CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 janvier 2025, n° 23/01060
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Eni France (SARL)
Défendeur :
Pause Services (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Arnaud, Me Pinto
FAITS ET PROCÉDURE
La société Eni France, qui appartient au groupe italien international ENI, assure notamment la distribution de carburants à travers un réseau de stations-services AGIP.
M. [W] était salarié au sein d'une société exploitant une station-service du réseau Eni France.
Le 16 novembre 2015, la société Eni France et la société Pause Services, créée par M. [W] qui en a été désigné gérant, ont conclu une convention pour l'exploitation d'une station-service située sur l'autoroute A 36, en Alsace, à l'[Adresse 4].
Cette convention avait pour objet, d'une part, une activité de location-gérance de fonds de commerce pour ce qui concernait la distribution des lubrifiants et des activités annexes, d'autre part, un mandat pour la distribution de produits pétroliers.
Sa durée était fixée à trois ans, mais il était stipulé que chaque partie pourrait dénoncer la convention par lettre recommandée avec accusé de réception, à tout moment au cours de la première année, moyennant un préavis d'un mois.
Par lettre recommandée du 13 septembre 2016 avec avis de réception, la société Eni France a mis fin à la convention à effet au 15 novembre 2016.
Par lettre recommandée du 22 mai 2017 avec avis de réception, la société Pause Services a demandé à la société Eni France de combler les pertes du mandat évaluées à 466.030,65 €. Le 7 juin 2017, la société Eni France a proposé une indemnisation de 16.491 €, laquelle a été refusée par la société Pause Services. Le conseil de Pause Services a, par une lettre recommandée du 13 juillet 2017 avec avis de réception, mis en demeure la société Eni France de rembourser le montant chiffré sollicité initialement.
Le 17 janvier 2018, la société Pause Services a fait assigner la société Eni France devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir remboursement des pertes essuyées au cours du mandat.
Par jugement avant dire droit du 16 janvier 2020, le tribunal a désigné M. [E] en qualité d'expert avec mission de rechercher les commissions versées pour la période du 16 novembre 2015 au 16 novembre 2016 ainsi que de chiffrer le montant des pertes afférentes à l'activité de distribution de carburant pour la même période et déterminer l'origine de ces pertes. L'expert a clos son rapport le 6 mai 2021.
Par jugement du 9 novembre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a :
- jugé que la société Eni France ne pouvait se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée de l'obligation contenue à l'article 3.3 du titre 3 du contrat,
- jugé que la société Eni France ne pouvait se prévaloir de la renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil,
- condamné la société Eni France à payer à la société Pause Services la somme de 89.352 € au titre du différentiel de commissions pour l'exercice 2015/2016,
- jugé que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter de la date de mise en demeure, soit le 18 juillet 2017,
- débouté la société Pause Services de sa demande indemnitaire à hauteur de 150.000 €,
- condamné la société Eni France à verser à la société Pause Services la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné la société Eni France aux entiers dépens de l'instance.
La société Eni France a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe du 30 décembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 26 mars 2023, la société Eni France demande à la Cour de :
1) juger qu'elle est recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; juger que la société Pause Services est irrecevable et mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
2) en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a :
- jugé que la société Eni France ne pouvait se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée de l'obligation contenue à l'article 3.3 du titre 3 du contrat,
- jugé que la société Eni France ne pouvait se prévaloir de la renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil,
- condamné la société Eni France à payer à la société Pause Services la somme de 89.352 € au titre du différentiel de commissions pour l'exercice 2015/2016,
- jugé que ces sommes produiront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter de la date de mise en demeure, soit le 18 juillet 2017,
- condamné la société Eni France à verser à la société Pause Services la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné la société Eni France aux entiers dépens de l'instance,
3) et, statuant à nouveau :
a) à titre principal,
- juger que la demande de soutien pour l'exercice 2015/2016 est infondée car contraire au principe d'indivisibilité de la location-gérance et du mandat, l'exploitant ayant en outre expressément renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil et les A.I.P ne prévoyant nullement la prise en charge par la société pétrolière des pertes connues par l'exploitant,
- débouter purement et simplement la société Pause Services de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris sa demande de remboursement des pertes du mandat,
b) à titre subsidiaire, si la Cour admettait le principe de l'indemnisation des pertes du mandat :
- reprendre les conclusions de l'expert après avoir procédé aux différentes corrections pointées par la société Eni France et en particulier aux corrections suivantes :
* d'une part : par l'application d'une clef de répartition à hauteur de 30 % à l'activité 'mandat' et 70 % à l'activité 'hors mandat' pour les principaux postes des services extérieurs,
* d'autre part : par l'application d'une clef de répartition à hauteur de 20 % à l'activité 'mandat' et 80 % à l'activité 'hors mandat' pour les postes de frais de personnel, subvention d'exploitation et taxes assises sur les salaires,
- en conséquence, juger que la société Eni France ne doit aucune somme à la société Pause Services au titre du différentiel de commissions, le montant des commissions effectivement versé ayant permis à la société Pause Services de couvrir intégralement le montant des charges afférentes au mandat de vente de carburant,
- débouter purement et simplement la société Pause Services de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, y compris sa demande au titre du différentiel de commissions,
c) à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour estimait que la société Eni France était redevable d'une quelconque somme à la société Pause Services :
- juger que les sommes qui seraient mises à la charge de la société Eni France au titre du différentiel de commissions ne porteront pas intérêts,
4) en tout état de cause :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Pause Services de sa demande indemnitaire à hauteur de 150.000 €,
- débouter la société Pause Services de toutes demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
- condamner la société Pause Services au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 mars 2023, la société Pause Services demande à la Cour, au visa des articles 1131, 1190, 1999 et 2000 du code civil ainsi que des articles L. 330-3, R. 330-1 et L.442-6, 1° et 2° du code de commerce, de :
1) confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que :
- Eni France ne peut se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée de l'obligation contenue à l'article 3.3 du titre 3 du contrat,
- Eni France ne peut se prévaloir de la renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil,
- Eni France doit être condamnée à rembourser à la société Pause Services le différentiel de commissions pour l'exercice 2015/2016 avec intérêts de droit au taux légal et capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter du 18 juillet 2017,
2) l'infirmer en ce qu'il a :
- limité le différentiel de commissions à la somme de 89.352 €,
- débouté la société Pause Services de sa demande de dommages-intérêts,
3) en conséquence, statuant à nouveau :
- juger la société Eni France recevable en ses demandes,
- juger que Eni France ne peut se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d'une obligation essentielle contenue à l'article 3.3 du contrat,
- juger que Eni France ne peut pas mettre à la charge de la société Pause Services les pertes du mandat dont cette dernière n'avait pas la maîtrise,
- débouter Eni France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
a) à titre principal :
- condamner Eni France à verser à la société Pause Services les sommes de 241.407,40 € HT au titre du différentiel de commissions pour l'exercice 2015/2016,
b) à titre subsidiaire, si la cour devait préférer la ventilation de l'expert judiciaire :
- condamner Eni France à verser à la société Pause Services les sommes de 89.352 € HT au titre du différentiel de commissions pour l'exercice 2015/2016,
c) en tout état de cause :
- juger que ces sommes porteront intérêts avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil, à compter de la réception par Eni France de la mise en demeure, soit du 18 juillet 2017,
- condamner Eni France à payer à la société Pause Services la somme de 150.000 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation des préjudices résultant du déséquilibre créé par Eni France dans les relations contractuelles,
- condamner Eni France au versement de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont les frais d'expertise,
- juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter de la demande.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 2 juillet 2024.
La Cour renvoie à la décision déférée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
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MOTIVATION
1) Sur le droit de la société Pause Services d'obtenir une indemnisation au titre du différentiel de commissions
Moyens et prétentions des parties
La société Eni France conclut, en premier lieu, à la validité de la clause de renonciation aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil, faisant valoir que :
- Elle a remis un document d'information précontractuelle conforme aux dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, permettant à la société Pause Services de disposer de toutes les informations nécessaires et de s'engager en parfaite connaissance de cause, étant par ailleurs observé que M. [W], gérant de cette société, avait suivi une formation à la gérance d'une station-service avant de signer le contrat et qu'il était auparavant salarié au sein d'une autre société exploitant également une station-service du réseau Eni France ;
- Le préambule de la convention du 13 septembre 2015 prévoit dans sa clause intitulée 'Déclaration de consentement exprès' que l'exploitant a renoncé expressément à l'application des articles 1999 et 2000 du code civil, les termes de ce dernier article étant repris intégralement. Cette clause est non équivoque, étant rappelé que la jurisprudence valide les clauses de renonciation par un distributeur aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil dès lors qu'elles sont non équivoques et que la renonciation résulte d'une acceptation librement consentie, ces clauses n'étant pas d'ordre public ;
- Il n'existe aucune contrariété entre la clause de renonciation expresse figurant en préambule, l'article 3.3 du contrat, qui est une application des A.I.P ( Accords Interprofessionnels du Pétrole), et l'économie générale du contrat selon lesquels ce sont les pertes de la station et non celles résultant du mandat qui peuvent ouvrir droit à un remboursement ;
- Les A.I.P renferment le 'Protocole relatif à l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station-service de société pétrolière', lequel concerne la station-service dans son ensemble, y compris la boutique.
Eni France ajoute que la société Pause Services est incapable de citer la disposition des A.I.P prévoyant qu'il faut isoler le mandat dans le cadre de l'indemnisation des pertes, alors qu'il y est prévu une étude des pertes d'exploitation dans leur ensemble (article 3.4.7 du protocole), sans indication qu'il s'agirait uniquement de celles liées à la vente de carburants, et un soutien en cas de pertes effectives lorsque l'exploitant a bien géré la station-service. Elle souligne aussi qu'il incombe à la société Pause Services de démontrer qu'elle a subi des pertes (les pertes éventuelles dans le cadre du mandat se compensant avec les bénéfices réalisés dans le cadre de la location-gérance) et que ces pertes ne sont pas de son fait mais uniquement de celui du mandant, ce que la société Pause Services est incapable de prouver.
La société Eni France conclut, en second lieu, à l'indivisibilité du contrat, en soulignant que :
- la jurisprudence a toujours admis cette indivisibilité qui a pour conséquence logique que les bénéfices de la location-gérance peuvent compenser les pertes du mandat ;
- il n'est pas sérieusement contestable la commune intention des parties d'associer indivisiblement les deux activités de mandataire et de locataire-gérant ;
- l'indivisibilité est expressément prévue dans le contrat souscrit par la société Pause Services ;
- si la société Pause Services faisait état des gains réalisés dans le cadre de la location gérance, il serait aisé de constater que sa demande serait infondée car sans objet ;
- les deux activités sont étroitement liées dans le cas d'une station-service sur autoroute : les clients qui s'arrêtent pour acheter du carburant pouvant à cette occasion effectuer d'autres achats en boutique ;
- l'unité du fonds de commerce se vérifie encore par l'absence de clientèle distincte, la volonté commune des parties étant de considérer le fonds de commerce comme une unité d'exploitation et l'adoption d'un cadre comptable unique pour l'ensemble de ses activités.
L'appelante allègue enfin que les parties ont toujours considéré qu'il convenait d'apprécier l'activité de la station-service dans son ensemble. Elle soutient qu'elle n'a imposé aucune condition désavantageuse à la société Pause Services mais qu'au contraire celle-ci a pu bénéficier de tarifs avantageux sur les produits vendus en boutique ou encore de marges conséquentes sur les ventes de boissons.
En réponse, la société Pause Services rappelle d'abord le principe du remboursement des pertes du mandat édicté par les articles 1999 et 2000 du code civil.
En premier lieu, elle reproche à la société Eni France de n'avoir pas satisfait aux obligations d'ordre public prescrites par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, faute d'avoir communiqué les comptes sociaux de son prédécesseur ayant exploité la station-service. Elle en déduit que la société Eni France ne peut en aucun cas lui opposer la clause de renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil.
En deuxième lieu, la société Pause Services fait valoir que l'article 3.3 du contrat stipule expressément un mécanisme de comblement des charges du mandat dans l'hypothèse où les commissions versées se révéleraient insuffisantes pour couvrir les charges liées au volume de carburant vendu. Elle souligne que les contradictions entre les stipulations du contrat type de la société Eni France lui interdisent de se prévaloir d'une quelconque renonciation rendue pour le moins équivoque par l'article 3.3 du contrat, d'autant que l'article 1190 du code civil dispose que dans le doute, le contrat d'adhésion s'interprète contre celui qui l'a proposé.
En troisième lieu, la société Pause Services expose qu'à l'issue d'une longue bataille jurisprudentielle entre les pompistes de marques et les sociétés distribuant des hydrocarbures, la Cour de cassation (arrêts de la chambre commerciale du 26 octobre 1999, du 16 mars 2001 et du 18 mai 2010) a consacré le principe de l'indemnisation des pertes du mandataire qui ne dispose pas de la liberté de fixer les prix à la pompe, et ce alors même que le contrat type du pétrolier renferme une clause de renonciation expresse et explicite aux articles 1999 et 2000 du code civil.
La société Pause Services, ajoutant que la société Eni France ne rapporte pas la preuve d'une faute de sa mandataire dans sa gestion, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'elle n'avait pu renoncer aux pertes du mandat dont elle n'avait pas la maîtrise et qu'elle doit en conséquence obtenir remboursement des pertes du mandat pour l'exercice 2015/2016.
Réponse de la Cour,
L'article L. 330-3 du code de commerce dispose que toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.
Ce document d'information pré-contractuel (DIP), dont le contenu est fixé par l'article R. 330-1 du code de commerce, précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise (la société pétrolière en l'espèce), l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités. Ce document ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat.
Parmi les informations que la société pétrolière doit communiquer, en application de l'article R. 330-1 du code de commerce, figure notamment ses comptes annuels des deux derniers exercices.
Au cas présent, la Cour retient, d'abord, que la société Eni France produit en pièce n°3 le document d'information précontractuel portant la signature du distributeur précédée de la date du 15 octobre 2015, remis dans le délai prévu à l'article L. 330-3 du code de commerce, lequel contient toutes les informations exigées par l'article R. 330-1 du code de commerce pour permettre à la société Pause Services de s'engager en connaissance de cause.
Il y est notamment énuméré en annexe 5 la liste des stations- services de la société Eni France, dont celle exploitée sur l'[Adresse 4] par la SARL Dillen désignée comme mandataire. Eni France communique en outre à son futur exploitant ses bilan et compte de résultats (formulaires 53 A du code général des impôts).
La société Pause Services, qui était ainsi en mesure de prendre tous renseignements sur l'exploitation de cette station-service, est dans ces circonstance mal fondée à reprocher à la société Eni France de ne pas lui avoir communiqué les comptes sociaux de son prédécesseur.
La Cour relève, ensuite, qu'il est indiqué dans la convention du 16 novembre 2015 (pièce ENi France n°2), en préambule, que les parties se réfèrent au Protocole relatif à l'exploitation en location gérance de station-service de société pétrolière en date du 12 janvier 1994, couramment appelé A.I.P, dont l'exploitant reconnaît avoir pris connaissance. Puis, sous l'intitulé ' Déclaration de consentement exprès', il est mentionné : 'Il y a lieu de considérer les rémunérations tirées de l'ensemble des activités confiées au titre de la présente convention (commissions, marges sur activités annexes etc) dans leur globalité , en particulier l'exploitant déclare renoncer expressément à l'application des articles 1999 et 2000 du code civil, ce dernier étant ci-après repris intégralement : Code civil, article 2000 : 'Le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence de sa part'.
Cependant, après le titre I définissant le fonds de commerce, la convention détaille sous le titre 2 les règles régissant la location gérance. Il ressort de l'article 2.9.1 notamment qu'Eni France assure le paiement de l'intégralité de la redevance à la société concédante (s'agissant d'une aire de service soumise à un cahier des charges entre la société Eni France et le concédant) et refacture à l'exploitant la partie de la redevance afférente aux produits et services non carburants, l'autre partie de la redevance restant à la charge de la société Eni France.
Le titre 3 de la convention, qui est consacré au mandat de vente des produits pétroliers, comprend en outre un article 3.3 qui stipule :
'En rémunération du présent mandat et de toutes les charges et obligations qu'il assumera à ce titre, l'Exploitant recevra une commission globale et forfaitaire calculée comme suit : une partie fixe et une partie variable dont les montants figurent en Conditions Particulières.
La partie variable vise à couvrir les charges variables suivantes :
* les impayés et grivèleries,
* les opérations publicitaires sur les produits en mandat,
* les coûts de gestion liés à la fidélisation de la clientèle,
* les frais de caution bancaire,
* les différences d'inventaires,
* plus généralement, toutes les charges directement liées au volume carburant vendu.
S'il apparaît à l'Exploitant que cette commission variable n'est plus à même de couvrir le montant des charges ci-dessus définies, il devra en alerter ENI sans délai.
ENI s'engage à supporter le différentiel entre la commission effectivement versée et les charges définies ci-dessus, dont la réalité aura été certifiée par l'expert-comptable de l'Exploitant, si l'Exploitant justifie qu'il n'a pas commis d'erreur de gestion de ces charges.'
La Cour retient qu'aucune indivisibilité n'est prévue dans la convention entre la location-gérance et le mandat de vente des produits pétroliers et qu'en l'état des pièces versées, l'intention commune des parties pour décider d'une telle indivisibilité n'est aucunement démontrée.
Il importe donc peu que la vente de produits pétroliers et les activités annexes s'exercent pour une clientèle commune. C'est en vain, en outre, que la société Eni France fait état d'un cadre comptable commun alors qu'il était prévu une distinction entre la redevance due pour les activités annexes et la commission due au titre des ventes de carburants.
L'article 3.3 du titre 3 de la convention, relatif spécialement à la rémunération du mandataire, ne peut être privé d'effet par la disposition générale et liminaire figurant dans la convention relative à la renonciation à l'application des dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil, ni par les A.I.P ayant abouti au Protocole du 12 janvier 1994 relatif à l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station-service de société pétrolière.
En effet, s'agissant d'un contrat d'adhésion, si des contradictions existent entre ses clauses, il doit être interprété contre celui qui l'a proposé, la société Eni France, et donc en faveur de la société Pause Services.
De plus, la société ENI France ne peut solliciter utilement d'être déchargé de son obligation au motif qu'il a été renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil, dans la mesure où, en sa qualité de mandante, elle gardait la maîtrise de l'activité de vente de carburants, de ses charges et recettes ; en effet, c'est elle qui fixait la liste des carburants, leur prix et modalités de vente, les moyens de paiement et les modalités de versement de la recette.
Il peut être observé, enfin, que la société Eni France ne justifie ni même ne prétend que sa mandataire aurait commis des fautes de gestion de nature à la priver de son droit au paiement du différentiel de commissions.
Il résulte de l'ensemble que la société Eni France ne peut exciper d'une éventuelle compensation entre les pertes résultant de l'activité de vente de carburants et les bénéfices qui proviendraient des activités annexes.
C'est à juste raison que le tribunal a jugé que la société Eni France doit prendre en charge le différentiel de commissions né de l'activité de vente des produits pétroliers au titre de l'exercice 2015/2016 de la société Pause Services.
2) Sur le montant du différentiel de commissions
Dans son rapport, l'expert judiciaire a apporté les réponses suivantes aux questions qui lui étaient posées :
- le montant des commissions versées par la société Eni France dans le cadre du mandat de distribution de carburants est évalué à 120.592 € pour la période du 16 novembre 2015 au 15 novembre 2016 ;
- l'affectation des produits et charges entre les activités 'mandat' et 'hors mandat' peut être calculée de deux façons :
* premier calcul : affectation de 100 % des charges de loyers à l'activité 'hors mandat' (redevance pétrolière fixe), répartition que l'expert privilégie, aboutissant à des pertes de 89.352 €,
* second calcul : affectation des charges de loyers pour 28 % à l'activité 'hors mandat' et pour 72 % à l'activité 'mandat' (redevance pétrolière fixe), répartition préconisée par l'avocat de la société Pause Service, aboutissant à des pertes de 155.885 €, étant précisé que pour chacun de ses calculs, les charges autres que le loyer sont réparties à 50 % pour l'activité 'mandat' et 50 % pour l'activité 'hors mandat' ;
- l'origine des pertes nettes afférentes à l'activité 'mandat' de distribution des carburants au titre de l'exercice 2015/2016 provient de l'inadéquation entre le montant des commissions fixes et variables prévues par le mandat de vente et versées par la société Eni France et les charges effectivement supportées par la société Pause Services au regard de la structure mise en place, notamment du nombre de personnes nécessaires pour faire fonctionner une telle station ouverte 365 jours par an et 24 heures sur 24. De fait et à eux seuls, les frais de personnel s'établissent à 148.659 € et représentent 123 % des commissions prévues au titre du mandat de vente des carburants.
Moyens et prétentions des parties
Pour voir fixer à 241.407,40 € le différentiel de commissions, la société Pause Services rappelle d'abord que la vocation première et impérative de la station-service est l'approvisionnement en carburant des usagers 24 heures sur 24.
Elle propose ensuite l'imputation de 72 % du loyer fixe au mandat (hypothèse 2 du rapport d'expertise) aux motifs que le loyer des activités annexes est fixé à 28 % du chiffre d'affaires à l'article 2.5 du contrat. Pour contester l'avis de la société Eni France selon lequel 0 % du loyer devrait être affecté à l'activité 'mandat', la société Pause Services souligne que la location-gérance couvre toutes les activités y compris celle de vente de carburant et que la société Eni France reconnait elle-même dans un avenant adressé à un autre exploitant de station-service qu'une variation entre le volume des ventes de carburant impacte directement le montant du loyer.
Elle soutient que 75 % des frais d'électricité, et non 50 % comme retenu par l'expert, devraient être affectés à l'activité 'mandat', l'électricité consommée servant majoritairement au fonctionnement des éclairages sur les voies de circulation, pistes et parkings de la station-service ainsi que les panneaux des prix des carburants, les panneaux et enseignes AGIP, l'informatique et le système de distribution des carburants.
Selon elle, les charges d'eau devraient être affectées à 90 % à l'activité 'mandat', et non à 50 % comme retenu par l'expert, du fait de l'absence d'activité de lavage de véhicules et de l'absence d'activité de restauration.
S'agissant des produits d'entretien, elle fait valoir que le partage par moitié retenu par l'expert se heurte à la réalité - les produits nécessaires au nettoyage des pistes étant plus coûteux que ceux nécessaires à l'espace mixte du sol de la boutique - et qu'une imputation à hauteur de 75 % à l'activité 'mandat' apparaît logique.
Elle propose une affectation des frais d'assurance à hauteur de 75 % à l'activité 'mandat', et non 50 % comme retenu par l'expert, en raison du risque de vol de la recette et des risques d'incendies et accidents liés à la distribution des carburants.
Sur les frais liés aux encaissements (cartes bancaires et téléphonie), elle soutient que ces charges liées aux encaissements TTC doivent être ventilées en fonction de la clé de répartition des encaissements : 85,32 % carburant et 14,68 % autres.
Concernant les frais de personnel, elle expose que la station-service n'est pas équipée d'automates, tous les encaissements devant être opéré par le personnel. Elle ajoute que le personnel devait accomplir en plus de nombreuses autres tâches telles que les commandes et réception de carburants, le nettoyage des pompes et des alentours, la gestion des pannes et autres. Elle conteste la répartition par moitié proposée par l'expert et soutient que 75 % des frais de personnel doivent être affectés à l'activité mandat, se référant en ce sens à une décision rendue par la cour d'appel le 11 octobre 2019 qui a évalué à 10 % la part des coûts afférent au personnel devant être imputée à l'activité boutique ainsi qu'à une décision du tribunal de commerce de Lyon fixant à 71,43 % la part de masse salariale devant être imputée au mandat.
Plus généralement, la société Pause Services fait valoir en pages 37 et 38 de ses conclusions, que c'est le chiffre d'affaires des ventes de carburants qui permet d'appréhender la réalité et que la jurisprudence n'a jamais admis le montant des commissions comme valeur de référence pour la détermination des charges du mandat. Elle cite encore un arrêt de la cour d'appel de Dijon du 11 février 2021 qui a préféré la ventilation comptable proposée par l'expert-comptable de l'exploitant à celle de l'expert judiciaire, en entérinant des clés de répartition supérieures à 50 % pour le mandat, à propos de 3 stations-services de ville avec des activités annexes diversifiées.
Pour conclure au rejet des prétentions de la société Pause Services, la société Eni France prétend à nouveau qu'elle n'a pas à compenser les pertes qui pourraient être effacées par le jeu de l'imputation des recettes de la location-gérance. Elle souligne par ailleurs que :
- si l'activité de vente de carburants est génératrice d'un important chiffre d'affaires, les charges liées à cette activité ne sont pas proportionnelles à ce chiffre d'affaires qui appartient à la société Eni France,
- aucune règle générale ne peut être tirée d'autres espèces puisqu'il convient spécifiquement d'étudier la situation de chaque aire de service et d'étudier chaque poste de charges pour apprécier leur répartition entre les activités,
- la société Pause Services ne produit aucun justificatif, son absence totale de démonstration de ses calculs étant la meilleure preuve de sa défaillance totale dans la justification de son préjudice.
La société Eni France critique les imputations faites par l'expert judiciaire et oppose les arguments ci-après :
- Sur la charge du loyer de la location-gérance, elle soutient que ce poste doit être affecté en totalité à l'activité 'hors mandat' puisqu'il est dû en échange de l'exploitation par la société Pause Services du commerce ' boutique généraliste' ainsi qu'il résulte clairement des articles 2.1 et 2.5 de la convention de location-gérance. Elle fait valoir qu'elle n'a jamais indiqué que la baisse des ventes de carburant devait mécaniquement entraîner une baisse de loyer, mais a proposé une telle baisse à un autre exploitant (NRL) dans le cadre d'une transaction tenant compte de l'ensemble des activités de l'aire de services et pas seulement du mandat. Enfin, reprenant sa thèse sur l'indivisibilité du contrat, elle considère que c'est à juste titre que le tribunal a affecté les charges de loyer à 100 % à l'activité 'hors mandat'.
- Sur les charges d'électricité, il lui paraît plus cohérent d'appliquer une répartition à hauteur de 30 % pour l'activité ' mandat' et 70 % pour l'activité 'hors mandat', au lieu du partage par moitié retenu par l'expert. Elle avance que les éclairages extérieurs ne fonctionnent que la nuit soit 10 à 12 heures par jour tandis que les équipements nécessaires à l'activité 'hors mandat', tels que chambre froide, climatisation, chauffage, bacs réfrigérés, distributeurs automatiques de boissons, informatique... fonctionnent tout le temps.
Elle allègue par ailleurs que l'éclairage des parkings concerne majoritairement l'activité de la boutique et ajoute que la société Pause Services ne produit aucune pièce permettant de démontrer qu'une répartition majoritaire à l'activité 'mandat' s'impose pour les frais d'électricité.
- S'agissant des charges d'eau et celles de produits d'entretien, elle propose de les affecter à 70 % à l'activité 'hors mandat' et à 30 % à l'activité 'mandat', estimant pour les premières que c'est l'activité de la boutique généraliste qui est la plus consommatrice et pour les secondes que les pistes sont moins souvent nettoyées que la boutique.
- En ce qui concerne le matériel, l'entretien et la maintenance des appareils nécessaires à l'activité de distribution de carburants, charges qu'elle supporte déjà en direct, la société Eni France prétend qu'elles doivent être affectées en totalité à l'activité 'hors mandat'.
- Selon elle, les frais d'assurance au titre de la responsabilité civile professionnelle de l'exploitant de la station-service devraient être ventilés à hauteur de 30 % pour l'activité 'mandat' et de 70 % pour l'activité 'hors mandat' pour les principaux postes de services extérieurs. Elle relève que la prime d'assurance dédiée aux installations de distribution correspond à 31 % de la prime totale, elle-même supportant le risque majeur inhérent à la vente de carburants dans le cadre de la responsabilité Produits.
- Sur les frais de personnel, la société Eni France fait valoir que c'est seulement 20 % des effectifs, soit 1,53 personnes à temps plein et non 6, qui doivent être affectés à l'activité 'mandat'. Elle prétend en ce sens que :
* la première motivation d'un arrêt sur une aire d'autoroute est la pause sanitaire, puis la pause alimentaire et en dernier lieu la pause ravitaillement en carburant,
* l'amplitude horaire et journalière de la station-service concerne l'intégralité de celle-ci sans distinction entre la vente de carburants et l'activité de boutique généraliste,
* tous les employés sont polyvalents, ce qui ne doit pas conduire à une affectation à 50/50 de la charge du personnel qui est une solution de facilité,
* la société Pause Services ne communique pas la copie des contrats de travail de ses salariés qui permettrait de vérifier les missions confiées à ceux-ci,
* la charge qui découle du mandat confié à la société Pause Services est bien le temps occupé par elle à remplir l'obligation imposée par le mandat,
* il convient d'analyser le temps moyen passé par ses salariés pour les besoins du mandat, étant précisé que l'encaissement des ventes de carburants, la vérification des pompes et la gestion comptable de la vente de carburant ne sont pas chronophages contrairement à ce que prétend la société Pause Services,
* le nettoyage et l'entretien des pistes, le contrôle des gants et raclettes, le remplacement de l'eau dans les seaux près des pompes ne justifient que la présence de 0,20 personnes à temps plein à affecter aux charges du mandat,
* les tableaux qui comptabilisent les ventes de la société Eni France montrent que l'activité boutique 'hors mandat' est majoritaire, 68 % des clients lui étant attribués,
* il ne peut être fait de comparaison pertinente entre une station-service sur autoroute et une station service à [Localité 5] où les clients s'approvisionnent en carburant et ne se rendent pas directement à la boutique pour faire des achats.
- S'agissant les autres charges, la société Eni Services prétend que les honoraires comptables, juridiques, frais d'actes et contentieux doivent être rattachés à 100 % à l'activité 'mandat', de même que les frais de voyage et déplacements, les frais d'affranchissement, les grivèleries et vols, les redevances Sacem, les différences de caisse et les marchandises périmées.
Réponse de la Cour
Ainsi qu'il vient d'être jugé, les pertes résultant de l'activité 'mandat' ne peuvent se compenser avec les recettes éventuelles de l'activité 'hors mandat'. Il n'est pas contesté par les parties, par ailleurs, que le montant des commissions versées par la société Eni France dans le cadre du mandat de distribution de carburants doit, suite à l'expertise, être évalué à la somme de 120.592 €.
Il revient dans ces circonstances à la Cour de statuer sur les différentes contestations élevées entre les parties s'agissant de la répartition des charges entre les activités 'mandat' et 'hors mandat', les premières devant seules être retenues pour déterminer le différentiel de commissions pouvant être mis à la charge de la société Eni France.
a) Les charges de loyer
A l'article 2.1 du titre 2 de la convention du 16 novembre 2015, il est mentionné que la société Eni France donne en location-gérance à l'exploitant, qui l'accepte, la partie du fonds de commerce désigné au titre 1, consacrée à la commercialisation des lubrifiants ainsi qu'aux produits, articles et services de diversification qui y sont énumérés.
L'article 2.5 du titre 2, intitulé 'loyer', stipule que la location-gérance est consentie moyennant le paiement d'un loyer comprenant une partie fixe définie aux conditions particulières et une partie complémentaire sur le dépassement d'objectif du chiffre d'affaires des ventes non carburants, tel que défini aux conditions particulières.
Les conditions particulières distinguent sous la rubrique loyer (article 2.5) le montant du loyer de location-gérance fixe mensuel de 7.722 € HT et le montant des objectifs et taux retenus pour le loyer complémentaire annuel, soit un objectif de 940.640 € pour un taux de loyer complémentaire sur le dépassement d'objectif de 28 %.
Il en résulte que, par application du contrat, lequel est la loi des parties, c'est l'intégralité des charges de loyer qui doit être affectée à l'activité de location-gérance, sans qu'aucun pourcentage et encore moins 28 % puisse être affecté à l'activité de mandat de vente de carburant.
b) Les frais de personnel
Il ressort des investigations de l'expert que :
- contrairement à ce que prétend la société Eni France, l'affectation de seulement 1,53 personnes à l'activité vente de carburants est déconnectée de la réalité économique, dans la mesure où la station-service est ouverte 24 heures sur 24 et 365 jours par an ;
- c'est la polyvalence du personnel qui permet le fonctionnement de la station-service ;
- la société Pause Services ne fournit aucun document permettant de valider la répartition proposée, à savoir 80 % pour l'activité 'mandat' et 20 % pour l'activité 'hors mandat'.
La société Pause Services, qui demande à la Cour d'affecter 75% des frais de personnel à l'activité 'mandat', n'apporte pas plus d'éléments probants sur la répartition du temps de travail. Sa comparaison avec les charges de personnel d'une station-service située dans [Localité 5] (précédent de la chambre 5-4 n° 11/22195 du 11 octobre 2017 Carbuperiph/ Efr France) n'est pas pertinente, puisque cette station-service avait pour activité principale la vente de carburants, la petite boutique de vente de produits sous marque BP n'ayant qu'une activité marginale.
L'activité de chaque station-service doit être examinée de façon distincte en fonction de son lieu d'implantation, de ses agencements et de sa clientèle.
En l'espèce, eu égard à la situation de la station-service sur une aire d'autoroute, à la polyvalence des employés et à l'impossibilité de distinguer entre le temps consacré pour eux à l'activité 'mandat' et à l'activité 'hors mandat', la répartition 50/ 50 % proposée par l'expert sera retenue.
c) Les charges courantes : électricité, eau et produits d'entretien
Pour proposer de répartir à 50/50% ces charges, l'expert a souligné que tant Eni France que Pause services ne produisaient aucune pièce justificative permettant de valider leur répartition.
La Cour constate que les parties n'en produisent pas plus devant elle, se bornant à des explications générales et théoriques sur les consommations qui peuvent être celles d'une station-service.
En cet état, la répartition proposée par l'expert sera retenue, étant observé que ces frais sont exposés pour le fonctionnement de la station-service dans son ensemble.
d) Les charges d'assurance
L'article 4.8 de la convention de location-gérance, intitulé Responsabilité-Assurances stipule :
'L'ensemble de la station-service et son contenu, objet de la présente convention, est placé sous la garde de l'Exploitant qui supportera de ce fait les risques découlant de son exploitation, conformément au droit commun, à l'égard des tiers et à l'égard d'ENI.
De même, l'exploitant est responsable des vols et pertes de toutes natures, des espèces, chèques et d'une manière générale de tous les titres de paiement dont il est détenteur avant remise à ENI (')
En couverture des risques ci-desssus, l'Exploitant souscrira les assurances correspondantes auprès des compagnies d'assurances notoirement solvables de son choix. Ces assurances couvriront notamment les risques listés ci-après pour des montants communiqués par ailleurs'.
Les risques sont ensuite listés notamment sous les rubriques suivantes :
A) contrat d'assurance Responsabilité Civile et Professionnelle
B) contrat multirisques des locaux :
- incendie- explosion pour l'ensemble du matériel de l'exploitant et d'Eni,
- vol caractérisé des mobilier et matériel propriété d'Eni, mais aussi de ceux propriété de l'exploitant,
- bris de glace y compris les enseignes lumineuses,
- dégâts des eaux,
C) Dommages aux matériels : les dommages aux matériels d'installation de distribution de carburants sont à garantir en valeur à neuf, ils comprennent tous les outils de gestion intégrée nécessaire à l'exploitation du point de vente, tous matériels publicitaires ou d'affichage des prix et tous panneaux, matériels de signalisation présents sur le site.
Il en ressort que l'assurance que devait souscrire la société Pause Services couvre à la fois des risques inhérents à l'activité de' mandat' et à la fois l'activité 'hors mandat'.
Même si la société Eni France affirme que le risque majeur inhérent à la vente de carburant relève de la responsabilité Produits à sa charge, elle ne démontre aucunement qu'il serait plus cohérent d'opérer une ventilation à hauteur de 30 % pour l'activité 'mandat' et de 70 % pour l'activité 'hors mandat'. L'attestation de son courtier qu'elle a produite lors des opérations d'expertise, selon laquelle ' Pour le type d'aire de service qui est celui de l'[Adresse 4] le montant de la prime TTC est de 6.985 € et celle dédiée aux installations de carburants est de 2.188 € TTS, soit 31 % de la prime totale n'est pas probante. En effet, la société Pause services a justifié payé une prime de 4.564 €, soit un montant inférieur qui la classerait dans une catégorie différente de moyenne ou petite station-service.
La société Pause Services, pour demander une imputation à hauteur de 75 % à l'activité 'mandat', se réfère au Tableau des garanties et franchises dommages aux biens figurant en annexe 1 de la convention pour en déduire que les installations de distribution des carburants tout comme le risque incendie hydrocarbures sont les plus dangereux et les mieux garantis. Cependant, la lecture de ce tableau montre seulement qu'au titre des biens immobiliers d'exploitation, la garantie pour 'incendie et risques annexes dont hydrocarbures' s'élève à 198.896 €, montant supérieur à la garantie des autres risques. Il ne peut en être utilement déduit une ventilation sur le montant de la prime à la charge de la société Pause Services entre l'activité ' mandat' et l'activité 'hors mandat'.
Faute de justification suffisante des parties sur les pourcentages revendiqués, il sera retenu un partage 50/50 % comme proposé par l'expert.
e) Les autres postes
- Les frais de matériel, entretien et maintenance des appareils nécessaires à l'activité de distribution des carburants n'ont pas fait l'objet de discussion devant l'expert. La société Eni France précise qu'elle supporte ces charges en direct.
- La société Eni Service veut voir affecter les honoraires comptables et juridiques ainsi que les frais d'actes en totalité à l'activité 'hors mandat'. La société Pause Services soutient que ces charges doivent nécessairement être affectées en fonction de la clé des encaissements, soit 85,32 % carburant et 14,68 % autres.
En l'absence d'éléments permettant de différencier les tâches dévolues à l'activité ' mandat' de celles dévolues à l'activité 'hors mandat', la répartition se fera à parts égales.
- En l'absence de tout document justificatif permettant d'affecter les frais de voyage et d'affranchissement uniquement à l'activité 'hors mandat' comme demandé par la société Eni France, il sera retenu une affectation par moitié entre l'activité ' mandat' et l'activité 'hors mandat'.
- La société Pause Services fait valoir que les frais bancaires et de télécommunication doivent être affectes en fonction de la clé des encaissements. La société Eni France allègue qu'elle prend à sa charge les services bancaires relatifs aux opérations de carte bancaire qui concerne la vente de carburant comme la boutique et en déduit que ces services sont à imputer en totalité à l'activité 'hors mandat'.
En l'absence de production de justificatifs par les parties, une répartition par moitié sera retenue.
- Les grivèleries et les marchandises périmées
Lors des opérations d'expertise, il a été produit une attestation de l'expert-comptable de la société Pause Services certifiant que le poste « grivelerie » de 631,84 € correspondait à des vols de carburant. L'expert l'a ainsi exactement affecté à l'activité ' mandat'.
L'expert a justement affecté le poste marchandises périmées en totalité à l'activité 'hors mandat'.
- S'agissant des postes redevances Sacem et différences de caisse, l'expert a proposé de les ventiler par moitié entre l'activité ' mandat' et 'hors mandat' faute de justificatifs fournis par les parties.
En l'absence de tout autre justificatif soumis à la cour, il n'y a pas lieu de porter une autre appréciation, étant observé pour la redevance Sacem que la diffusion de musique se fait tant sur les pistes de distribution de carburant qu'à l'intérieur de la boutique.
En conclusion de tout ce qui précède, les pertes imputables à l'activité 'mandat' s'élèvent à la somme de 89.352 €.
La mise en demeure de payer, reçue le 18 juillet 2017, même si elle porte sur une somme supérieure, fait courir les intérêts au taux légal.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Eni France à payer la somme de 89.352 € à la société Pause Services, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2017, date de réception de la mise en demeure avec capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, conformément à l'article 1154 devenu 1343-2 du code civil.
3) Sur le déséquilibre significatif allégué
Moyens et prétentions des parties
La société Pause Services, pour demander la somme de 150.000 € à titre de dommages-intérêts, reproche à la société Eni France d'avoir violé les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce en fixant un taux de commissionnement trop faible en contrepartie de l'ouverture de la station 7 jours sur 7 et 24 h sur 24. Elle considère que ce faisant, la société Eni France a créé un déséquilibre significatif en sa défaveur ; elle ajoute que M. [W], qui a tout quitté pour créer la société Pause Services et se conformer au montage de la société Eni France, s'est retrouvé du jour au lendemain sans emploi ni ressources, ce qui a affecté gravement sa santé.
La société Eni France conclut au rejet de cette demande pour les motifs suivants :
- la société Pause Services, en la personne de son gérant qui a suivi une formation et qui était en lien avec les précédents gérants, a reçu toutes les informations prescrites par la loi Doubin lui permettant de s'engager en connaissance de cause ;
- elle-même n'a pas fait une présentation fallacieuse ou incomplète de la station-service pour obtenir le consentement de la société Pause Services ;
- la société Pause Services invoque les mêmes arguments que ceux développés dans le cadre de sa demande de remboursement des pertes du mandat ;
- c'est M. [W] qui, à l'origine, a proposé à la société Eni France de prendre la gérance d'une station-service dans les Vosges ;
- la disproportion entre le commissionnement et les charges imposées par l'activité de vente de carburants n'est pas démontrée.
Réponse de la Cour
La pratique restrictive alléguée suppose en application de l'article L. 442-6 I,2° du code de commerce la réunion de deux éléments, la soumission à des obligations ou sa tentative, et l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La soumission implique la démonstration par tous moyens par la société Pause Services, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées, en considération notamment du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, de l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou des conditions concrètes de souscription.
L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties. En l'absence de toute présomption légale, la charge de la preuve du déséquilibre significatif incombe à l'appelante, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur l'intimée.
En l'espèce, force est de constater que la société Pause Services ne démontre pas les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Le jugement attaqué, qui a débouté Pause Services de sa demande de dommages-intérêts, sera confirmé.
4) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La société Eni France, qui reste redevable du différentiel de commissions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 12.000 € à la société Pause Services et de rejeter la demande de la société Eni France à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, condamne la société Eni France à payer la somme de 12.000 € à la société Pause Services par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne la société Eni France aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.