CA Toulouse, 3e ch., 13 janvier 2025, n° 23/02122
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
FS Group (SAS), FS Mastery (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vet
Conseillers :
M. Vet, M. Balista, Mme Gaumet
Avocats :
Me Avenas, Me Abbo
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par E. VET, président, et par K. MOKHTARI, greffier de chambre
La SAS FS Group dont l'activité principale est la maintenance, la sécurisation, la recherche et le développement dans le domaine ferroviaire ainsi que les activités complémentaires est un holding de cinq sociétés (FS Group, FS Safety, FS Signaling, FS Institute et FS Mastery anciennement Epsig).
En décembre 2018, M. [W] [D], ingénieur, a été embauché comme chef de projet par une des sociétés de ce holding, la SARL Epsig, devenue FS Mastery qui exerce une activité de bureau d'études spécialisées dans l'ingénierie ferroviaire.
Par acte du 12 décembre 2018, M. [L], dirigeant et associé de la SARL Epsig a cédé sa participation au capital de cette société à la SAS FS Group.
Le 16 mars 2021, M. [W] [D] a démissionné et été immédiatement embauché par la société Railfer, en qualité de responsable d'ingénierie ferroviaire, poste qu'il a occupé pendant un an. Puis, il a démissionné et rejoint la société Fortil Mobility, comme responsable de bureau d'études.
S'estimant victime d'agissements déloyaux de la société Fortil Mobility et d'autres sociétés du groupe Fortil, la SAS FS Group et la SARL FS Mastery ont sollicité par requête au président du tribunal judiciaire de Toulouse la mise en 'uvre de mesures d'instruction in futurum à l'encontre de M. [W] [D].
Par ordonnance du 19 octobre 2022, les sociétés FS Group et FS Mastery ont été autorisées à commettre un huissier de justice aux fins de se rendre aux domiciles de M.[W] [D] et de M. [V] [E] et de se faire communiquer toutes correspondances échangées entre les différentes sociétés concernées à compter du 1er janvier 2021.
Par acte d'huissier du 28 novembre 2022, M. [D] a fait assigner en référé les sociétés FS Group et FS Mastery en rétractation de ladite ordonnance.
Par ordonnance de référé du 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
- déclaré irrecevable la note en délibéré adressée le 23 mai 2023 par Me Abbo, conseil des sociétés FS Group et FS Mastery,
- débouté M. [W] [D] de sa demande en rétractation de l'ordonnance RG n°22/01222 du 19 octobre 2022,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] aux dépens.
Par déclaration du 13 juin 2023, M. [D] a relevé appel de cette ordonnance dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Par dernières écritures du 30 mai 2024, M. [D] demande à la cour de :
En la forme :
- accueillir M. [D] en ses écritures et le dire bien fondé,
Au fond :
- réformer l'ordonnance de référé du Président du tribunal judiciaire de Toulouse du 25
mai 2023,
Statuant à nouveau :
- rétracter l'ordonnance n°22/1095 rendue le 19 octobre 2022 par M. le Président du
tribunal judiciaire de Toulouse,
- annuler en conséquence toutes les opérations de constat effectuées par la SCP Bernard Avoustin-Arnaud Grafmüller en exécution de ladite ordonnance,
- ordonner aux sociétés FS Group et FS Mastery d'enjoindre la SCP Bernard Avoustin- Arnaud Grafmüller de restituer à M. [W] [D] l'intégralité des pièces et matériels saisis lors des opérations d'exécution dans les huit jours de la signification de l'ordonnance à intervenir,
- ordonner aux sociétés FS Group et FS Mastery d'enjoindre la SCP Bernard Avoustin Arnaud Grafmüller de détruire toutes copies ou sauvegarde des pièces et informations saisies ainsi que de tout support ou logiciel ayant servi à leur transfert dans les huit jours de la signification de l'ordonnance à intervenir,
- dire qu'un procès-verbal de constat de ces opérations sera établi par la SCP Bernard
Avoustin Arnaud Grafmüller aux frais des sociétés FS Group et FS Mastery,
- condamner in solidum les sociétés FS Group et FS Mastery à payer à M. [W] [D] la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les sociétés FS Group et FS Mastery aux entiers dépens de l'instance.
Les sociétés FS Group et FS Mastery n'ont pas conclu.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 3 juin 2024.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
Par arrêt avant-dire-droit du 10 septembre 2023, la cour a ordonné une réouverture des débats aux fins de production de la requête initiale engagée à l'encontre de M. [D].
Il a été répondu à cette demande.
M. [D]fait valoir que:
' la requête doit faire état de circonstances justifiant qu'il ne soit pas fait application du principe du contradictoire et le juge doit constater que la mesure sollicitée suppose une dérogation au principe de la contradiction et qu'en l'espèce elle comporte sur 38 pages 5 paragraphes exposant que l'effet de surprise serait indispensable en raison d'un risque de déperdition des pièces dont la motivation est constituée de formulations générales et non spéciales aux circonstances de la cause,
' l'ordonnance déférée évoque un faisceau d'indices de parasitisme ne pouvant le concerner alors que par ailleurs seulement deux pièces le concernent : sa lettre de démission et son profil LinkedIn,
' il n'y a pas d'intérêt légitime à la mesure en ce que les intimées, qui s'estiment victimes d'actes de concurrence déloyale de la part du Groupe Fortil qui aurait procédé à un débauchage massif de leurs salariés sur la base d'informations confidentielles ne précisent pas de quelles informations il pourrait s'agir ni surtout quel rôle il aurait pu jouer alors que ledit débauchage aurait été initié après son départ en mars 2021 alors que la société Fortil Mobility n'existait pas et qu'il a lui-même démissionné en raison des problématiques de gestion du personnel.
En application des dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que lorsque qu'elle est régulière, recevable et bien fondée.
Lorsqu'une partie ne comparaît pas en appel, elle est réputée s'approprier les motifs des premiers juges en tant qu'ils ont fait droit à sa demande.
L'article 493 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
La demande de rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne tendant qu'au rétablissement du principe de la contradiction, le juge à qui elle est soumise doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.
L'article 561 du même code donne au juge d'appel le pouvoir de connaître de l'entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit.
En vertu de l'article 145 du code de procédure civile une mesure d'instruction peut être ordonnée, à la demande de tout intéressé, s'il existe un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.
Si la mise en oeuvre de ce texte ne se conçoit qu'en prévision d'un possible litige, elle n'exige pas que le fondement et les limites d'une action future, par hypothèse incertaine, soient déjà fixées.
Ce motif existe dès lors que l'éventuelle action au fond n'est pas manifestement vouée à l'échec, que la mesure demandée est légalement admissible, qu'elle est utile et améliore la situation probatoire des parties et qu'elle ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes de l'adversaire.
Le juge saisi d'une demande de rétractation peut faire droit partiellement à la demande.
la demande de rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne tendant qu'au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît d'une telle demande doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.
- sur la dérogation au principe du contradictoire :
La requête présentée le 13 octobre 2022, après avoir évoqué les risques de dépérissement des preuves, affirme la nécessité de disposer d'un facteur de surprise exclusif de toute contradiction sous peine de les rendre totalement inefficaces, et précise également que dans le cas contraire le requis risque de faire disparaître tous les éléments relatifs à des informations confidentielles des sociétés requérantes, à des démarchages de clients, ou débauchage de ses salariés ou même en lien à la conclusion de marchés ou de contrats.
Dans cette requête, les sociétés FS Group et FS Mastery expliquent que:
' M. [G] fondateur du groupe Fortil, qui développe aussi une activité d'ingénierie ferroviaire a contacté M. [F], dirigeant de la société FS Group en vue d'entamer des discussions relatives à une éventuelle cession du bureau d'études ingénierie ferroviaire du groupe, ce qui a été refusé,
' sans doute, M. [L], cogérant de la société FS Mastery a été contacté par le groupe Fortil et les parties sont-elles parvenues à un accord consistant en la création de nouvelles structures et le transfert de l'intégralité du personnel des sociétés FS Group et FS Mastery ,
' un débauchage massif des salariés a débuté,
' M. [D], qui a démissionné le 16 mars 2021 a été par la suite embauché par le groupe Fortil avec pour mission de constituer un bureau d'études en signalisation ferroviaire, puis quatorze autres salariés ont quitté l'entreprise pour le groupe Fortil, ainsi l'intégralité des salariés de la branche bureau d'études-ingénierie ferroviaire a quitté l'entreprise, le dernier étant M. [L].
Elles déduisent de cet historique l'existence d'un débauchage manifestement illicite, alors qu'elles se trouvent dans l'impossibilité de procéder au remplacement rapide des salariés débauchés en raison du caractère spécifique des qualifications dans ce secteur ce qui risque de leur faire perdre leur qualification SNCF Réseau indispensable pour contracter avec la SNCF et la majeure partie des donneurs d'ordres et de perdre ainsi toute leur clientèle alors qu'au surplus elles ne peuvent plus honorer les commandes en cours.
En conséquence, la requête qui expose de façon détaillée un contexte laissant craindre par le groupe Fortil un débauchage massif des salariés des sociétés ayant engagé la présente procédure, débauchage ne pouvant ressortir de la seule consultation des documents recueillis auprès de sources légales, ceci alors qu'un risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise justifie qu'il soit dérogé au principe du contradictoire.
- sur l'intérêt légitime :
La requête des sociétés FS Mastery et FS Group sollicite la réalisation des mesures d'instruction au domicile de M. [D] ou tout autre lieu révélé à l'occasion des opérations de constat où pourraient être conservés ou se trouver les éléments dont la remise recherchée.
La démission de 14 salariés n'est pas contestée de même que leur embauche par le groupe Fortil.
La requête souligne que M. [D] a été le premier à quitter le groupe, le 16 mars 2021 et qu'après avoir été embauché par une société extérieure litige selon contrat du 1er juillet 2021 il a été employé par le groupe Fortil avec pour mission de constituer un bureau d'études en signalisation ferroviaire, fonction qu'il exerçait pour la SAS Mastery.
Cependant, si le nombre important de départs des salariés des sociétés requérantes n'est pas contesté et rend plausible des agissements déloyaux de la part du groupe Fortil, ces sociétés n'évoquent pas l'existence, au jour de ladite requête, de faits rendant plausible et crédible l'implication de M. [D] dans ces faits ou d'un manquement de sa part à son devoir de loyauté et à la garantie d'éviction, alors qu'il a quitté la SAS Mastery avant la création de la SAS Fortil et avant le contact pris par le fondateur du groupe Fortil en 2022 avec le dirigeant de la société FS Groupe en 2022 en vue d'entamer les discussions aux fins d'une cession.
En conséquence, à défaut pour les sociétés requérantes de justifier de l'existence d'un motif légitime pour qu'il soit procédé aux mesures sollicitées l'ordonnance du 25 mai 2023 doit être infirmée et celle du 10 octobre 2022 rétractée.
Les conséquences de cette décision seront précisées au dispositif, sans qu'il y ait lieu d'ordonner un procès-verbal de constat.
- sur le surplus :
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de M. [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés FS Mastery et FS Group supporteront la charge des dépens de l'instance en rétractation, devant le premier juge et en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme l'ordonnance rendue le 25 mai 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse, sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Ordonne la rétractation de l'ordonnance rendue le 19 octobre 2022 à la requête des SAS FS Mastery et FS Group,
Annule en conséquence les opérations de constat effectuées en exécution de ladite ordonnance par la SCP Bernard Avoustin Arnaud Grafmüller ,
Ordonne en conséquence la restitution de l'ensemble des documents et informations recueillis ou saisis en exécution de cette ordonnance ainsi que la destruction des copies,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel,
Condamne les sociétés FS Mastery et FS Group aux dépens de l'instance en rétractation, de premier degré et en appel.