Cass. 1re civ., 24 janvier 1967, n° 65-11.413
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin
Rapporteur :
M. Voulet
Avocat général :
M. Marion
Avocats :
Me Célice, Me Lyon Caen
Premier moyen: "Violation des articles 1134 et 1165 du Code Civil, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 pour défaut de motifs et manque de base légale, en ce que la Cour a écarté l'action dirigée par les exposants contre Roger Blanc, boucher, locataire d'un bâtiment à usage de logement et d'écurie, qui tendait à faire peser sur lui la responsabilité de l'article 1733 du Code Civil au motif que le contrat de vente de location passé avec M. Roger Blanc se confondait avec le contrat de vente d'herbe conclu entre le Docteur Martinie-Dubousquet et Raymond Blanc, fils du susnommé, en sorte qu'il s'agissait d'une opération devant donner lieu à l'application de l'article 554 du Code Rural, alors que la Cour ne pouvait valablement refaire le contrat Martinie-Dubousquet - Roger Blanc pour créer une situation juridique nouvelle faite d'une interpénétration de ce contrat Martinie-Dubousquet Raymond Blanc, sans que ce dernier ait été appelé aux débats, qu'il n'appartenait pas, en effet, aux juges du fond de substituer à une situation divisible une situation indivisible et de faire produire effet à celle-ci sans l'accord de tous les prétendus indivisaires; que la Cour ne pouvait laisser sans réponse sur ce point les conclusions déposées par les exposants".
Second moyen: "Violation des articles 854 du Code Rural , 809 du même Code, des articles 1134, 1733 et 1165 du Code Civil, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 pour défaut de motifs, contradiction de motifs, manque de base légale, en ce que la Cour a écarté l'action dirigée par les exposants contre Roger Blanc, boucher, locataire d'un bâtiment à usage de logement et d'écurie, qui tendait à faire peser sur lui la responsabilité de l'article 1733 du Code Civil au motif que le contrat de location passé avec Roger Blanc se confondait avec le contrat de vente d'herbe conclu entre le Docteur Martinie-Dubousquet et Raymond Blanc, fils du susnommé, en sorte qu'il s'agirait d'une opération devant donner lieu à l'application de l'article 854 du Code Rural, lequel exclut la responsabilité du preneur si une faute lourde n'est pas établie à sa charge, alors, d'une part, que la Cour n'était pas saisie de l'application de plusieurs conventions, mais d'une seule, alors, d'autre part, que la Cour fait intervenir faussement la notion de fraude à la loi, que celle-ci n'aurait à jouer que si l'ont était dans un cas ou l'autonomie de la volonté des parties n'avait plus à s'exercer; que dans le domaine de celle-ci, les parties étaient libres de préciser comme elles l'entendaient et, au besoin, par un surcroît de précaution, ce qui avait été leur intention commune, alors enfin que la Cour ne pouvait répercuter sur le bail des bâtiments consenti à Roger Blanc le caractère prétendûment rural de l'accord intervenu relativement à de l'herbe avec Raymond Blanc puisque cette dernière convention échappait au statut du fermage; qu'il eut appartenu à la Cour, si elle entendait donner une base légale au mélange de conventions qu'elle effectuait, de rechercher quelle était l'importance relative de chacun des contrats, qu'il lui incombait également, pour permettre à la Cour Suprême d'exercer son contrôle, de constater qu'il ne s'agissait que d'une parcelle d'un hectare, tout juste apte à fournir l'alimentation des chevaux pendant leur passage avant l'abattoir".
Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour.
Sur les deux branches du premier moyen et sur le second moyen pris en sa première branche:
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué qu'à la suite de l'incendie d'un bâtiment, dont la cause est demeurée inconnue, Martinie-Dubousquet, propriétaire et la Compagnie l'Union, son assureur, ont assigné en dommages-intérêts Roger Blanc, locataire, et sa Compagnie d'assurances La Protectrice; que Roger Blanc et la Protectrice ont soutenu qu'il s'agissait d'un bail rural et que l'article 854 du Code Rural était seul applicable en l'espèce;
Attendu qu'il est fait grief à la Cour d'appel d'avoir débouté Martinie-Dubousquet au motif que le contrat de bail de bâtiments conclu le 4 juin 1957 avec Roger Blanc, boucher chevalin, formait un tout avec le contrat de vente d'herbe conclu le 15 du même mois entre Martinie-Dubousquet et Raymond Blanc, fils et commis de Roger, alors que l'arrêt attaqué, qui n'aurait pas répondu sur ce point aux conclusions d'appel ne pouvait créer une situation juridique nouvelle faite de l'interpénétration des deux contrats, sans que Raymond Blanc ait été appelé aux débats;
Mais attendu que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux juges du fond de rechercher dans un acte étranger à l'une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer leur décision; que la Cour d'appel a pu, dès lors, pour déterminer l'intention des parties, se référer au second contrat conclu par le bailleur avec le fils de son locataire; qu'elle relève, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, "que les bâtiments, objet de la location et le pré dont l'herbe a été l'objet de la vente, sont attenants et n'ont été séparés que pour les besoins de la cause dans les conventions intervenues", répondant ainsi implicitement, mais nécessairement, aux conclusions prétendument délaissées; que dès lors ces griefs ne sauraient être retenus;
Sur le second moyen pris en ses deuxième et troisième branches;
Attendu qu'il est encore reproché à la Cour d'appel d'avoir fait intervenir faussement la notion de fraude à, la loi dans un domaine où l'autonomie de la volonté des parties était en droit de s'exercer, et d'avoir étendu sur le bail du bâtiment consenti à Roger Blanc le caractère prétendument rural de l'accord intervenu avec Raymond Blanc, sans rechercher l'importance relative de chacun des contrats, et sans constater, en ce qui concerne le second, qu'il ne s'agissait que d'une parcelle d'un hectare "tout juste apte à fournir l'alimentation des chevaux pendant leur passage avant l'abattoir";
Mais attendu, d'une part, que la Cour d'appel, qui n'a nullement décidé que les parties avaient commis une fraude à la loi, retient, après avoir recherché la commune intention des contractants "que les parties ont entendu, pour se soustraire au statut des baux ruraux, dissimuler un bail à ferme sous l'apparence d'un double contrat"; que, d'autre part, l'arrêt attaqué relève que la location consentie à Blanc père spécifie qu'il doit utiliser ces bâtiments d'exploitation "exclusivement pour l'embouche des chevaux de boucherie, ce qui doit s'entendre de l'engraissement des chevaux de pacage et présuppose l'utilisation de prés", et "que le contrat de vente d'herbes consenti à Blanc fils prévoit justement qu'il pourra faire pacager, mais exclusivement par des chevaux"; que la Cour d'appel relève également que "Blanc fils s'engageait à entretenir les clôtures, les fossés et les rigoles du pré, ce qui constitue bien l'obligation d'un fermier d'accomplir les travaux nécessaires pour la bonne exploitation d'une prairie naturelle", et encore, que "Blanc père a souscrit un avenant d'assurance incendie "en qualité de fermier"; que de ces constatations, le Cour d'appel a pu déduire qu'il résultait "de l'intention des parties et de leur comportement que Blanc père et fils, bouchers chevalins avec embouche, ont conclu un véritable bail à ferme; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté.
PAR CES MOTIFS:
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 11 décembre 1964 par la Cour d'appel de Limoges.