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Décisions

CA Riom, ch. com., 15 janvier 2025, n° 24/00581

RIOM

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Groupement forestier des bois de (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Noir, Mme Berger

Avocats :

Me Lacquit, Me Yon, SCP Collet de Rocquigny Chantelot Brodiez Gourdou & Associés

TJ Cusset, du 5 avr. 2024, n° 24/00048

5 avril 2024

Le Groupement forestier des bois de [Localité 7] est une société civile créée pour gérer un massif forestier situé principalement sur la commune de [Localité 7]. Le capital de cette société était réparti à parts égales entre quatre des cinq enfants de la famille [T] : [W], [U], [F] et [I].

Au décès de [F] et de [W] [T], le capital social s'est trouvé réparti comme suit :

-[O] [T], [U] [T], les héritiers de [F] [T] et [I] [T] chacun indivisément pour ¿ à concurrence de 25% du capital et 1375 parts.

A l'issue de l'assemblée générale du 26 mars 2022, [I] [T] a été désigné en qualité de gérant. Cependant, [Y] [C] [T] a contesté cette désignation arguant notamment du fait que [I] ne serait plus associé. Il a organisé une assemblée générale convoquée le 14 juin 2022 pour le 8 juillet 2022, passant outre la désignation de [I] [T], et s'est vu attribuer la gérance du groupement. [I] et Mmes [U] et [O] [T] ont sollicité en réaction la désignation d'un mandataire ad 'hoc spécial et saisi au fond le tribunal judiciaire de Cusset en nullité de l'assemblée générale du 8 juillet 2022. Le président a rejeté la demande de mandataire ad'hoc par ordonnance du 28 septembre 2022, invitant les parties à la médiation.

Par ordonnance de référé du 9 novembre 2022, M. [Y] [C] [T] a été condamné à provoquer l'assemblée générale demandée par les associés.

Considérant que l'ensemble des associés n'avaient pas été convoqués et que les termes de l'ordonnance du 9 novembre 2022 n'étaient pas respectés, M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] ont saisi le tribunal à jour fixe, lequel a, suivant jugement du 1er mars 2023, :

- constaté que M. [I] [T] ne pouvait opposer sa qualité d'associé aux autres associés du groupement à la suite des actes d'échange et de donation des 1er mars et 1er et 2 mars 2013 ;

- constaté que M. [I] [T] et Mme [O] [T] avaient justifié auprès de la gérance de leur qualité d'associés suite au décès de M. [W] [T] ;

- enjoint à M. [Y] [C] [T] de convoquer une assemblée générale conforme à la demande des associés avec l'ordre du jour notifié par lettre du 19 octobre 2022.

Par jugement du 24 juillet 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Orléans a refusé d'assortir cette décision d'une astreinte. Sur appel, et par arrêt du 30 janvier 2024, la cour d'appel de Riom a confirmé l'obligation de M. [Y] [T] de convoquer l'assemblée générale. M. [Y] [C] [T] a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Le 15 février 2024, [I] [T] Mme [U] [G] et Mme [O] [T] ont fait signifier l'arrêt à M. [Y] [T] avec sommation d'avoir à convoquer l'assemblée générale, avant de procéder eux-mêmes à une telle convocation pour le 8 avril 2024.

Par ordonnance de référé d'heure à heure du 5 avril 2024, le président du tribunal judiciaire de Cusset a :

- fait interdiction à M. [I] [T], Mme [U] [D] et Mme [O] [T] de tenir assemblée générale ordinaire et extraordinaire du Groupement forestier des bois de [Localité 7] convoquée pour se tenir le 8 avril 2024 à 11 heures à la salle des fêtes de [Localité 7] ;

- dit que cette interdiction serait assortie d'une astreinte de 5.000 euros par infraction.

- débouté M. [I] [T], Mme [U] [D] et Mme [O] [T] de leur demande d'indemnité provisionnelle pour procédure abusive et condamné ces derniers aux dépens de l'instance de référé.

- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes et au visa de l'article 837 du code de procédure civile, a renvoyé les demandes des parties à un examen au fond devant le président du tribunal judiciaire de Cusset statuant suivant la procédure accélérée au fond.

Le juge des référés a considéré que la demande d'interdiction de l'assemblée générale convoquée en violation des statuts était recevable ; que la convocation irrégulière constituait un trouble manifestement illicite et qu'il convenait de faire droit à la demande du groupement forestier et de son gérant.

En revanche, s'agissant de la demande de convocation d'une nouvelle assemblée générale, le juge des référés a considéré que celle-ci échappait à ses pouvoirs qui relevait de la procédure dite accélérée au fond.

Le Groupement forestier des bois de [Localité 7] et M. [Y] [C] [T] ont relevé appel de cette décision le 8 avril 2024.

L'affaire a été orientée à bref délai et fixée au 2 octobre 2024 suivant ordonnance du 12 avril 2024.

Suivant conclusions notifiées le 6 mai 2024, Mme [O] [T], Mme [U] [D] et M. [I] [T], ont saisi le président de la troisième chambre civile et commerciale de la cour d'appel de Riom d'une demande tendant à voir déclarer les appelants irrecevables en leur appel d'une mesure d'administration judiciaire et de voir condamner M. [Y] [C] [T] à leur verser la somme de 5.000 euros pour appel abusif ainsi que celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 5 septembre 2024 la présidente de la troisième chambre civile et commerciale de la cour d'appel s'est déclarée incompétente au profit de la cour d'appel pour connaître de la demande de M. [I] [T], Mme [U] [T] et Mme [O] [T] quant à la recevabilité de l'appel.

Aux termes de conclusions notifiées le 11 septembre 2024, les appelants demandent à la cour, au visa de l'article 837 du Code de procédure civile,

A titre liminaire :

- de déclarer l'appel recevable ;

- de débouter M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] de leur demande aux fins d'irrecevabilité de l'appel d'une mesure d'administration judiciaire présentée devant la cour d'appel ;

A titre principal :

- d'infirmer l'ordonnance en date du 5 avril 2024, en ce que le juge des référés près du tribunal judiciaire de Cusset a renvoyé les demandes des parties à un examen au fond devant le président du tribunal judiciaire de Cusset statuant selon la procédure accélérée au fond ;

- de juger que le juge des référés ne pouvait pas renvoyer l'affaire à un examen au fond devant le président du tribunal judiciaire de Cusset statuant selon la procédure accélérée au fond, à l'audience du 17 avril 2024 à 10 h 30 ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour retenait l'emploi de la passerelle :

- de juger que le critère de l'urgence n'est pas rempli ;

- de juger que le juge des référés ne pouvait pas renvoyer le dossier à une procédure accélérée au fond ;

En tout état de cause :

De débouter M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] de l'ensemble de leurs demandes, dires et prétentions ;

- de condamner in solidum M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] à payer à M. [Y] [C] [T] et au « groupement forestier des bois de [Localité 7] » la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner in solidum M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] aux entiers dépens de l'instance.

Les appelants font valoir que dans l'hypothèse où le président du tribunal renvoie l'affaire au fond en application de l'article 837 du code de procédure civile, le renvoi emporte saisine automatique du tribunal statuant au fond. Ils affirment que le juge des référés ne pouvait faire droit à la demande de passerelle en renvoyant le dossier à la procédure accélérée au fond fondée sur les dispositions de l'article 839 du code de procédure civile.

Ils affirment que leur appel est recevable dans la mesure où il se cantonne aux modalités de renvoi.

Ils rappellent avoir introduit l'action par assignation en référé d'heure à heure et non par une procédure accélérée au fond qui ne peut être engagée sans base légale. Ils soutiennent par ailleurs que la procédure de passerelle a pour finalité de renvoyer l'affaire à un autre juge alors que le renvoi par le juge des référés au président du tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond a pour effet de soumettre le litige au même juge. A titre subsidiaire, ils font valoir que la condition d'urgence exigée par l'article 837 du code civil n'était pas remplie, le juge des référés ayant considéré que le litige n'était pas urgent.

Suivant conclusions notifiées le 13 septembre 2024, Mmes [O] [T], [U] [D] et M. [I] [T] demandent à la cour :

- de déclarer les appelants irrecevables en leur appel d'une mesure d'administration judiciaire

- de les débouter de toutes leurs demandes fins et conclusions et de confirmer en conséquence l'ordonnance déférée dans ses dispositions dont appel.

- de condamner [Y] [C] [T], seul, au paiement d'une indemnité aux concluants de 5 000 euros pour appel abusif outre une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'art. 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Les intimés font valoir que l'usage de la passerelle est une simple mesure d'administration judiciaire dont il ne peut être relevé appel. En réponse aux moyens des appelants, ils font observer que l'article 837 du code de procédure civile indique clairement que l'ordonnance emporte saisine de la juridiction ce qui signifie que les « modalités de renvoi » sont dans la loi.

Ils soutiennent que les appelants opèrent une confusion entre les pouvoirs du juge (celui des référés et celui du fond) et les modalités de saisine du juge (par voie de demande principale formée par assignation ou par voie de demande reconventionnelle formée par conclusions) et précisent que la modalité de saisine du juge n'affecte pas les pouvoirs que la loi lui donne.

La clôture des débats a été prononcée le 26 septembre 2024.

Motivation :

Il apparaît que les pièces 81 à 84 ont été communiquées par Mme [O] [T], Mme [U] [T] et M. [I] [T] postérieurement à l'ordonnance de clôture, le 7 novembre 2024. Ces pièces seront écartées de la procédure.

- Sur la recevabilité de l'appel :

Par ordonnance du 27 mars 2024, [Y] [C] [T] et le groupement forestier des bois de [Localité 7] ont obtenu l'autorisation d'assigner M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] en référé d'heure à heure.

Le président du tribunal a statué au visa des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile en considérant que la convocation de l'assemblée générale par M. [I] [T] et Mmes [U] et [O] [T] constituait un trouble manifestement illicite. Etant également saisi d'une demande de convocation d'une nouvelle assemblée générale, il a considéré que cette demande échappait aux pouvoirs du juge des référés et faisant application de l'article 837 du code de procédure civile qui dispose que : « A la demande de l'une des parties et si l'urgence le justifie, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection saisi en référé peut renvoyer l'affaire à une audience dont il fixe la date pour qu'il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d'un temps suffisant pour préparer sa défense. L'ordonnance emporte saisine de la juridiction' » il a au visa de ce texte et de l'urgence, renvoyé l'affaire devant le président du tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond.

Cette procédure se substitue depuis le 1er janvier 2020 à la procédure en la forme des référés.

Lorsqu'il renvoie au fond en application de l'article 837 du code de procédure civile, le juge des référés ne juge pas, mais " agit davantage en tant que président soucieux de la bonne administration de son tribunal " Le renvoi ordonné s'analyse donc comme une mesure d'administration judiciaire insusceptible d'appel en application des dispositions de l'article 537 du code de procédure civile.

Par ailleurs en indiquant que le juge des référés « ne pouvait faire droit à la demande de passerelle », les appelants laissent entendre que le juge des référés a excédé ses pouvoirs sans pour autant en tirer les conséquences puisqu'ils ne sollicitent pas la nullité de la décision pour excès de pouvoir.

L'appel sera donc déclaré irrecevable.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif :

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, il résulte des conclusions déposées devant le juge des référés que M. [Y] [C] [T] a demandé au juge des référés de se déclarer incompétent au profit du président du tribunal judiciaire de Cusset statuant selon la procédure accélérée au fond quant à la demande de M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] tendant à lui enjoindre d'organiser une assemblée générale.

L'appel de la décision du juge des référés sur le renvoi à une audience pour qu'il soit statué au fond apparaît donc dilatoire et de mauvaise foi. Il génère un préjudice en ce qu'il impose aux parties adverses de nouvelles et inutiles vicissitudes procédurales. M. [Y] [C] [T] sera donc condamné à verser à M. [I] et Mmes [U] et [O] [T] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- Sur les autres demandes :

M. [Y] [C] [T] succombant en son appel sera condamné aux dépens.

Il serait inéquitable de laisser aux intimés la charge de leurs frais de défense.

M. [Y] [C] [T] sera condamné à leur verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Ecarte des débats les pièces 81 à 84 communiquées postérieurement à l'ordonnance de clôture par M. [I] [T] et Mmes [U] et [O] [T] ;

Déclare l'appel irrecevable ;

Condamne M. [Y] [C] [T] à verser à M. [I] [T] et Mmes [U] et [O] [T] (ensemble) la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ;

Condamne M. [Y] [C] [T] à verser à M. [I] [T] et Mmes [U] et [O] [T] (ensemble) la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [Y] [C] [T] aux dépens d'appel.