Décisions

Cass. 1re civ., 25 février 1997, n° 94-22.022

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lemontey

Rapporteur :

M. Thierry

Avocat général :

M. Roehrich

Avocats :

SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, SCP Waquet, Farge et Hazan

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, de 1962 à 1991, M. Marzet et Mme Borel ont vécu en concubinage ; qu'en 1983, cette dernière a acheté les parts d'une SARL exploitant un hôtel à Tours, ainsi que celles de la SCI, propriétaire des murs, et a remis un certain nombre de ces parts à son concubin ; qu'en 1989, Mme Borel a revendu l'intégralité des parts sociales ; qu'au lieu de se borner à remettre à M. Marzet la somme de 579 632,44 francs, correspondant au nombre de parts de ce dernier, elle a viré sur son compte bancaire, en deux fois, la somme globale de 976 200 francs, soit un excédent de 396 567,56 francs ;

Que, le 11 juin 1991, après la rupture du concubinage, Mme Borel a assigné M. Marzet en restitution de cette somme, en faisant valoir qu'il s'agissait d'un prêt ; que l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 1994) a estimé que la remise de la somme litigieuse constituait un don manuel en usufruit et qu'à défaut d'extinction de celui-ci, la demande de restitution n'était pas fondée ;

Attendu que Mme Borel fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, de première part, que la preuve de l'intention libérale incombe à celui qui l'invoque, même s'il est défendeur ; qu'en retenant qu'à défaut d'écrit, Mme Borel ne justifiait pas du prêt par elle invoqué, l'arrêt attaqué a inversé la charge de cette preuve et violé l'article 1315 du Code civil ; alors, de deuxième part, qu'en omettant de se prononcer sur les indices graves, précis et concordants fournis par Mme Borel et de nature à établir l'absence d'intention libérale et la réalité du prêt par elle invoqué, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de troisième part, qu'en s'abstenant de rechercher si un concubinage de plus de 25 ans et l'existence de relations de confiance entre les parties n'avaient pas mis Mme Borel dans l'impossibilité morale d'exiger de M. Marzet un écrit de nature à justifier le prêt, la juridiction du second degré a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du Code civil ; alors, de quatrième part, que le don manuel implique chez le donateur l'intention de se dépouiller irrévocablement du bien donné, tandis que l'usufruitier de deniers doit les restituer au nu-propriétaire en fin d'usufruit ; qu'en retenant tout à la fois que la somme litigieuse avait fait l'objet d'un don manuel au profit de M. Marzet et que celui-ci en avait seulement reçu l'usufruit, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de cinquième part, qu'en ne recherchant pas si l'usufruit était affecté d'un terme conventionnel, tel que la date de reprise d'activité par M. Marzet ou encore celle de la rupture du concubinage, terme dont l'arrivée obligeait ce dernier à restituer les fonds à Mme Borel, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale ; et alors, enfin, et de sixième part, qu'en retenant l'existence d'un usufruit au profit de M. Marzet, sans rechercher si ce dernier avait dressé inventaire et fourni caution conformément aux articles 600 et 601 du Code civil, la cour d'appel a, de nouveau, privé sa décision de base légale ;

Mais attendu, sur les trois premières branches, qu'ayant relevé que, dans ses conclusions de première instance, Mme Borel avait déclaré " qu'elle entendait bien gratifier M. Marzet, mais seulement par les revenus de ses fonds ", que les éléments fournis n'étaient pas de nature à établir l'existence du prêt par elle allégué, et qu'elle ne s'était pas trouvée dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit démontrant la réalité de ce prêt, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé " que l'intention libérale est manifeste " ;

Attendu, sur la quatrième branche, que c'est sans contradiction que l'arrêt attaqué a admis l'existence, par l'effet d'un pacte adjoint, de l'usufruit conventionnel d'une somme d'argent, l'usufruitier disposant librement de cette somme remise par le nu-propriétaire ;

Attendu, sur la cinquième branche, que, dans ses conclusions d'appel, Mme Borel n'a jamais soutenu que cet usufruit serait affecté d'un terme conventionnel, tel que la fin du chômage de M. Marzet ou la rupture du concubinage, de telle sorte que la cour d'appel n'avait pas à se livrer à une recherche qui ne lui était pas demandée ; qu'en rappelant les dispositions de l'article 617 du Code civil relatives aux causes d'extinction de l'usufruit, elle a légalement justifié sa décision ;

Attendu, enfin, que, pris en sa sixième branche concernant le défaut d'inventaire et de caution, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, par suite, irrecevable ;

Qu'il s'ensuit que ce moyen ne peut être accueilli en aucune de ses six branches.