CA Rennes, 3e ch. com., 14 janvier 2025, n° 23/02708
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Immozel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Vice-président :
Mme Clément
Conseiller :
Mme Ramin
Avocats :
Me Gicquel, Me Dronval
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Janvier 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTES :
Madame [M] [R]
née le 05 Mai 1983 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 6]
S.A.S. IMMOZEL immatriculée sous le numéro 877 557 520 du registre du commerce et des sociétés de VANNES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentés par Me Vincent GICQUEL de la SCP GICQUEL - DESPREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES
INTIMÉE :
S.A.S.U. AGENCE [L] [V] ET COMPAGNIE immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [Localité 5] sous le numéro [Numéro identifiant 3], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Julie DRONVAL de la SELARL LES JURISTES D'ARMORIQUE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT
Mme [R] a été salariée de la société Agence [L]. [V] et compagnie (ci-après la société [V]), établie à [Localité 4], à compter du 17 octobre 2014 en qualité de gestionnaire de copropriété.
Elle était soumise à une clause de confidentialité mais non pas à une clause de non-concurrence.
Le18 juillet 2019, Mme [R] a présenté sa démission. Le contrat de travail a pris fin le 23 septembre 2019.
Le 1er octobre 2019, elle a constitué avec Mme [P], une société Immo'zel, établie à [Localité 6], ayant pour activité la transaction d'immeubles et de fonds de commerce, le syndic de copropriété, le conseil en immobilier. L'extrait Kbis mentionne une date de commencement d'activité au 18 septembre 2019.
Le 9 juillet 2020, sur autorisation du président du tribunal de commerce de Vannes, la société [V], alléguant des actes de concurrence déloyale commis à son préjudice, a fait établir un constat d'huissier au siège de la société Immo'zel.
Par courriers du 21 décembre 2020, s'appuyant sur le constat qui, selon elle confirmait l'existence de démarchage et de détournement de copropriétés clientes, la société [V] a mis en demeure la société Immo'zel et Mme [R] de cesser leurs agissements et a demandé une indemnisation pour le préjudice subi à hauteur de 16 690 €.
Le 20 janvier 2021, la société [V] a assigné la société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, devant le tribunal de commerce de Vannes.
Suivant jugement du 10 mars 2023, le tribunal de commerce de Vannes a :
- débouté les défenderesses de leur exception d'incompétence,
- déclaré la demande de la société [V] recevable et bien fondée,
- dit et jugé que la société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société [V], engageant leur responsabilité à l'égard de cette dernière,
- condamné in solidum la société Immo'zel et Mme [R] en sa qualité de président de la société Immo'zel à payer à la société [V] la somme de 22 242 euros à titre de dommages et intérêts, pour les causes sus-énoncées,
- ordonné à la société Immo'zel et Mme [R] en sa qualité de président de la société Immo'zel d'avoir à cesser immédiatement ses actes de concurrence déloyale et notamment le démarchage et détournement des copropriétés gérées par la société [V] et ce, sous astreinte de 1 500 euros par manquement constaté à compter du jour de la signification du présent jugement,
- débouté la société Immo'zel et Mme [R] de leurs demandes reconventionnelles,
- débouté la société [V] de sa demande de publication du jugement, pour les causes sus-énoncées,
- condamné in solidum la société Immo'zel et Mme [R] en sa qualité de président de la société Immo'zel à payer à la société [V] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la société Immo'zel et Mme [R] en sa qualité de président de la société Immo'zel aux entiers dépens de l'instance,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,
- arrêté et liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 80,29 euros TTC dont TVA 13,38 euros.
Par déclaration du 10 mai 2023, la société Immo'zel et Mme [R] ont interjeté appel.
Les conclusions des appelantes sont du 22 octobre 2024.
Les conclusions de l'intimée sont du 21 octobre 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [R] et la société Immo'zel demandent à la cour de :
- infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la société [V] de sa demande de publication du jugement et de sa demande à voir la société Immo'zel et Mme [R] condamnées aux entiers dépens comprenant les frais d'huissier liés à l'ordonnance du 2 juin 2020 rendue sur requête et les frais de constat d'huissier en date du 9 juillet 2020.,
et statuant à nouveau :
In limine litis,
- se déclarer incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Lorient,
- surseoir à statuer sur la demande d'indemnisation dirigée contre la société Immo'zel et Mme [R] au titre de la complicité de violation d'une clause d'exclusivité dans l'attente d'une décision définitive dans le cadre de l'instance prud'homale, qui sera engagée,
- ordonner la radiation du rôle de l'affaire,
- inviter la société [V] à mieux se pourvoir,
A titre subsidiaire et au fond,
- dire et juger que la société Immo'zel et Mme [R] n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice la société [V] engageant leur responsabilité à l'égard de cette dernière,
- dire et juger que la société [V] ne démontre ni le quantum ni la certitude de l'indemnisation sollicitée, ni le lien de causalité, ni la réalité d'un comportement fautif,
En conséquence,
- débouter la société [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre reconventionnel,
- condamner la société [V] à payer à la société Immo'zel et à Mme [R] la somme de 22 242 € en réparation du préjudice subi,
En tout état de cause,
- dire n'y avoir à prononcer d'astreinte,
- débouter la société [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société [V] à payer à la société Immo'zel et à Mme [R] la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel,
- condamner la société [V] aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont les frais de greffe, les frais d'huissier liées à l'ordonnance du 2 juin 2020 rendue sur requête et les frais de constat d'huissiers en date du 9 juillet 2020.
La société [V] demande à la cour :
- sur l'exception d'incompétence,
à titre principal,
- confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions sur ce point,
- dire et juger que le tribunal de commerce de Vannes était compétent pour statuer sur la demande de reconnaissance d'un acte de concurrence déloyale pour violation d'une obligation de non-concurrence en cours d'exécution du contrat de travail, par tierce complicité, formulée à l'encontre de Mme [R] « es qualité de dirigeante » [sic],
- se déclarer compétente pour statuer sur la demande de reconnaissance d'un acte de concurrence déloyale pour violation d'une obligation de non-concurrence en cours d'exécution du contrat de travail, par tierce complicité, formulée à l'encontre de Mme [R] « es qualité de dirigeante » et à l'encontre de la société Immo'zel,
A titre subsidiaire,
- si la Cour déclare le tribunal de commerce de Vannes incompétent pour statuer sur la demande de reconnaissance d'un acte de concurrence déloyale pour violation d'une obligation de non-concurrence en cours d'exécution du contrat de travail, par tierce complicité, formulée à l'encontre de Mme [R] « es qualité de dirigeante », au profit du conseil des prud'hommes de Lorient, et renvoie les parties à se pourvoir sur cette demande devant cette juridiction, prendre acte que la société [V] entend dans cette hypothèse, maintenir sa demande de reconnaissance d'un acte de concurrence déloyale au titre de la violation de l'obligation de non-concurrence au cours d'exécution du contrat de travail, uniquement à l'encontre de la société Immo'zel, sur le fondement de la tierce complicité, et non plus à l'encontre de Mme [R] « es qualité de dirigeante », dans le cadre de la présente instance,
En tout état de cause,
- dire et juger que le tribunal de commerce de Vannes était compétent pour statuer sur la demande de reconnaissance d'un acte de concurrence déloyale pour violation d'une obligation de non-concurrence en cours d'exécution du contrat de travail, par tierce complicité, formulée à l'encontre de la société Immo'zel,
- dire et juger que le tribunal de commerce de Vannes était compétent pour statuer sur l'action en concurrence déloyale engagée à l'encontre de la société Immo'zel,
- débouter la société Immo'zel et Mme [R] de leur demande de sursis à statuer,
Sur le fond,
- confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication de la décision à intervenir dans la presse et en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de la société Immo'zel et de Mme [R] solidairement au paiement des frais d'huissier liés à l'ordonnance du 2 juin 2020 rendue sur requête et des frais de constat d'huissier en date du 9 juillet 2020, en les comprenant dans les dépens,
- dire et juger que la société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société [V], engageant toutes deux, leur responsabilité à l'égard de cette dernière,
- condamner, in solidum la société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, à payer à la société [V] une somme de 22 242 € à titre de dommages et intérêts,
- ordonner à la société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, d'avoir à cesser immédiatement ses actes de concurrence déloyale, et notamment le démarchage et détournement des copropriétés gérées par la société [V], et ce, sous astreinte de 1 500 € par manquement constaté à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- débouter société Immo'zel et Mme [R] de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans le Ouest France et Le Télégramme, aux frais de la société Immo'zel et de Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel,
- condamner, in solidum, société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, à payer à la société [V] une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner, in solidum, société Immo'zel et Mme [R], en sa qualité de président de la société Immo'zel, aux entiers dépens de l'instance, comprenant les frais de greffe, les frais d'huissier liés à l'ordonnance du 2 juin 2020 rendue sur requête et les frais de constat d'huissier en date du 9 juillet 2020.
Pendant le délibéré, il a été demandé aux conseils des parties leurs observations dans les termes suivants :
« Il ressort du jugement qu'une seule assignation a été délivrée devant le tribunal de commerce (« par exploit d'huissier de justice en date du 20 janvier 2021 »). Vous voudrez bien nous produire l'assignation concernant Mme [R] qui apparaît avoir été assignée « en qualité de dirigeante » de la société Immo'zel » ou « ès qualités », ce qui impliquerait que seule la société
Immo'zel était à la cause et non Mme [R] en personne. Je vous prie de bien vouloir formuler toutes observations sur les conséquences à en tirer et, plus particulièrement, sur la recevabilité de l'appel de Mme [R], personne physique, et ce, au plus tard le 19 décembre 2024. »
Par note en délibéré reçue le 10 décembre 2024, le conseil de Mme [R] considère que celle-ci a été assignée à titre personnel, étant simplement visée sa qualité de présidente de la société Immo'zel, l'assignation visant la responsabilité personnelle du dirigeant pour fautes détachables de son mandat social.
Par note en délibéré reçue le 10 décembre 2024, le conseil de la société [V] fait valoir que « compte tenu du jugement rendu, de la déclaration d'appel, les conclusions prises par les parties, les demandes formulées pour et contre Madame [M] [R] le sont en sa qualité de présidente de la société IMMOZEL. »
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs prétentions et moyens.
DISCUSSION
Un dirigeant de société peut être assigné en son nom personnel pour des fautes commises à l'occasion des fonctions qu'il exerce.
Lorsqu'il est assigné en qualité de dirigeant d'une société ou ès qualités (en les qualités de), il n'est alors attrait que comme l'organe représentant la société contre laquelle les prétentions sont formées et non, en son nom propre, comme personne physique, partie au litige.
L'exploit d'huissier du 20 janvier 2021, seul acte produit aux débats, mentionne: « assignation devant le tribunal de commerce de Vannes à la demande de SASU AGENCE [L]. [V] ET CIE (...) À SAS IMMO'ZEL, [Adresse 1] et à Mme [M] [R] prise en sa qualité de présidente de la SAS IMMO'ZEL, [Adresse 1] », puis, pour les mentions de la signification : « signifié à SAS IMMO'ZEL », « remise à personne à Mme [R] [M] personne morale qualité présidente SAS qui a déclaré être habilitée à recevoir l'acte. »
Le jugement a condamné Mme [R] en sa qualité de président de la société Immo'zel.
Dès lors, quand bien même il était recherché sa responsabilité pour des fautes commises dans l'exercice de ses fonctions, il en ressort que Mme [R] n'était pas, en son nom propre, partie à l'instance.
La déclaration d'appel électronique, correspondant au ficher XML, imposée par l'article 930-1 du code de procédure civile mentionne Mme [R] comme personne physique ainsi que la personne morale.
L'appel de Mme [R], personne physique, en son nom propre, est irrecevable.
L'exception d'incompétence et le sursis à statuer
Mme [R] à titre personnel n'étant pas à la cause, l'exception d'incompétence tirée de l'article L.1411-1 du code du travail est sans objet. Il convient de rejeter la demande de déclaration d'incompétence.
Lorsque le conseil des prud'hommes n'a pas été saisi pour apprécier les faits de concurrence déloyale, le tribunal de commerce est compétent pour ce faire dans le cadre d'un litige opposant uniquement deux sociétés commerciales.
La cour n'a pas à surseoir à statuer dans l'attente d'une éventuelle saisine du conseil des prud'homme et est compétente pour statuer sur les demandes formées par la société [V] contre la société Immo'zel. La demande de sursis sera rejetée.
La concurrence déloyale
La société [V] reproche à la société Immo'zel, sur le fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun, de s'être rendue complice de procédés déloyaux de son ex-salariée ayant conduit à un détournement de clientèle à son préjudice.
Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
- sur la violation de l'obligation générale de non-concurrence en cours d'exécution du contrat
La société [V] fait valoir que la société Immo'zel s'est rendue complice de la violation par Mme [R] de son obligation de loyauté qui lui impose une obligation de non-concurrence pendant l'exécution de son contrat de travail.
La société Immo'zel fait valoir que le salarié qui crée, pendant son préavis, une entreprise dont l'activité est concurrente mais dont l'exploitation n'a commencé qu'après son départ de l'entreprise, alors qu'il n'était plus tenu à aucune obligation, en l'absence de clause de non-concurrence, ne commet aucun acte de concurrence déloyale.
Le salarié est tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son employeur jusqu'à son départ de l'entreprise. Seul l'exercice effectif d'une activité concurrente de celle de son employeur constitue, pendant la durée du préavis, une faute de concurrence déloyale.
Il appartient à la société [V] de démontrer que Mme [R], embauchée comme gestionnaire de copropriété, a, de manière effective, exercé une nouvelle activité similaire concurrente alors qu'elle était encore tenue par son préavis, lequel prenait fin le 23 septembre 2019.
La seule mention sur l'extrait Kbis de la déclaration administrative d'un commencement d'activité de la société Immo'zel dont Mme [R] est la dirigeante, le 18 septembre 2019, ne permet pas d'établir qu'elle a, de manière effective, signé des contrats ou démarché des clients entre cette date et le 23 septembre 2019. Qui plus est, ladite société n'a obtenu sa carte professionnelle pour l'exercice des activités de transaction sur immeubles et fonds de commerce et de syndic de copropriété que le 23 octobre 2019 ce qui limitait grandement la possibilité d'exercice effectif par Mme [R] d'une activité similaire à celle objet de son ancien contrat de travail. Au surplus, il n'est pas démontré que Mme [R] ou la directrice générale de la société, Mme [P], aient obtenu antérieurement, pour leur compte personnel, une telle carte.
La société [V] affirme par ailleurs que Mme [R] aurait, pendant son salariat, volontairement fait signer de courts mandats de gestion d'un an aux syndics de copropriété pour pouvoir se porter candidate auprès d'eux à court délai, une fois son emploi quitté. Toutefois, ce procédé légal de signature de courts mandats, aisément contrôlable par l'employeur de Mme [R], ne peut suffire à établir une préméditation de sa part.
Les divers témoignages produits des employés de la société [V], compte tenu du lien de soumission à leur employeur et de l'absence de dénonciation de comportements précisément datés et circonstanciés, ne démontrent ni l'effectivité de l'activité concurrentielle pendant le préavis, ni la déloyauté antérieure de Mme [R].
- sur l'entretien d'une confusion entre la société Immo'zel et le statut de salarié de Mme [R]
La société [V] soutient que dans un article de presse et dans les commentaires de clients reçus sur le site internet de la société Immo'zel, une confusion est entretenue en ce qu'y sont rapportés des actions ou un comportement positif de Mme [R] du temps où elle travaillait pour le compte de la société [V]. Elle ajoute que la société Immo'zel a même embauché une autre ancienne salariée de la société [V].
Il ne résulte nullement de l'article cité ou des commentaires visés une quelconque confusion entre la nouvelle activité de la société Immo'zel et celle de la société [V] de nature à tromper les clients de celle-ci, l'ensemble ne visant qu'à vanter les qualités de Mme [R] en tant que professionnelle de la gestion de syndic en général. Quant à l'embauche d'une ancienne salariée ayant quitté de longue date la société [V], celle-ci ne fait qu'alléguer le risque de confusion, sans l'établir.
- sur le détournement du fichier clients pour détourner la clientèle
La société [V] soutient que la société Immo'zel a participé au détournement de sa clientèle par l'usage d'un procédé déloyal de Mme [R] consistant à utiliser son fichier clients et les informations contenues. Elle ajoute que la concurrence déloyale est établie quelle que soit l'ampleur de la perte générée pour la victime des agissements. Elle assure que huit résidences sur 44 ont été perdues au profit de la société Immo'zel jusqu'à l'assignation du 20 janvier 2021.
La société Immo'zel soutient qu'il n'est pas établi que le tableau retrouvé lors du constat d'huissier, listant diverses copropriétés, émane de la société [V]. Elle ajoute que le fichier en cause ne contient aucune information confidentielle.
Le détournement du fichier clientèle d'un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal.
L'huissier mentionne lors de son constat du 9 juillet 2020 que la liste des syndicats de copropriété découverte au sein de la société Immo'zel est identique à celle visée par la requête à fins de nomination d'huissier, présentée par la société [V], dans le même ordre avec les mêmes codes attribués à chacun (p.14 du procès-verbal de constat). Cette liste visée correspond aux syndicats de copropriété dont Mme [R] avait la charge en sa qualité de salariée.
Ce document découvert comporte en outre des mentions spécifiques comme les initiales des comptables de la société [V], en charge de la gestion, sans intérêt pour la société Immo'zel.
Il est ainsi suffisamment établi que le fichier émane de la société [V].
Le fichier reprend les dates des derniers renouvellements des mandats de gestion signés avec les syndicats de copropriété et celles des dernières assemblées générales, antérieures à la création de la société Immo'zel, sans que la société Immo'zel ne s'en explique.
Ces indications ont permis à la société Immo'zel d'organiser un plan de démarchage systématique des clients de la société [V] en fonction des dates d'échéance des mandats. Le surlignage des syndicats de copropriété avec les mentions « sûre, probable, peut-être » conforte ainsi le plan mis à l'oeuvre.
Le détournement de ce fichier, allié au fait que Mme [R] a pu conserver, selon un document manuscrit trouvé lors du constat d'huissier, les coordonnées de nombreux copropriétaires, a conduit la société Immo'zel à se rendre complice d'un démarchage déloyal.
Ainsi, sans qu'il soit besoin de rentrer dans le détail de l'argumentation des parties, le détournement de fichier aux fins de démarchage suffit à établir la concurrence déloyale.
Le préjudice subi
Il importe peu que les clients aient librement choisi de suivre la société Immo'zel en ce qu'elle était mieux disante ou en raison de relations de confiance avec Mme [R], soit directement soit après une mise en concurrence avec la société [V]. En effet, l'acte de complicité fautif de la société Immo'zel a nécessairement causé un préjudice à la société [V].
La société Immo'zel ne conteste pas que son portefeuille clients comporte, comme allégué par la société [V], huit anciens syndicats de copropriété ayant auparavant été les clients de celle-ci, mais soutient que le préjudice ne peut être égal à la perte de chiffre d'affaires, mentionnée dans l'attestation de l'expert-comptable produite (22 242 €), mais doit correspondre à une perte de chance de bénéfices. Elle ajoute qu'il doit être tenu compte de la compensation qui a pu être réalisée par la signature de nouveaux contrats.
Compte tenu de la durée déterminée des mandats de gestion, le préjudice de la société [V] ne peut correspondre qu'à une perte de chance d'avoir pu les renouveler à échéance en se retrouvant en concurrence avec la société Immo'zel et en conséquence, une perte de chance de réaliser une marge brute. L'indemnisation de cette perte de chance doit tenir compte de l'ancienneté de la relation contractuelle nouée avec chacun des clients perdus. Celle-ci est supérieure à vingt ans pour deux d'entre eux, supérieure à dix ans pour trois autres et de moins de cinq ans pour les trois derniers.
Il n'y a pas lieu de tenir compte des bénéfices nouveaux éventuellement réalisés par la société [V] liés à la contractualisation de nouveaux clients, sans rapport aucun avec le préjudice indemnisable.
La perte de chance sera ainsi justement indemnisée par une somme de 4 000 € à laquelle la société Immo'zel sera condamnée.
Il n'y a pas lieu à ordonner la cessation du démarchage sous astreinte alors que la société [V] admet elle-même dans ses écritures qu'aucun client n'a été détourné depuis l'assignation. Le jugement sera infirmé.
De la même manière, il n'y a pas lieu à ordonner la publication de l'arrêt.
La demande pour procédure abusive
La société Immo'zel ne justifie pas de l'abus du droit d'agir en justice de la société [V], ce d'autant que la société Immo'zel succombe principalement.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Dépens et frais irrépétibles
La société Immo'zel sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais du constat d'huissier judiciairement ordonné. Les dépens de la présente procédure ne comprennent pas, en revanche, ceux liés à l'ordonnance du 2 juin 2020, lesquels ont été mis à la charge de la société [V] par ladite ordonnance.
La société Immo'zel sera également condamnée à payer à la société [V] une somme au titre des frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à 2 000 €.
Par ces motifs,
La cour,
Déclare irrecevable l'appel de Mme [M] [R] en personne,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Vannes du 13 mars 2023 en ce qu'il a :
- débouté les défenderesses de leur exception d'incompétence,
- déclaré la demande de la société [V] recevable et bien fondée,
- débouté la société Immo'zel de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouté la société [V] de la demande de publication,
Infirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande de déclaration d'incompétence,
Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer,
Condamne la société Immo'zel à payer à la société Agence [L]. [V] et compagnie la somme de 4 000 € à titre de dommages et intérêts,
Dit n'y avoir lieu à publication de l'arrêt,
Condamne la société Immo'zel aux dépens de première instance et d'appel lesquels comprennent les frais du constat d'huissier du 9 juillet 2020 judiciairement ordonné,
Condamne la société Immo'zel à payer à la société Agence [L]. [V] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
Rejette toute autre demande des parties,