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Décisions

CA Pau, 2e ch - sect. 2, 6 janvier 2025, n° 24/00788

PAU

Arrêt

Autre

CA Pau n° 24/00788

6 janvier 2025

XG/MB

Numéro 25/6

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 2

Arrêt du 6 janvier 2025

Dossier : N° RG 24/00788 - N° Portalis DBVV-V-B7I-IZJF

Nature affaire :

Demande relative à la liquidation du régime matrimonial

Affaire :

[D] [H]

C/

[W] [I]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 6 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 09 Septembre 2024, devant :

Monsieur GADRAT, Président, chargé du rapport,

assisté de Madame BRUET, Greffière, présente à l'appel des causes,

Monsieur GADRAT, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Monsieur GADRAT, Président empêché,

Madame GIMENO, Vice-Présidente placée,

Madame DELCOURT,Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

Grosse délivrée le :

à :

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [D] [H]

née le [Date naissance 4] 1974 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 9]

Représentée par Me Camille LACAZE, avocat au barreau de PAU

INTIME :

Monsieur [W] [I]

né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 8]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro C-64445-2024-1455 du 27/05/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)

Représenté par Me Sylvie LORDON, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 22 FEVRIER 2024

rendue par le JUGE DE LA MISE EN ETAT DE PAU

RG numéro : 23/00144

EXPOSE DU LITIGE

Madame [D] [H] et monsieur [W] [I] ont vécu en concubinage à compter de l'année 1999. Ils se sont mariés le [Date mariage 1] 2007 devant l'officier d'état civil de la commune de [Localité 8] (Pyrénées-Atlantiques), sans avoir fait précéder leur union d'un contrat de mariage.

Une enfant est issue de cette union, [V] née le [Date naissance 5] 2002.

Le 28 juillet 2016, madame [D] [H] a déposé une requête en divorce sur le fondement de l'article 251 du code civil.

Une ordonnance de non conciliation, fixant les mesures provisoires, a été rendue par le juge aux affaires familiales de Pau le 20 décembre 2016.

Madame [D] [H] a alors fait assigner son époux en divorce, sur le fondement de l'article 237 du code civil, par acte d'huissier délivré le 25 mai 2018.

Par jugement du 18 juin 2019, le juge aux affaires familiales de Pau a prononcé le divorce des époux [H] / [I] sur le fondement des articles 237 et 238 du code civil et ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Madame [D] [H] a fait assigner en liquidation du régime matrimonial, monsieur [W] [I], par acte de commissaire de justice du 17 janvier 2023 aux fins notamment de voir :

Ordonner le partage de l'indivision post-communautaire existante entre elle et monsieur [W] [I],

Fixer la récompense due par monsieur [W] [I] à la communauté à la somme de 127 290€ au titre de la reprise des propres,

Lui attribuer à ce titre la somme de 63 645€, correspondant à sa part dans l'actif de communauté,

Lui attribuer la somme de 27 590€ au titre de l'enrichissement personnel dont a bénéficié monsieur [W] [I] durant le concubinage,

Condamner monsieur [W] [I] au paiement d'une somme totale de 91 235€,

Condamner monsieur [W] [I] à lui payer la somme de 3000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par des conclusions d'incident déposées le 3 juillet 2023, monsieur [W] [I] a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer madame [D] [H] irrecevable en sa demande de paiement de la somme de 27 590€ considérant que celle-ci est prescrite.

Par ordonnance d'incident du 22 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pau a :

Déclaré recevable la fin de non-recevoir présentée par monsieur [W] [I] tirée de la prescription de la créance entre concubins de 27 590€ au profit de madame [D] [H],

Rejeté les demandes autres ou plus amples formées par les parties,

Condamné madame [D] [H] aux entiers dépens de l'incident.

Par déclaration transmise au greffe de cette cour le 12 mars 2024, madame [D] [H] a relevé appel de cette décision, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées, en toutes ses dispositions expressément énumérées dans sa déclaration d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour par RPVA le 8 août 2024, madame [D] [H] demande à la cour de :

Infirmer l'ordonnance d'incident du 22 février 2024 en ce qu'elle a :

Fait droit à la fin de non-recevoir présentée par monsieur [W] [I], tirée de la prescription de la créance entre concubins de 27 590€ dont madame [D] [H] sollicitait le paiement,

Rejeté les demandes autres ou contraires de madame [D] [H],

Condamné madame [D] [H] à supporter les dépens de l'instance,

Statuant à nouveau,

Déclarer que ses demandes au titre de l'enrichissement sans cause ne sont pas prescrites,

Débouter monsieur [W] [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dans le cadre de l'incident,

Condamner monsieur [W] [I] aux entiers dépens et au paiement d'une somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile non seulement pour la procédure de première instance mais également pour la procédure d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour par RPVA le 11 juin 2024, monsieur [W] [I] demande à la cour de :

Confirmer l'ordonnance du juge de la mie en état rendue le 22 février 2024 en ce qu'elle a déclaré recevable la fin de non-recevoir présentée par monsieur [W] [I] tirée de la prescription de la créance entre concubins de 27 590€ au profit de madame [D] [H],

Condamner madame [D] [H] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision critiquée et aux dernières conclusions des parties.

L'affaire qui a fait l'objet d'une fixation à bref délai conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile a été fixée à l'audience de plaidoiries du 9 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Pour faire droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance entre concubins soulevée par monsieur [W] [I], le premier juge a, après avoir rappelé les dispositions des articles 2224 et 2236 du code civil, notamment pris en considération les éléments suivants :

Les parties, qui ont vécu en concubinage avant de se marier, s'accordent sur l'application de la prescription quinquennale aux créances entre concubins mais s'opposent sur son point de départ et son éventuelle interruption,

L'action de madame [D] [H] pour le remboursement d'une créance entre concubins correspondant au remboursement d'un prêt immobilier entre mars 2000 et août 2007 est prescrite puisque la demande en remboursement a été formée pour la première fois dans le cadre d'une assignation délivrée le 17 janvier 2023,

Madame [D] [H] estime que la créance n'est pas prescrite au motif que le point de départ se situe au jour de la requête en divorce, le 28 juillet 2016, et que l'assignation en divorce du 25 mai 2018 a interrompu la prescription quinquennale,

en application de l'article 2224 du code civil, le point de départ de la prescription d'une créance entre concubins est le jour de sa naissance, soit pour une obligation à exécution successive comme un emprunt, dès le paiement de chaque échéance,

de plus, l'article 2236 du code civil ne prévoit aucune cause de suspension ou d'interruption de la prescription entre concubins,

en toute hypothèse, l'assignation en divorce du 25 mai 2018 ne comporte aucune demande relative à une créance entre concubins,

les moyens avancés par madame [D] [H] sont donc inopérants.

En cause d'appel, madame [D] [H] demande à la cour de déclarer que ses demandes, au titre de l'enrichissement sans cause, ne sont pas prescrites. Au soutien de sa demande, elle fait notamment valoir que sa créance était initialement soumise au délai de prescription trentenaire prévu par l'article 2262 du code civil s'agissant d'une créance à exécution successive née en 2000. Elle indique qu'au jour du mariage, le [Date mariage 1] 2007, la créance n'était pas prescrite. Elle ajoute que la prescription a été suspendue entre les époux jusqu'à la dissolution du mariage survenue par jugement du 18 juin 2019, signifié le 16 août 2019 et devenu définitif le 16 septembre 2019. Elle souligne que la prescription a recommencé à courir à compter de cette dernière décision pour une durée de 5 ans, soit jusqu'au 16 septembre 2024. Elle en déduit donc que ses demandes contenues dans son assignation délivrée le 17janvier 2023 au titre de l'enrichissement sans cause sont bien recevables car non prescrites.

De son côté, monsieur [W] [I] demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée. Il considère que la demande de son ex-épouse tendant à fixer à hauteur de 27 590€ la créance entre concubins est soumise à la prescription quinquennale. Il en déduit que l'action intentée par madame [D] [H] est prescrite dans la mesure où le délai quinquennal aurait expiré, selon lui, le 19 juin 2013, soit 5 années après l'entrée en vigueur de la réforme de la prescription. Il relève par ailleurs qu'en première instance, madame [D] [H] estimait que le point de départ du délai de prescription était situé au jour de la requête en divorce, soit le 28 juillet 2016. Il considère qu'il s'agit d'un aveu judiciaire de la part de madame [D] [H]. Il souligne enfin que l'assignation en divorce délivrée par son ex-épouse n'a pas suspendu ou interrompu le délai de prescription puisque cet acte ne comportait aucune demande relative à une créance entre concubins.

Au cas précis, madame [D] [H] forme, dans son assignation en liquidation et partage du régime matrimonial délivrée le 17 janvier 2023, une demande en paiement d'une créance entre concubins pour avoir remboursé la moitié des échéances de l'emprunt immobilier relatif à un bien propre de monsieur [W] [I].

La demande de paiement d'une créance entre concubins se prescrit selon les règles de droit commun de l'article 2224 du code civil, à savoir par cinq ans à compter du paiement ou de la date à laquelle la créance était exigible. Ce délai de cinq ans est issu de la loi du 17 juin 2008, étant rappelé que le délai de prescription de droit commun était antérieurement de 30 ans.

Il est enfin constant que les échéances de remboursement d'un prêt immobilier correspondent à des créances périodiques et que la prescription se calcule, dans ce cas, à compter de chacune des échéances acquittées.

En l'espèce, les parties s'accordent à dire que les échéances du prêt immobilier ont été remboursées par les concubins entre mars 2000 et août 2007. Le délai de prescription applicable à la créance revendiquée était donc de 30 ans puisque les échéances ' objet de la créance revendiquée - étaient échues avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme du délai de prescription.

Les époux [H] / [I] se sont mariés le [Date mariage 1] 2007.

Ainsi, le délai de prescription, alors trentenaire, a commencé à courir avant le mariage des époux [H] / [I], pour une durée de 7 ans et 5 mois pour la première échéance acquittée.

Toutefois, en application des dispositions de l'article 2236 du code civil, la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux. Du fait du mariage des concubins, la prescription de la créance revendiquée par madame [D] [H] a donc été suspendue, celle-ci s'étant retrouvée dans l'impossibilité morale d'agir contre son ex-concubin devenu son époux.

La prescription de la créance entre concubins revendiquée par madame [D] [H] a donc été suspendue à compter du [Date mariage 1] 2007 jusqu'à ce que le divorce ne devienne définitif.

Le divorce des époux [H] / [I] a été prononcé par jugement du 18 juin 2019, signifié par acte d'huissier de justice du 16 août 2019. En l'absence d'appel de cette décision dans le délai d'un mois, le divorce est devenu définitif le 16 septembre 2019.

La prescription a donc recommencé à courir le 16 septembre 2019.

Toutefois, entre temps et en application des dispositions de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 18 juin 2008, le délai de prescription applicable à la créance litigieuse a été réduit à cinq ans.

Les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 précisent que les dispositions cette loi s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit 30 ans.

C'est donc une prescription de 5 ans qui a recommencé à courir le 16 septembre 2019, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit 30 ans.

Compte tenu de la durée maximale (échéance la plus ancienne) écoulée avant la suspension de la prescription (du fait du mariage des concubins), soit 7 ans et 5 mois, la demande relative à la créance revendiquée par madame [D] [H] pouvait être formée jusqu'au 15 septembre 2024 inclus.

Si en première instance, madame [D] [H] a estimé que le point de départ du délai prescription était situé au jour du dépôt de la requête en divorce, il ne peut cependant être considéré, comme le soutient à tort l'intimé, qu'il s'agit d'un aveu judiciaire de madame [D] [H]. Il sera en effet rappelé que l'aveu judiciaire ne porte que sur un fait et non sur une question de droit. Or, il a été rappelé que l'article 2236 susvisé suspend la prescription entre époux, soit jusqu'à ce que le divorce soit devenu définitif, ce qui ne résulte évidemment pas de la simple requête en divorce.

Lors de l'assignation en partage du régime matrimonial délivrée par l'appelante le 17 janvier 2023 ' dans le cadre de laquelle la créance litigieuse a été revendiquée pour la première fois -, la prescription n'était donc pas acquise.

Dans ces conditions, la demande en paiement de la créance entre concubins formée par madame [D] [H] dans son assignation du 17 janvier 2023 n'est pas prescrite.

Il s'en déduit que la fin de non-recevoir soutenue par monsieur [W] [I] tirée de la prescription de la créance entre concubins revendiquée par madame [D] [H] dans son assignation en partage du régime matrimonial du 17 janvier 2023 doit être rejetée.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de monsieur [W] [I], étant précisé que ce dernier est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25%.

L'équité commande de ne pas faire application au profit de madame [D] [H] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance comme en cause d'appel. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 22 février 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pau,

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir présentée par monsieur [W] [I] tirée de la prescription de la créance entre concubins revendiquée par madame [D] [H] dans son assignation en partage du régime matrimonial du 17 janvier 2023,

Dit en conséquence que la demande de madame [D] [H] n'est pas prescrite,

Déboute les parties de leurs plus amples demandes,

Condamne monsieur [W] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel, étant précisé qu'il est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle.

Arrêt signé par France-Marie DELCOURT, pour le Président empêché et Marie-Edwige BRUET, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE Pour le Président empêché

Marie-Edwige BRUET France-Marie DELCOURT

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