CA Caen, 2e ch. civ., 16 janvier 2025, n° 24/00560
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mael (SARL)
Défendeur :
Elia (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Avocats :
Me Boittin, Me Lecomte
Suivant acte authentique du 1er juillet 2022, la SCI ELIA a procédé à l'acquisition d'un ensemble immobilier précédemment détenu par la SCI La Poppa, constitué d'un local à usage de commerce et d'habitation situé au rez-de-chaussée de l'immeuble [Adresse 2].
Ce local a précédemment fait l'objet d'un contrat en renouvellement de bail commercial par l'ancien propriétaire, la société La Poppa au profit de la SARL Kim-Mai, par acte sous seing privé du 31 janvier 2020, fixant le loyer à la somme mensuelle de 2.500 euros.
Suivant un acte authentique du 22 mars 2023, la société Kim-Lai a procédé à la cession de droit au bail au profit de la SARL Maël exerçant sous l'enseigne Le Plazza.
Le 3 octobre 2023, la SCI Elia a fait délivrer à la société Maël un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant de loyers et charges impayés de 7.664,37 euros, comprenant le coût de l'acte.
Par acte de commissaire de justice du 21 novembre 2023, la SCI Elia a assigné la société Maël devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Caen aux fins notamment de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et constater la résiliation du contrat de bail renouvelé le 31 janvier 2020, ordonner l'expulsion de la société Maël des locaux loués, condamner cette dernière au paiement des sommes provisionnelles correspondant aux loyers et charges dus, ainsi qu'au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du actuel du loyer charges comprises, outre les frais irrépétibles et les dépens.
Par ordonnance de référé réputée contradictoire du 8 février 2024, le président du tribunal judiciaire de Caen a :
- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles aviseront, mais, dès à présent,
- constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail du 31 janvier 2020 portant sur un local à usage de commerce et d'habitation situé au rez-de-chaussée de l'immeuble [Adresse 2] sont réunies au 3 novembre 2023 ;
- ordonné à la société Maël la libération immédiate des lieux ;
- dit qu'à défaut pour la société Maël d'avoir libéré le bâtiment commercial de sa personne, de ses biens, et de tous occupants de son chef, il sera procédé à son expulsion passé un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance si besoin avec le concours de la force publique, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le sort des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux étant réglé conformément aux dispositions des articles R.433-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamné la société Maël à payer à la société Elia une indemnité d'occupation provisionnelle équivalent à la seule somme de 3.000 euros par mois, jusqu'à libération effective des lieux ;
- condamné la société Maël à payer à la société Elia la somme provisionnelle de 12.032 euros avec intérêt au taux légal à compter du 3 octobre 2023 pour la somme de 7.664, 37 euros et à compter de la signification de la présente décision pour le surplus ;
- condamné la société Maël à payer à la société Elia la somme provisionnelle de 1.000 euros en application des dispositions de la clause pénale figurant au bail du 31 janvier 2020 ;
- condamné la société Maël aux entiers dépens de l'instance ;
- condamné la société Maël à payer à la société Elia la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire par provision.
Par déclaration au greffe de la cour du 5 mars 2024, la SARL Maël a fait appel de cette ordonnance.
Par ordonnance de référé du 7 mai 2024, le premier président de la cour d'appel a débouté la société Maël de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Par dernières conclusions déposées le 12 juillet 2024 juin 2024, la SARL Maël demande à la cour de :
- Réformer l'ordonnance entreprise,
Statuant à nouveau,
In limine litis à titre principal,
- Juger que la procédure d'expulsion diligentée à l'encontre de la SARL Maël est nulle,
- Juger que les demandes de la SCI Elia sont irrecevables faute pour elle d'avoir justifié avoir accompli les formalités prescrites par l'article 24 III de la 101 du 6 juillet 1989,
En conséquence,
- Débouter la SCI Elia de l'ensemble de ses demandes.
- Condamner la SCI Elia à verser à la SARL Maël la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SCI Elia aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
- Débouter la SCI Elia de l'ensemble de ses demandes,
- Juger que la clause résolutoire visée au bail est suspendue,
- Accorder à la SARL Maël des délais de paiement pour une période de 16 mois, délai commençant à courir le mois suivant la signification de la décision à intervenir,
- Condamner la SARL Maël a s'acquitter de sa dette auprès de la SCI Elia à hauteur de 1.000 euros par mois pendant 15 mois, et de 1.782 euros le 16ème mois, paiement devant intervenir avant le 10 de chaque mois,
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Par dernières conclusions déposées le 4 octobre 2024, la SCI Elia demande à la cour de :
- Débouter purement et simplement la SARL Maël de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- Confirmer l'ordonnance de référé entreprise,
Y ajoutant,
- Condamner la SARL Maël au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 octobre 2024.
A l'audience, la SARL Maël a été autorisée à justifier du règlement de sa dette en cours de délibéré.
En cours de délibéré, la SARL Maël a communiqué un décompte de commissaire de justice du 13 novembre 2024 faisant apparaître qu'elle a réglé sa dette.
La SCI Elia a adressé le 26 novembre 2024 une note en délibéré en réponse.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
SUR CE, LA COUR
Sur la nullité de la procédure et l'irrecevabilité des demandes de la SCI Elia
Selon l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l'article 1104, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public.
Selon l'article L145-1 du code de commerce, dans sa version applicable à la cause : 'Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :
1° Aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe...'
La société Maël fait valoir :
- que si les parties ont conclu un bail mixte, ce bail porte pour partie sur des locaux à usage d'habitation qui constituent la résidence principale de son gérant, qu'à ce titre la procédure d'explusion doit respecter le formalisme d'une procédure d'expulsion d'un logement d'habitation prévu par l'article 195 du décret du 31 juillet 1992, que le commandement de quitter les lieux ne comporte aucune des mentions obligatoires prévues pour l'expulsion d'un local d'habitation;
- que l'article 1 du décret n°2017/923 du 9 mai 2017 n'a pas été respecté en ce que la SARL Maël n'a pas été destinataire du courrier devant être déposé par le commissaire de justice lui rappelant les date, horaire et lieu de l'audience, l'informant de l'importance de sa présence à l'audience, de la possibilité de déposer une demande d'aide juridictionnelle et de saisir les acteurs qui contribuent à la prévention des expulsions locatives, ce qui constitue un vice affectant la procédure qui doit être déclarée nulle;
- que par ailleurs, l'action en résiliation du bail d'habitation est irrecevable dès lors que l'article 24 III de la loi du 6 juillet 1989, d'ordre public, n'a pas été respecté, l'assignation aux fins de constat de la résiliation du bail n'ayant pas été notifiée au représentant de l'Etat dans le département au moins 6 semaines avant l'audience afin qu'il saisisse l'organisme compétent pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées.
Cependant, c'est justement que l'intimée indique que les parties ont conclu un bail commercial, le contrat de bail étant qualifié de 'bail commercial', ne se référant qu'aux dispositions du code de commerce et prévoyant comme usage et destination des lieux 'Toutes activités de restauration sur place ou à emporter'.
L'objet principal du bail conclu entre les parties est la fourniture de locaux à usage commercial et l'article L145-1 du code de commerce prévoit que le statut des baux commerciaux s'applique aussi aux locaux constituant l'accessoire de l'activité commerciale tels des locaux d'habitation.
La remise du document informatif prévu par l'article 1er I du décret n° 2017-923 du 9 mai 2017 n'est pas prévue pour les baux commerciaux, étant précisé que la Cour de cassation a retenu que ce document n'est pas un acte de procédure soumis aux dispositions tant de l'article 56 que de l'article 114 du code de procédure civile. (3ème Civ., 8 février 2024, n°22-24.806)
Les dispositions relatives à la notification de l'assignation au représentant de l'Etat dans le département ne sont pas applicables dans le cadre d'un bail commercial.
Concernant la procédure d'expulsion, postérieure à la résiliation du bail, elle ne peut entacher de nullité l'assignation en résiliation du bail ni constituer une fin de non recevoir de l'action.
Selon l'article L412-1 du code des procédures civiles d'exécution, si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7.
Il sera toutefois relevé qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir que les locaux d'habitation compris dans le bail commercial sont habités par le gérant de la SARL Maël, l'intimée communiquant au contraire un extrait Kbis du registre national du commerce et des sociétés de la société Maël à jour au 7 novembre 2023 faisant apparaître une adresse de M. [G], gérant, [Adresse 3].
La SARL Maël sera donc déboutée de ses demandes tendant à voir juger nulle la procédure d'expulsion et à voir juger irrecevable l'assignation en résiliation du bail commercial.
Sur la demande subsidiaire de suspension des effets de la clause résolutoire
Selon l'article L145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
L'article 1343-5 al 1 du code civil énonce que le juge peut, compte-tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
La SARL Maël indique qu'elle a commencé récemment son activité, que si les débuts de l'exploitation ont été difficiles, le chiffre d'affaires est encourageant, qu'elle a réussi à constituer une clientèle régulière.
Elle justifie du règlement de toutes les sommes dues au 3 septembre 2024.
La SCI Elia ne conteste pas le règlement des sommes dues.
Elle s'oppose toutefois aux délais sollicités faisant valoir l'ancienneté de la situation, que l'expulsion est intervenue le 26 juillet 2024, l'absence d'information sur la provenance des fonds et sur l'activité qui avait pu être maintenue sur place.
Il sera relevé que les impayés ont été constitués dès le début du bail commercial, que du 1er avril 2023 au 1er avril 2024, aucun loyer n'a été réglé en totalité et le montant de la dette était au 1er avril 2024 de 19. 032 euros.
La preneuse a été expulsée le 26 juillet 2024.
Elle a procédé à un règlement de 28.020,89 euros le 3 septembre 2024 apurant ainsi sa dette locative.
Toutefois, cette somme ne provient pas de l'exploitation du fonds de commerce et aucune explication n'est fournie sur son origine ni sur les conditions financières d'une reprise de l'exploitation et sur les garanties de règlement du loyer.
Il y a lieu dès lors de rejeter la demande de délais.
Par suite, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 3 novembre 2023, ordonné la libération immédiate des lieux, ordonné l'expulsion de la preneuse, condamné celle-ci au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant de 3.000 euros par mois, cette disposition n'étant pas contestée.
La condamnation de la SARL Maël au paiement de la somme provisionnelle de 12.032 euros outre les intérêts au titre de la dette locative ainsi que de la somme provisionnelle de 1.000 euros outre les intérêts au titre de la clause pénale, non contestée, sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.
La SARL Maël, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel, à payer à la SCI Elia la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Déboute la SARL Maël de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne la SARL Maël à payer à la SCI Elia la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la SARL Maël aux dépens d'appel.