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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 janvier 2025, n° 23/15327

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Groupe Lactalis (SA), Lactalis Beurres & Crèmes (SNC), Lactalis Nestle Ultra Frais Mdd (SNC), Cora (SAS), Supermarchés Match (SAS)

Défendeur :

Cora (SAS), Supermarchés Match (SAS), Eurial Ultra Frais (Sasu), Novandie (SNC), Groupe Lactalis (SA), Lactalis Beurres & Crèmes (SNC), Lactalis Nestle Ultra Frais Mdd (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

M. Richaud, Mme Ranoux-Julien

Avocats :

Me Teytaud, Me Vever, Me Schwab, Me Thill-Tayara de Dechert, Me Boccon Gibod, Me Saint-Esteben, Me Jarry, Me Titone, Me Deffains

CA Paris n° 23/15327

14 janvier 2025

EXPOSE DU LITIGE

1. La SAS Cora et la SAS Supermarchés Match sont des entreprises de distribution alimentaire de grande et moyenne surface.

2. La SA Groupe Lactalis a pour activité le commerce de gros (commerce interentreprise) de produits laitiers, œufs, huiles et matières grasses comestibles. Elle détient à 99,99 % la SNC Lactalis Beurres & Crèmes qui gère le segment des corps gras (beurre, margarine, crèmes...). Filiale commune des groupes Lactalis et Nestlé, la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD commercialise les produits ultra frais sous marque de distributeur (ci-après « MDD »).

3. Filiale du groupe Andros, la SNC Novandie est spécialisée dans la fabrication de produits laitiers frais (crèmes, dessert, mousses) à destination des grandes et moyennes surfaces.

4. La SAS Eurial Ultra Frais, anciennement dénommée Senagral, est spécialisée dans la fabrication de produits laitiers frais (yaourts, fromage blanc, crème fraîche et desserts lactés frais).

5. Par décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015, l'Autorité de la concurrence a dit que les sociétés Yoplait France et Yoplait SAS, Senagral et Senagral Holding, Novandie et Andros et Cie, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Nestlé Ultra Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais, Lactalis Beurres et Crèmes et Groupe Lactalis, Coopérative Agricole Laitière Les Maîtres Laitiers du Cotentin, Yeo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union (venant aux droits de 3A Coop), Laïta, Coopérative Laiterie, Coopérative Alsacienne Alsace Lait, Laiterie H. Triballat, Laiterie de Saint-Malo et Société Industrielle Laitière du Léon avaient enfreint les dispositions des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre des pratiques concertées sur le marché des produits laitiers frais MDD pour une durée, variable selon les entreprises, comprise entre le 6 décembre 2006 et le 9 février 2012.

6. Par arrêt n°15/8284 du 23 mai 2017 la cour d'appel de Paris a rejeté le recours formé contre cette décision sauf sur le quantum de certaines des amendes et en ce que l’Autorité de la concurrence avait retenu la société Senagral Holding comme auteur des pratiques illicites. Le pourvoi formé contre cet arrêt était rejeté par arrêt du 24 juin 2020 de la Cour de cassation.

7. C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier signifié les 21, 22, 23, 27 et 29 mars 2017, les sociétés Cora, Supermarchés Match et Provera France ont assigné notamment les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie et Eurial Ultra Frais devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice causé par leur participation à un cartel de prix et de répartition des marchés de certains produits laitiers MDD vendus aux grandes et moyennes surfaces.

8. Par jugement du 20 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a débouté les sociétés Cora et Supermarchés Match de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées in solidum à payer diverses sommes au titre des frais irrépétibles ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.

9. Par arrêt du 24 novembre 2021, la cour d’appel de Paris, saisie par déclaration au greffe des sociétés Cora et Supermarché Match du 26 février 2020, a statué en ces termes :

- Dit recevables les conclusions n 2 des sociétés du groupe Lactalis et de la société Eurial Ultra Frais du 30 août 2021 ;

Dans les limites de l'appel,

- Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Cora et Supermarchés Match de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées aux dépens et à payer les frais irrépétibles, le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

- Dit que les sociétés Cora et Supermarchés Match ont subi un préjudice financier certain du fait de l'entente illicite entre fabricants de produits laitiers sur la période de décembre 2006 à février 2012 ;

- Fixe ledit préjudice financier subi par la société Cora à la somme globale de 2 044 220 euros et celui subi par la société Supermarchés Match à la somme globale de 332 780 euros ;Au titre de l'indemnisation de ce préjudice financier,

- Condamne la société Eurial Ultra-Frais à payer la somme de 429 286,20 euros à la société Cora et la somme de 69 883,80 euros à la société Supermarchés Match ;

- Condamne la société Novandie à payer la somme de 715 477 euros à la société Cora et la somme de 116 473 euros à la société Supermarchés Match ;

- Condamne in solidum les sociétés LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais à payer la somme de 838130,20 euros à la société Cora et la somme de 136 439,80 euros à la société Supermarchés Match ;

- Condamne in solidum les sociétés Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis à payer la somme de 61 326,60 euros à la société Cora et la somme de 9 983,40 euros à la société Supermarchés Match ;

- Dit qu'en outre le préjudice financier doit être actualisé en appliquant le taux d'intérêt de 3,65 % pour la société Cora et de 2,79 % pour la société Supermarchés Match, à compter du 9 février 2012 et jusqu'au jour du prononcé du présent arrêt ;

Y ajoutant,

- Condamne in solidum les sociétés Eurial Ultra Frais, Novandie, LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais, Lactalis Nestlé Produits Frais, Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis à payer aux sociétés Cora et Supermarchés Match une somme globale de 150 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de l'appel ;

- Condamne in solidum les sociétés Eurial Ultra Frais, Novandie, LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais, Lactalis Nestlé Produits Frais, Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis à payer les entiers dépens de première instance et de l'appel.

10. Cependant, par arrêt du 7 juin 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à la mise hors de cause des sociétés Cora et Supermarchés Match et cassé et annulé cette décision en toute ses dispositions, « sauf en ce qu’il dit recevables les conclusions n° 2 des sociétés du groupe Lactalis et de la société Eurial ultra frais du 30 août 2021 et en ce que, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il déboutait les sociétés Cora et Supermarchés Match de l'ensemble de leurs demandes et les condamnait aux dépens et à payer les frais irrépétibles, il le confirme pour le surplus, et, statuant à nouveau des chefs infirmés, dit que les sociétés Cora et Supermarchés Match ont subi un préjudice « financier » certain du fait de l'entente illicite entre fabricants de produits laitiers sur la période de décembre 2006 à février 2012, et fixe celui subi par la société Cora à la somme globale de 2 044 220 euros et celui subi par la société Supermarchés Match à la somme globale de 332 780 euros », aux motifs que :

- quatrième moyen (caractérisation du préjudice additionnel tiré de l’indisponibilité des sommes perdues du fait de l’entente)

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

48. Pour appliquer aux dommages et intérêts principaux alloués un taux d'intérêt de 3,65

% pour la société Cora et de 2,79 % pour la société Match représentant le taux marginal auquel ces sociétés se financent, l'arrêt retient que ces sociétés ont été privées, par les pratiques anticoncurrentielles, de disposer de ces sommes, ce qui a nécessairement eu un impact sur leur trésorerie et impliqué un accroissement de leur besoin de financement et donc de leurs frais financiers.

49. En se déterminant par ces motifs, impropres à établir la nature de l'usage qu'auraient fait les sociétés Cora et Match des sommes perdues et permettant l'octroi d'un taux d'intérêt supérieur au taux légal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

- troisième moyen (fixation du régime des intérêts réparant le préjudice additionnel tiré de l'indisponibilité des sommes perdues du fait de l'entente)

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit ;

Selon ce texte, tout fait de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

55. Pour fixer le montant du taux d'intérêt représentant le préjudice subi par les sociétés Cora et Match du fait de l'indisponibilité des sommes dont elles ont été privées en raison des pratiques anticoncurrentielles, l'arrêt retient que les taux d’intérêt appliqués concernant la société Cora ont été de 4,16 % en 2012, de 4,06 % en 2013, de 3,75 % en 2014, de 3,55 % en 2015, de 3,63 % en 2016, de 3,08 % en 2017, de 3,56 % en 2018, de

3,56 % en 2019 et de 3,56 % en 2020 et que les taux d’intérêt appliqués concernant la société Match ont été de 3,85 % en 2012, de 3,95 % en 2013, de 2,60 % en 2014, de 2,52

% en 2015, de 2,17 % en 2016, de 2,44 % en 2017, de 2,52 % en 2018, de 2,04 % en 2019

et de 3,05 % en 2020 et qu'il en ressort une moyenne du taux d’intérêt ad hoc de 3,65 % concernant la société Cora et de 2,79 % concernant la société Match, de sorte qu'il convient d'indemniser ce préjudice en appliquant ces mêmes taux, à compter du 9 février 2012 et jusqu'au jour prononcé de l'arrêt.

56. En statuant ainsi, alors que le principe de la réparation intégrale impliquait la fixation d'un taux d’intérêt égal à celui supporté, le cas échéant et à le supposer distinct du taux légal, par les sociétés victimes de l'entente pour chaque année d'indisponibilité des sommes dont elles ont été privées, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

-  quatrième moyen (contribution à la dette)

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

58. Il résulte de ce texte que la contribution à la dette de réparation du dommage causé par plusieurs auteurs a lieu en proportion de la gravité des fautes respectives de ces derniers ;

59. Pour fixer le montant de la contribution à la dette, l'arrêt retient qu'il est justifié de prendre en compte la gravité de l'implication de chacune des sociétés responsables des pratiques illicites en cause, au regard des montants des amendes fixées par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mai 2017 statuant sur recours contre la décision de l'Autorité.

60. En statuant ainsi, alors que les sanctions prononcées sur le fondement de l’article L 462-8, alinéa 2, du code de commerce, dans sa version applicable au litige, par l'Autorité ou par la cour d'appel de Paris statuant sur recours, ne se fondent pas sur la seule gravité du comportement des auteurs de pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

-  second moyen des pourvois incidents (point de départ des intérêts compensatoires)

Vu l'article 1382 devenu 1240, du code civil ;

62. L'arrêt retient que les intérêts compensatoires du préjudice principal sont dus depuis le moment où l’entier préjudice a été constitué, soit à partir du 9 février 2012.

63. En statuant ainsi alors que les intérêts destinés à compenser le préjudice pris de la privation des sommes, dont le cours s'achève à la date du jugement, la créance de réparation produisant ensuite intérêts au taux légal de plein droit jusqu'à complet paiement en application de l'article 1231-7 du code civil, doivent être alloués en tenant compte de la progressivité de la constitution de ce préjudice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

11.         Elle précisait la portée et les conséquences de la cassation en ces termes :

64. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt qui condamne in solidum les sociétés LNUF MDD, Lactalis Nestlé ultra frais et Lactalis Nestlé produits frais à payer la somme de 838 130,20 euros à la société Cora et la somme de 136 439,80 euros à la société Match et de celui qui condamne in solidum les sociétés Lactalis beurres & crèmes et Groupe Lactalis à payer la somme de 61 326,60 euros à la société Cora et la somme de 9 983,40 euros à la société Match entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif qui condamne la société Eurial à payer la somme de 429 286,20 euros à la société Cora et la somme de 69 883,80 euros à la société Match et de celui qui condamne la société Novandie à payer la somme de 715 477 euros à la société Cora et la somme de 116 473 euros à la société Match, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

12. Par déclarations respectivement reçues au greffe les 13 et 27 septembre 2023, la SA Groupe Lactalis, la SNC Lactalis Beurres & Crèmes et la SNC Lactalis Nestlé Ultra- Frais MDD, d’une part, et la SAS Cora et la SAS Supermarchés Match, d’autre part, ont saisi la cour de renvoi. Les instances étaient jointes par ordonnance du 27 février 2024.

13. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 21 octobre 2024 par la voie électronique, la SAS Cora et la SAS Supermarchés Match demande à la cour au visa des articles 538 à 570, 624, 625 et 1032 à 1037-1 du code de procédure civile, 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, L 420-1 du code de commerce, 4, 1240, 1231-7, 1309, 1343-1, 1343-2 et 1353 du code civil et 695, 696, 699 et 700 du code de procédure civile :

- de débouter les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais de l’ensemble de leurs demandes ;

- de condamner in solidum les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais à indemniser le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match, tel qu’évalué par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 24 novembre 2021, s’établissant de façon définitive à la somme globale de 2 377 000 euros, dont 2 044 220 euros pour Cora et 332 780 euros pour Supermarchés Match, en prenant acte des paiements déjà intervenus en exécution de l’arrêt d’appel du 24 novembre 2021 ;

- à titre subsidiaire, de condamner conjointement les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais à indemniser ledit préjudice financier, dans des proportions qu’il appartiendra à la Cour de déterminer ;

- au surplus :

* d’actualiser le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match, définitivement évalué à la somme globale de 2 377 000 euros, dont 2 044 220 euros pour Cora et 332 780 euros pour Supermarchés Match, sur la base du taux marginal de financement de chacune de ces deux sociétés, pour chaque année, à compter de la naissance de leur préjudice le 1er octobre 2007 et jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir, en tenant compte de la progressivité de la constitution du préjudice ;

* de condamner en conséquence in solidum les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais au paiement de la somme de 1 550 697 euros, à parfaire ;

* à défaut et subsidiairement, d’actualiser le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match, définitivement évalué à la somme globale de 2 377 000 euros, dont 2 044 220 euros pour Cora et 332 780 euros pour Supermarchés Match, sur la base du taux d’intérêt légal majoré de 0,5 points de pourcentage, à compter de la naissance de leur préjudice le 1er octobre 2007 et jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir, en tenant compte de la progressivité de constitution du préjudice ;

* de condamner en conséquence in solidum les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais au paiement de la somme de 610 385 euros, à parfaire ;

- en tout état de cause :

* d’octroyer aux sociétés Cora et Supermarchés Match, en sus de l’actualisation de leur préjudice financier selon l’une des modalités ci-dessus, des intérêts au taux légal entre la date de prononcé de l’arrêt à intervenir et l’extinction de la créance de réparation, en application de l’article 1231-7 du code civil ;

* d’ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil ;

* de condamner in solidum les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais au paiement des sommes correspondantes ;

* condamner solidairement les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie et Eurial Ultra Frais sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à payer aux sociétés Cora et Supermarchés Match la somme de 70 000 euros au titre des frais qu’elles ont exposé dans le cadre de la présente procédure, outre les dépens dont distraction pour ceux-là concernant en la personne de Maître Audrey Schwab - Selarl 2H Avocats et ceux, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

14. Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 septembre 2024, La SA Groupe Lactalis, la SNC Lactalis Beurres & Crèmes et la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD (ci-après, ensemble, « les sociétés Lactalis ») demandent à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil, de :

- débouter les sociétés Cora et Supermarchés Match de l’ensemble de leurs demandes ;

- juger que les sommes suivantes, incluant les intérêts, doivent être allouées aux sociétés Cora et Supermarchés Match, en réparation du préjudice « financier » subi du fait de l'entente illicite entre fabricants de produits laitiers sur la période de décembre 2006 à février 2012 tel que fixé par la cour d'appel de Paris dans son arrêt rendu le 24 novembre 2021, non cassé sur ce point par l’arrêt du 7 juin 2023 de la Cour de cassation, à la somme globale de 2 044 220 euros pour Cora et la somme globale de 332 780 euros pour la société Supermarchés Match (avant article 700 du code de procédure civile et dépens) :

Cora 1 082 105

Match 175 965

Total 1 258 071

Cora 697 624

Novandie Match 113 443

 Total 811 068

 Cora 33 353

Lactalis B&C Match 5 424

 Total 38 776

 Cora 463 230

LNUF MDD Match 75 328

 Total 538 558

 Cora 2 276 312

Total Match 370 160

 Total 2 646 473

- en conséquence, compte tenu des paiements intervenus au bénéfice des sociétés Cora et Supermarchés Match, le 5 janvier 2022 :

* condamner la SAS Cora à payer à la SNC Lactalis Beurres & Crèmes la somme de 53 755 euros ;

* condamner la SAS Supermarchés Match à payer à la SNC Lactalis Beurres & Crèmes la somme de 7 646 euros ;

* condamner la SAS Cora à payer à la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD la somme de 727 244 euros ;

* condamner la société Supermarchés Match à payer à la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD la somme de 103 292 euros ;

- en tout état de cause, condamner les sociétés Cora et Supermarchés Match à verser aux sociétés Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres et Crèmes la somme de  30 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens dont distraction pour ceux-là en la personne de Maître François Teytaud, AARPI Teytaud Saleh, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

15. Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 octobre 2024, la SAS Eurial Ultra Frais demande à la cour, au visa des articles 1240 du code civil :

- de débouter les sociétés Cora et Supermarchés Match de l’ensemble de leurs demandes ;

- de juger que le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match doit être actualisé au taux d’intérêt légal de chaque année jusqu’au 24 novembre 2021 ;

- en conséquence, et compte tenu des paiements intervenus au bénéfice des sociétés Cora et Supermarchés Match :

* d’actualiser le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match sur la base du taux d’intérêt légal jusqu’au 24 novembre 2021 ;

* de condamner la SAS Cora à verser à la SAS Eurial Ultra Frais les frais correspondant au surplus versé par la société Eurial Ultra Frais au titre des intérêts, soit la somme de 124 427, 22 euros pour la période allant du 9 février 2012 au 24 novembre 2021 ;

* de condamner la société Supermarchés Match à verser à La SAS Eurial Ultra Frais les frais correspondant au surplus versé par la SAS Eurial Ultra Frais au titre des intérêts, soit la somme de 12 480, 92 euros pour la période allant du 9 février 2012 au 24 novembre 2021 ;

- à titre subsidiaire, de :

* condamner la SAS Cora à verser à la SAS Eurial Ultra Frais les frais correspondant au surplus versé par la SAS Eurial Ultra Frais au titre des intérêts, soit la somme de 83 441,12 euros pour la période allant du 1er octobre 2007 au 24 novembre 2021 ;

* condamner la SAS Supermarchés Match à verser à la SAS Eurial Ultra Frais les frais correspondant au surplus versé par la SAS Eurial Ultra Frais au titre des intérêts, soit la somme de 4 262, 58 euros pour la période allant du 1er octobre 2007 au 24 novembre 2021 ;

- de juger que la part contributive des sociétés Eurial, Lactalis et Novandie s’appréciera en fonction de leur proportion dans les volumes d’achats réalisés par les sociétés Cora et Supermarchés Match avec l’ensemble des sociétés sanctionnées par l’Autorité de la concurrence dans sa décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais ;

- en conséquence, et compte tenu des paiements intervenus au bénéfice des sociétés Cora et Supermarchés Match, de condamner ces dernières à verser à la SAS Eurial Ultra Frais les sommes correspondant au surplus versé le cas échéant par la SAS Eurial Ultra Frais au titre de sa part contributive ;

- en tout état de cause, de :

* condamner les sociétés Cora et Supermarchés Match à verser à la SAS Eurial Ultra Frais la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* statuer ce que de droit sur les dépens.

16. Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 octobre 2024, la SNC Novandie demande à la cour, au visa des articles 1240 du code civil et L 481-9 du code de commerce :

- de débouter les sociétés Cora et Supermarchés Match de l’ensemble de leurs demandes ;

- de juger que le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match doit être actualisé au taux d’intérêt légal de chaque année depuis le 9 février 2012 jusqu’au 24 novembre 2021 ;

- en conséquence :

* de juger que la contribution à la dette doit être déterminée en fonction de la proportion de la gravité des fautes respectives des auteurs des pratiques anticoncurrentielles, telle que fixée par la cour d’appel de Paris au paragraphe 595 de son arrêt ;

* juger que la contribution à la dette pour Novandie est de 30,13% ;

* d’écarter la méthode de répartition du préjudice retenue par la SAS Eurial Ultra Frais basée sur les seules parts de marché des intimées ;

* de juger que les sommes suivantes, incluant les intérêts, doivent être allouées aux sociétés Cora et Supermarchés Match, en réparation du préjudice « financier » subi du fait de l'entente illicite entre fabricants de produits laitiers sur la période de décembre 2006 à février 2012, tel que fixé par la cour d'appel de Paris dans son arrêt rendu le 24 novembre 2021, non cassé sur ce point par l’arrêt du 7 juin 2023 de la Cour de cassation, à la somme globale de 2 044 220 euros pour Cora et la somme globale de 332 780 euros pour Supermarchés Match (avant article 700 du code de procédure civile et dépens) :

 Enseignes Préjudice ( €) avant application du taux d’intérêt Préjudice actualisé ( €) (du 9/02/12 au 24/11/21)

Eurial Cora 971 774,10 1 040 098,55

 Match 158 195,78 169 318,36

 Total 1 129 969,88 1 209 416,91

Novandie Cora 626 494,77 670 542,98

 Match 101 987,52 109 158,16

 Total 728 482,30 779 701,14

Lactalis B&C Cora 415 999,19 445 247,67

 Match 67 720,80 72 482,18

 Total 483 719,98 517 729,85

LNUF MDD Cora 29 951,94 32 057,83

 Match 4 875,90 5 218,72

 Total 34 827,84 37 276,55

Total Cora 2 044 220,00 2 187 947,03

 Match 332 780,00 356 177,42

 Total 2 377 000,00 2 544 124,45

- compte tenu des paiements intervenus au bénéfice des sociétés Cora et Supermarchés Match le 13 janvier 2022 (hors article 700 du code de procédure civile et dépens), de :

* condamner  la  SAS  Cora  à  payer  à  la  SNC  Novandie  la  somme  de  345 715,68 euros ;

* condamner la SAS Supermarchés Match à payer à la SNC Novandie la somme de 43 321,8 euros ;

* condamner les sociétés Cora et Supermarchés Match à verser à la SNC Novandie la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* statuer ce que de droit sur les dépens.

17. Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu’aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

18. L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 octobre 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

19. A titre liminaire, la Cour rappelle que, conformément à l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens à leur soutien que s’ils sont invoqués dans la discussion, les conclusions devant comprendre distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Aussi, le rappel des faits et de la procédure effectué par les parties ne peuvent être considérés comme un exposé de leurs moyens. Ceux qui y seraient exclusivement développés ne seront pas examinés.

1°) Sur le préjudice financier de la SAS Cora et de la SAS Supermarchés Match : l’obligation et la contribution à la dette

Moyens des parties

20. Au soutien de leurs prétentions, les sociétés Cora et Supermarchés Match, qui rappellent que l’entreprise victime d’un dommage du fait de pratiques anticoncurrentielles a droit au paiement des intérêts destinés à compenser la perte de chance d’utiliser les sommes dont elle a été privée durant le temps écoulé entre la naissance de son préjudice et sa réparation effective (préjudice dit de trésorerie distinct du surcoût engendré par les pratiques), exposent que les intérêts courent de la naissance du préjudice, soit le 1er octobre 2007, à la date de sa constitution définitive qui correspond à la date de l’arrêt à intervenir, le taux d’intérêt devant s’appliquer chaque année aux sommes cumulées au titre des gains manqués pour tenir compte de sa constitution progressive. Elles précisent ainsi que, si les intérêts compensatoires sont dus jusqu’au jour du jugement, la créance de réparation produit de plein droit des intérêts au taux légal jusqu’à complet paiement conformément à l’article 1231-7 du code civil, et que, l’arrêt ayant été cassé, les intérêts ont continué à courir postérieurement au 24 novembre 2021, jusqu’au jour de l’arrêt à intervenir.

21. Elles expliquent par ailleurs que, si l’arrêt a été cassé à raison de sa motivation impropre relative à l’application du taux marginal de financement, celui-ci demeure pertinent, la Cour de cassation n’ayant pas imposé le choix du taux légal mais sanctionné l’insuffisance des motifs de l’arrêt. Elles précisent à cet égard que, par l’effet des pratiques anticoncurrentielles, elles n’ont pas été en mesure de limiter la réduction continue de leurs effectifs, que la SAS Cora n’a pu rembourser plus tôt le crédit hypothécaire qu’elle avait souscrit en juin 2006, la charge des intérêts versés ayant été alourdie, et que les besoins de financement de la SAS Supermarchés Match ont été aggravés. Elles en déduisent que, en l’absence du préjudice qu’elles ont subi, elles auraient pu utiliser les sommes dont elles ont été privées pour remédier, au moins partiellement, aux importantes difficultés auxquelles elles faisaient face. Elles indiquent en outre que ni la preuve d’un lien de causalité entre les pratiques et le préjudice de trésorerie ni celle d’un projet concret d’investissement auquel elles auraient renoncé n’ont à être rapportées. Elles sollicitent en conséquence

« l’actualisation » de leur préjudice sur la base du taux marginal de financement, soit, pour la SAS Cora, son taux d’emprunt hypothécaire jusqu’à son terme en juin 2018 puis à partir de juillet 2018 le coût de sa dette tel qu’estimé par son actionnaire de l’époque Louis Delhaize qui reflète le taux de rentabilité exigé par celui-ci pour refinancer son passif, et, pour la SAS Supermarchés Match, le coût de sa dette, tel qu’estimé par son actionnaire de l’époque Louis Delhaize qui reflète le taux de rentabilité exigé par celui-ci pour refinancer son passif. Subsidiairement, elles proposent l’application du taux légal majoré de 0,5 points de pourcentage.

22. Les sociétés Cora et Supermarchés Match estiment ne pas être concernées par le débat sur la contribution à la dette dont l’issue ne saurait les conduire à rembourser, outre des intérêts, une part du capital. Elles indiquent que, par l’effet de la cassation partielle, la condamnation in solidum des intimées au titre de leurs différents préjudices s’impose, peu important le paiement effectif des condamnations.

23. En réponse, les sociétés Lactalis exposent que la cour doit statuer, avant calcul des intérêts, sur la contribution à la dette, soit la répartition entre les co-défenderesses des sommes globales de 2 044220 euros et de 332 780 euros respectivement allouées aux sociétés Cora et Supermarchés Match, et condamner ces dernières à leur verser le trop- perçu découlant de l’application infondée d’un taux ad hoc. Elles ajoutent que la distribution de la charge finale de la dette s’opère en considération de la gravité de l’implication de chaque intimée dans les pratiques anticoncurrentielles qui n’est pas reflétée par le montant des amendes prononcées par l’Autorité de la concurrence fixé en considération d’autres critères, tels le statut de demandeur de clémence, la non-contestation des griefs ou les facultés contributives propres de l’auteur. Elles en déduisent que la gravité des fautes respectives des intimées peut être appréciée, au regard des sanctions prononcées, au stade de la détermination des sanctions pécuniaires avant les ajustements finaux liés à la procédure de clémence (dont a bénéficié, avec une réduction de 35 %, Sénagral devenue Eurial), à la procédure de non-contestation de griefs (dont ont bénéficié, avec une réduction de 19 %, les sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C, et avec une réduction de 16%, la société Novandie) et la prise en compte des difficultés financières des entreprises (dont ont bénéficié, avec une réduction de 73,65 %, la société Sénagral devenue Eurial, et avec une réduction de 44,62 %, la société Novandie). Elles ajoutent que la Cour de cassation n’a pas censuré l’arrêt au motif qu’il s’est prononcé en considération du montant des amendes infligées mais en ce qu’il s’est exclusivement fondé sur celui intégrant d’autres considérations que la gravité des fautes et contestent la pertinence de la prise en compte sollicitée par la SAS Eurial Ultra Frais « du poids du chiffre d’affaires des produits frais MDD réalisé par [les sociétés Cora et Supermarchés Match] dans le poids total réalisé par chaque co-intimée » ou de leurs parts de marché.

24. Sur la détermination du taux d’intérêt applicable, elles soutiennent que les sociétés Cora et Supermarchés Match ne prouvent ni l’usage concret qu’elles auraient fait des sommes demandées et que la trésorerie dont elles prétendent avoir été privées, qui représentent un montant minime de leurs besoins en financement, aurait été affectée à leur désendettement, ni que la souscription de son crédit hypothécaire par la première et les résultats négatifs de la seconde ainsi que la réduction de leurs effectifs trouveraient leur cause dans les pratiques sanctionnées. Elles en déduisent l’application du taux légal non majoré. Elles ajoutent que, les sommes fixées par l’arrêt du 24 novembre 2021 ayant été intégralement réglées et étant par hypothèse supérieures à celles que la cour déterminera, l’indemnisation n’est pas à parfaire et ne peut générer des intérêts au taux légal à compter de son prononcé.

25. Sur le régime des intérêts, elles précisent que, la moyennisation des taux faussant les calculs, il est nécessaire d’appliquer année après année le taux d’intérêt de chaque année. Elles indiquent en outre que les intérêts compensatoires du préjudice principal, soit les intérêts réparant la privation temporaire des sommes allouées en réparation du préjudice principal, courent à compter du jour du début des pratiques à la date du jugement accordant la réparation, en tenant compte de la progressivité de la constitution de ce préjudice, tandis que les intérêts moratoires, soit ceux réparant le préjudice né du retard à exécuter une obligation pécuniaire, soit ici une décision de justice, courent du jour de celle-ci jusqu'à complet paiement conformément à l’article 1231- 7 du code civil. Elles concluent en conséquence à l’application :

- au titre des intérêts compensatoires, du taux d’intérêt légal de chaque année tenant compte de la progressivité de la constitution du préjudice, d’octobre 2007 au 24 novembre 2021 (date de l’arrêt de la cour d’appel fixant l’indemnisation des sociétés Cora et Supermarchés Match) ;

- au titre des intérêts moratoires, du taux d’intérêt légal du 24 novembre 2021 au 5 janvier 2022, date de paiement par la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et la SNC Lactalis Beurres & Crèmes de la somme de 1 519 668,73 euros fixée par l’arrêt.

26. La SAS Eurial Ultra Frais expose que les sociétés Cora et Supermarchés Match ne démontrent ni un accroissement de financement ayant entrainé une augmentation de leur endettement et de leurs frais financiers qui pourrait justifier l’application du taux marginal de financement, ni l’usage qu’elles auraient fait des sommes prétendument perdues. Elle précise à ce titre que l’emprunt hypothécaire a été souscrit par la SAS Cora avant le commencement des pratiques anticoncurrentielles, qui sont de ce fait étrangères à la fixation de son montant, et que rien ne prouve l’impact de ces dernières sur le coût de la dette des appelantes ou sur la baisse de leurs effectifs, le préjudice subi représentant la part anecdotique de 0,2 % de leur chiffre d’affaires en 2017. Elle en déduit la nécessaire application du taux légal non majoré, année après année et sans moyennisation.

27. Elle explique par ailleurs que le point de départ des intérêts ne coïncide pas avec le commencement des pratiques anticoncurrentielles et que les intérêts ne peuvent être calculés globalement mais doivent être divisés entre les intimés en fonction de leur part contributive dans la réalisation du préjudice financier. Elle en déduit que « le calcul des intérêts compensatoires devra en tout état de cause être indexé au chiffre d’affaires réalisé par les Appelantes avec chacune des Intimées ». Elle indique en outre que les intérêts compensatoires ne courent plus à compter de la date à laquelle la cour d’appel a définitivement statué sur les sommes globales dues aux sociétés Cora et Supermarchés Match au titre du préjudice subi, soit le 24 novembre 2021.

28. Sur la contribution à la dette, elle soutient que le montant de l’amende globale infligée par l’Autorité de la concurrence, dépendant de critères d’individualisation propres aux auteurs, est, comme le montant intermédiaire retenu par les sociétés Lactalis, décorrélé du préjudice individuel subi par la victime des pratiques. Elle expose que, « pour calculer la part contributive de chacune des Intimées dans le préjudice global subi par les Appelantes, il convient en réalité de prendre en compte le chiffre d’affaires réalisé par chacune des Intimées avec les Appelantes, lequel permet de refléter l’impact réel, sur les Appelantes, du comportement anticoncurrentiel individuel de chacune des Intimées à l’origine du préjudice subi », soit le montant des achats de produits laitiers frais MDD réalisés par les sociétés Cora et Supermarchés Match avec chacune des entités membres de l’entente, élément pris en compte pour déterminer le préjudice global définitivement jugé.

29. La SNC Novandie expose que la contribution à la dette doit être déterminée en considération de de la proportion de la gravité des fautes respectives des intimées, telle que fixée par la cour d’appel de Paris statuant en appel de la décision de l’Autorité de la concurrence, au paragraphe 595 de son arrêt du 23 mai 2017, soit sur la base du montant intermédiaire de la sanction, après individualisation de cette dernière, dans la mesure où ce montant tient compte de la gravité de l’implication de chacune des sociétés à la pratique, de la durée de la participation de chaque entreprise dans celle-ci et d’un éventuel comportement de franc-tireur, mais avant tout ajustement final lié aux procédures de clémence et de non-contestation des griefs ainsi qu’aux difficultés financières des intimées. Elle conteste toute répartition fondée sur les parts de marché en ce que cette théorie est destinée à permettre l’indemnisation de victime dans l’incapacité d’identifier le fabricant du médicament (TJ Nanterre, 10 avril 2024, n°12/12349) cause de son dommage et en ce qu’elle occulte le comportement individuel concret de chaque coauteur en considérant que la structure du marché reflète à elle seule la gravité de la faute. Elle ajoute que cette méthode ne correspond à la détermination de la gravité opérée par l’Autorité de la concurrence sans égard pour les parts de marché respectives des auteurs qui n’éclairent de surcroît pas les ventes spécifiquement réalisées auprès d’une entreprise en particulier.

30. Elle explique par ailleurs que le préjudice devra être actualisé à compter du 9 février 2012, date à laquelle l’entier préjudice a été constitué (et non à compter du 1er octobre 2007), jusqu’à extinction de la créance de réparation soit le 24 novembre 2021, date à laquelle la cour statuant en appel de la décision du tribunal de commerce de Paris a rendu son arrêt, la progressivité du préjudice étant prise en compte par l’application du taux d'intérêt légal, ajusté régulièrement par décret. Elle expose en outre que, faute de prouver un préjudice spécifique provenant de l’indisponibilité de sommes, les sociétés Cora et Supermarchés Match ne peuvent prétendre à l’application d’un taux distinct du taux d’intérêt légal. Elle conteste toute moyennisation de ce taux et sollicite son application année après année pour tenir compte de la progressivité de la constitution du préjudice.

Réponse de la cour

a) Sur le périmètre de la cassation et l’obligation à la dette

31. Conformément aux articles 623 à 625, 631 et 638 du code de procédure civile, la portée de la cassation, qui peut être totale, ou partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres, est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire, la cassation replaçant, sur les points qu'elle atteint, les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé. Devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation et l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

32. Par l’effet de la cassation partielle, l’arrêt du 24 novembre 2021, en ce qu’il infirme le jugement du 20 février 2020 en ce qu’il rejeté les demandes des sociétés Cora et Supermarchés Match et les a condamnées au titre des frais irrépétibles et des dépens, est définitif des chefs de dispositif suivants :

- dit que les sociétés Cora et Supermarchés Match ont subi un préjudice financier certain du fait de l'entente illicite entre fabricants de produits laitiers sur la période de décembre 2006 à février 2012 ;

- fixe ledit préjudice financier subi par la société Cora à la somme globale de 2 044  220 euros et celui subi par la société Supermarchés Match à la somme globale de 332 780 euros.

33. Tous les chefs de dispositif de l’arrêt d’appel portant condamnation sont ainsi annulés. Si la Cour de cassation a, tout en relevant que la cour d’appel avait prononcé à tort une condamnation conjointe et non in solidum, déclaré irrecevable faute d’intérêt le moyen afférent à raison du paiement de l’indemnité fixée par les défenderesses, il n’en demeure pas moins que tout paiement suppose une dette au sens de l’article 1302 du code civil et que l’exécution forcée implique un titre au sens des articles L 111-2 et 3 du code des procédures civiles d'exécution. Or, la créance payée par les participants à l’entente avait juridiquement pour cause l’arrêt cassé en ce que, constitutif de droits, il comportait dans son dispositif au sens des articles 455 et 480 du code de procédure civile des condamnations visant une créance liquide et exigible et des débiteurs clairement identifiés. Et, la seule fixation du montant d’un préjudice sans mention expresse d’une condamnation de la personne qui doit exécuter ne constitue pas, les motifs décisifs ou décisoires ne pouvant suppléer cette omission, un titre exécutoire fondant l’exécution forcée (en ce sens, 2ème Civ., 21 mars 2002, n° 00-19.051). Aussi, il est nécessaire de causer le paiement réalisé en exécution d’un chef de dispositif annulé qui, à défaut, est non seulement insusceptible d’être poursuivi par le biais d’une exécution forcée mais peut donner lieu à répétition intégrale.

34. Contestant l’utilité d’une condamnation explicite, les intimées entendent limiter le débat à la contribution à la dette en occultant le fait qu’il suppose préalablement tranchée la question de l’obligation à dette. Or, celle-ci était résolue par l’arrêt cassé par une condamnation conjointe qu’elles assimilent à tort à une répartition de la charge définitive de la créance indemnitaire des appelantes, d’ailleurs sans en respecter le régime puisqu’elles leur opposent cette répartition qui ne devrait concerner dans ce cadre que leurs rapports réciproques. De fait, alors que les sociétés Cora et Supermarchés Match sollicitent depuis leur assignation une condamnation in solidum des sociétés Lactalis, de la SAS Eurial Ultra Frais et de la SNC Novandie sans envisager subsidiairement des condamnations conjointes, ces dernières n’avaient soumis ni demande ni moyen relatif à la contribution à la dette, ou plus généralement à sa divisibilité, tant en première instance qu’en appel, le débat sur ce point n’étant né que consécutivement à la décision du 24 novembre 2021.

35. Il est définitivement jugé que les sociétés Cora et Supermarchés Match ont subi un préjudice évalué à la somme de 2 044 220 euros pour la première et de 332 780 euros pour la seconde et que celui-ci a été causé par l’entente à laquelle ont participé les sociétés Lactalis, la SNC Novandie et la SAS Eurial Ultra Frais. Ces dernières ne contestent pas leur qualité de coauteurs du dommage, qualité qui appelle nécessairement, ainsi que le relève la Cour de cassation, leur condamnation in solidum à réparer le préjudice unique et globalement fixé résultant du dommage que leurs actions concertées et conjuguées ont concouru à réaliser en son entier.

36. En conséquence, tirant les conséquences de l’infirmation du jugement sur ce point et de la fixation globale du préjudice des sociétés Cora et Supermarchés Match, la Cour condamnera in solidum les intimées à payer à la première la somme de 2 044 220 euros et à la seconde celle de 332 780 euros. A raison des paiements déjà effectués, cette condamnation sera prononcée en deniers ou quittances.

b)   Sur le préjudice additionnel

37. En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

- Sur la nature du préjudice additionnel

38. Les sociétés Cora et Supermarchés Match sollicitent « l’actualisation » du préjudice dont le principe et le montant ont été fixés par l’arrêt du 24 novembre 2021. Cette formule, en ce qu’elle renvoie à l’idée d’une évolution de son montant liée à l’écoulement du temps sinon à son aggravation et induit l’existence d’un préjudice unique dont le quantum est augmenté par l’application d’intérêts moratoires vise, mais d’une manière qui peut être considéré comme inadéquate sur le plan terminologique cependant, le préjudice spécifique distinct du préjudice dont elles poursuivent l’indemnisation et qui réside dans l’indisponibilité des sommes dont elles ont été privées en raison des faits dommageables.

39. Tandis que les intérêts moratoires sanctionnent, sans preuve d’un dommage par le créancier, un retard de paiement d’une obligation de somme d’argent ou d’une condamnation à une indemnité au sens des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts dits compensatoires sont destinés à réparer le préjudice additionnel né de la prolongation dans le temps des préjudices d’exploitation au regard de la trésorerie dont la victime a été privée à raison desdits préjudices. Cette composante financière du préjudice peut correspondre à des conséquences très différentes dans la situation d’une victime : elle peut avoir empêché la victime d’investir et d’obtenir le retour sur capitaux employés (cout moyen pondéré du capital ou WACC) qu’elle pouvait s’attendre à obtenir des fonds dont elle a été privée ce qui peut correspondre à un gain manqué ou une perte de chance dans son exploitation ; elle pourra avoir empêché l’entreprise de placer sa trésorerie et d’obtenir la rémunération de ce placement (gain manqué), ou encore avoir empêché la victime de rembourser sa dette ce qui lui aura occasionné des surcoûts financiers sur la période de privation de cette trésorerie (perte subie).

40. Ce préjudice spécifique, quoique découlant d’un préjudice antécédent qui en constitue l’assiette de calcul, est autonome : il n’obéit pas au régime spécial des intérêts moratoires et, conformément au droit commun de la responsabilité civile, doit être prouvé en son principe et son étendue. Le fait qu’il soit déterminé par application au principal (ici, le préjudice de surcoût) d’un taux fonction de la consistance du dommage à réparer n’en change pas la nature, les intérêts étant, non sa substance, mais une modalité de sa quantification.

41. La possibilité de réparer un tel préjudice, qui découle du principe de la réparation intégrale et est admise en droit interne (en ce sens, Com., 26 mai 1961, n° 238, Com. 31 mars 2021, n° 19-15.735, et Com. 1er mars 2023, n° 20-18.536 et 20-20.416) et en droit de l’Union (en ce sens, dans le cadre général de la responsabilité extracontractuelle, CJCE, Mulder et autres, 27 janvier 2000, Mulder et autres du 27 janvier 2000, C-104/89 et C- 37/90, §51, et CJCE, Marshall, 2 août 1993, C 271/91, §31 et 32), ne fait pas débat.

42. Pour prévenir toute confusion sémantique, la Cour emploiera de manière synonyme pour désigner ce préjudice le qualificatif financier ou l’expression préjudice de trésorerie, le « préjudice financier certain » fixé définitivement dans le dispositif de l’arrêt du 24 novembre 2021 s’entendant ainsi d’un préjudice économique quand l’actualisation évoquée dans le chef de dispositif cassé renvoie au préjudice financier stricto sensu.

43. Les intimées ne contestant pas le principe du préjudice additionnel allégué par les sociétés Cora et Supermarchés Match mais discutant exclusivement son montant et ce dernier découlant du préjudice économique et de l’indisponibilité des sommes correspondantes, la condamnation in solidum des intimées à réparer le premier commande leur condamnation in solidum à indemniser le préjudice financier des sociétés Cora et Supermarchés Match.

44. En conséquence, les intimées seront condamnées in solidum à réparer le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match sans pouvoir leur opposer la répartition finale de la dette dans leurs rapports respectifs (en ce sens, 2ème civ., 29 avril 1970, n° 68-13.592).

- Sur les modalités de détermination du préjudice

Sur la progressivité de la constitution du préjudice

45. Ayant pour assiette les sommes dont ont été privées les sociétés Cora et Supermarchés Match par l’effet de l’entente, le préjudice financier est de constitution progressive : il naît dès les premiers effets dommageables des pratiques anticoncurrentielles et croît, par l’effet du cumul des sommes indisponibles, jusqu’à la décision de justice consacrant le droit à indemnisation qui marque le point de départ des intérêts moratoires au taux légal conformément à l’article 1231-7 du code civil, le préjudice ne consistant alors plus, à compter de cette date, qu’en un retard dans le paiement.

C’est ainsi que s’articulent les décisions rendues par la Cour de cassation dans ce litige et dans l’affaire Orange c. Digicel citée par les parties (Com., 1er mars 2023, n° 20-

18.356 et 20-20.416). Tandis que, dans cette dernière, elle précisait que la date des premiers effets des pratiques fautives ne pouvait constituer le point de départ des intérêts compensatoires sur la somme finale puisque le préjudice n’était alors pas entièrement constitué (§48 et 49), elle a jugé dans l’arrêt du 7 juin 2023, d’une part, que le principe de réparation intégrale impliquait la fixation d’un taux d’intérêt pour chaque année d’indisponibilité (§56) et, d’autre part, que « les intérêts destinés à compenser le préjudice pris de la privation des sommes, dont le cours s’achève à la date du jugement, la créance de réparation produisant ensuite intérêts au taux légal de plein droit jusqu’à complet paiement en application de l’article 1231-7 du code civil, doivent être alloués en tenant compte de la progressivité de la constitution de ce préjudice ». Le caractère progressif de la constitution du préjudice, qui épouse l’accumulation des sommes indisponibles constituant le préjudice économique, proscrit la prise en compte exclusive des dates de déploiement des premiers effets des pratiques, le préjudice étant alors naissant et l’indemnisation assise sur son assiette finale excédant nécessairement sa mesure, ou de leur cessation, la réparation étant alors inférieure au préjudice effectivement subi pour la période antérieure non prise en compte.

46. La position des sociétés Novandie et Eurial Ultra Frais, qui entendent fixer le point de départ des intérêts compensatoires au jour de la constitution définitive du préjudice, soit le 9 février 2012, reproduit exactement celle de l’arrêt du 24 novembre 2021 cassé sur ce point : en occultant la période antérieure de constitution progressive du préjudice, elle se traduit nécessairement par une minoration de l’indemnisation en violation du principe de la réparation intégrale. Elle n’est pas fondée.

47. Aussi, le préjudice financier doit être calculé par application du taux idoine aux sommes cumulées, année après année, dont ont été privées les sociétés Cora et Supermarchés Match à compter de la première manifestation des effets des pratiques illicites (première hausse de prix), soit, ainsi que l’admettent les parties, le 1er octobre 2017, date retenue dans l’arrêt du 24 novembre 2021, définitif sur ce point, pour déterminer le quantum du préjudice économique des appelantes (page 17).

48. Ainsi que l’a jugé la Cour de cassation, le cours des intérêts compensatoires s’achève à la date de la décision de justice consacrant l’existence du préjudice économique servant d’assiette au préjudice financier : à compter de celle-ci, le préjudice financier est définitivement constitué et son absence de paiement est un retard réparé conformément à l’article 1231-7 du code civil par l’allocation des intérêts moratoires produits par la créance indemnitaire à laquelle il correspond (en ce sens, antérieurement à l’arrêt du 7 juin 2023, Com., 1er mars 2023, n° 22-16.329, §32 et 33).

49. Si les chefs de condamnation de l’arrêt du 24 novembre 2021 ont été cassés et annulés, cette décision, qui fixe néanmoins définitivement le préjudice économique des sociétés Cora et Supermarchés Match, a servi, en fait, de fondement aux paiements réalisés par les intimées qui se sont acquittées de l’intégralité du principal. Le préjudice économique servant d’assiette de calcul du préjudice financier et fixant les bornes temporelles de l’indisponibilité des sommes qui le constitue, il importe peu que les sommes versées au titre du préjudice financier soient ou non inférieures à celles qui seront fixées par cet arrêt.

50. Dès lors, le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match s’est progressivement constitué du 1er octobre 2007 au 24 novembre 2021, dates encadrant le cours des intérêts compensatoires auxquels ont succédé, à compter du 24 novembre 2021 les intérêts moratoires de la créance indemnitaire que les premiers forment. Les intimées étant condamnées in solidum, tant au titre du préjudice économique qu’à celui du préjudice financier qui en résulte, et les intérêts moratoires étant un accessoire de la créance sur laquelle ils portent, ceux-ci sont dus, par analogie avec l’article 1313 du code civil, par tous les codébiteurs in solidum jusqu’à extinction de la créance par son paiement intégral. Ce n’est qu’au stade de la contribution à la dette que le débiteur qui a tardé à payer devra régler à ses codébiteurs la quote-part correspondant aux intérêts supplémentaires qui ont couru à raison de son retard personnel.

Sur le quantum du préjudice : le taux applicable

51. Ainsi que le précise la Cour de cassation qui a cassé les dispositions de l’arrêt du 24 novembre 2021 retenant le taux marginal de financement, le taux d’intérêt utilisé pour quantifier le préjudice financier, qui réside dans la privation d’une somme d’argent qui aurait pu être mobilisée par la victime à des fins diverses, dépend de l’usage apprécié in concreto que cette dernière en aurait fait des sommes dont elle a été privée temporairement.

52. En application de l’article 9 du code de procédure civile, la preuve de cet usage, qui permet le succès de sa prétention (l’octroi d’un taux d’intérêt supérieur au taux légal), incombe aux sociétés Cora et Supermarchés Match.

53. Pour justifier l’application du taux marginal auquel elles obtiennent leurs ressources de financement, les sociétés Cora et Supermarchés Match, qui soulignent avoir été « dans une situation financière délicate » à l’époque des pratiques et invoquent (i) la réduction de leurs effectifs qui auraient été moindre en l’absence d’entente, (ii) l’impossibilité pour la SAS Cora d’un remboursement anticipé du crédit hypothécaire souscrit en juin 2006 et d’une diminution corrélative des intérêts versés à ce titre et (iii) l’accroissement des besoins de financement de la SAS Supermarchés Match qui a raison de ses résultats négatifs a été contrainte d’emprunter auprès de son actionnaire, Louis Delhaize, limitent leur offre de preuve à quatre pièces :

- Un document intitulé « évolution effectifs et du CA » de Cora (pièce n°5)

- Un document intitulé « Effectif au 31.12 de 2007 à 2012 » relatif aux effectifs de Supermarchés Match sur la période 2007 à 2012 ;

- Un document relatif au crédit hypothécaire souscrit par Cora en juin 2006 (pièce n°7) ;

- Un document intitulé « Courbe CA EBE depuis 2006 – 2017 » (pièce n°8).

54. Or ces documents internes ne font l’objet d’aucune attestation et ne sont pas étayés par aucune pièce. Ainsi, leurs conditions de constitution sont indéterminables et leurs données sont invérifiables.

55. Il est relevé de plus, s’agissant des besoins en financement de la SAS Supermarchés Match, qu’aucune pièce exploitable n’est versée au débat.

56. De surcroit, à supposer que ces documents aient néanmoins une force probante et puissent être considérées comme suffisants, il est observé que les sociétés Cora et Supermarchés Match reconnaissent, d’une part, que leurs difficultés financières, importantes, ont débuté avant l’entente et d’autre part, que le crédit hypothécaire souscrit par Cora avant  les premiers effets des pratiques en juin  2006 pour un montant de    750 000 000 euros (leur pièce 7) impliquait  des remboursements annuels de plus  de  14 000 000 euros pendant 12 ans, l’article 7.2 du contrat de crédit imposant en cas de remboursement anticipé un montant minimum d’annulation de 1 000 000 euros. Dès lors, c’est en vain que les parties se limitent (p. 27 de leurs écritures) à alléguer, in abstracto, qu’elles auraient pu utiliser les sommes dont elles ont été privées pour remédier, au moins partiellement, aux difficultés auxquelles elles avaient à faire face, l’arrêt du 24 novembre 2021 ayant été précisément cassé pour avoir retenu que « ces sociétés ont été privées par les pratiques anticoncurrentielles de disposer de ces sommes, ce qui a nécessairement eu un impact sur leur trésorerie et impliqué un accroissement de leur besoin de financement et donc de leurs frais financiers » (souligné par la Cour).

57. Dans ces circonstances, l’application d’un taux d’intérêt supérieur au taux légal, majoration de 0,5 points de pourcentage comprise, n’est pas justifiée.

58. Enfin, les intérêts au taux légal seront capitalisés par années entières, non par application de l’article 1343-2 (anciennement 1154) du code civil qui régit les intérêts moratoires de la créance et non le préjudice financier (en ce sens, Com., 1er mars 2023, n° 20-18.356, déjà cité, §30 et 31), mais en ce que la capitalisation est le reflet des opérations financières usuelles et qu’elle participe de ce fait de la réparation intégrale du préjudice, ce que les intimées ne contestent pas.

59. En conséquence, la SA Groupe Lactalis, la SNC Lactalis Beurres & Crèmes, la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD, la SAS Eurial Ultra Frais et la SNC Novandie seront condamnées in solidum à réparer le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match du fait de l’indisponibilité des sommes dont elles ont été privées par l’effet de l’entente. Aucune des hypothèses retenues par les parties ne correspondant à celle adoptée par la Cour, ce préjudice financier sera défini non en son quantum mais en ses modalités de fixation. Il sera égal :

- pour la SAS Cora, aux intérêts au taux légal courus sur la somme progressivement constituée de 2 044 220 euros entre le 1er octobre 2007 et le 24 novembre 2021, les intérêts étant appliqués par tranches annuelles et capitalisés annuellement ;

- pour la SAS Supermarchés Match, aux intérêts au taux légal courus sur la somme progressivement constituée de 332 780 euros entre le 1er octobre 2007 et le 24 novembre 2021, les intérêts étant appliqués par tranches annuelles et capitalisés annuellement.

60. Pour les besoins de cette quantification, les tranches annuelles auxquelles sont appliqués les intérêts au taux légal de l’année correspondante seront ainsi déterminées, conformément à la pièce 9 des sociétés Cora et Supermarchés Match non contestée en sa teneur et en sa pertinence :

Année SAS Cora SAS Supermarchés Match

2007 86 734 15 335

2008 440 407 63 430

2009 424 432 77 417

2010 328 593 72 472

2011 497 544 78 116

2012 266 509 26 009

Total 2 044 220 332 780

61. Par ailleurs, la somme finale correspondant au préjudice financier ainsi quantifié et fixé portera intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2021 conformément à l’article 1231-7 du code civil, les intimées étant condamnées in solidum à les payer. Et, la capitalisation des intérêts ne supposant, à défaut de convention, qu’une demande judiciairement formée et des intérêts dus pour une année entière, celle-ci sera ordonnée conformément à l’article 1154 (devenu 1343-2) du code civil.

62. Au regard des paiements déjà intervenus, ces condamnations seront également prononcées en deniers ou quittances.

- Sur la contribution à la dette

Sur la répartition de la charge finale de la dette

63. Conformément au droit commun de la responsabilité civile délictuelle pour faute prouvée, la répartition finale de la charge de la réparation doit s’opérer entre coobligés fautifs en fonction de la gravité respective de leurs fautes (solution constante depuis Req. 24 février 1886, réaffirmée par 2ème Civ., 13 janvier 2011, n° 09-71.196). Le critère employé est ainsi subjectif et n’a pas le caractère mathématique que lui prêtent les parties, le juge en appréciant souverainement la caractérisation à l’aune de tous les facteurs pertinents. A ce titre, bien que les fautes aient toutes concouru à la réalisation d’un dommage unique, constat qui fondait la condamnation in solidum des intimées, leur rôle causal propre constitue, particulièrement pour apprécier les conséquences économiques d’une pratique anticoncurrentielle qui sont objectivement quantifiables, un de ces facteurs de répartition au stade de la contribution à la dette, chaque faute, tout en état à l’origine de l’entier dommage par ses effets conjugués avec ceux des autres fautes, pouvant avoir joué un rôle plus ou moins déterminant dans sa constitution finale. C’est d’ailleurs un élément désormais retenu par l’article L 481-9 du code de commerce, inapplicable au litige.

64. Les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence ne sont pas déterminées à l’aune de la seule gravité des fautes, l’article L 464-2 du code de commerce précisant à ce titre que les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques anticoncurrentielles. De fait, il ressort de la décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015 que l’amende infligée à la SAS Eurial Ultra Frais (alors Sénagral) a été réduite à raison de son statut de demandeur de clémence et de ses difficultés financières quand celle prononcée contre la SNC Novandie a été diminuée en considération de sa situation économique délicate.

65. Ainsi que l’a retenu la cour d’appel de Paris dans son arrêt n°15/8224 du 23 mai 2017, « au stade de la détermination du montant de base, il convient de prendre en compte la ou les infractions auxquelles ont participé, fût-ce partiellement ou à des degrés d’intensité divers, les entreprises incriminées, sans opérer de distinction entre ces dernières, et fixer, en fonction de la gravité de cette ou de ces infractions et du dommage qu’elles ont causé à l’économie, une proportion de la valeur des ventes commune à toutes les entreprises. Puis, au stade de l’individualisation de la sanction, il convient de prendre en compte les différences de comportement de chaque entreprise – rôle de meneur ou de suiveur ; participation ou non à l’ensemble des pratiques qui, ensemble, ont concouru à l’entente ; intensité de la participation auxdites pratiques, etc. – afin d’adapter la sanction à la hausse ou à la baisse » (§405 de la décision).

66. Dans ces circonstances, le montant intermédiaire de la sanction, en ce qu’il tient compte du comportement individuel de chaque entreprise participante et adapte le montant de base à la gravité de leurs fautes respectives sans égard pour les éléments procéduraux ou financiers évoqués, est un critère pertinent que la Cour estime pouvoir utilement retenir dans le cadre de l’action en réparation consécutive.

67. Aux termes de l’arrêt, cette individualisation intermédiaire aboutit aux résultats suivants (§595)

Entreprises Montant intermédiaire

(en euros) Part contributive de chaque

intimée

Senagral (désormais

Eurial Ultra Frais) 116 800 000 47,89 %

Novandie 75 300 000 30,13 %

LNUF MDD 50 000 000 20,50 %

Lactalis B&C 3 600 000 1,48 %

68. Ce critère reflète la gravité de la faute propre de chaque intimée mais, notamment en ce qu’il est une adaptation du montant de base, intègre des éléments étrangers à cette appréciation (dommage à l’économie, gravité de la pratique elle-même). Aussi peut-il être utilement, non remplacé, mais combiné, dans une logique d’appréciation de la gravité à travers le rôle causal de la faute, au critère concret du montant des achats des produits concernés par l’entente payé par les sociétés Cora et Supermarchés Match à chacune des intimées.

69. Il permet, ainsi que le souligne la SAS Eurial Ultra Frais qui n’évoque pas l’application du critère abstrait tiré de la part de marché de chaque participant à l’entente contrairement à ce que soutient la SNC Novandie, de mesurer l’impact réel du comportement individuel dans la constitution finale du dommage. Sans être contredite, la SAS Eurial Ultra Frais déduit de ces volumes d’achat les parts contributives suivantes : 45,65 % pour la SNC Novandie, 32,48 % pour les sociétés Lactalis et 21,88 % pour la SAS Eurial Ultra Frais.

70. Au regard de ces éléments combinés, la répartition finale de la dette entre les codébiteurs tenus au total (préjudices économique et financier, intérêts moratoires compris) sera la suivante :

- la SAS Eurial Ultra Frais : 42 % ;

- la SNC Novandie : 35 % ;

- les sociétés Lactalis : 23 %.

71. Dans leurs rapports respectifs, chacune de ces sociétés sera condamnée à supporter la quote-part ainsi déterminée, à charge pour elle d’exercer tout recours contre celle qui aurait payé moins que sa part contributive.

Sur le paiement du trop-perçu

72. En application des articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

73. Si l’éventuel trop-perçu des sociétés Cora et Supermarchés Match correspond effectivement à un indu objectif, il l’est à raison de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2023 qui a cassé et annulé l’arrêt servant de fondement aux condamnations acquittées et qui, conformément aux articles 624 et 625 du code de procédure civile, replace les parties, sur les points qu'elle atteint déterminés par son dispositif, dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé. De la même manière qu’un arrêt infirmant un jugement portant condamnation au paiement d'une somme d'argent emporte de plein droit, sans mention expresse de sa part, obligation de restitution des sommes versées en exécution du jugement réformé et constitue le titre exécutoire fondant l’exécution forcée au sens de l’article L 111-3 du code des procédures civiles d'exécution (en ce sens, 2ème Civ., 20 juin 2019, n° 18-18.595 et 2ème Civ., 7 avril 2011, n° 10-18.691), un arrêt de cassation constitue le titre fondant la répétition des sommes payées en exécution de l’arrêt infirmatif cassé (analyse conforme à 2ème Civ., 27 février 2020, n° 18-25.382).

74. Dès lors que les intimées disposent d’un titre pour poursuivre le recouvrement forcé des sommes dont elles demandent répétition, leur prétention, qui ne repose sur aucun intérêt à agir, se heurte à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 7 juin 2023 et est irrecevable en application des articles 122 et 125 du code de procédure civile. Si cette fin de non-recevoir n’est pas dans le débat, aucune réouverture des débats n’est nécessaire au regard de l’évidence de la solution et de l’automaticité de ses conséquences.

75. En conséquence, la demande de condamnation de chacune des intimées sera déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir en répétition et violation de l’autorité de la chose jugée.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

76. Le jugement entrepris a été définitivement infirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens par l’arrêt du 24 novembre 2021.

77. Succombant à l’appel, la SNC Novandie, la SAS Eurial Ultra Frais, la SA Groupe Lactalis, la SNC Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et la SNC Lactalis Beurres & Crèmes, dont la demande au titre des frais irrépétibles seront rejetées, seront condamnées in solidum à supporter les entiers dépens d’appel, qui comprennent ceux de l’instance ayant abouti à l’arrêt cassé (en ce sens, 2ème Civ., 19 novembre 2008, n° 07-20.281) et seront recouvrés directement par Maître Audrey Schwab – SELARL 2H Avocats conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer aux sociétés Cora et Supermarchés Match la somme de 15 000 euros chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Constate que, définitif sur ces points, l’arrêt du 24 novembre 2021 a infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Cora et Supermarchés Match de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées aux dépens et à payer les frais irrépétibles, et l’a confirmé pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés dans les limites de sa saisine sur renvoi après cassation,

Condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à payer à la SAS Cora la somme de 2 044 220 euros et à la SAS Supermarchés Match celle de 332 780 euros en réparation intégrale de leur préjudice économique ;

Rappelle que, conformément à l’article 1231-7 du code civil, cette somme a porté intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2021 et condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à les payer à due proportion aux sociétés Cora et Supermarchés Match ;

Dit que ces intérêts moratoires de la créance indemnitaire sont dus par tous les codébiteurs in solidum jusqu’à extinction de la créance par son paiement intégral, à charge pour ces derniers, au stade de la contribution à la dette et selon la clé de répartition fixée infra, de se retourner contre leur codébiteur qui a tardé à payer pour lui réclamer la quote-part correspondant aux intérêts supplémentaires qui ont couru à raison de son retard personnel ;

Dit que, en raison des paiements déjà effectués, ces condamnations au principal et aux intérêts moratoires sont prononcées en deniers ou quittances ;

Condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à réparer intégralement le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match du fait de l’indisponibilité des sommes dont elles ont été privées par l’effet de l’entente, sans pouvoir leur opposer la répartition finale de la dette dans leurs rapports respectifs, et dit que, en raison des paiements déjà effectués, cette condamnation est prononcée en deniers ou quittances ;

Dit que ce préjudice financier est égal :

- pour la SAS Cora, aux intérêts au taux légal courus sur la somme progressivement constituée de 2 044 220 euros entre le 1er octobre 2007 et le 24 novembre 2021, les intérêts étant appliqués par tranches annuelles et capitalisés annuellement ;

- pour la SAS Supermarchés Match, aux intérêts au taux légal courus sur la somme progressivement constituée de 332 780 euros entre le 1er octobre 2007 et le 24 novembre 2021, les intérêts étant appliqués par tranches annuelles et capitalisés annuellement ;

Dit que, pour les besoins de cette quantification, les tranches annuelles auxquelles sont successivement appliqués les intérêts au taux légal de l’année correspondante sont ainsi déterminées :

Année SAS Cora SAS Supermarchés Match

2007 86 734 15 335

2008 440 407 63 430

2009 424 432 77 417

2010 328 593 72 472

2011 497 544 78 116

2012 266 509 26 009

Total 2 044 220 332 780

Dit que la somme finale correspondant au préjudice financier ainsi quantifié et fixé portera intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2021 conformément à l’article 1231-7 du code civil et condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à les payer à due proportion aux sociétés Cora et Supermarchés Match ;

Dit que ces intérêts moratoires de la créance indemnitaire sont dus par tous les codébiteurs in solidum jusqu’à extinction de la créance par son paiement intégral, à charge pour ces derniers, au stade de la contribution à la dette et selon la clé de répartition fixée infra, de se retourner contre leur codébiteur qui a tardé à payer pour lui réclamer la quote-part correspondant aux intérêts supplémentaires qui ont couru à raison de son retard personnel ;

Ordonne la capitalisation de ces intérêts moratoires courus sur le préjudice financier à compter du 24 novembre 2021 dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Dit que, au regard des paiements déjà intervenus, ces condamnations sont également prononcées en deniers ou quittances ;

Dit que dans leurs rapports respectifs, la répartition finale de la dette entre les codébiteurs tenus au total (préjudices économique et financier, intérêts moratoires courus sur chacun d’eux compris) est la suivante :

- la SAS Eurial Ultra Frais : 42 % ;

- la SNC Novandie : 35 % ;

- les sociétés Lactalis : 23 % ;

Condamne tout codébiteur in solidum à rembourser la part lui incombant qui aurait été supportée par un autre ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes des sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes au titre de la restitution d’un éventuel trop-perçu ;

Rejette les demandes des sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à payer à la société Cora la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à payer à la sociétés Supermarchés Match la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Novandie, Eurial Ultra Frais, Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD et Lactalis Beurres & Crèmes à supporter les entiers dépens d’appel qui seront recouvrés directement par Maître Audrey Schwab – SELARL 2H Avocats conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

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