Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-20.836
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Depreux Sébastien (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bessaud
Avocats :
SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Bouzidi et Bouhanna
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 6 juillet 2023), la société La Brasserie, ayant pour gérant M. [N], avait confié à M. [O], expert-comptable, une mission de tenue et de suivi de la comptabilité, révoquée le 31 décembre 2016.
2. Soutenant ne pas avoir été payé des honoraires qui lui étaient dus, M. [O] a assigné la société La Brasserie en paiement.
3. Le 15 juin 2018, cette dernière a cédé son fonds de commerce à la société LBR, créée en vue de la reprise du fonds de commerce et détenue par M. et Mme [N].
4. Le 6 février 2019, la société La Brasserie a été condamnée à payer à M. [O] une certaine somme à titre d'honoraires.
5. Elle a ensuite été mise en liquidation judiciaire et la société Depreux désignée liquidateur.
6. M. [O] a assigné la société LBR, M. [N] et le liquidateur de la société La Brasserie, afin de lui voir déclarer inopposable la cession de fonds de commerce.
Moyens
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'inopposabilité de la cession du fonds de commerce et de condamnation, alors « que l'action paulienne portant sur un acte ayant pour effet de faire échapper un bien aux poursuites des créanciers en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler n'est pas conditionnée à la preuve de l'insolvabilité apparente du débiteur ; que M. [O] a fondé son action paulienne sur le moyen selon lequel la cession du fonds de commerce avait substitué à un actif aisément saisissable un autre actif plus facilement dissimulable ; que la cour d'appel, après avoir constaté que la cession de fonds de commerce avait remplacé ledit fond par une somme d'argent, valeur plus aisément dissimulable, a écarté l'action paulienne, motif pris de l'absence de preuve de l'insolvabilité apparente de la société La Brasserie ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1341-2 du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu l'article 1341-2 du code civil :
8. Selon ce texte, le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.
9. Le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler. Le préjudice du créancier étant ainsi caractérisé, le succès de l'action paulienne n'est alors pas subordonné à la preuve de l'appauvrissement du débiteur.
10. Pour rejeter l'action paulienne formée par M. [O], l'arrêt retient qu'en cédant le fonds de commerce qui lui appartenait, la société La Brasserie a remplacé un fonds de commerce par une somme d'argent, valeur plus aisément dissimulable, mais que M. [O] ne rapportant pas la preuve de l'insolvabilité, au moins apparente, de la société La Brasserie au moment de la cession de son fonds de commerce, il ne saurait être fait droit à son action paulienne.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé le texte susvisé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. [O] en inopposabilité de la cession du fonds de commerce et ses demandes de condamnation en découlant, condamne M. [O] aux dépens de première instance et d'appel et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne M. [N] et la société LBR aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] et la société LBR et les condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et le greffier de chambre conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.