement entre eux.
Si la chronologie des opérations démontre que [Z] [X] n'avait pas vocation à conserver les actions acquises auprès de sa nièce, mais à les revendre à son fils en réalisant une plus-value, il n'en résulte pas pour autant la preuve que ces opérations ont été menées frauduleusement pour contourner la clause d'agrément figurant dans les statuts.
Les moyens de nullité pris de la fraude et de la fictivité des cessions sont en conséquence rejetés.
- sur la volonté de nuire au groupe [X]
Les sociétés [X] et [E] [X] soutiennent que ces cessions s'inscrivent dans la volonté de consolider les pouvoirs des minoritaires notamment au travers de la société Melkon Holding fondée le 12 juin 2018 par [G] [X], que l'objectif de ce dernier est d'acquérir les participations des minoritaires en vue de posséder une très grande participation pouvant aller jusqu'à 49% du capital du groupe, que la volonté de nuire au groupe se manifeste par de nombreuses prises de participations au sein de sociétés productrices de caviar notamment la société Caviar de [Localité 16] ou encore au sein du groupe Prunier, participations qui ont été prises via le fonds d'investissement Olma Private Equity.
[Z] et [G] répliquent qu'aucune modification des équilibres capitalistiques ne découle des cessions intervenues, que la répartition du capital, le maintien des dirigeants et l'équilibre des pouvoirs sont inchangés, [G] [X] demeurant minoritaire et sans disposer d'une minorité de blocage en dépit des cessions ligieuses, ce que ne démentent pas les appelants, puisqu'ils ont reproché au jugement d'avoir annulé les assemblées générales du 27 septembre 2018 pour n'avoir pas pris en compte la perte de la qualité d'actionnaire d'[T] [C], considérant que cela n'aurait eu aucun impact sur les votes à ces assemblées.
[T] [C] soutient également que le rapport de force actionnarial au sein du groupe n'a pas été modifié à la suite des cessions dès lors qu'elle votait dans le même sens que [G] [X] au cours des assemblées générales et que ce dernier reste actionnaire minoritaire au sein des deux sociétés.
Indépendamment de la volonté de nuisance que les appelants imputent à [G] [X], il sera relevé à la suite des intimés, que ces cessions n'ont pas modifié l'équilibre capitalistique au sein des sociétés concernées, puisque [G] [X] détient désormais 15,76% (au lieu de 9,8%) au sein de la société [X] SA et 8,64% (au lieu de 5,4%) au sein de la société Caviar [X] et qu'il reste actionnaire minoritaire et qu'elles ne portent pas atteinte au caractère familial des sociétés [X].
Le fait que ces cessions constitueraient 'un risque de précédent' pour le cas où d'autres minoritaires souhaiteraient céder leurs titres n'est pas de nature à entrainer la nullité des cessions en cause dans la présente instance.
Aucun des moyens de nullité n'ayant été retenu, la cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté [E] [X] et les sociétés [X] de leur demande d'annulation des cessions.
- Sur l'inopposabilité des actes de cession
Les appelants demandent subsidiairement à la cour de déclarer les cessions inopposables aux sociétés [X] sur les mêmes fondements que ceux développés au soutien de leur demande de nullité des cessions.
[Z] et [G] [X], ainsi qu'[T] [C] soulèvent l'irrrecevabilité de cette demande d'inopposabilité comme étant nouvelle à hauteur d'appel et en ce qu'elle ne tend pas aux mêmes fins que la demande de nullité des cessions.
Les appelants répliquent que demande de nullité soulevée dès la première instance et la demande d'inopposabilité des cessions invoquée en appel tendent aux mêmes fins à savoir l'anéantissement à l'égard de ceux qui le demandent des effets de ces actes intervenus selon eux en fraude de leurs droits.
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger des questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La demande tendant à voir déclarer inopposables aux sociétés [X], les cessions litigieuses constitue une prétention formée pour la première fois à hauteur d'appel.
L'article 565 du même code dont se prévalent les appelants dispose toutefois que ' Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.'
En l'espèce, ce que recherchent les appelants, qui ne sont ni les cédants, ni les cessionnaires des actes litigieux, c'est que les cessions soient dépourvues de tout effet à l'égard des sociétés [X], que cette absence d'effet résulte d'un anéantissement desdits actes par l'effet de la nullité ou seulement de leur inopposabilité.
La cour retiendra en conséquence que leurs demandes de nullité et d'inopposabilité tendent, dans leurs rapports, aux mêmes fins et jugera recevable la demande d'inopposablité des cessions.
Sur le fond, les moyens développés étant identiques à ceux soutenus relativement à la demande de nullité des cessions, lesquels viennent d'être jugés non fondés, la cour déboutera les appelants de leur demande tendant à leur voir déclarer les cessions inopposables.
- Sur l'inscription en compte des cessions sur les registres des sociétés
Dès lors que les appelants ont été déboutés de leur demande de nullité et d'inopposabilité des cessions, que les ordres de mouvement avaient été signés par les cédants respectifs le jour des cessions et que la date de réalisation était fixée par les parties au jour de la cession, les sociétés [X] devaient procéder à leur inscription en compte sur le registre des mouvements de titres des sociétés, le transfert de propriété des titres résultant de l'inscription au compte de l'acheteur conformément à l'article L228-1 du code de commerce.
C'est en conséquence à tort que les sociétés [X] ont refusé de procéder à l'inscription de ces cessions successives.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné aux sociétés [X] SA et Caviar [X], sous astreinte, d'inscrire:
- la cession du 12 juillet 2018 par [T] [C] de 610 actions de [X] SA et de 473 actions de Caviar [X] à [Z] [X],
- la cession du 13 juillet 2018 par [Z] [X] de 610 actions de [X] SA et de 473 actions de Caviar [X] à [G] [X].
- Sur la nullité des résolutions adoptées lors des assemblées générales du 27 septembre 2018
Le tribunal a annulé l'ensemble des résolutions votées lors des assemblées générales du 27 septembre 2018, au visa de l'article L235-2-1 du code de commerce, considérant que les résolutions avaient été adoptées en comptant les voix d'[T] [C], qui n'était plus actionnaire et en minorant le nombre de voix de [G] [X].
Les appelants s'opposent à cette nullité dont ils soulignent l'inutilité, arguant que la nullité édicitée par l'article L235-2-1 du code de commerce est facultative, que si les cessions litigieuses avaient été prises en compte, le sens des votes n'aurait pas été modifié compte tenu du pourcentage d'actions détenu par [G] [X] et que cette sanction d'annulation est d'autant plus injuste que les sociétés étaient dans l'incapacité au vu des envois confus émanant des intimés d'identifier si une cession était valablement intervenue, indépendamment de la question de l'agrément. Ils ajoutent que cette annulation a contraint les sociétés à organiser deux nouvelles assemblées générales le 12 juillet 2019, qui ont abouti aux mêmes résultats.
Les intimés sollicitent la confirmation de la nullité des assemblées générales du 27 septembre 2018, exposant qu'au cours de celles-ci des distributions de dividendes ont été votées au profit d'[T] [C], qui n'est plus associée depuis le 12 juillet 2018, que la nullité est encourue quand bien même les actions concernées n'étaient pas nécessaires pour atteindre le quorum et la majorité.
Aux termes de l'article L235-2-1 du code de commerce, 'Les délibérations prises en violation des dispositions régissant les droits de vote attachés aux actions peuvent être annulées.'
Il est constant qu'[T] [C] a été convoquée aux assemblées générales du 27 septembre 2018, alors qu'elle n'avait plus la qualité d'actionnaire, ainsi qu'elle en avait avisé le dirigeant des sociétés avant ces assemblées, par courrier du 1er septembre 2018, et que [G] [X] n'a pas disposé d'un nombre de voix conforme aux droits que lui conféraient les actions qu'il avait acquises, or, ces assemblées générales ont notamment voté la distribution de dividendes.La circonstance que ces irrégularités n'ont pas affecté le sens des résultats n'empêche pas d'annuler les résolutions adoptées.
En présence d'une violation des droits de vote de [G] [X], la cour estime devoir confirmer le jugement en ce qu'il a annulé les résolutions des assemblées générales ordinaires tenues le 27 septembre 2018 par les sociétés [X] SA et Caviar [X].
- Sur les demandes de dommages et intérêts pour résistance et appel abusifs et de condamnation à une amende civile
[Z] et [G] [X] sollicitent la condamnation in solidum des sociétés [X] SA et Caviar [X] et d'[E] [X] à leur payer à chacun 50.000 euros de dommages et intérêts pour résistance et appel abusifs.
Ils exposent que c'est de parfaite mauvaise foi qu'[E] [X] et les sociétés [X] ont, d'une part, refusé de procéder aux inscriptions des cessions sur le registre des mouvements de titres, cette résistance abusive leur ayant occasionné un préjudice financier, moral et d'image en mettant en cause leur probité, d'autre part, interjeté appel, alors qu'ils savaient que la clause d'agrément ne trouvait pas à s'appliquer aux cessions en cause.
[T] [C] demande quant à elle 20.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive en réparation de son préjudice moral.
Les intimés ne justifient pas des préjudices qu'ils alléguent. Par ailleurs, le débat sur la portée de la clause d'agrément introduit par les appelants, bien que non fondé, ne peut être qualifié d'abusif.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté [Z] et [G] [X] et [T] [C] de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Y ajoutant, la cour rejetera la demande de dommages et intérêts pour appel abusif et d'amende civile, l'exercice du droit d'appel n'ayant pas dégénéré en abus.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés [X] et [E] [X] à verser à [T] [C], [Z] [X] et [G] [X] 25.000 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Y ajoutant, la cour condamnera in solidum les sociétés [X] SA et Caviar [X] et [E] [X] à verser au titre des frais irrépétibles exposé en appel les indemnités procédurales suivantes: 25.000 euros à [T] [C], 20.000 euros à [Z] [X] et 20.000 euros à [G] [X], ces deux derniers ayant conclu ensemble sous la même constitution d'avocat. Les appelants, étant condamnés aux dépens ne peuvent prétendre au paiement d'une indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS,
Déclare recevables mais mal fondées les demandes de communication de pièces formées par la société [X] SA, la société Caviar [X] et M.[E] [X], et les rejette,
Déclare recevable mais mal fondée la demande tendant à voir déclarer inopposables les cessions des 12 et 13 juillet 2018 et la rejette,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M.[Z] [X] et M.[G] [X] de leur demande de dommages et intérêts pour appel abusif,
Condamne in solidum la société [X] SA, la société Caviar [X] et M.[E] [X] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement par Maître Ingold, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer les indemnités procédurales suivantes au titre des frais irrépétibles exposés en appel:
- 25.000 euros à Mme [T] [C]
- 20.000 euros à M.[Z] [X]
- 20.000 euros à M.[G] [X]
Déboute la société [X] SA, la société Caviar [X] et M.[E] [X] de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.