CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 17 janvier 2025, n° 22/15057
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Touraine Emballage Recyclage (SAS), Sufilog (SASU)
Défendeur :
Transgourmet Operations (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Vice-président :
Mme Salord
Conseiller :
M. Buffet
Avocats :
Me Wlodarczyk, SCP Lagourgue & Olivier, Me Bloret-Pucci, AARPI BCTG Avocats
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement rendu le 24 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,
Vu l'appel interjeté le 10 août 2022 par la société Touraine Emballage Recyclage et la société Sufilog,
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2024 par les sociétés Touraine Emballage Recyclage et Sufilog, appelantes,
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2024 par la société TransGourmet Opérations, intimée,
Vu l'ordonnance de clôture du 10 octobre 2024.
SUR CE, LA COUR,
La société Touraine Emballage Recyclage (ci-après désignée la société TER) est spécialisée dans la location et la maintenance de matériels de manutention et de supports de stockage, en particulier en fils métalliques, à savoir les chariots ou « rolls » de transport.
Elle est titulaire d'un brevet français n°03 02695 (ci-après FR 695), déposé le 5 mars 2003 sous priorité du brevet français n°02 15523, délivré le 13 octobre 2006 et intitulé « Chariot de transport de marchandises comportant au moins un volet anti-chute ». Elle a concédé une licence sur le brevet à effet au 5 septembre 2017 à sa filiale, la société Sufilog. Un « acte confirmatif de licence de brevet » en date du 21 mars 2019 a été inscrit au registre des brevets le 18 avril 2019.
Le brevet a expiré le 5 mars 2023.
La société TransGourmet Opérations (ci-après désignée la société « TransGourmet ») a pour activité le commerce de gros alimentaire non spécialisé, notamment auprès des professionnels de la restauration. Elle s'est fournie entre 2008 et 2017 auprès de la société TER en chariots munis de volets anti-chute.
Ayant appris l'importation en France par la société TER, par l'intermédiaire de la société CBL Liner, agent maritime commissionnaire, de volets anti-chute fabriqués en Chine par la société Hangzhou Only Tool Co. Ltd qu'elle estime contrefaire les revendications de son brevet FR 695, la société TER a déposé deux demandes d'intervention douanière auprès de la direction générale des douanes le 8 février 2019 à la suite desquelles une mesure de retenue portant sur 35 670 volets anti-chute a été réalisée par la direction régionale des douanes du [Localité 4] le 5 mars 2019, suivie d'opérations de saisie-contrefaçon le 12 mars 2019 autorisées par ordonnance du président du tribunal grande instance de Paris du 8 mars 2019.
Par actes d'huissier du 2 avril 2019, les sociétés TER et Sufilog ont assigné les sociétés CBL et TransGourmet en référé pour voir prononcer des mesures d'interdiction provisoire.
Après désistement réciproque vis-à-vis de la société CBL, le juge des référés, par ordonnance du 28 juin 2019, a retenu une atteinte vraisemblable au brevet FR 695, prononcé une mesure d'interdiction provisoire avec rappel des circuits commerciaux, enjoint la production d'éléments financiers et alloué aux demanderesses une indemnité provisionnelle de 75 000 euros.
Par arrêt du 14 septembre 2021, la cour d'appel de Paris a :
- confirmé l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 28 juin 2019 en toutes ses dispositions,
et y ajoutant :
- dit que la société Sufilog est recevable à agir,
- dit qu'il n'existe pas de contestation sérieuse quant à la validité du brevet FR 695,
- dit que la détention et l'utilisation en France, par la société TransGourmet des chariots et des volets anti-chute reproduisant les revendications 1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet FR 695 porte une atteinte vraisemblable aux droits de de la société TER,
- fait interdiction à la société TransGourmet d'utiliser et détenir des volets anti-chute reproduisant les revendications du brevet FR 695, seuls ou agencés sur des chariots de stockage, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée,
- débouté la société TransGourmet de ses demandes de restitution de la provision et de remboursement des frais liés à la mise en 'uvre de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019,
- débouté les sociétés TER et Sufilog de leurs demandes visant à ordonner à la société TransGourmet de justifier du rappel et du retrait des circuits commerciaux des 11 971 volets contrefaisants encore en circulation et d'informer ses filiales et clients de la teneur de la décision,
- condamné la société TransGourmet à verser à aux sociétés TER et Sufilog une somme de 75 000 au titre des frais de procédure.
Par actes du 11 avril 2019, les sociétés TER et Sufilog ont fait assigner les sociétés TransGourmet et CBL devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de brevet. Elles se sont désistées de leurs demandes vis-à-vis de la société CBL par conclusions du 10 juillet 2019, désistement constaté par ordonnance du juge de la mise en état du 25 octobre 2019.
La société TER a déposé le 17 décembre 2020 une requête en limitation auprès de l'INPl modifiant les revendications 1 et 35 de son brevet FR 695, limitation acceptée le 6 mai 2021.
Par jugement du 24 juin 2022, le tribunal judiciaire de Paris a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- dit la société Sufilog recevable à agir,
- dit que les revendications n°1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695 de la société TER sont dépourvues d'activité inventive,
En conséquence,
- prononcé la nullité des revendications n°1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695,
- dit que la décision sera retranscrite au registre des brevets tenu par l'INPI sur demande la partie la plus diligente,
- débouté en conséquence les sociétés TER et Sufilog de leurs demandes fondées sur la contrefaçon des revendications n° 1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695,
- ordonné à la société TER de restituer la provision à valoir sur dommages et intérêts de 75 000 euros réglée par la société TransGourmet en exécution de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019 par chèque adressé le 29 juillet 2019 par l'intermédiaire de son conseil,
- condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog à payer à la société TransGourmet les sommes de 8 383,10 euros en remboursement des frais de constats d'huissier générés par l'exécution de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019 et 4 000 euros au titre du préjudice économique et moral subi par elle,
- condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog à payer à la société TransGourmet la somme de 120 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog aux entiers dépens.
Suite à une requête en omission de statuer déposée par les sociétés TER et Sufilog le 12 août 2022, par jugement du 13 janvier 2023, le tribunal judiciaire a ordonné que le jugement du 24 juin 2022 ne puisse être mis à la disposition des tiers que dans une version non confidentielle jointe au jugement.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2024, les sociétés TER et Sufilog demandent à la cour de :
A titre principal :
Annuler, réformer ou infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 24 juin 2022 en ce qu'il a :
- débouté les sociétés TER et Sufilog de leurs demandes et fait droit aux demandes de la société TransGourmet, et notamment :
- dit que les revendications n°1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695 sont dépourvues d'activité inventive,
- prononcé la nullité des revendications n°1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695,
- autorisé la retranscription au registre des brevets tenu par l'INPI de la décision prononçant ladite nullité sur demande de la partie la plus diligente,
- les a déboutées de leurs demandes fondées sur la contrefaçon des revendications 1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695, en particulier :
interdire à la société TransGourmet d'importer en France, offrir en vente et vendre des volets anti-chute reproduisant les revendications du brevet français n°03 02695, sous astreinte non comminatoire de 10 000 euros par infraction constatée, dès la signification du jugement à intervenir, étant précisé que chaque acte d'importation, d'offre à la vente et de vente en France, d'un ou plusieurs volets, seuls ou agencés sur des chariots, constituerait une infraction distincte,
interdire à la société TransGourmet d'utiliser et détenir des volets anti-chute reproduisant les revendications du brevet français n°03 02695, seuls ou agencés sur des chariots de stockage, sous astreinte de 100 euros par volet et par jour de retard,
se réserver de liquider l'astreinte ordonnée conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution,
condamner la société TransGourmet à réparer le préjudice causé à la société Sufilog et, en conséquence, à lui payer la somme de 573 387,84 euros correspondant à sa marge perdue sur les ventes manquées de volets anti-chute, chariots et étagères pour les années 2018 et 2019,
condamner la société TransGourmet à réparer le préjudice causé à la société TER et, en conséquence, à lui payer la somme de 50 000 euros du fait de l'atteinte à son brevet,
ordonner la destruction des volets anti-chute reproduisant la revendication 35 du brevet français n°03 02695, se trouvant en possession de la société TransGourmet et retenus dans leur lieu de stockage ou tout autre lieu sous son contrôle, et enjoindre à la société TransGourmet d'en justifier dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,
rappeler des circuits commerciaux les volets anti-chute qui ne se trouvent pas en la possession de la société TransGourmet pour qu'ils soient écartés de ces circuits, le tout sous contrôle de tous huissiers au choix de la société TER et aux frais de la société TransGourmet et enjoindre à la société TransGourmet d'en justifier dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,
ordonner à la société TransGourmet d'informer ses filiales et clients qui ont commandé, acheté ou utilisé les volets anti-chute contrefaisants, de la teneur du présent jugement dans les 15 jours de son prononcé, sous astreinte non comminatoire de 10 000 euros par jour de retard, et en rendre compte aux sociétés TER et Sufilog à l'issue de ce délai,
autoriser les sociétés TER et Sufilog à faire publier par extraits le jugement à intervenir dans cinq journaux ou périodiques français ou étrangers de son choix, aux frais de la société TransGourmet, à concurrence de 10 000 euros HT par insertion,
ordonner la publication du jugement à intervenir en français et en anglais sur la page d'accueil de tout site Internet exploité par la société TransGourmet, ou toute société lui étant liée, en particulier le site www.transgourmet.fr,
ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel, à tout le moins en ce qui concerne la mesure de défense de récidiver sous astreinte,
débouter la société TransGourmet de l'ensemble de ses demandes,
condamner la société TransGourmet à payer aux sociétés TER et Sufilog une somme totale de 375 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire,
condamner la société TransGourmet aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné à la société TER de restituer la provision à valoir sur dommages et intérêts de 75 000 euros réglée par la société TransGourmet en exécution de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019 par chèque adressé le 29 juillet 2019 par l'intermédiaire de son conseil,
- condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog à payer à la société TransGourmet les sommes de :
- 8 383,10 euros en remboursement des frais de constats d'huissier générés par l'exécution de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019, et
- 4 000 euros au titre du préjudice économique et moral subi par elle,
- condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog à payer à la sociétés TransGourmet la somme globale de 120 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog aux entiers dépens,
Et, statuant à nouveau :
- dire et juger que la société TransGourmet a commis des actes de contrefaçon du brevet français n°03 02695 en important, détenant et utilisant en France, des chariots et volets anti chute reproduisant les revendications 1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695 de TER,
- condamner la société TransGourmet à réparer le préjudice causé et, en conséquence :
- à titre principal, à payer à la société Sufilog la somme de 573 387,84 euros correspondant à sa marge perdue sur les ventes manquées de volets anti-chute, chariots et étagères pour les années 2018 et 2019 ainsi qu'une somme 8 205 euros correspondant au bénéfice injustement réalisé par la société TransGourmet du fait de la poursuite de la contrefaçon et de l'impossibilité de procéder rétroactivement aux interdictions qui avaient été demandées,
- à titre subsidiaire, à payer à la société TER la somme de 512 640 euros correspondant à la redevance indemnitaire qui aurait été due à la société TER par la société TransGourmet ainsi que la somme de 8 205 euros correspondant au bénéfice injustement réalisé par la société TransGourmet du fait de la poursuite de la contrefaçon et de l'impossibilité de procéder rétroactivement aux interdictions qui avaient été demandées,
- condamner la société TransGourmet à réparer le préjudice causé à la société TER et, en conséquence, à lui payer la somme de 50 000 euros du fait de l'atteinte à son brevet,
- ordonner à la société TransGourmet d'informer ses filiales et clients qui ont commandé, acheté ou utilisé les volets anti-chute contrefaisants, de la teneur du présent arrêt dans les 15 jours de son prononcé, sous astreinte non comminatoire de 10 000 euros par jour de retard, et en rendre compte aux sociétés TER et Sufilog à l'issue de ce délai,
- autoriser les sociétés TER et Sufilog à faire publier par extraits le jugement à intervenir dans cinq journaux ou périodiques français ou étrangers de son choix, aux frais de TransGourmet, à concurrence de 10 000 euros H.T par insertion,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir en français et en anglais, pendant un mois, sur la page d'accueil de tout site internet exploité par la société TransGourmet, ou toute société lui étant liée, en particulier et à tout le moins le site www.transgourmet.fr,
- fixer l'audience de plaidoiries et tenir ces dernières à huis clos lorsque seront discutés des secrets d'affaires, afin d'exclure les membres du public extérieurs au cercle de confidentialité,
- prononcer l'arrêt en chambre du conseil,
- adapter la motivation de l'arrêt et les modalités de publicité de celui-ci afin de ne pas citer le contenu des pièces confidentielles,
En tout état de cause :
- condamner la société TransGourmet à payer aux sociétés TER et Sufilog une somme totale de 440 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire,
- condamner la société TransGourmet aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2024, la société TransGourmet Opérations demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judicaire de Paris le 24 juin 2022, en ce qu'il a :
prononcé la nullité des revendications n°1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet n°03 02695 ;
débouté les sociétés TER et Sufilog de leurs demandes fondées sur la contrefaçon du brevet n°03 0295,
ordonné à la société TER de restituer la provision à valoir sur dommages-intérêts de 75 000 euros, payée par la société TransGourmet en exécution de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019,
condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog à payer à la société TransGourmet la somme de 8 383,10 euros en remboursement des frais de constat d'huissier générés par l'exécution de l'ordonnance de référé du 28 juin 2019 et 400 000 euros au titre du préjudice économique et moral subi par elle,
condamné in solidum les sociétés TER et Sufilog à lui payer la somme globale de 120 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Mais pour le surplus, statuant sur l'appel incident de la société TransGourmet :
- juger le brevet n°03 0295 nul pour extension de son objet au-delà de la demande telle que déposée,
- juger le brevet n°03 02695 nul pour accroissement de l'étendue de la protection,
- juger le brevet n°03 02695 nul pour insuffisance de description,
- condamner in solidum les sociétés TER et Sufilog à lui payer une somme complémentaire de 1.141.400 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices,
En tout état de cause :
- débouter les sociétés TER et Sufilog de l'ensemble de leurs prétentions, fins et moyens,
- condamner in solidum les sociétés TER et Sufilog à lui payer la somme complémentaire de 180 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les sociétés TER et Sufilog aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 octobre 2024.
SUR CE,
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur la demande de nullité du jugement
Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
La cour constate que la demande de nullité du jugement figurant dans le dispositif des dernières conclusions des appelantes n'est soutenue par aucun moyen.
Il s'ensuit que cette demande doit être rejetée.
Sur les demandes au titre du secret des affaires
Aux termes de la note d'audience établie le 17 octobre 2024, jour des plaidoiries, les sociétés TER et Sufilog ont renoncé à leur demande tendant à ce que l'audience de plaidoiries ait lieu à huis clos. L'audience a donc été publique.
Les appelantes demandent à ce que l'arrêt soit prononcé en chambre du conseil et d'adapter sa motivation et ses modalités de publicité afin de ne pas citer le contenu des pièces confidentielles. Elles font valoir qu'elles ont mis en place un cercle de confidentialité avec l'intimée dans le cadre des débats judiciaires relatifs à l'évaluation des préjudices pour protéger la confidentialité des informations commercialement sensibles.
Dans le dispositif de ses dernières écritures, l'intimée demande de débouter de l'ensemble de leurs demandes les sociétés TER et Sufilog.
Les appelantes ne donnent aucun fondement juridique à leurs demandes.
En vertu de l'article L.153-1-4° du code du commerce, lorsque dans une instance civile, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense, adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.
L'article R.153-10 du même code dispose que « à la demande d'une partie, un extrait de la décision ne comportant que son dispositif, revêtu de la formule exécutoire, peut lui être remis pour les besoins de son exécution forcée.
Une version non confidentielle de la décision, dans laquelle sont occultées les informations couvertes par le secret des affaires, peut être remise aux tiers et mise à la disposition du public sous forme électronique ».
Selon accord du 24 septembre 2020, modifié par avenant du 18 mars 2021, les parties ont mis en place un cercle de confidentialité pour définir les règles régissant quelles personnes auront accès aux documents et aux informations confidentiels produits dans le cadre de la présente procédure. En cours de procédure, elles n'ont saisi le juge d'aucune demande portant sur la protection du secret des affaires.
En l'espèce, les parties n'expliquent pas en quoi la dérogation au principe de publicité du jugement est nécessaire, ne donnant aucun élément pour caractériser la conformité des informations qu'elles veulent voir protéger au titre du secret des affaires aux critères de l'article L. 151-1 du code de commerce.
La cour constate au vu des deux jeux de conclusions des appelantes, une version confidentielle et une version non confidentielle, que les informations caviardées concernent la marge perdue de la société Sufilog sur les ventes de volets anti-chute et les pièces confidentielles, les attestations de son expert-comptable portant sur les marges brutes réalisées sur les volets anti-chute, rolls et étagères (pièces 7-1 et 7-2).
Or, le brevet en cause ayant expiré ainsi que la licence dont bénéficiait la société Sufilog aux termes du contrat en date du 21 mars 2019 (page 2 du contrat), la protection au titre du secret des affaires des marges réalisées par la licenciée n'est plus justifiée.
Il s'ensuit que les demandes à ce titre doivent être rejetées.
Présentation du brevet FR 695
Le brevet FR 695 porte sur un chariot destiné au stockage, déplacement et à la livraison de marchandises et produits divers comportant des volets anti-chute.
Il est exposé que dans l'état de la technique, le charriot comprend une base, dite embase, montée sur quatre roulettes avec deux ridelles formées d'une grille métallique. Pour maintenir correctement les produits ou marchandises sur le chariot, il est généralement utilisé du film étirable enroulé en multicouches autour du chariot une fois celui-ci chargé. Ce film n'étant pas réutilisable, son utilisation présente un coût financier et écologique.
Pour résoudre la problématique du maintien des marchandises sans utilisation de film plastique et de faciliter le déplacement des marchandises sans risque de chutes, le brevet propose de placer sur le chariot, composé d'une embase sur laquelle sont montées deux ridelles verticales, une feuille souple (dite volet anti-chute) pour recouvrir au moins un côté du chariot entre les deux ridelles, de manière amovible par rapport à au moins une des ridelles. Le volet anti-chute est lié à au moins deux sangles non élastiques horizontales, qui sont équipées de moyens de fixation.
La figure 2 du brevet, qui représente la vue d'un chariot conforme au brevet, est reproduite ci-dessous, les légendes ayant été ajoutées par les appelantes.
Le brevet FR 695, dans sa version après limitation, seule soumise à l'examen de la cour, se compose de 35 revendications. Sont opposées au titre de la contrefaçon les revendications 1 et 35, présentées comme indépendantes, ainsi que les revendications dépendantes 2, 7 à 9, 11 à 13 et 19 :
Revendication 1
Chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130) montées sur celle-ci, le chariot comprenant en outre des moyens anti-chute, caractérisé par le fait que lesdits moyens sont constitués de deux volets anti-chute (140) symétriques formés chacun d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) d'au moins deux sangles (160) horizontales fixées sur la feuille souple et équipées sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée.
Revendication 2
Chariot selon la revendication 1, caractérisé par le fait que les sangles sont non élastiques.
Revendication 7
Chariot selon l'une des revendications 1 à 6, caractérisé par le fait que chaque volet (140) comprend trois sangles (160).
Revendication 8
Chariot selon l'une des revendications 1 à 7, caractérisé par le fait que chaque volet (140) comprend une sangle supérieure (162) située au voisinage du bord horizontal supérieur de la feuille (150), une sangle médiane (164) située de préférence sensiblement à mi-hauteur de la feuille (150) ; et une sangle inférieure (166) située sur le bord inférieur de la feuille (150).
Revendication 9
Chariot selon l'une des revendications 1 à 8, caractérisé par le fait que la feuille (150) est formée à base de matière plastique.
Revendication 11
Chariot selon l'une des revendications 1 à 10, caractérisé par le fait que chaque sangle (160) est réalisée en un matériau à base de matière plastique.
Revendication 12
Chariot selon l'une des revendications 1 à 11, caractérisé par le fait que chaque sangle (160) est réalisée en polypropylène. ·
Revendication 13
Chariot selon l'une des revendications 1 à 12, caractérisé par le fait que chaque sangle (160) est cousue sur la feuille (150).
Revendication 19
Chariot selon l'une des revendications 1 à 18, caractérisé par le fait qu'un volet (15 0) est muni d'un porte étiquettes.
Revendication 35
Volet conforme aux moyens définis dans l'une quelconque des revendications 1 à 34, le volet étant formé d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) et d'au moins deux sangles (160) horizontales fixées sur la feuille souple et équipées sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée.
La revendication 35 consiste en la reprise des caractéristiques de la revendication 1, ce que reconnaissent les appelantes et l'intimée dans leurs conclusions (respectivement page 69 et 34), cette dernière étudiant en premier lieu l'activité inventive de la revendication 35. D'ailleurs, dans ses observations dans le cadre de la requête en limitation (pièce 2-16), la société TER indique que la revendication 35 définit le volet anti-chute qui comprend les caractéristiques de la revendication 1. Cette revendication présentée comme indépendante est donc en réalité dépendante de la revendication 1.
Le domaine de l'invention porte sur les chariots destinés au stockage, au déplacement et à la livraison de marchandises.
Le problème technique que le brevet veut résoudre est le maintien de marchandises sur le chariot sans utilisation de film étirable.
Le jugement déféré a retenu que l'homme du métier peut se définir comme un spécialiste du stockage, du déplacement et/ou de la livraison de marchandises ou produits divers sur des chariots, ce qui n'est pas contesté. Le tribunal a en outre justement précisé que, sans être un spécialiste des moyens de fermeture, l'homme du métier sera porté à ouvrir ses recherches à des domaines techniques proches pour résoudre les problèmes de maintien de marchandises.
Sur la validité des revendications 1, 2, 7, 8 , 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet FR 695
Sur l'activité inventive
La société TransGourmet demande de confirmer le jugement qui a jugé que les revendications opposées étaient dénuées d'activité inventive.
Les appelantes soutiennent que l'homme du métier ne serait pas parvenu à l'invention contestée en combinant les différents documents opposés.
Aux termes de l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle :
« Le brevet est déclaré nul par décision de justice :
Si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 ».
Selon l'article L. 611-10 du même code :
« 1. Sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle.»
L'article L. 611-14 du même code dispose : « Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ».
L'appréciation du caractère inventif implique de déterminer si eu égard à l'état de la technique l'homme du métier, au vu du problème que l'invention prétend résoudre, serait parvenu à la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations.
L'activité inventive se définit au regard du problème spécifique auquel est confronté l'homme du métier et il convient de comparer le brevet litigieux avec l'ensemble des antériorités, prises isolément ou en combinaison.
Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à l'homme du métier, ils permettaient à l'évidence à ce dernier d'apporter au problème résolu par l'invention la même solution que celle-ci.
En l'espèce, la société TransGourmet oppose au brevet contesté le document CLAES en combinaison avec les documents [R], [D] et JHRG qui constituent selon elle l'état de la technique opposable.
Le document CLAES est un brevet belge n°1012707A6 intitulé « Enveloppe réutilisable » déposé le 7 juin 1999 et publié le 6 février 2001.
Il concerne le même domaine technique que le brevet contesté, soit des chariots pourvus de ridelles sur les côtés et utilisés pour stocker et transporter des marchandises, et vise à résoudre le même problème, à savoir empêcher la chute des marchandises sans utiliser du film plastique dont l'usage est fastidieux et coûteux.
La revendication 1 porte sur une feuille souple ou pliante solide qui se déforme pour devenir une enveloppe placée autour d'un chariot par des systèmes de fixation et se caractérise par le fait qu'en raison de sa matière, elle est réutilisable, peut être fixée ou non en permanence sur le chariot, est pourvue d'une trappe d'accès pour stocker les marchandises dans le chariot, cette trappe d'accès étant équipée d'un mécanisme de fermeture pour empêcher les marchandises de tomber.
Le brevet CLAES reproduit cette figure :
Le document [D] est un brevet américain n° 3 420 379 intitulé « Dispositif de transport de charges » déposé le 8 juillet 1966 et publié le 7 janvier 1969. La description précise qu'il est connu d'emballer les marchandises sur des palettes en entrepôts et de les charger avec un chariot élévateur, ce qui n'est ni pratique, ni toujours possible. L'invention propose ainsi un dispositif de manutention de charges qui peut être transporté facilement par un seul homme et qui ne réduit pas matériellement la quantité de marchandises transportées. L'autre aspect de cette invention est de fournir un dispositif de manutention de charges comprenant une base de support de charge et des parois de retenue de charge amovibles qui, en position de travail, n'empiètent pas sur la surface de support de charge et peuvent supporter des manipulations violentes sans subir de déformation. La figure 1 du brevet est reproduite ci-dessous.
La demande de brevet européen JHRG n°11167234, publiée le 2 janvier 2002, intitulée « Fermeture en tissu pour conteneurs de marchandises à extrémité ouverte », concerne les rideaux ou fermeture pour recouvrir les extrémités ouvertes de conteneurs de marchandises, remorques à bagages et camions. La description indique que les systèmes de fermeture de porte pour conteneurs de fret présentent une faible durée de vie, un problème de sécurité de la cargaison et une augmentation du poids, des besoins en main d''uvre et de coûts de transports. L'invention porte sur une fermeture unitaire pour couvrir les ouvertures des conteneurs de fret, remorques à bagage et camions résistant aux coupures et susceptibles d'empêcher la chute de cargaison. La fermeture unitaire en tissu et à sanglage fonctionne comme rideau de marchandises résistant à la coupure et dispositif de retenu. Cette fermeture comprend au moins un panneau en tissu formé de fils à haute résistance avec une pluralité de sangles en toile avec des fixations amovibles disposées en paires opposées et une attache réglage de sorte que la fermeture en tissu est résistante et empêche le passage d'articles. Elle divulgue des paires de sangles opposées fixées aux parties supérieures et inférieures du panneau, les sangles sont formées de nylon de préférence cousues au panneau et s'attachent aux sangles du conteneur au moyen d'anneaux et d'attaches.
Une figure du brevet est reproduite ci-dessous.
Le brevet américain [R] n°US 2 455237 publié le 30 novembre 1948 porte sur une « Couverture pour transport de marchandises » et vise, d'après la description, à protéger et sécuriser les transports dans les aéronefs et autres transports et à proposer une ouverture d'arrimage universellement adaptable qui retient les marchandises fermement et en toute sécurité. La revendication 1 porte sur une couverture pour transport de marchandises comprenant une portion de tissu de maintien des marchandises avec des extensions rabattables sur les côtés et munies de moyens pour tendre les extensions vers le bas pour confiner les marchandises.
Cette figure montre une vue en perspective d'une portion de couverture fixée de manière à maintenir un arrimage, les lignes de sanglage étant passées sur le dessus de la charge à travers des boucles doubles.
Selon l'intimée, le problème technique en lien avec la différence entre le brevet en cause et le document CLAES est d'adapter à la taille des marchandises transportées la quantité de matière nécessaire et pour résoudre ce problème, l'homme du métier ne conservera que la « trappe » divulguée par le document CLAES pour en équiper le côté avant et arrière, sans faire preuve d'activité inventive. Il résoudra aussi le problème technique visant à fournir un chariot présentant un double accès aux marchandises. Il résoudra ensuite le problème technique portant sur la fixation des moyens anti-chute sur le chariot et sur l'amélioration de la résistance à la chute des marchandises en se référant au document [R].
Pour les appelantes, le document CLAES constitue l'état de la technique le plus proche. Si la société TransGourmet leur reproche dans un premier temps de ne pas expliciter ce choix, force est de constater qu'elle ne présente pas de document plus pertinent et reconnaît d'ailleurs dans un second temps (page 35 de ses conclusions) qu'il constitue cet état de la technique. En effet, il vise à résoudre le même problème technique et porte aussi sur un chariot équipé d'un dispositif anti-chute.
Le document CLAES se distingue du brevet contesté en ce qu'il propose une unique feuille, intitulée enveloppe, qui entoure le chariot comme une bâche et comporte comme ouverture la trappe de visite incluse et non séparable qui permet d'accéder aux marchandises au lieu d'une feuille souple qui se fixe entre les ridelles.
L'intimée procède à une interprétation erronée du document CLAES en prétendant que la trappe de visite incluse dans l'enveloppe de protection constitue un moyen antichute et non, comme il est décrit, une simple trappe de visite. En effet, dans le document CLAES, ce n'est pas cette trappe qui retient les marchandises mais l'enveloppe entière. Il ne peut donc être considéré que la différence entre le document CLAES et le brevet en cause porte sur le fait que ce dernier comprend deux volets anti-chute et non un seul dès lors qu'il n'existe pas de volet anti-chute dans ce document mais une enveloppe qui s'ouvre pour accéder aux marchandises sans avoir à la défaire.
Concernant le système de fixation, il résulte de la description du brevet que l'invention permet de faciliter l'utilisation et l'installation des volets. En effet, les extrémités des sangles permettent à la fois de fermer les volets et de les fixer à la ridelle, l'installation symétrique des volets donnant deux accès aux marchandises.
Contrairement à l'analyse de l'intimée, le document [D], qui porte sur un chariot tel que décrit par le brevet comme constituant l'état de la technique, ne divulgue pas l'utilisation de moyens anti-chute symétriques. En effet, si la description du brevet prévoit la possibilité d'utiliser des sangles pour empêcher les charges de tomber, ces sangles étant reliées en permanence à chaque élément de paroi avec un crochet qui s'engage dans l'autre élément de paroi, elle mentionne que ces éléments servent à tirer les éléments de paroi fermement vers l'intérieur contre la charge, ce qui démontre que ce moyen permet d'abord de renforcer la structure du chariot.
Comme le relève à juste titre les appelantes, le document [R] relève d'un domaine technique différent de celui du brevet FR 695 en ce qu'il porte sur la compression des marchandises vers le bas dans un mode transport par aéronef. L'homme du métier confronté à ce document considérera qu'il vise une application différente en l'absence d'utilisation d'un charriot avec des ridelles, sur lequel les marchandises doivent être maintenues entre les côtés et non vers le sol. Dès lors, l'homme du métier ne sera pas amené à se servir de ce document.
Enfin, le document JHRG qui porte aussi sur un domaine technique différent du fret aérien et du transport de conteneur, divulgue une couverture qui se pose sur un conteneur, soit sur des parois latérales et non autour d'un chariot.
Dès lors, l'intimée ne démontre pas au vu de ces antériorités comment l'homme du métier d'une part, aurait été incité à séparer la trappe de l'enveloppe du document CLAES pour l'utiliser en deux volets anti-chutes symétriques et d'autre part, aurait retenu les moyens de fixation prévus dans le brevet portant sur au moins deux sangles horizontales permettant la fixation sur une ridelle et la ridelle opposée.
Il résulte de ce qui précède que les caractéristiques ci-dessus exposées de la revendication 1 sont inventives. Les revendications dépendantes et la revendication la 35, qui constitue la reprise de la revendication 1 limitée au volet anti-chute, sont également inventives.
Sur l'extension de l'objet au-delà de la demande
La société TransGourmet affirme que les revendications 1 et 35 telles que modifiées suite à la procédure de limitation ont étendu l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande.
Aux termes de l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle, « Le brevet est déclaré nul par décision de justice : (..)
c) Si son objet s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire, si son objet s'étend au-delà du contenu de la demande initiale telle qu'elle a été déposée ; ».
L'extension de l'objet est caractérisée si l'objet des revendications délivrées ne peut pas être déduit directement et sans ambiguïté par la personne du métier de la demande antérieure telle que déposée (incluant l'ensemble de la demande à savoir description, revendications et dessins).
L'extension de l'objet s'apprécie par comparaison entre le brevet tel que déposé et le brevet tel que délivré ou limité.
Caractéristique
Revendication 1 dans le texte tel que déposé le 05/03/2003
Actuelle revendication 1
C1
Chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130) montées sur celle-ci, caractérisé par le fait qu'il comprend en outre
Chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130) montées sur celle-ci, le chariot comprenant en outre
C2
des moyens anti-chute
C3
caractérisé par le fait que lesdits moyens sont constitués de
C4
au moins un volet anti-chute (140)
deux volets anti-chutes
symétriques
C5
formé d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130)
formés chacun d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) et
C6
[Volet formé] d'au moins deux sangles (160) horizontales
C7
fixées sur la feuille souple
C8
et équipés de moyens (170) propres à permettre sa fixation sur le chariot, entre les deux ridelles, et ce de manière amovible par rapport à l'une au moins des ridelles (130)
et équipées sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée
En premier lieu, la société TransGourmet indique que la combinaison des caractéristiques C4, C6, C7 et C8 vient étendre le brevet au-delà de la demande.
Le fait d'avoir remplacé l'expression « au moins un volet anti-chute » par « deux volets anti-chute symétrique » ne constitue pas une extension de l'objet puisque cette possibilité était déjà incluse dans la demande. Avec la réduction à deux volets anti-chute, le titulaire du brevet a procédé à une limitation. Le caractère symétrique des volets figure dans la revendication 3 telle que déposée (« chariot selon l'un des revendications 1 à 3, caractérisé par le fait qu'il comprend deux volets anti-chutes symétriques ») et le caractère horizontal des sangles dans la description (page 3, lignes 9-11). Enfin, les indications sur le dispositif de fixation figurent dans la description (page 3, lignes 24 à 32).
Concernant l'ajout de l'expression « des moyens anti-chutes », la description (page 1 ligne 34) indique que le volet remplit une fonction anti-chute. Il était donc bien prévu dans la demande que le volet est un moyen anti-chute.
Il résulte de ce qui précède que la revendication 1 n'a pas fait l'objet d'une extension de l'objet au-delà de la demande telle que déposée.
La revendication 36 telle que déposée s'énonçait de la manière suivante :
Volet conforme aux moyens définis dans l'une quelconques des revendications 1 à 35.
La revendication 35 telle que limitée est ainsi rédigée :
Volet conforme aux moyens définis dans l'une quelconques des revendications 1 à 35. Le volet étant formé d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) et d'au moins deux sangles (160) horizontales fixées sur la feuille souple et équipée sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur la seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée.
La limitation de la revendication 36 (devenue 35 lors de la délivrance) consiste en l'ajout des moyens de fixation de la revendication 1 (sans suppression de ceux-ci dans la revendication 1).
Il en résulte qu'il n'est pas démontré en quoi la revendication 35 a fait l'objet d'une extension de l'objet au-delà de la demande telle que déposée.
Ce moyen sera donc rejeté.
Sur l'accroissement de l'étendue de la protection
Selon la société TransGourmet, les revendications issues de la procédure de limitation ont étendu la protection conférée par le brevet.
Aux termes de l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle, « Le brevet est déclaré nul par décision de justice : (..)
d) Si, après limitation ou opposition, l'étendue de la protection conférée par le brevet a été accrue ; »
L'accroissement de l'objet de la protection s'apprécie entre le brevet tel que délivré et le brevet tel que limité. En l'espèce, il convient de comparer les revendications 1 et 35 telle que délivrées avec les revendications 1 et 35 telles que limitées.
Revendication n°1 telle que délivrée
Chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130) montées sur celle-ci, caractérisé par le fait qu'il comprend en outre deux volets anti-chute (140) symétriques formés chacun d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) et liée à au moins deux sangles (160) horizontales équipés sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée.
Revendication n°1 après limitation
Chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130) montées sur celle-ci, le chariot comprenant en outre des moyens anti-chute, caractérisé par le fait qu'il comprend en outre que lesdits moyens sont constitués de deux volets anti-chute (140) symétriques formés chacun d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) et liée à d'au moins deux sangles (160) horizontales fixées sur la feuille souple et équipées sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée.
Revendication n°35 telle que délivrée
Volet conforme aux moyens définis dans l'une quelconque des revendications 1 à 34.
Revendication n°35 après limitation
Volet conforme aux moyens définis dans l'une quelconque des revendications 1 à 34, le volet étant formé d'une feuille souple (150) de
dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) et d'au moins deux sangles (160) horizontales fixées sur la feuille souple et équipées sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée.
L'intimée relève que le terme « moyens anti-chute » a été introduit dans la revendication 1. Or, ces moyens anti-chute ne visent qu'à décrire le volet anti-chute et n'étendent pas l'objet de la protection.
Concernant la revendication 35, la société TransGourmet soutient que lors de sa délivrance, cette revendication n'avait pas de portée en l'absence de protection définie alors qu'au terme de cette limitation, elle crée une protection.
Comme le relèvent à juste titre les appelantes, la modification de la revendication 35, qui porte toujours sur un volet, ne fait que reprendre les caractéristiques de la revendication 1, à laquelle il était déjà renvoyé.
Au terme de la procédure de limitation, aucun accroissement de l'étendue de la protection du brevet n'est caractérisé.
Sur l'insuffisance de description
L'article L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l'invention doit être exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter»,
L'exigence de suffisance de description, qui a pour finalité de garantir la possibilité pour l'homme du métier d'exécuter l'invention, sans effort excessif mais de manière néanmoins constructive, grâce aux informations fournies par l'ensemble du brevet comprenant les revendications, la description et les dessins et ses propres connaissances techniques, est satisfaite dès lors que la description indique les moyens qui donnent à l'homme du métier, doté des capacités et des connaissances que l'on est en droit d'attendre de lui, la possibilité d'identifier les mesures d'ordre technique nécessaires pour résoudre le problème sous-jacent au brevet en cause et d'exécuter ou de mettre en 'uvre l'invention par de simples mesures d'exécution, comme des essais de routine, ou moyennant un effort raisonnable de réflexion.
En premier lieu, l'intimée considère que le grief d'insuffisance de description résulte du fait que l'homme du métier ne peut pas réaliser l'invention de façon à obtenir l'avantage visant à faciliter l'empilement de ridelles sur le chariot vide de marchandises pour limiter l'encombrement lors du stockage, le terme empilement signifiant que les ridelles sont disposées horizontalement les unes sur les autres alors que le brevet ne décrit pas le démontage du chariot pour séparer les ridelles de l'embase, ni comment former un empilement.
Les appelantes répondent que la facilité d'empilement des ridelles, qui ne porte pas sur l'invention, fait partie des connaissances de l'homme du métier.
L'insuffisance de description ne vise qu'un avantage que l'on peut tirer de l'invention et non le fait que l'invention ne soit pas réalisable. Du fait de l'invention, ainsi qu'il est indiqué dans la description, le volet anti-chute sera rabattu contre une ridelle, ce qui permet de positionner contre le volet des ridelles dont le démontage et le stockage font partie des connaissance de l'homme du métier.
En second lieu, la société TransGourmet développe un nouveau moyen en appel, se basant sur l'inspection du chariot TER de démonstration, au terme duquel le volet « ne fonctionne » pas si la sangle ne prend pas appui sur la traverse horizontale de la ridelle, cette modalité de fixation ne figurant ni dans la revendication1, qui doit contenir les caractéristiques essentielles de l'invention, ni dans la description du brevet.
D'une part, l'intimée ne démontre pas par de simples photographies que « l'invention ne fonctionne pas » si la sangle n'est pas placée à l'endroit où elle figure sur le chariot de démonstration, ce qui au demeurant est sans portée sur la validité du brevet. D'autre part, aucune valeur ne peut être accordée à des tests réalisés par la société TransGourmet de manière non contradictoire sur le chariot du prototype CLAES comportant moins de traverses avec le volet vendu par la société Sufilog dès lors qu'il résulte de la description du brevet que la taille des volets doit être adaptée au chariot puisque les volets « sont conçus pour recouvrir respectivement les deux côtés du chariot définis entre les ridelles ».
Enfin, la description du brevet indique, à titre d'exemple, que la boucle de la sangle supérieure est placée au-dessus de l'avant dernière traverse horizontale d'une ridelle pour maintenir la paroi sous tension (page 4, 16 et suivant), ce que reproduit la figure 4 du brevet.
L'invention est donc suffisamment décrite.
En conséquence, le brevet n'encourt pas la nullité et le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé sa nullité.
La société TransGourmet sera déboutée de ses demandes reconventionnelles portant sur la restitution de la provision et l'indemnisation de son préjudice du fait des mesures provisoires prononcées. Le jugement sera aussi infirmé de ces chefs.
Sur la contrefaçon
Les appelantes soutiennent qu'outre l'importation et la détention des volets anti-chute, la société TransGourmet a équipé des chariots de stockage avec ces volets anti-chute, ce qui constitue la contrefaçon des revendications 1,2,7 à 9,11 à 13,19 et 35 du brevet FR 695.
Si la société TransGourmet conclut au débouté de l'ensemble des demandes des appelantes en raison de la nullité des revendications opposées du brevet, elle n'en conteste pas la reproduction sur les volets importés mais la détention et l'utilisation de chariots équipés de ces volets et leur mise à disposition chez ses clients.
Aux termes de l'article L. 613-3 a) du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable, « Sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet (' ) ».
Il résulte de l'attestation de son commissaire aux comptes du 6 septembre 2019 que la société TransGourmet a importé en France au total 64 080 volets, achetés à la société Hangzhou Only Tool Co Ltd., soit 28 410 entre avril 2018 et août 2018 et 35 670 arrivés au [Localité 4] en mars 2019.
Les appelantes produisent un procès-verbal de constat d'huissier de justice réalisé au sein de la gare [7] à [Localité 8] le 6 novembre 2019 qui établit selon elles que ces volets sont utilisés sur des chariots.
L'intimée soutient que ces constatations ne démontrent l'existence d'un seul volet anti-chute sur un chariot et ne permettent pas de lui attribuer l'utilisation de ces volets et chariots.
Le constat d'huissier reproduit des photographies de chariots équipés de deux volets anti-chute rouges, avec la mention « TransGourmet », qui se trouvent pour l'un à droite du magasin « Paul » situé à proximité de la voie 21 et pour l'autre à proximité d'un autre magasin Paul situé dans le hall 1 de la gare. Ces volets sont identiques à ceux importés par la société TransGourmet.
Pour justifier de l'exécution des mesures d'interdiction prononcées par l'ordonnance de référé du 28 juin 2019, la société TransGourmet a produit notamment un procès-verbal de constat du 9 août 2019 réalisé sur le site de [Localité 3], dans [Localité 5], qui reproduit des chariots équipés de volets anti-chute. Le directeur d'établissement, M. [P] [Y], a indiqué à l'huissier de justice que les chariots laissés dans les points de livraison chez leurs clients sont récupérés au fur et à mesure des envois et que lorsqu'un chariot revient sur le site avec les volets, il est démonté. Il est ainsi établi que la société TransGourmet utilisait les volets antichute litigieux sur les chariots pour livrer des marchandises.
Il sera rappelé que la revendication 1 du brevet FR 695 est ainsi rédigée : « Chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130) montées sur celle-ci, le chariot comprenant en outre des moyens anti-chute, caractérisé par le fait que lesdits moyens sont constitués de deux volets anti-chute (140) symétriques formés chacun d'une feuille souple (150) de dimensions adaptées pour recouvrir au moins un côté du chariot défini entre les deux ridelles (130) d'au moins deux sangles (160) horizontales fixées sur la feuille souple et équipées sur une première extrémité de moyens (167) propres à permettre sa fixation sur un montant d'une première ridelle et sur leur seconde extrémité de moyens (170) permettant une fixation amovible sur un montant de la ridelle opposée. »
Les photographies issues des procès-verbaux des huissiers de justice (notamment dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 12 mars 2019 pour les volets et les procès-verbaux de constat du 9 août 2019 réalisés à [Localité 3] et [Localité 6] pour les volets associés aux chariots) démontrent que les chariots sont composés d'un embase et de deux ridelles verticales et que les volets sont constitués d'une feuille souple qui recouvre un côté du chariot, sont pourvus d'au moins deux sangles horizontales, à savoir trois, qui sont fixées sur la feuille souple. L'extrémité des sangles est constituée de scratchs qui en position fermée forment un boucle, qui permettent la fixation sur une ridelle et sur une autre ridelle opposée et assurent une fixation amovible.
Concernant la revendication 2, les sangles n'ont pas un caractère élastique.
Concernant la revendication 7, chaque volet comprend trois sangles.
La revendication 8 est aussi reproduite puisque les trois sangles sont situées respectivement en haut du volet, au niveau du bord horizontal, au milieu du volet et en bas du volet, au niveau du bord inférieur.
La revendication 9 porte sur la matière plastique du volet et l'huissier de justice dans le procès- verbal du 12 mars 2019 a constaté qu'il est composé de « matière plastique », « souple ».
La composition de la sangle dans un matériau à base de matière plastique, objet de la revendication 11 et 12, en polypropylène, n'est pas plus contestée et est aussi démontrée.
Ces sangles sont cousues sur le volet, ce qui constitue la reproduction de la revendication 13 et les volets sont équipés d'une poche transparente, à savoir le porte étiquette de la revendication 19.
Enfin, le volet anti-chute importé par la société TransGourmet reproduit la revendication 35 du brevet FR 695 qui porte sur le volet lui-même tel que défini à la revendication 1.
La reproduction des caractéristiques des revendications opposées est donc établie.
Sur les mesures réparatrices
Les appelantes demandent à titre principal de condamner la société TransGourmet à payer à la société Sufilog une somme correspondant à sa marge perdue sur les ventes manquées de volets anti-chute, charriots et étagères pour les années 2018 et 2019.
La société TransGourmet conteste la prise en compte dans le préjudice des chariots et étagères et affirme que le manque à gagner n'est lié qu'aux volets anti-chute.
Elle relève que les quantités de chariots et étagères revendiquées au titre de la réparation sont purement hypothétiques, qu'ils ne sont pas protégés par le brevet et ne forment pas un tout commercial indivisible avec les volets anti-chutes en ce que ces derniers peuvent être vendus sans les chariots d'autant que leur durée de vie est inférieure à celle des volets.
La société Sufilog ne revendique pas la qualité de licenciée exclusive de la société TER et le contrat de licence publié stipule que la société TER lui a consenti une « licence simple ».
En cette qualité, son préjudice doit être réparé sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Le préjudice de la licenciée comprend les pertes qu'elle a subies et le gain manqué.
Les revendications opposées dans le cadre de ce litige ne portent pas sur des étagères du chariot, si bien que la licenciée ne peut solliciter aucune indemnisation liée à des ventes manquées d'étagères.
La revendication principale du brevet porte sur l'association entre un chariot et des volets anti-chute. Alors que la société TransGourmet s'était approvisionnée de chariots munis de volets anti-chute auprès de la société TER, la preuve de l'achat d'un tel dispositif n'est pas apportée, l'importation litigieuse portant uniquement sur les volets.
Les chariots détenus et utilisés par la société TransGourmet, sur lesquels étaient attachés les volets anti-chute, s'ils reproduisent les caractéristiques du brevet, font partie de l'art antérieur ainsi que l'indique la description du brevet.
De plus, la preuve n'est pas rapportée que les chariots constituent des accessoires nécessaires des volets contrefaisant importés formant un tout commercial indivisible, l'intimée relevant à juste titre que leur durée de vie est supérieure à celle des volets anti-chute. Il s'ensuit que la licenciée ne peut revendiquer une indemnisation au titre de ventes manquées de chariots.
Les parties s'accordent sur le nombre de volets anti-chute contrefaisant importés par la société TransGourmet, soit 64 080.
Le préjudice réparable porte sur la perte de marge brute de la licenciée sur les volets anti-chute qui, selon l'attestation de son expert-comptable qui n'est pas contestée, s'élève à 239 018,40 euros.
La société Sufilog demande l'indemnisation du bénéfice injustement réalisé par l'intimée du fait de la poursuite de la contrefaçon et de l'impossibilité de procéder rétroactivement aux interdictions, 8 205 volets n'ayant pas été rappelés.
La société TransGourmet répond qu'elle ne dispose d'aucun moyen coercitif pour contraindre les tiers à retourner les volets litigieux. Elle ajoute que comme les volets ont une durée d'amortissement de trois ans, chaque année un tiers d'entre eux soit ne lui est pas restitué, soit est mis au rebut.
Par ordonnance du 28 juin 2019, le juge des référés a prononcé une mesure d'interdiction provisoire avec rappel des circuits commerciaux des volets litigieux.
L'arrêt de la cour d'appel du 14 septembre 2021 a confirmé l'ordonnance et fait interdiction à la société TransGourmet d'utiliser et détenir des volets anti-chute.
Le constat d'huissier du 6 novembre 2019 établit qu'un chariot équipé des volets litigieux était toujours utilisé par un client de la société TransGourmet.
Les volets contrefaisants ayant été importés à compter d'avril 2018, la société TransGourmet est mal fondée à soutenir qu'ils pouvaient être mis au rebut à compter de l'exécution de l'ordonnance de référé d'autant que la durée d'amortissement ne se confond pas avec la durée d'utilisation. Par ailleurs, le fait qu'elle ne dispose pas de moyens coercitifs n'est pas de nature à la faire échapper à l'obligation d'exécuter les mesures d'interdiction provisoire.
Si la société TransGourmet ne commercialise pas les volets contrefaisants, qu'elle met à disposition de ses clients sur des chariots, il n'en demeure pas moins que du fait de la poursuite de l'utilisation de ces volets anti-chutes, soit 12,8% de la masse contrefaisante, elle a réalisé un bénéfice indu puisqu'elle n'a pas eu à s'équiper à nouveau de ce nombre de volets.
La somme de 8 205 euros sera donc allouée à la société Sufilog en réparation de son préjudice.
Au total, le préjudice de la société Sufilog s'élève donc à 247 223,40 euros.
La société TER demande quant à elle l'indemnisation de son préjudice moral lié à l'atteinte au brevet FR 695.
La société TransGourmet répond qu'elle ne produit aucun élément justifiant de son préjudice.
En vertu de l'article L.615-7 du code de la propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».
Alors que la société TransGourmet s'approvisionnait depuis 2008 auprès de la société TER et avait connaissance de l'existence du brevet dont le numéro figurait d'ailleurs sur les volets anti-chute vendus par l'appelante, elle a commis en connaissance de cause des actes de contrefaçon qui ont débuté quand la société TER n'a plus directement commercialisé les volets qui l'ont été par le biais de sa filiale, licenciée.
Ces faits ont causé un préjudice à la titulaire du brevet en banalisant l'invention et portant atteinte à sa réputation, ses autres clients ayant pu douter de l'existence ou de la portée du brevet
Ce préjudice sera évalué à la somme de 25 000 euros.
Si les appelantes demandent d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leurs demandes d'interdiction, de destruction et de rappels des circuits commerciaux, dans le dispositif de leurs dernières conclusions elles ne saisissent pas la cour de ces demandes.
Le préjudice des appelantes étant suffisamment réparé et l'invention n'étant plus protégée, il n'y a pas lieu de prononcer une mesure de publication judiciaire, ni tendant à ordonner à la société TransGourmet d'informer ses filiales et clients de la teneur du présent arrêt.
Sur les autres demandes
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné les appelantes aux dépens et à indemniser les frais irrépétibles engagés par la société TransGourmet.
La nature de la décision commande en outre de condamner la société TransGourmet aux dépens d'appel et à indemniser les frais irrépétibles qu'ont été contraintes d'engager les appelantes à hauteur de 75 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement dans son intégralité,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande tendant à voir annuler le jugement déféré,
Constate que les sociétés Touraine Emballage Recyclage et Sufilog ont renoncé à leur demande tendant à ce que l'audience de plaidoiries ait lieu à huis clos,
Rejette les demandes des sociétés Touraine Emballage Recyclage et Sufilog tendant à ce que l'arrêt soit prononcé en chambre du conseil et que sa motivation et ses modalités de publicité soient adaptées,
Rejette les demandes de nullité des revendications 1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695 intitulé « Chariot de transport de marchandises comportant au moins un volet anti-chute »,
Dit que la société TransGourmet Opérations a commis des actes de contrefaçon du brevet français n°03 02695 en important, détenant et utilisant en France des volets anti-chute et en détenant et utilisant en France des chariots munis de volets anti-chutes reproduisant les revendications 1, 2, 7 à 9, 11 à 13, 19 et 35 du brevet français n°03 02695,
Condamne la société TransGourmet Opérations à payer à la société Sufilog la somme de 247 223,40 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne la société TransGourmet Opérations à payer à la société Touraine Emballage Recyclage la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Déboute les sociétés Touraine Emballage Recyclage et Sufilog de leurs demandes de publication et tendant à ordonner à la société TransGourmet Opérations d'informer ses filiales et clients de la teneur du présent arrêt,
Déboute la société TransGourmet Opérations de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la société TransGourmet Opérations aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement en application de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société TransGourmet Opérations à payer aux sociétés Touraine Emballage Recyclage et Sufilog la somme de 75 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.