Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 17 janvier 2025, n° 22/05000

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Application Climatisationplomberie Chauffage (SARL)

Défendeur :

Elite Insurance Company Ltd (Sté), Smabtp (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Delacourt

Conseillers :

Mme Tardy, Mme Szlamovicz

Avocats :

Me Jougla, Me Hatet-Sauval, Me Touron, Stéphane Laget

TGI Paris, du 12 nov. 2019, n° 18/02433

12 novembre 2019

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Entre 2012 et 2014, la SCI Le Collet d'Auron a fait réaliser, en qualité de maître de l'ouvrage, la construction d'un chalet à usage d'habitation comprenant trois étages et quatorze logements, situés au lieu-dit [Adresse 3].

Le lot plomberie et ventilation a été confié à la société Application Climatisation Plomberie Chauffage (la société ACPC), assurée par la SMABTP.

Le 8 avril 2014, l'ouvrage a été réceptionné sans réserve.

Les différents appartements constitués ont été vendus en état futur d'achèvement sous le régime de la copropriété.

Plusieurs infiltrations sont apparues dans les parties communes et certaines parties privatives.

Se prévalant d'un contrat d'assurance dommages-ouvrage conclu avec la SCI Le Collet d'Auron, la société Elite Insurance Company Limited (la société Elite Insurance) a diligenté une expertise amiable, confiée à la société Saretec.

Par actes des 30 et 31 janvier 2018, la société Elite Insurance, venant aux droits de la SCI Le Collet d'Auron, a fait assigner la SMABTP et la société ACPC devant le tribunal de grande instance de Paris en remboursement des sommes versées à son assurée.

Par jugement du 12 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a statué en ces termes :

dit recevable la demande formée par la société Elite Insurance au titre de la subrogation légale, à l'exception de la somme de 3 625,23 euros réclamée au titre des honoraires d'économiste ;

condamne in solidum la société ACPC et la société d'assurances mutuelles SMABTP à payer à la société Elite Insurance, société de droit étranger, la somme de 35 328,04 euros TTC, avec intérêt au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

condamne in solidum la société ACPC et la société d'assurances mutuelles SMABTP à payer les dépens ;

admet l'avocat qui en a fait la demande et qui peut y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

condamne in solidum la société ACPC et la société d'assurances mutuelles SMABTP à payer à la société Elite Insurance, société de droit étranger, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ordonne l'exécution provisoire du jugement ;

rejette toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

Par déclaration en date du 7 mars 2022, la société ACPC a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour d'appel de Paris son assureur la SMABTP ainsi que la société Elite Insurance Company et ses administrateurs MM. [S] et [X].

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2022, la société ACPC et la SMABTP demandent à la cour de :

juger que la société Elite Insurance ne produit pas l'intégralité du contrat qui pourrait justifier de sa qualité d'assureur dommages-ouvrage ;

juger que la société Elite Insurance ne produit pas la moindre preuve d'un paiement qui pourrait justifier de sa qualité de subrogé ;

juger que la société Elite Insurance ne justifie, même en dépit des quittances subrogatives, avoir versé le moindre euro à qui que ce soit puisqu'un intermédiaire, la société ACS est le seul à figurer dans les pièces versées au débat ;

juger que la société Elite Insurance ne peut donc prétendre avoir un quelconque intérêt ou qualité pour agir à l'encontre de la SMABTP recherchée en sa qualité d'assureur de la société ACPC ;

juger que la société Elite Insurance n'est aucunement subrogée dans les droits du bénéficiaire de la police dommage ouvrage ;

juger que la société Elite Insurance ne peut donc prétendre avoir un quelconque intérêt ou qualité pour agir à l'encontre de la société ACPC ;

juger qu'il incombe au maître de l'ouvrage qui agit sur le fondement de l'article 1792 du code civil de rapporter la preuve que les conditions d'application de ce texte sont réunies ;

juger que la société Elite Insurance ne justifie pas du caractère caché des vices à la réception alors que la charge de ladite preuve lui incombe ;

En toute hypothèse,

débouter la société Elite Insurance et ses administrateurs de leur appel incident ;

accueillir l'appel principal de la société ACPC et l'appel incident de la SMABTP ;

infirmer le jugement dont appel,

débouter, en conséquence, et en toute hypothèse, la société Elite Insurance et ses administrateurs de l'intégralité de leurs prétentions, tant sur le principe que sur le quantum, et notamment de la prétendue résistance abusive vu le caractère « abusif » de son propre recours ;

condamner, la société Elite Insurance et ses administrateurs à restituer à la SMABTP les sommes obtenues sur le fondement du jugement soit 42 336,53 euros, l'exécution du jugement se faisant aux risques et périls de celui qui le poursuit au seul bénéfice de l'exécution provisoire ;

condamner la société Elite Insurance et ses administrateurs aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction de ces derniers au profit de Maître Jougla avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

condamner la société Elite Insurance et ses administrateurs à verser à la SMABTP une somme de 8 000 euros et à la société ACPC la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2022, la société Elite Insurance représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X] demande à la cour de :

In limine litis,

En premier lieu,

juger la société ACPC irrecevable, à défaut d'intérêt et qualité, à réclamer la restitution de la somme recouvrée de manière forcée en exécution du jugement querellé, lui opposer à ce titre une fin de non-recevoir ;

En second lieu,

confirmer le jugement querellé en ce que les premiers juges ont pu à bon droit in limine litis :

juger la société Elite Insurance, dorénavant sous administration, comme étant parfaitement recevable en son action et en ses demandes ce pour les raisons liées à sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, sa délégation de gestion auprès de la société ACS Solutions, et encore de sa subrogation ;

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

Au fond,

En premier lieu,

confirmer le jugement querellé en ce que les premiers juges ont pu à bon droit faire leurs les conclusions des expertises techniques amiables dommages-ouvrage, et ainsi de nouveau ;

juger bien fondées les demandes de la société Elite Insurance, dorénavant sous administration, en retenant le caractère décennal des désordres litigieux, l'engagement exclusif de tout autre de la responsabilité de la société ACPC dans leur survenance, et la mobilisation subséquente des pleines garanties d'assurance de la SMABTP, son assureur de responsabilité, et condamner in solidum ces dernières à la garantir ;

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

juger que les désordres litigieux sont réels, de nature décennale, non réservés à la réception et trouvent leurs causes exclusivement dans les défauts d'exécution, manquements au respect des obligations contractuelles et des devoirs de conseil, des travaux réalisés par la société ACPC,

juger que les conclusions techniques de l'expertise amiable dommages-ouvrage sont pleinement opposables à la SMABTP et à la société ACPC, leur déroulement ayant été parfaitement contradictoire à leur égard ;

juger que la société ACPC engage sa responsabilité dans la survenance des sinistres litigieux,

Subséquemment,

juger que la SMABTP, assureur de responsabilité de la société ACPC, doit mobiliser ses garanties d'assurances applicables aux faits de l'espèce ;

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

En deuxième lieu,

infirmer le jugement querellé en ce que les premiers juges à tort ont entendu :

limiter le principe et montant de condamnation au profit de la société Elite Insurance, dorénavant sous administration, à hauteur d'une somme de 35 328,04 euros TTC, soit la totalité des préfinancements versés, et ainsi la débouter du recouvrement des frais d'économiste de la construction exposés par ses soins, à hauteur de 3 625,23 euros TTC car prétendument injustifiés ;

faire courir le point de départ des intérêts légaux avec anatocisme au jour du prononcé du jugement querellé ;

statuer de nouveau et réformer sur ce chef le jugement querellé afin de juger la demande en recouvrement et indemnisation de la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs conjoints M. [S] et M. [X], bien fondée en son principe et montant total de 38 953,27 euros TTC ;

condamner in solidum les sociétés ACPC et SMABTP au paiement au profit de la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs conjoints M. [S] et M. [X], d'une somme totale de 38 953,27 euros TTC, outre intérêts légaux avec anatocisme au jour de l'introduction de la présente instance ;

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

En troisième lieu,

infirmer le jugement querellé en ce que les premiers juges ont débouté la société Elite Insurance, dorénavant sous administration, de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive témoignée par les sociétés ACPC et SMABTP, car prétendument infondée,

statuer de nouveau et réformer sur ce chef le jugement querellé et juger d'évidence que les sociétés ACPC et SMABTP ont témoigné d'une résistance abusive ;

condamner à plein in solidum les sociétés ACPC et SMABTP au paiement au profit de la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs conjoints M. [S] et M. [X], d'une somme totale de 5 000 euros ;

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

A titre accessoire :

En premier lieu,

confirmer le jugement querellé en ce que les premiers juges à bon droit et en équité ont condamné in solidum les sociétés ACPC et SMABTP au paiement au profit de la société Elite Insurance, dorénavant sous administration, d'une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de procédure ;

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

En deuxième lieu,

juger en équité la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs conjoints M. [S] et M. [X], bien fondée en ses demandes à l'accessoire formées en cause d'appel,

Subséquemment ;

condamner in solidum les sociétés ACPC et SMABTP au paiement au profit de la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs conjoints Messieurs [S] et [X], d'une somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de procédure, dont distraction au profit de la SCP Naboudet-Hatet avocats aux offres de droit,

juger infondées la société ACPC, et encore la SMABTP, en leurs respectifs et différents moyens d'appel, les en débouter ;

En troisième lieu,

juger en équité les sociétés ACPC et SMABTP infondées en leurs demandes à l'accessoire en cause d'appel,

débouter les sociétés ACPC et SMABTP, de leurs demandes relatives telles que dirigées à l'encontre de la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs conjoints M. [S] et M. [X].

La clôture a été prononcée par ordonnance du 26 septembre 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 24 octobre 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré au 17 janvier 2025.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la demande de restitution

Moyens des parties

La société Elite Insurance représentée par ses administrateurs oppose à la société ACPC une fin de non-recevoir tirée de son défaut d'intérêt à solliciter le remboursement des sommes versées en exécution du jugement, dans la mesure où les sommes ont été versées par la SMABTP.

Les sociétés ACPC et SMABTP font valoir que le fait que la SMABTP ait exécuté le jugement ne rend pas l'appel de la société ACPC irrecevable, dès lors que celle-ci a un intérêt légitime à interjeter appel.

Réponse de la cour

Selon les articles 31 et 32 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

L'article 122 du code de procédure civile énonce que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'obligation de restitution des sommes versées en exécution d'un jugement frappé de recours résulte de plein droit de l'infirmation de celui-ci (Cass., 2e Civ., 7 avril 2011, n° 10-18.691).

En l'espèce, la société Elite Insurance ne soulève pas l'irrecevabilité de l'appel de la société ACPC, mais de sa demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement en cas d'infirmation de celui-ci totalement ou partiellement.

Il résulte des dernières écritures des sociétés ACPC et SMABTP que seule la SMABTP sollicite la restitution des sommes qu'elle a versées en exécution du jugement, pour le cas où celui-ci serait infirmé.

Par conséquent, la fin de non-recevoir opposée par la société Elite Insurance à la société ACPC est sans objet et sera rejetée.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Elite Insurance

Moyens des parties

Les sociétés ACPC et SMABTP opposent à la société Elite Insurance une fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à agir, les sociétés soutenant qu'elle ne justifie pas être subrogée dans les droits de la SCI Le Collet d'Auron, en premier lieu faute de justification de l'existence d'un contrat d'assurance dommages-ouvrage conclu entre les deux sociétés. A ce titre, elles font observer que l'identité du cocontractant des conditions particulières du contrat d'assurance dommages-ouvrage signé par la SCI Le Collet d'Auron est incertaine en raison des mentions du contrat, et qu'à supposer que le signataire soit la société EISL, il n'est pas rapporté la preuve de sa qualité de mandataire de la société Elite Insurance. Elles soutiennent en outre que le défaut de production de l'intégralité du contrat d'assurance rend la société Elite Insurance irrecevable à agir faute de preuve de sa qualité d'assureur. En second lieu, elles soulèvent le défaut de notification par l'assureur dommages-ouvrage de sa prise de position en réponse à la déclaration de sinistre, et en troisième lieu l'absence de preuve du versement des indemnités d'assurance par la société Elite Insurance, les versements allégués ayant été effectués par une société ACS dont la société Elite Insurance ne justifie pas de sa qualité de mandataire.

La société Elite Insurance représentée par ses administrateurs sollicite la confirmation du jugement qui a admis sa qualité à agir sur le fondement de la subrogation légale spéciale de l'article L. 121-12 du code des assurances. Elle estime justifier de sa qualité à agir comme subrogée dans les droits de la SCI Le Collet d'Auron, par la production des conditions générales et particulières du contrat conclu avec la SCI, la justification des versements effectués au titre des sinistres déclarés à hauteur de la somme totale de 38 954,02 euros TTC, incluant les versements faits par elle-même à destination de son mandataire pour la gestion des sinistres, la société ACS Solutions, et la preuve de sa prise de position de garantie notifiée à son assurée.

Réponse de la cour

1) Sur la subrogation légale spéciale

L'article L. 121-12 du code des assurances dispose que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

Il appartient à la société Elite Insurance, qui se prévaut de ces dispositions, de justifier de sa qualité d'assureur et du versement subrogatoire d'une indemnité à son assuré en exécution des garanties d'assurance.

La société Elite Insurance verse aux débats les conditions générales (sa pièce 17) et les conditions particulières (sa pièce 4) d'un contrat d'assurance dommages-ouvrage et constructeur non-réalisateur conclu par la SCI Le Collet d'Auron le 24 avril 2013. Il résulte des termes de ce contrat qu'il a été conclu avec la société Elite Insurance Company Ltd par l'intermédiaire de la société European Insurance Services Ltd (la société EISL), selon la première page des conditions particulières. En page 5 de celles-ci, dans l'encadré destiné aux signatures, il est indiqué, dans l'encadré destiné à l'assureur : 'apporteur : 83016 Cabinet Eecke Nous', puis 'pour l'assureur' suivi d'une signature illisible et enfin en-dessous 'EISL - Elite Insurance [Localité 4].'

Il n'apparaît pas de ces mentions que le signataire soit l'apporteur de l'affaire, il s'agit manifestement en réalité d'une mention pour rappel.

Quant à la mention 'Elite Insurance [Localité 4]', il résulte de l'assignation délivrée par la société Elite Insurance en première instance (sa pièce 21), que cette assignation a été délivrée par 'Elite Insurance Company Ltd ayant son siège à [Localité 4] (...) Angleterre'). Il apparaît donc qu'il ne s'agit pas d'une société distincte mais de l'adresse de la société Elite Insurance Company au Royaume-Uni (le siège est à Gibraltar).

Par conséquent, le signataire du contrat pour le compte de l'assureur est le représentant de la société EISL, présentée en première page comme mandataire de la société Elite Insurance Company Ltd.

La société Elite Insurance soutenant avoir conclu un contrat d'assurance dommages-ouvrage avec la SCI Le Collet d'Auron, il lui appartient de rapporter la preuve de sa qualité de cocontractante, et donc préalablement de l'existence du mandat la liant à la société EISL.

Entre les parties, la preuve du contrat de mandat relève des dispositions des articles 1341 et suivants du code civil, dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016, conformément à l'article 1985 du même code régissant le mandat et y renvoyant.

La société Elite Insurance ne verse pas aux débats le contrat de mandat écrit la liant à la société EISL.

Selon l'article 1347 du code civil dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, les règles ci-dessus (de preuve par écrit) reçoivent exception lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit. On appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué.

En l'espèce, il n'est produit aux débats aucun élément de preuve de la part de la société Elite Insurance susceptible de revêtir la qualification de commencement de preuve par écrit de l'existence du mandat la liant à la société EISL, ni aucun élément de preuve supplémentaire, de sorte que, en l'absence de preuve du mandat convenu entre les sociétés Elite Insurance et EISL, il n'est pas établi que la société Elite Insurance a la qualité d'assureur dommages-ouvrage de la SCI Le Collet d'Auron.

La société Elite Insurance ne peut donc se prévaloir de la subrogation légale spéciale pour fonder ses demandes à l'égard des sociétés ACPC et SMABTP.

2) Sur la subrogation légale générale

L'article 1346 du code civil dispose que la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette.

Il pèse sur la société Elite Insurance, qui se prévaut des dispositions précitées, la charge de la preuve de leur application à la présente instance.

Il a été établi supra qu'elle ne pouvait se prévaloir de la qualité d'assureur dommages-ouvrage et constructeur non-réalisateur de la SCI Le Collet D'Auron, de sorte qu'elle ne peut se fonder sur cette qualité à l'appui de son action fondée sur la subrogation légale générale. Elle ne justifie pas non plus, ni même n'allègue, de l'intérêt légitime au titre duquel elle aurait effectué les versements à la SCI.

Par conséquent, la société Elite Insurance ne peut se prévaloir de la subrogation légale générale pour fonder ses demandes à l'égard des sociétés ACPC et SMABTP.

3) Sur la subrogation conventionnelle

L'article 1346-1 du code civil dispose que la subrogation conventionnelle s'opère à l'initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d'une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur. Cette subrogation doit être expresse. Elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n'ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. La concomitance de la subrogation et du paiement peut être prouvée par tous moyens.

La société Elite Insurance verse aux débats trois quittances subrogatives (ses pièces 12 et 14) la première datée du 15 avril 2016 pour la somme de 12 507,75 euros et signée par la société Sita, syndic de la copropriété, pour le compte de M. [O], copropriétaire, la seconde datée du 3 mai 2016 pour la somme de 4 125 euros, signée par la société Sita et la troisième datée du 8 juin 2017 pour la somme de 18 696,04 euros, signée par la société Sita. Ces trois quittances précisent que 'la société Elite Insurance se trouve subrogée, légalement et conventionnellement, en tous mes droits et actions à l'encontre des responsables des dommages sus-mentionnés.'

Ces quittances ont été retournées suite à leur envoi par la société ACS qui se présente comme le mandataire de la société Elite Insurance pour la gestion des sinistres. Il est également justifié de la copie du chèque n° 0669365 de 12 507,75 euros (pièce 20) envoyé par la société ACS à la société Sita, chèque dont le tireur est la société ACS, ainsi que des courriers adressés par la société ACS à la société Sita et d'autres adressés aux société SMABTP et ACPC pour remboursement des sommes versées, et du relevé de compte de la société ACS faisant apparaître en débit les sommes de :

12 507,75 euros le 7 juin 2016 (chèque n° 0669365),

4 125 euros le 7 juin 2016 (chèque n° 0669393),

18 696,04 euros le 22 août 2017 (chèque n° 0679160).

Ces mêmes relevés de compte font apparaître des virements de la part de la société Elite Insurance, pour des sommes excédant largement celles en cause dans la présente instance, les 13 mai 2016 et 17 juillet 2017.

La société Elite Insurance ne verse pas aux débats le contrat de mandat la liant à la société ACS.

L'attestation faite par la société Elite Insurance (sa pièce 18) selon laquelle elle atteste de l'existence d'une convention de prestations de services pour la gestion des sinistres en France, allant de l'ouverture du dossier au règlement de l'indemnité via une avance de trésorerie permanente, ne peut établir la preuve de l'acte juridique qu'est le mandat, en vertu du principe selon lequel nul ne peut se préconstituer preuve à lui-même.

Si la société Elite Insurance ne justifie pas du mandat donné à la société ACS pour gérer pour son compte les sinistres, en ce compris le versement des indemnités, elle justifie en revanche, par la production de courriers de la part de la société ACS indiquant agir pour son compte, de l'émission d'un chèque, de paiements par cette société et de virements préalables à son crédit par ses soins, donc d'un commencement de preuve par écrit et d'éléments de preuve complémentaires, de l'existence d'un mandat de gestion donné par elle à la société ACS, impliquant de sa part des versements sur le compte de la société ACS pour couvrir le versement des indemnités dues par elle et effectués par la société ACS pour son compte.

Par conséquent, la société Elite Insurance justifie être conventionnellement subrogée dans les droits du syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3], représenté par son syndic la société Sita, à hauteur de la somme de 35 328,04 euros.

En revanche, il convient de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'elle a déclarée la société Elite Insurance irrecevable au titre de sa demande de condamnation des sociétés ACPC et SMABTP à lui verser la somme de 3 625,23 euros, les pièces versées par la société (des courriers adressés par la société ACS à la société Etudes et Quantum, sa pièce 30) n'établissant pas l'existence de versements subrogatoires.

La décision du tribunal déclarant recevable la société Elite Insurance sur le fondement de la subrogation légale doit être infirmée. Statuant à nouveau, la cour déclare la société Elite Insurance recevable en ses demandes, sur le fondement de la subrogation conventionnelle.

Sur les demandes de la société Elite Insurance

Moyens des parties

La société Elite Insurance représentée par ses administrateurs se prévaut des rapports d'expertise amiable dommages-ouvrage établis par la société Saretec et indique que les désordres sont constitués par des fuites sur le réseau de plomberie collectif de l'immeuble, ayant causé des dommages aux parties communes et à plusieurs appartements, que ces désordres étaient cachés à réception et sont de nature décennale. Elle ajoute qu'ils sont imputables à la société ACPC qui n'a pas respecté les règles de l'art et les normes techniques de référence. Elle estime que ces rapports sont contradictoires et opposables à la société ACPC et à son assureur en application de l'article A. 243-1 du code des assurances et que dès lors la cour peut se fonder exclusivement sur les expertises non judiciaires produites. Elle fait observer que les sociétés ACPC et SMABTP ne discutent pas les montants d'indemnisation, et que la SMABTP ne dénie pas devoir garantie à la société ACPC son assurée. Elle sollicite la somme totale de 38 953,27 euros TTC incluant le coût des frais d'économiste de la construction rejetés en première instance.

Les sociétés ACPC et SMABTP font valoir qu'il appartient à celui qui agit sur le fondement de l'article 1792 du code civil de rapporter la preuve de la réunion de ses conditions, dont l'absence de caractère apparent des désordres à réception. Elles ajoutent que l'indemnisation est disproportionnée au regard des désordres évoqués et qu'il n'est pas rapporté la preuve de l'affectation de la somme versée à la réparation des dommages.

Réponse de la cour

L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

L'article A. 243-1 du code des assurances dispose que tout contrat d'assurance souscrit pour l'application du titre IV du livre II du présent code doit obligatoirement comporter les clauses figurant :

Aux annexes I et III au présent article, en ce qui concerne l'assurance de responsabilité ;

A l'annexe II au présent article, en ce qui concerne l'assurance de dommages.

Toute autre clause du contrat ne peut avoir pour effet d'altérer d'une quelconque manière le contenu ou la portée de ces clauses, sauf si elle s'applique exclusivement à des garanties plus larges que celles prévues par le titre IV du livre II du présent code.

L'annexe II susvisée prévoit, au titre des clauses-type, au paragraphe 'Obligations réciproques des parties', B) Obligations de l'assureur en cas de sinistre, l'obligation pour l'assureur, pour les dommages estimés au-delà de 1 800 euros et pour lesquels la mise en jeu de la garantie paraît justifiée, d'organiser une expertise pour constater, décrire et évaluer les dommages par les soins d'un expert chargé de rédiger un rapport préliminaire sur la base duquel l'assureur prendra sa position de garantie, puis un rapport définitif fondant la proposition indemnitaire.

Il est constant que, hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence de celles-ci (Cass., 2e Civ., 13 septembre 2018, n° 17-20.099 ; Cass., 3e Civ., 14 mai 2020, n° 19-16.278).

Il ne résulte pas des termes de l'annexe II à laquelle renvoie l'article A. 243-1 du code des assurances que les conclusions de l'expertise conduite dans le respect de ces dispositions s'imposent au juge chargé de statuer dans l'instance opposant ultérieurement les parties à l'expertise amiable.

En l'espèce, pour fonder ses demandes indemnitaires, la société Elite Insurance verse aux débats :

un rapport d'expertise amiable établi le 5 février 2016 à sa demande, par l'intermédiaire de la société ACS, par le cabinet Saretec, à la suite de la déclaration préalable de sinistre faite le 24 décembre 2015 par la société Sita, syndic, le rapport ayant été établi au contradictoire de la société ACPC et précisant que la SMABTP a été convoquée mais n'était pas présente,

un rapport d'expertise amiable établi le 14 avril 2016 à sa demande, par l'intermédiaire de la société ACS, par le cabinet Saretec, à la suite de la déclaration préalable de sinistre faite le 6 janvier 2016 par la société Sita, syndic, sans précision des personnes convoquées et/ou présentes,

un rapport complémentaire au second, daté du 21 avril 2016.

Ces rapports d'expertise amiable, rédigés par le même expert à la demande de l'assureur qui a choisi ce dernier non contradictoirement, même établis en présence des parties, ne peuvent suffire à établir l'existence et l'ampleur des désordres affectant l'immeuble, ni leur nature, dès lors qu'ils ne sont corroborés par aucun autre élément versé aux débats.

Par conséquent, faute de preuve des désordres et de leur imputabilité, les demandes de la société Elite Insurance seront rejetées.

Il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés ACPC et SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 35 328,04 euros TTC outre intérêts légaux à compter du jugement, avec capitalisation des intérêts. Statuant à nouveau, la cour rejette les demandes de la société Elite Insurance.

Sur les demandes fondées sur l'abus de procédure

Moyens des parties

La société Elite Insurance représentée par ses administrateurs sollicite la condamnation des sociétés ACPC et SMABTP à lui verser la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Les sociétés ACPC et SMABTP contestent toute résistance abusive.

Réponse de la cour

Les demandes de la société Elite Insurance ayant été rejetées, il ne sera pas fait droit à sa demande fondée sur la résistance abusive des sociétés ACPC et SMABTP. La décision du tribunal de ce chef doit être confirmée.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Statuant à nouveau, la cour condamne la société Elite Insurance représentée par ses administrateurs aux dépens et à verser la somme de 2 000 euros à chacune des sociétés ACPC et SMABTP au titre des frais irrépétibles.

En cause d'appel, la société Elite Insurance représentée par ses administrateurs, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 1 000 euros chacune aux sociétés ACPC et SMABTP au titre des frais irrépétibles. Sa demande de ce chef sera rejetée.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à demander le remboursement des sommes versées en exécution du jugement, opposée par la société Elite Insurance Company limited à la société ACPC,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Elite Insurance Company limited représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X] au titre de la résistance abusive,

Statuant à nouveau,

DÉCLARE recevables les demandes de la société Elite Insurance Company limited représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X], fondées sur la subrogation conventionnelle,

Les REJETTE,

CONDAMNE la société Elite Insurance Company limited représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X] aux dépens de première instance et à verser la somme de deux mille euros (2 000 euros) à chacune des sociétés ACPC et SMABTP au titre des frais irrépétibles de première instance,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Elite Insurance Company limited représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X] aux dépens d'appel,

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Elite Insurance Company limited représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X] à payer la somme de mille euros (1 000 euros) chacune aux sociétés ACPC et SMABTP au titre des frais irrépétibles d'appel,

REJETTE la demande de la société Elite Insurance Company limited représentée par ses administrateurs MM. [Z] [S] et [B] [X] de ce chef.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site