Cass. com., 16 mars 2022, n° 20-22.000
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocats :
Me Bertrand, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 juillet 2020), la société Stelia Aerospace (la société Stelia), de droit français, dont le siège social est à Rochefort, reprochant à la société Aviointeriors, de droit italien, dont le siège social est à Naples, d'avoir fabriqué et mis sur le marché un fauteuil d'avion de classe affaires constituant une copie du fauteuil qu'elle a elle-même fabriqué, et de s'être ainsi rendue coupable d'agissements parasitaires à son préjudice, l'a assignée devant le tribunal de commerce de La Rochelle pour que sa responsabilité sur ce fondement soit reconnue et qu'il lui soit enjoint de cesser la commercialisation de ce produit.
2. L'exception d'incompétence qu'elle avait soulevée ayant été rejetée par le tribunal, la société Aviointeriors a relevé appel du jugement et a été autorisée à assigner la société Stelia à jour fixe.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société Aviointeriors fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu de rejeter des débats les conclusions et pièces notifiées à la requête de la société Stelia le 10 juin 2020, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que dans le cadre d'une procédure d'appel à jour fixe, le président s'assure, le jour de l'audience, qu'il s'est écoulé un temps suffisant depuis l'assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense et, inversement, que celle-ci a communiqué ses conclusions et pièces à l'appelant en temps utile ; qu'en considérant qu'il n'y avait pas lieu de rejeter des débats les conclusions et pièces notifiées, à la requête de la société Stelia Aerospace, partie intimée, le 10 juin 2020 à 15 h 10, à la société Aviointeriors ayant son siège en Italie, alors que l'audience de plaidoirie a eu lieu à Poitiers le 11 juin 2020 à 9 heures, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces conclusions et pièces ne soulevaient pas, à la veille de l'audience, "une problématique juridique liée à la caractérisation de la concurrence parasitaire qui nécessite une réponse argumentée" , la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe du contradictoire et des articles 16, 920 et 923 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt constate que les écritures notifiées le 10 juin 2020 ne comportent pas de modification des prétentions adverses ni de moyens nouveaux appelant une réponse. En cet état, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, et en a déduit que, s'agissant d'une procédure à jour fixe sans clôture, les conclusions et pièces ainsi notifiées à la veille de l'audience n'avaient pas à être écartées des débats, a légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. La société Aviointoriors fait grief à l'arrêt de confirmer la compétence du tribunal de commerce de La Rochelle pour connaître du litige l'opposant à la société Stelia, alors :
« 1°/ qu' aux termes de l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre peuvent être attraites en matière délictuelle ou quasi délictuelle "devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire" ; qu'en matière de concurrence parasitaire, la commercialisation effective du produit litigieux en France constitue un critère de compétence des juridictions françaises ; qu'en retenant la compétence du tribunal de commerce de La Rochelle pour connaître de l'action en concurrence parasitaire engagée par la société Stelia à l'encontre de la société Aviointeriors, en raison de l'accessibilité en France du site internet de cette dernière, après avoir constaté que le produit litigieux, présenté sur ce site n'était pas proposé à l'achat en ligne et n'était pas commercialisé en France, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, desquelles résultait l'absence de localisation du dommage en France, et a violé le texte susvisé, outre l'article 46 du code de procédure civile ;
2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Aviointeriors faisait valoir qu' "admettre l'interprétation qu'a faite la société Stelia des dispositions de l'article 7.2 du règlement Bruxelles I bis, c'est-à-dire une compétence fondée sur le lieu où existerait un simple risque théorique de ce que le préjudice est subi, reviendrait à saisir systématiquement la juridiction du lieu du domicile du demandeur et à transformer ainsi une exception en une règle générale" ; qu'en laissant sans réponse ces écritures qui faisaient état d'un détournement des règles de compétence applicables et donc une situation d'abus de droit, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des principes de bonne administration de la justice, de prévisibilité et de proximité mis en oeuvre par la Cour de justice de l'Union européenne que, pour une action en réparation de préjudice d'atteinte à son image et à sa réputation et à la perte, même non avérée, de ventes résultant de comportements parasitaires par le média d'internet et en cessation de commercialisation, la matérialisation du dommage doit être localisée dans l'Etat du siège social de la victime, qui est le lieu du centre de ses intérêts.
7. L'arrêt relève que le dommage invoqué par la société Stelia, victime des agissements parasitaires, est constitué par une atteinte à son image et à sa réputation et par la perte possible de ventes, et retient que le siège social, en France, de cette société est son centre d'intérêts.
8. C'est ainsi, à bon droit, qu'abstraction faite des motifs inopérants critiqués par le moyen, la cour d'appel, qui a nécessairement, en l'écartant, répondu à l'allégation d'un abus de droit, a localisé, au siège social de la société victime des agissements allégués, la matérialisation du dommage.
9. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur les questions soulevées par le moyen, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.