CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 8 janvier 2025, n° 24/16409
PARIS
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
Mme Georget
M. et Mme [Z] sont propriétaires d'une maison située [Adresse 3].
Ils ont entrepris des travaux de rénovation et d'extention.
Sont notamment intervenues à cette opération de construction immobilière :
- la société Modern architecture group, en qualité de maître d'oeuvre, assurée auprès de la société Mutuelles des architectes français (MAF) ;
- la société Emergence Ingineering en charge de la réalisation des travaux hors les lots électricité, chauffage et menuiseries extérieures, assurée auprès de la société Axa France IARD ;
- la société Eibe, en charge du lot électricité ;
- la société SM Gety, chargée du lot chauffage ;
- la société Somalu, chargée du lot menuiseries extérieures.
La réception des travaux devait intervenir le 29 juin 2015.
Par lettres recommandées des 9 septembre, 18 septembre et 28 septembre 2015, le maître d'oeuvre a demandé à la société Emergence Ingineering de poursuivre la réalisation des travaux et de se présenter à une réunion de fin de chantier.
Le 7 octobre 2015 des procès-verbaux de réception ont été signés par le maître de l'ouvrage et la société Emergence Ingineering.
Par jugements des 7 janvier 2016 et 27 septembre 2016 le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire des sociétés Emergence Ingineering et Modern architecture group.
Par ordonnance du 22 mars 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par M. et Mme [Z], a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [G] et suspendu l'exécution du contrat de prêt souscrit par les maîtres de l'ouvrage.
Par actes extrajudiciaires des 27 et 28 décembre 2018, 4, 9 et 10 janvier 2019, M. et Mme [Z] ont fait assigner à jour fixe, devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Paris la société Axa France IARD ès qualités d'assureur de la société Emergence Ingineering, le liquidateur de la société Modern architecture group, la MAF, ès qualités d'assureur de la société Modern architecture group, la société Gety, la société Eibe et la société Somalu en indemnisation de leurs préjudices.
L'affaire a été renvoyée à la mise en état.
Par acte extrajudiciaire du 18 février 2019, la société Somalu a fait assigner en intervention forcée son assureur la SMABTP.
Les instances ont été jointes.
Par ordonnance du 13 avril 2021, le juge de la mise en état a notamment rejeté la demande d'expertise formée par M. et Mme [Z].
Par ordonnance du 6 septembre 2022, le juge de la mise en état a rejeté la nouvelle demande d'expertise formée par M. et Mme [Z].
Par jugement du 3 septembre 2024, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :
- avant dire droit sur les demandes de M. et Mme [Z] ordonné une expertise ;
- désigné M. [B] en qualité d'expert ;
- avec mission, sous réserve que les parties ne sollicitent pas qu'il sursoie à ses opérations pendant le temps de la médiation éventuelle de :
. donner son avis sur les désordres relevés dans les rapports du bureau d'études Buchet des 4 septembre et 8 octobre 2020, le rapport de la société Esiris IDF E-D du 7 octobre 2021 et le rapport de la société Qualiconsult établi le 20 janvier 2023 et, le cas échéant, sans nécessité d'extension de mission, tous désordres connexes, ayant d'évidence la même cause mais révélés postérieurement à la présente décision, sans préjudice par ailleurs des dispositions de l'article 238 alinéa 2 du code de procédure civile ;
. en détailler l'origine, notamment s'ils sont liés à des malfaçons ou à l'abandon du chantier, les causes et l'étendue, et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels intervenants ces désordres sont techniquement imputables ;
. rechercher leur date d'apparition, préciser s'ils existaient lors de la réception, et le cas échéant dire s'ils étaient ou non apparents pour un maître d'ouvrage non professionnel ;
. rechercher si les désordres allégués correspondent aux réserves seulement ou, au contraire, s'ils se révélésn y compris seulement dans leur ampleur et leurs conséquences, postérieurement ;
. indiquer si ces désordres ont des conséquences sur la solidité, l'habitabilité, l'esthétique du bien, et, plus généralement sur l'usage qui peut être attendu ou la conformité à sa destination ; le cas échéant, dire dans quel délai tel sera le cas de manière certaine ;
. donner son avis sur les solutions appropriées pour y remédier telles que proposées par les parties ; évaluer le coût des travaux utiles à l'aide de devis d'entreprises fournis par les parties et donner son avis sur les autres préjudices et coûts induits, dès lors que ces demandes sont présentées de manière motivée ;
. faire toutes observations utiles au règlement du litige.
- donné injonction aux parties de rencontrer un médiateur ;
- ordonné le sursis à statuer sur toutes les demandes au fond présentées par les parties dans l'instance jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ou la finalisation d'un accord amiable entre les parties.
Par acte extrajudiciaires des 1er et 2 octobre 2024, la société Axa France IARD a fait assigner M. [Z], Mme [Z], la SMABTP, les sociétés Eibe, SM Gety, Somalu, le mandataire liquidateur de la société Modern architecture group et la MAF afin d'être autorisée à interjeter appel du jugement en ce qu'il a ordonné une expertise.
A l'audience du 4 décembre 2024, aux termes de ses conclusions développées oralement à l'audience, la société Axa France IARD demande à la juridiction du premier président de :
- juger que la demande d'autorisation pour interjeter appel du jugement du tribunal judiciaire du 3 septembre 2024 est recevable ;
- juger que le tribunal judiciaire de Paris a ordonné une mesure d'expertise judiciaire sans trancher dans son dispositif l'exception de compétence qui était soulevée par Axa France IARD ;
- juger que la décision avant-dire-droit du tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 contient des motifs décisoires ;
- juger que la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 est inutile ;
- juger que la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 viser à pallier la carence de M. et Mme [Z] dans l'administration de la preuve ;
- juger que le tribunal s'est comporté en juge d'appel du juge de la mise en état, contournant les règles procédurales relatives aux voies de recours des ordonnances du juge de la mise en état ;
- juger qu'Axa France IARD justifie d'un motif grave et légitime ;
- rejeter toute demande de condamnation formée par M. et Mme [Z] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ;
en conséquence,
- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par M. et Mme [Z] ;
- autoriser la société Axa France IARD à interjeter appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 ;
- fixer la date et l'heure auxquelles l'affaire sera plaidée devant la cour selon la procédure à jour fixe ;
- condamner M. et Mme [Z] à payer à la société Axa France IARD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Aux termes de conclusions développées oralement à l'audience, M. et Mme [Z] demandent à la juridiction du premier président de :
- rejeter les demandes, fins et conclusions de la société Axa France IARD ;
- rejeter toutes demandes de toutes les parties adverses ;
- les débouter de toutes leurs prétentions ;
- condamner la société Axa France IARD à payer à M. et Mme [Z] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats en la personne de Maître Schwab, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de conclusions développées oralement à l'audience, la société Somalu demande à la juridiction du premier président de :
- juger que la décision avant-dire-droit du tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 contient des motifs décisoires ;
- juger que la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 viser à pallier la carence de M. et Mme [Z] dans l'administration de la preuve ce qui est contraire aux dispositions de l'article 146 du code de procédure civile ;
- juger que le tribunal s'est comporté en juge d'appel du juge de la mise en état ;
- autoriser les parties et notamment la société Axa France IARD à interjeter appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 ;
- statuer ce que de droit sur les dépens.
La SMABTP indique oralement à l'audience qu'elle s'en rapporte sur la demande de la société Axa France IARD.
Les sociétés Axyme, ès qualités de liquidateur de la société Modern architecture group, Eibe, SM Gety et la MAF ne sont ni présentes ni représentées à l'audience.
SUR CE,
Selon l'article 272 du code de procédure civile dans sa version applicable à la cause, la décision ordonnant l'expertise peut être frappée d'appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime.
La partie qui veut faire appel saisit le premier président qui statue en la forme des référés. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.
S'il fait droit à la demande, le premier président fixe le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l'article 948 selon le cas.
Si le jugement ordonnant l'expertise s'est également prononcé sur la compétence, l'appel est formé, instruit et jugé selon les modalités prévues aux articles 83 à 89.
Depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, l'article 272 du code de procédure civile prévoit que le premier président statue selon la procédure accelérée au fond.
En l'espèce, M. et Mme [Z] soutiennent que l'assignation délivrée à l'initiative de la société Axa France IARD ne vise pas la version correcte de l'article 272 du code de procédure civile, qu'ils ont engagé leur action devant le tribunal avant le 1er janvier 2020 de sorte qu'il appartenait à la demanderesse de saisir le premier président statuant en la forme des référés.
Ils en déduisent que la société "Axa France IARD est irrecevable en son action" tout en concluant ensuite au rejet de sa demande.
Cependant, en premier lieu, si l'assignation vise par erreur la procédure « accélérée au fond », nouvelle dénomination qui est en vigueur pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les deux procédures "accélérée au fond" et "en la forme des référés" sont identiques, la modification terminologique n'ayant eu pour effet que de préciser la portée de la décision rendue, s'agissant d'une décision « au fond » et de la distinguer de la décision rendue en référé.
Ensuite, si M. et Mme [Z] entendent soulever une exception de nullité, il sera constaté qu'ils ne justifient d'aucun grief.
S'agissant du bien-fondé de la demande d'autorisation d'interjeter appel, la société Axa France IARD fait valoir que le tribunal judiciaire de Paris a ordonné une mesure d'expertise judiciaire sans trancher dans son dispositif l'exception de compétence qui avait été soulevée.
En premier lieu, il est exact que, dans le dispositif de son jugement, le tribunal ne statue pas sur la question de son "incompétence".
Toutefois, la société Axa France IARD entendait, en réalité, contester le pouvoir juridictionnel de la cour pour ordonner une expertise.
Il lui appartient le cas échéant de saisir le tribunal d'une requête en omission de statuer.
Par ailleurs, il sera observé que, d'une part, le juge de la mise en état était par définition dessaisi lorsque le tribunal a statué, d'autre part , que selon l'article 144 du code de procédure civile, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.
En toute hypothèse, cette omission de statuer ne caractérise pas un motif d'appel immédiat.
La société Axa France IARD soutient ensuite qu'elle justifie d'un motif grave et légitime dès lors que le tribunal, qui a accordé une expertise qui avait été refusée par le juge de la mise en état à deux reprises, s'est comporté comme instance d'appel de la décision du juge de la mise en état.
Mais l'ordonnance du juge de la mise en état qui rejette une demande d'expertise n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, étant ajouté que la juridiction de jugement a, pour ordonner une expertise, souverainement pris en considération un rapport de la société Qualiconsult du 20 novembre 2023 qui n'avait pas été soumis au juge de la mise en état.
Par ailleurs, la société Axa France IARD reproche au jugement du 3 septembre 2024 de comporter des motifs décisoires relatifs à l'existence et à la qualification des désordres invoqués par les maîtres de l'ouvrage.
En premier lieu, contrairement à ce soutient la société Axa France IARD, la seule circonstance que les travaux aient été réceptionnés n'implique pas une action exclusivement fondée sur la responsabilité légale des constructeurs. Ainsi, si les dommages ne présentent pas le caractère de gravité requis par l'article 1792 du code civil, une action fondée sur la responsabilité civile reste possible. D'ailleurs, le jugement critiqué indique que si M. et Mme [Z] fondent, à titre principal, leurs demandes sur la responsabilité légale des constructeurs, ils invoquent, subsidiairement, leur responsabilité contractuelle.
Ensuite, la circonstance que la garantie de la société Axa France IARD ne peut être recherchée que si les dommages engagent la responsabilité décennale de son assuré ne fait pas obstacle à la mesure d'expertise, étant encore une fois rappelé que la nature des éventuelles responsabilités des constructeurs reste à déterminer et que les maîtres de l'ouvrage ont engagé une action à l'encontre de plusieurs constructeurs et de la MAF.
En outre, l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.
Le dispositif du jugement en cause ne contient pas de chef statuant sur une question de fond relative à la matérialité et la nature des désordres invoqués.
Il ne se déduit pas plus des termes de la mission confiée à l'expert par le jugement critiqué une reconnaissance de la matérialité des désordres invoqués par les maîtres de l'ouvrage et de la qualification desdits désordres. L'expert a, en effet, pour mission de donner son avis sur les désordres relevés dans les rapports du bureau d'études Buchet des 4 septembre et 8 octobre 2020, le rapport de la société Esiris IDF E-D du 7 octobre 2021 et le rapport de la société Qualiconsult établi le 20 janvier 2023 et, le cas échéant, sans nécessité d'extension de mission, sur tous désordres connexes. Les parties auront, à l'occasion des opérations d'expertise, l'opportunité de discuter l'existence et le cas échéant la qualification et la gravité des désordres allégués, d'autant plus que le tribunal a chargé l'expert de détailler l'origine de ces éventuels désordres.
Par ailleurs, il n'appartient pas à la juridiction du premier président de se prononcer sur la valeur probante des rapports établis par le bureau d'études Buchet, la société Esiris IDF E-D et la société Qualiconsult, une telle appréciation relevant exclusivement de l'office des juges du fond.
En outre, la société Axa France IARD soutient que la mesure d'instruction serait manifestement inutile.
Mais les premières constatations de M. [B], expert désigné par le jugement du 3 septembre 2024, dont les parties donnent une interprétation contraire, ne peuvent établir ce caractère d'utilité ou non.
De plus, les développements des sociétés Axa France IARD et Somalu tendent à établir non pas l'inutilité de l'expertise ordonnée mais l'absence de démonstration de l'apparition de désordres de nature décennale dans le délai d'épreuve de dix ans. Or, ainsi que souligné supra il n'est pas établi que la responsabilité des constructeurs, parties à la présente instance, doit, à l'évidence, être écartée ou que la garantie des assureurs mis en cause n'est manifestement pas engagée. Là-encore, la discussion sur ces points relève du seul office des juges du fond.
Les allégations de la société Axa France IARD quant à l'inutilité de l'expertise ne caractérisent donc pas les conditions d'un appel immédiat.
Enfin, les sociétés Axa France IARD et Somali arguent d'une méconnaissance de l'article 146 du code de procédure civile dès lors que la mesure d'instruction vise à pallier la carence de M. et Mme [Z] dans l'administration de la preuve qui leur incombe.
Cependant, le tribunal judiciaire de Paris a souverainement considéré que le rapprochement des rapports du bureau d'études Buchet des 4 septembre et 8 octobre 2020, du rapport de la société Esiris IDF E-D du 7 octobre 2021 et du rapport de la société Qualiconsult établi le 20 janvier 2023 justifiait de faire droit à la demande d'expertise sollicitée par M. et Mme [Z].
Il ne ressort ni du jugement ni des débats devant la présente juridiction que cette mesure d'instruction pallie la carence des maîtres de l'ouvrage dans l'administration de la preuve leur incombant.
Ainsi, il n'existe aucun motif grave et légitime justifiant l'appel immédiat des chefs du jugement relatifs à la désignation d'un expert et à la fixation de sa mission.
En conséquence, il convient de rejeter la demande d'autorisation d'interjeter appel.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront laissés à la charge de la société Axa France IARD qui devra payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme [Z] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La représentation par avocat n'étant pas obligatoire, les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ne s'appliquent pas à la présente instance.
Les autres demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Déclarons recevable la demande d'autorisation d'interjeter appel immédiatement du chef du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 ordonnant une expertise ;
Rejetons la demande d'autorisation d'interjeter appel immédiatement du chef du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 3 septembre 2024 ordonnant une expertise ;
Condamnons la société Axa France IARD aux dépens de la présente instance ;
Condamnons la société Axa France IARD à payer à M. et Mme [Z] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
ORDONNANCE rendue par Mme Valérie GEORGET, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.