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Décisions

Cass. 2e civ., 11 mai 1964, n° 60-13.621

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tétaud

Rapporteur :

M. Seyer

Avocat général :

M. Lemoine

Avocats :

Me Goutet, Me Ledieu

Orléans, du 6 juill. 1960

6 juillet 1960

Violation des articles 1242 et suivants, 2251 et suivants du Code Civil, article 30 de la loi du 21 mars 1947, articles 9 à 16 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, violation des règles de la force majeure article 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse aux conclusions, en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la restitution de ses biens à M. Bley ressortissant Allemand, bien qu'il n'ait pas tenu la délibrance d'un titre régulier permanent de séjour et réclamé cette restitution dans les délais fixés par la loi du 21 Mars 1947, pour le motif qu'un délai de forclusion est susceptible de prorogation en cas de force majeure et que les circonstances constitutives de la force majeure avaient été la cause directe et exclusive du défaut d'autorisation, alors que les délais fixés par la loi du 21 Mars 1947 constituacient des délais préfixes et n'étaient susceptibles à ce titre ni de prorogation, ni de suspension, même en cas de force majeure, alors que d'autre part, l'arrêt n'a pas répondu aux conclusions des Domaines par lesquelles ils faisaient valoir que M. Bley ne pouvait exciper de la force majeure puisque la délivrance d'une autorisation permanente de résider dépendait du pouvoir discrétionnaire de l'Administration et ne constituait donc pas un droit mais une simple expectative et que l'arrêt décide à tort que l'intéressé avait droit à l'autorisation, l'Administration n'ayant aucun motif de refus, et alors qu'enfin, en admettant que la force majeure ait pu valablement être invoquée, les faits retenus par l'arrêt pour caractèriser la force majeure ne constituaient pas un obstacle à la délivrance de l'autorisation puisque des instructions ministérielles avaient été données au moment de la mise en œuvre de la loi pour permettre la délivrance du titre permanent et régulier de séjour, si l'Administration le jugeait bon.

Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour.

Sur les fins de non recevoir:

Attendu que, le 31 janvier 1958, la Chambre Civile a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, confirmatif de l'ordonnance qui avait dit n'y avoir lieu à la mainlevée du sequestre apposé sur les biens du ressortissant allemand Bley, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Orléans; que, par arrêt prononcé le 6 Juillet 1960, la dite Cour d'Appel a infirmé l'ordonnance entreprise; que ce dernier arrêt a été rendu entre Bley appelant, Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de la Seine, intimé, comparant par Monsieur le Procureur Général près la Cour de renvoi et l'administration des Domaines, également intimées; que, par requête déposée le 7 Novembre 1960, cette administration s'est pourvue en cassation de l'arrêt du 6 Juillet 1960, contre Bley, en présence et, au besoin, contre Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de la Seine; que ladite administration a produit un mémoire ampliatif qui a été signifié à l'avocat à la Cour de Cassation de Bley et à Monsieur le Procureur Général près la Cour d'Appel d'Orléans; que ce dernier a produit un mémoire intitulé "mémoire ampliatif en défense";

Attendu qu'aux termes de deux mémoires déposés au nom de Bley, d'une part, Monsieur le Procureur Général serait irrecevable à conclure, sous le couvert d'un prétendu "mémoire ampliatif en défense", au demeurant non signifié, à la cassation d'un arrêt contre lequel, étant partie au procès, il n'a pas jugé bon de se pourvoir, et, d'autre part, Monsieur le Procureur Général, aurait formé, hors délai, par voie reconventionnelle, un pourvoi qui ne pourrait se greffer sur celui introduit par l'administration des Domaines;

Mais attendu que Monsieur le Procureur Général, partie à l'arrêt attaqué, est défendeur au pourvoi; que la circonstance que le mémoire déposé par lui est intitulé "mémoire ampliatif en défense" et conclut à la cassation dudit arrêt ne confère pas à ce mémoire la portée d'un pourvoi; qu'une copie de ce mémoire a été remise à chacun des avocats de la présente cause qui en ont donné récépissé; qu'à défaut de disposition légale spéciale à la signification des mémoires en défense déposés par les représentants du Ministère Public qui agissent sans avocat devant la Cour de Cassation, une telle remise doit être retenue comme valant signification régulière;

Rejette, en conséquence, les fins de non-recevoir;

Sur le moyen unique en sa troisième branche:

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la restitution de ses biens à Bley, sans qu'il ait obtenu la délivrance d'un titre régulier de séjour, dans les délais prescrits par la loi du 21 Mars 1947, pour le motif que le retard provenait uniquement de circonstances de force majeure alors que les faits retenus par l'arrêt ne constituaient pas un obstacle à la délivrance de l'autorisation de séjour puisque des instructions ministérielles avaient été données pour permettre la délivrance du titre régulier de séjour si l'administration le jugerait bon;

Mais attendu qu'à l'appui de cette prétention, le pourvoi produit une circulaire du Ministère de l'Intérieur en date du 15 Octobre 1947 et ayant pour objet l'application de ladite loi du 21 Mars 1947 et prévoyant la situation des ressortissants allemands qui, à l'expiration du délai limite prévu par cette loi, se seraient trouvés en possession des titres de séjour précaires;

Et attendu que cette circulaire, fondement du présent moyen et constituant un élément de fait d'appréciation, n'a été, ni invoquée par les parties devant la Cour de renvoi, ni invoquée par celle-ci dans l'arrêt attaqué;

D'où il suit que le moyen est nouveau et, partant, irrecevable;

Sur le même moyen pris en sa première branche:

Attendu que, selon le pourvoi, les délais fixés par la loi du 21 Mars 1947, constitueraient des délais préfix et ne seraient susceptibles à ce titre, ni de prorogation, ni de suspension, même en cas de force majeure

Attendu que Bley, défendeur au pourvoi, oppose l'irrecevabilité du moyen en raison de ce que l'administration demanderesse ne pourrait adopter pour la première fois devant la Cour de Cassation, un système différent de celui qui aurait été le sien devant les juges du fond; que, devant la Cour de renvoi, elle a discuté les faits constitutifs de la force majeure et ne saurait, dans la présente instance, soutenir que la notion de force majeure n'intervient pas dans le cas des délais dits "préfix";

Mais attendu que, dans ses dernières conclusions d'appel, l'administration des Domaines faisait valoir que les délais dont s'agit sont "de rigueur" et que l'arrêt attaqué relève que les intimés invoquaient la forclusion encourue, les délais prescrits pour la délivrance du titre de séjour étant de rigueur, aucune nouvelle extension n'était possible après la date du 31 Juillet 1948;

D'où il suit que la notion de délai préfix était dans la cause devant la Cour d'appel et que l'administration des Domaines est recevable à reprendre cette notion à l'appui de son pourvoi;

Sur le fond:

Attendu que l'arrêt attaqué énonce que Bley, résidant en France depuis 1930, avait été mobilisé en 1939, dans son pays d'origine; qu'après être revenu en France, en juillet 1940, et affecté au siège de Paris d'une société de transports dont il était le directeur, il s'était constitué prisonnier à la Libération, qu'il avait été incarcéré jusqu'au 15 avril 1948 à la suite de différentes poursuites, tant en police correctionnelle pour infractions douanières, que devantla Cour de Justice de la Seine et le Tribunal Militaire de Paris, pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, poursuites terminées par des décisions de relaxe et d'acquittement; que ses biens avaient été placés sous séquestre le 20 avril 1945 et que, conformément aux dispositions de l'article 30 de la loi du 21 Mars 1947, Bley avait formé, le 3 Septembre 1947, dans le délai prescrit et en vue d'obtenir la restitution de ses biens, la demande qui avait été rejetée;

Attendu que le même arrêt observe exactement qu'aux termes du même texte, sont exclus des mesures de liquidation pour les biens ennemis ceux des ressortissants allemands qui justifieraient, au 1er Janvier 1946, d'une autorisation régulière et permanente de résider en territoire français et que, sous condition d'en faire la demande, avant le 31 décembre 1947, ceux pour qui l'autorisation de résidence aurait été délivrée postérieurement au 1er janvier 1946, pouvaient obtenir, soit le produit net de la liquidation de leurs avoirs, soit ces avoirs eux-mêmes, encore détenus par l'administration des domaines; que, compte tenu des délais ultérieurement accordés, les intéressés devaient avoir effectivement obtenu, avant le 31 Juillet 1948, l'autorisation de séjour prévue par la loi;

Attendu, enfin, que le même arrêt, après avoir constaté que Bley avait obtenu le 25 Mars 1954, la délivrance d'un titre régulier de résident ordinaire, conforme à l'article 30 de la loi susvisée, déclare que le délai prescrit pour la délivrance de ce titre, était susceptible de prorogation en cas de force majeure;

Attendu qu'ainsi, la Cour d'appel, a, à bon droit, trouvé dans la circonstance que ledit délai avait fait l'objet de différentes extensions, le preuve que, dans l'application qui en était faite, ce délai n'avait pas le caractère d'un délai préfix;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Sur le moyen pris en sa seconde branche:

Attendu que, selon le pourvoi, l'arrêt attaqué, pour ordonner la restitution des biens sequestrés, aurait décidé, à tort, que les circonstances constitutives de la force majeure avaient été la cause directe et exclusive du défaut d'autorisation dans le délai prescrit, alors que Bley ne pouvait exciper de la force majeure, puisque l'autorisation dépendait du pouvoir discrétionnaire de l'administration;

Mais attendu que l'arrêt observe qu'il n'était pas contesté, en fait, que Bley, incarcéré jusqu'au 15 avril 1948, puis, sous le coup de diverses informations jusqu'au 13 Juin 1952, s'était trouvé dans l'impossibilité de présenter utilement la demande de titre de séjour exigé par la loi; qu'on ne saurait considérer que cette situation était la conséquence d'un comportement fautif de l'intéressé puisque les mesures prises à son encontre s'étaient révélées sans fondement et que, d'autre part, il avait obtenu, par la suite, la carte de résident ordinaire, ce qui impliquait que son attitude avait été reconnue correcte après l'enquête dont il avait nécessairement été l'objet; qu'il résultait des conditions dans lesquelles Bley avait produit cette carte, qu'il aurait pu obtenir, avant la date limite, le titre exigé par la loi, si des évènements dont il ne portait aucune responsabilité, n'avaient constitué un obstacle insurmontable à l'obtention de ce titre; que l'irrégularité de sa situation au 31 Juillet 1948 ne pouvait être retenue pour lui dénier le bénéfice de la loi du 27 Mars 1947, dès lors que le retard ne provenait, ni de son fait, ni de l'exercice normal, par l'administration, de son pouvoir souverain;

Attendu que, par de tels motifs, qui répondent aux conclusions de l'administration de Domaines, la Cour d'appel, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, trouvé dans les éléments de fait qu'elle a constatés la présomption que l'administration compétente aurait, n'avaient été les circonstances relevées par l'arrêt, accordé en temps utile l'autorisation de séjour exigée par la loi; qu'ainsi elle a pu déduire des mêmes circonstances que le retard opposé à Bley provenait d'une force majeure et donner, à sa décision ordonnant la restitution des biens séquestrés, une base légale.

PAR CES MOTIFS:

Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 6 juillet 1960 par la Cour d'appel d'Orléans.

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