CA Nîmes, 4e ch. com., 17 janvier 2025, n° 24/02310
NÎMES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Vajou, Me Pitchouguina, Me Alquier, Me Chabaud
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 5 juillet 2024 par la SCI [14] et Madame [K] [V] à l'encontre du jugement du le 25 juin 2024 rendu par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° RG 2022F1130, rectifié par jugement du 27 juin 2024 rendu par le tribunal de commerce de Nîmes ;
Vu l'avis du 29 août 2024 de fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 19 décembre 2024;
Vu l'ordonnance du 27 septembre 2024 de référé rendue par le premier président de la cour d'appel de Nîmes (n° RG 24/00091) de rejet de la demande de suspension de l'exécution provisoire du jugement rendu le 25 juin 2024 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 6 décembre 2024 par Madame [K] [V] et la SCI [14], appelantes, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 11 décembre 2024 par la SELARL [12], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [16], suivant mandat confié par le tribunal de commerce de Nîmes par jugement du 5 avril 2022, et par la SELARL [12], ès qualités de liquidateur judiciaire la SCI [14], suivant mandat confié par le tribunal de commerce de Nîmes par jugement du 25 juin 2024, intimées, par la SELARL [11] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCI [14] désignée à ces fonctions suivant ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Nîmes du 18 septembre 2024 en remplacement de la SELARL [12], et par la SELARL [11] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [16] désignée à ces fonctions suivant ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Nîmes du 18 septembre 2024 en remplacement de la SELARL [12], intervenantes volontaires, et le bordereau de pièces qui y est annexé et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu la signification de la déclaration d'appel, de l'avis de fixation à bref délai, des conclusions de Madame [K] [V] et de la SCI [14], délivrée le 6 septembre à la SELARL [13], intimée, par acte laissé à une personne, qui s'est déclarée habilitée à le recevoir pour son destinataire ;
Vu les conclusions du ministère public déposées et notifiées le 10 décembre 2024.
Vu l'ordonnance du 29 août 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 12 décembre 2024.
***
Sur assignation d'un créancier, le tribunal de commerce a ouvert le redressement judiciaire de la société [16] par jugement du 9 février 2022, converti en liquidation judiciaire le 5 avril 2022.
La société [14] a été inscrite auprès du RCS de Nîmes depuis le 17 avril 2018 par Monsieur [J] [H] en qualité d'associé et co-gérant avec Madame [K] [H] (née [V]).
Elle a pour activité l'acquisition et la location de terrains et autres biens immobiliers. A partir du 3 février 2021, les 2 enfants du couple détenaient chacun 49.92 % des parts et les parents 50% chacun des votes.
Par exploit du 26 octobre 2022, la société [12], es qualités de liquidateur judiciaire de la société [16], a fait assigner la société [14] afin de voir ouvrir une procédure de liquidation judiciaire par extension de celle déjà ouverte à l'égard de la société [16], sur le fondement des articles L.621-l et L .640-l du code de commerce devant le tribunal de commerce de Nîmes.
Par jugement du 25 juin 2024, le tribunal de commerce de Nîmes, au visa des articles L. 621-1, L. 621-2 alinéa 2 et L. 640-l et L.641-l du code de commerce :
« Constate l'existence de relations financières anormales entre la SARL [16] et la SCI [15], caractéristiques de la confusion des patrimoines,
Ouvre la procédure de liquidation judiciaire sans période d'observation, par extension de celle déjà ouverte à l'égard de la SARL [16] conformément aux articles L.620-l et L.640-l du code de commerce.
A l'égard de
SCI [14]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Fixe au 9 août 2020 de cessation des paiements.
Désigne Madame [U] en qualité de juge commissaire et Madame [Z] en qualité de juge commissaire suppléant.
Désigne la SELARL [12] prise en la personne de Maître [S] en qualité de liquidateur judiciaire demeurant [Adresse 9].
Désigne la SELARL [13] prise en la personne de Maître [L] en qualité d'administrateur judiciaire demeurant [Adresse 2] avec pour mission d'assister le débiteur.
Désigne la SELARL [17] commissaire de justice, demeurant [Adresse 5], aux fins de dresser un inventaire et réaliser une prisée du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent conformément aux dispositions de l'article L 641-4 du code de commerce, avec faculté de délégation en cas d'incompétence territoriale.
Fixe le délai de déclaration des créances imparti aux créanciers à deux mois à compter de la publication au bodacc du présent jugement, conformément à l'article L641-7 du code de commerce,
Dit que le liquidateur devra déposer la liste des créances dans le délai de 12 mois à compter de la publication du présent jugement au bodacc.
Juge et dit que la clôture de la liquidation judiciaire devra être examinée au plus tard le 25 juin 2026.
Rappelle que conformément à l'article L.64I-9 du code de commerce, lorsque le débiteur est une personne morale, les dirigeants sociaux en fonction lors du prononcé du jugement de liquidation judiciaire le demeurent, sauf disposition contraire des statuts ou décision de l'assemblée générale.
Qu'en cas de nécessité, un mandataire peut être désigné en leur lieu et place par ordonnance du président du tribunal sur requête de tout intéressé, du liquidateur ou du ministère public.
Que le siège social est réputé fixé au domicile du représentant légal de l'entreprise ou du mandataire désigné.
Ordonne à Monsieur [H] [J] et Madame [V] [K] de communiquer sans délai au greffe de la juridiction ainsi qu'au mandataire liquidateur tout changement d'adresse de son domicile personnel afin qu'il puisse être joint à tout moment et sans délai pour les besoins de la procédure
Conformément à l'article R 641-6 du code de commerce,
Dit au greffier de notifier le présent jugement au débiteur ou lorsque le débiteur n'est pas demandeur de lui signifier ledit jugement par acte extra-judiciaire,
Ordonne les mesures de publicités prescrites par la loi.
Ordonne l'exécution provisoire.
Dit les dépens du présent jugement en frais privilégiés de procédure collective. ».
Par jugement rectificatif du 27 juin 2024, le tribunal de commerce de Nîmes :
« Constate que le jugement du 25 juin 2024 enrôlé sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3] est entaché d'une erreur matérielle patente en ce qu'il désigne la SELARL [13] prise en la personne de Maître [L] en qualité d'administrateur judiciaire demeurant [Adresse 2], avec pour mission d'assister le débiteur ;
Rectifie l'erreur matérielle en ce sens qu'il y a lieu de compléter la mission confiée à l'administrateur judiciaire dans le cadre de l'extension de la procédure de liquidation judiciaire à la SCI [14],
De sorte qu'il fallait lire :
« Désigne la SELARL [13] prise en la personne de Maître [L] en qualité d'administrateur judiciaire demeurant [Adresse 2], avec pour mission d'assister et de représenter la SCI [14] dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.
Ordonne au greffier de mentionner la présente décision rectificative sur la minute et sur les expéditions du jugement.
Ordonne au greffier de mentionner la présente décision rectificative sur la minute et sur les expéditions du jugement.
Ordonne les mesures de publicités prescrites par la loi.
Passe les dépens en frais privilégiés de ladite procédure collective. ».
La société [14] et Madame [K] [V] ont relevé appel le 5 juillet 2024 du jugement du 25 juin 2024, dans sa version issue du jugement rectificatif du 27 juin 2024, pour le voir annulé ou à tout le moins réformé en toutes ses dispositions.
Par ordonnance du 18 septembre 2024, le président du tribunal de commerce de Nîmes a désigné la société [11], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14] et de la société [16], et ce en remplacement de la société [12].
Dans leurs dernières conclusions, Madame [K] [V] et la SCI [14], appelantes, demandent à la cour, au visa des articles 917 et suivants du code de procédure civile, de :
« Dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la SCI [14] et Madame [K] [V] es qualité de gérante,
Y faisant droit,
Infirmer le jugement rendu le 25 juin 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes, RG 2022F1130, des chefs suivants :
Vu les dispositions des articles L. 621-1, L. 621-2 alinéa 2 et L. 640-1 et L.641-1 du code de commerce,
Constate l'existence de relations financières anormales entre la SARL [16] et la SCI [15], caractéristiques de la confusion des patrimoines,
Ouvre la procédure de liquidation judiciaire sans période d'observation, par extension de celle déjà ouverte à l'égard de la SARL [16] conformément aux articles L.620-1 et L.640-1 du code de commerce.
A l'égard de SCI [14], [Adresse 7]
Fixe au 09 août 2020 la date de cessation des paiements.
Désigne Madame [U] en qualité de juge commissaire et Madame [Z] en qualité de juge commissaire suppléant.
Désigne la SELARL [12] prise en la personne de Maître [S] en qualité de liquidateur judiciaire demeurant [Adresse 9].
Désigne la SELARL [13] prise en la personne de Maître [L] en qualité d'administrateur judiciaire demeurant [Adresse 2], avec pour mission d'assister le débiteur.
Désigne la SELARL [17] commissaire de justice, demeurant [Adresse 5], aux fins de dresser un inventaire et réaliser une prisée du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent conformément aux dispositions de l'article L 641-4 du code de commerce, avec faculté de délégation en cas d'incompétence territoriale.
Fixe le délai de déclaration des créances imparti aux créanciers à deux mois à compter de la publication au bodacc du présent jugement, conformément à l'article R 641-7 du code de commerce.
Dit que le liquidateur devra déposer la liste des créances dans le délai de 12 mois à compter de la publication du présent jugement au bodacc.
Juge et dit et que la clôture de la liquidation judiciaire devra être examinée au plus tard le 25 juin 2026.
Rappelle que conformément à l'article L.641-9 du code de commerce lorsque le débiteur est une personne morale, les dirigeants sociaux en fonction lors du prononcé du jugement de liquidation judiciaire le demeurent, sauf disposition contraire des statuts ou décision de l'assemblée générale.
Qu'en cas de nécessité, un mandataire peut être désigné en leur lieu et place par ordonnance du président du tribunal sur requête de tout intéressé, du liquidateur ou du ministère public.
Que le siège social est réputé fixé au domicile du représentant légal de l'entreprise ou du mandataire désigné.
Ordonne à Monsieur [H] [J] et Madame [V] [K] de communiquer sans délai au greffe de la juridiction ainsi qu'au mandataire liquidateur tout changement d'adresse de son domicile personnel afin qu'il puisse être joint à tout moment et sans délai pour les besoins de la procédure Conformément à l'article R 641-6 du code de commerce,
Dit au greffier de notifier le présent jugement au débiteur ou lorsque le débiteur n'est pas demandeur de lui signifier ledit jugement par acte extra-judiciaire.
Ordonne les mesures de publicités prescrites par la loi.
Ordonne l'exécution provisoire.
Dit les dépens du présent jugement en frais privilégiés de procédure collective.
Infirmer le jugement rectificatif rendu le 27 juin 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes, RG 2024F931, rectifiant le jugement susvisé, des chefs suivants :
le tribunal se saisissant d'office, constate que le jugement du 25 juin 2024 enrôlé sous le N°[N° SIREN/SIRET 3] est entaché d'une erreur matérielle patente en ce qu'il désigne la SELARL [13] prise en la personne de Maître [L] en qualité d'administrateur judiciaire demeurant [Adresse 2] avec pour mission d'assister le débiteur, rectifie l'erreur matérielle en ce sens qu'il y a lieu de compléter la mission confiée à l'administrateur judiciaire dans le cadre de l'extension de la procédure de liquidation judiciaire à la SCI [14], de sorte qu'il fallait lire « désigne la SELARL [13] prise en la personne de Maître [L] en qualité d'administrateur judiciaire demeurant [Adresse 2], avec pour mission d'assister et représenter la SCI [14] dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.» Ordonne au greffier de mentionner la présente décision rectificative sur la minute et sur les expéditions du jugement, ordonne les mesures de publicités prescrites par la loi. Passe les dépens en frais privilégiés de ladite procédure collective.
Ce faisant,
Infirmer le jugement d'extension rendu par tribunal de commerce de Nîmes du 25 juin 2024 rectifié par jugement du 27 juin suivant, les conditions cumulatives posées par la jurisprudence pour ordonner une extension de procédure n'étant pas réunies.
Et statuant à nouveau,
Débouter la SELARL [12], le procureur général et la SELARL [13] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SCI [14].
Débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires, outre appel incident.
Condamner la SELARL [12] aux entiers dépens de l'instance. ».
Au soutien de leurs prétentions, Madame [K] [V] et la SCI [14], appelantes, exposent que le liquidateur judiciaire doit caractériser des relations financières anormales incompatibles avec les obligations contractuelles réciproques normales et démontrer que ce déséquilibre a été systématiquement voulu par les auteurs de la confusion de patrimoine.
Elles relèvent que l'extension de la procédure collective est fondée sur l'existence de 3 virements émis par la société [16] au bénéfice de la SCI [14] et sur l'utilisation d'une partie du PGE accordé à la société [16] au profit de la SCI [14]. Elles réfutent cette motivation, faisant valoir qu'un prêt garanti par l'Etat n'est soumis à aucune règle d'affectation , que les trois virements litigieux consistent en des paiements de travaux pour réparer des locaux donnés à bail à [16] et dégradés par les ouvriers de cette société.
Elles font valoir que la mesure d'extension, qui doit rester exceptionnelle, porte atteinte de manière injustifiée et disproportionnée au principe de l'autonomie des personnes morales.
Les appelantes estiment en outre que le liquidateur judiciaire n'apporte pas la preuve de l'imbrication des patrimoines et réfute son argumentation critique sur le contrat de bail, la réalité de l'hébergement des salariés de [16] et les factures produites.
Enfin, elles considèrent que la somme de 62 960 euros virée par la société [16] à la SCI [14] n'a pas modifié sensiblement la constitution des patrimoines respectifs des deux sociétés en cause.
***
Dans leurs dernières conclusions, la société [12], ès qualités, intimée, et la société [11], ès qualités, intervenante volontaire, demandent à la cour, au visa de l'article L. 621-2 du code de commerce, de :
« Recevant l'intervention volontaire de la SELARL [11], ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés [14] et [16],
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nîmes dont appel, en ce qu'il a prononcé l'extension de la procédure collective de la société [16] à la personne de :
La société [14], société civile immobilière, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nîmes sous le numéro 839 016 789, au capital de 1 200 euros, dont le siège est [Adresse 7].
Débouter la société [14] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Dire et juger que les dépens de la présente instance seront employés en frais privilégiés de justice de la procédure collective. ».
Tout d'abord, les sociétés [12] et [11] indiquent que la société [12] a mis fin à son activité professionnelle et a été remplacée par la société [11], selon ordonnances rendues par le président du tribunal de commerce de Nîmes le 18 septembre 2024, d'où l'intervention volontaire à la procédure de la société [11] es qualités.
Au soutien de leurs prétentions, la société [12], es qualités, et la société [11], es qualités, exposent que la confusion des patrimoines ne nécessite pas de constater une imbrication permanente et inextricable des patrimoines, ni une volonté de confondre les patrimoines et qu'il importe peu que les opérations critiquées aient été comptabilisées.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que la société [16] n'a aucun lien de droit avec la SCI [14] et n'a aucune raison de lui servir des sommes. Il relève que Monsieur [H] qui aurait signé le bail entre les deux sociétés conteste sa signature électronique et que les diverses erreurs émaillant ce bail démontrent qu'il s'agit d'un faux. Il qualifie les prétendues dégradations des ouvriers de [16] de fantaisistes, fait état d'un registre du personnel qui ne mentionne pas les adresses des salariés dans cette location et considère enfin que le loyer est d'un montant excessif.
Le liquidateur judiciaire s'appuie quant à lui sur la proposition de rectification fiscale qui a procédé à des réhaussements et des taxations d'office, avec majorations pour man'uvres frauduleuses.
Le liquidateur judiciaire réfute le critère de proportionnalité qui ne s'applique pas à la procédure d'extension qui n'a d'autre objectif que de reconstituer la réalité économique de l'entreprise.
Le ministère public conclut à la confirmation du jugement déféré aux motifs que :
« Attendu qu'il est en effet établi l'existence de flux anormaux entre la société SARL [16] et la SCI [14] dont Madame [V] [K] était associée et co-gérante ;
Qu'en particulier les 4 virements pour un montant de 69 800 euros émis par la société commerciale au profit de la SCI [14] entre le 02 avril 2020 et le 16 septembre 2020, dont un montant de 40 000 euros provenant des fonds perçus par la société [16] au titre du PGE, permettent d'établir l'anormalité des flux financiers entre les deux entités ;
Que s'il a été argué de l'existence d'un bail conclu entre les deux sociétés, force est de constater qu'aucun justificatif n'a été versé à la procédure collective ;
Que dès lors, ces virements prélevés sur les comptes de la SARL [16] n'entraient pas dans le cadre de l'objet social de celle-ci et n'étaient fondés sur aucun lien juridique entre les deux entités ;
Qu'ainsi ces flux financiers caractérisent une confusion de patrimoines justifiant une extension de la procédure collective de la liquidation judiciaire initialement ouverte à l'égard de la SARL [16] à la SCI [14] sur le fondement de l'article L.621-2 du code de commerce ».
***
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur l'intervention volontaire de la société [11] :
La société [12] a mis fin à son activité professionnelle et a été remplacée par la société [11], selon ordonnances rendues par le président du tribunal de commerce de Nîmes le 18 septembre 2024. L'intervention volontaire de la société [11] es qualités est par conséquent recevable.
Sur le fond :
Aux termes de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde, applicable à la liquidation judiciaire en vertu de l'article L.641-1 I, « à la demande (') du mandataire judiciaire ('), la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes, en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ».
Selon la cour de cassation, les juges du fond, pour caractériser des relations anormales constitutives d'une confusion des patrimoines, n'ont pas à rechercher si ces relations anormales ont augmenté le passif à la procédure collective dont l'extension est demandée.
Com. 16 juin 2015 n°14-10.187
Il n'est pas non plus nécessaire de démontrer que les relations financières anormales aient appauvri la société débitrice soumise à la procédure collective dont l'extension est demandée.
Com. 2 décembre 2016 n°15-13.006
La confusion des patrimoines de plusieurs sociétés peut se caractériser par la seule existence de relations financières anormales entre elles, sans qu'il soit nécessaire de constater que les actifs et passifs des différentes sociétés en cause sont imbriqués de manière inextricable et permanente.
Com. 28/02/2018 n°1624507
Il importe peu que certaines des opérations reprochées soient inscrites en comptabilité dès lors que sont établies des relations financières anormales.
Com. 28/02/2018 n°1626735
Le demandeur à l'action en extension doit rapporter la preuve :
D'un mélange patrimonial avec transfert d'actif ou de passif d'un patrimoine à l'autre,
D'un déséquilibre patrimonial significatif, tenant à une absence de contrepartie,
du caractère anormal et systématique des relations financières, soit parce que ces relations ne peuvent se rattacher à aucune obligation juridique, soit au fait que ces relations soient dépourvues d'intérêt pour l'appauvri.
Pour ce faire, il est admis que les juges du fond puissent s'appuyer sur un ensemble d'indices concordants.
En l'espèce, la société [14] a reçu courant 2020, de la société [16], les sommes suivantes :
- 29 mai 2020 : 40.000 euros,
- 10 septembre 2020 : 15.960,20 euros,
- 16 septembre 2020 : 7.000 euros.
Il ressort de la proposition de rectification fiscale signifiée le 9 décembre 2022 - dont il n'est pas argué qu'elle ait fait l'objet d'un recours ' que Madame [V] n'a apporté aucune justification quant à la raison de ces versements (page 57 de la proposition).
Dans le cadre de cette instance, Madame [V] indique :
- les virements du 29 mai 2020 de 40.000 euros et de 7000 euros du 16 septembre 2020 sont la contrepartie de la location de locaux à Monsieur [H] et à ses salariés sur la période du 1er avril 2019 au 31 août 2020 ;
- le virement du 10 septembre 2020 de 15.960 euros correspond à des paiements de factures de réparation des dégradations causées par les ouvriers de la société [16].
A l'appui de ses allégations, Madame [V] verse un certain nombre de pièces dont certaines sont inopérantes par principe. Ainsi « le mail adressé à l'agence du Midi (') daté du 14 mars 2019 démontrant la réalité des dégradations » ne peut concerner une location débutant le 1er avril 2019, selon les dires mêmes de Madame [V]. De même l'attestation de Monsieur [T] est dépourvu de toute valeur probante, en ce qu'il se présente comme un salarié de la société [16] alors qu'il n'est pas inscrit sur le registre du personnel de cette société.
Madame [V] produit un contrat de bail signé numériquement par Monsieur [H] le 14 mars 2019.
En vertu de l'article 1367 alinéa 2 du code civil et du décret du 28 septembre 2017, la fiabilité d'un procédé de signature électronique est présumée jusqu'à preuve contraire.
Madame [V] relève que le bail comporte la référence de la blockchain qui authentifie la signature, ce qui est exact.
Cependant la signature électronique du bailleur est celle de la SCI [15] et non de la SCI [14]. Monsieur [H], par l'intermédiaire de son conseil, nie quant à lui avoir signé un bail avec la SCI [14].
Il ne peut donc être retenu qu'un contrat de bail a été signé électroniquement entre la SCI [14] et Monsieur [H] et il ne peut servir de cause aux virements litigieux. S'il peut y avoir bail verbal, comme le soutient encore Madame [V], encore faut-il rapporter la preuve de la mise à disposition de locaux en contrepartie du versement de loyers. Une simple facture du 1er avril 2019 portant sur une demande en paiement de loyers du 1er avril 2019 au 31 août 2020 pour 33 333,33 euros HT et des travaux pour 5 833,33 euros HT ne saurait suffire à apporter cette démonstration. D'autant que cette facture se présente comme une facture de [16] (avec les images de son outillage dans le logo) à la SCI et les mentions du capital social ainsi que du numéro Siret sont erronées : le Kbis de la société [14] indique un capital social de 1 200 euros et un n°d'immatriculation [N° SIREN/SIRET 8] alors que la facture fait état d'un capital social de 5 000 euros et d'un n° siret [N° SIREN/SIRET 6] APE 453E.
Il demeure donc des factures de travaux qui n'ont pas à être supportés par la société [16], laquelle n'est pas obligée juridiquement avec la SCI [14] et a sa propre personnalité morale.
Le liquidateur judiciaire démontre ainsi un transfert à 3 reprises d'éléments d'actif de la société [16] à destination de la SCI [14], l'existence d'un déséquilibre patrimonial significatif, tenant à une absence de contrepartie à ces 3 virements dont le caractère anormal et systématiquement fait à sens unique, sont dépourvues de tout intérêt pour la société [16].
Les relations anormales entre les deux sociétés sont donc caractérisées par ces trois virements effectués à quelques mois d'intervalle et il est indifférent que ces mouvements soient inscrits en comptabilité ou réintégrés dans les revenus fonciers de la SCI [14] par l'administration fiscale. Elles sont constitutives d'une confusion des patrimoines qui implique une extension de la procédure collective de la société [16] à la SCI [14], ce qui est parfaitement proportionnée à la gravité des faits qui mettent en lumière une volonté de porter atteinte à l'autonomie des personnes morales par l'appauvrissement de la société [16] au profit de la SCI [14].
Les dépens de l'instance seront pris en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Reçoit l'intervention volontaire de la SELARL [11], ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés [14] et [16],
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions déférées à la cour,
Dit que les dépens seront pris en frais privilégiés de procédure collective,
Dit qu'en application de l'article R.621-8-1 du code du commerce, la présente décision sera signifiée à la société [16] et à la SCI [14] dans les 8 jours de sa date à la diligence du greffe de la cour d'appel.
Dit qu'une copie de la présente décision sera adressée à la société [11] es qualités de liquidateur judiciaire de la société [16] et de la SCI [14], au ministère public, au directeur départemental des Finances Publiques du Gard, conformément aux dispositions de l'article R.621-7 du code de commerce,
Dit qu'une copie de la présente décision sera transmise dans les huit jours de son prononcé au greffier du tribunal de commerce de Nîmes pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues aux articles R.621-8 et R.123-124 du code du commerce.