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Décisions

CA Nancy, 1re ch., 27 janvier 2025, n° 23/02108

NANCY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

CNA Insurance Company (Europe) (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cunin-Weber

Vice-président :

M. Silhol

Conseiller :

Mme Olivier-Vallet

Avocats :

Me Carnel, Me Remy, Me Poirson, Me Mouton

TJ Épinal, du 31 août 2023, n° 22/01099

31 août 2023

FAITS ET PROCÉDURE :

La société par actions simplifiée Aristophil a débuté son activité le 1er mars 2003 et a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris le 3 mars 2003.

Elle avait pour activité l'achat et la revente, d'oeuvres d'art, de lettres autographes, de manuscrits et de livres anciens de valeur, auprès d'une clientèle de particuliers.

À la fin des années 2000, cette société a entrepris de constituer des collections de lettres et manuscrits anciens en vue d'en faire des produits de placement qu'elle présentait comme des outils de diversification patrimoniale innovant. Elle les distribuait sous deux formes, soit en les vendant en pleine propriété (produits "Amadeus"), soit en créant, avec une ou plusieurs personnes physiques, une indivision dont elle conservait initialement toutes les parts à l'exception d'une seule, puis en revendant ses propres parts indivises à des investisseurs (produits Cora1y's).

Une convention précise que la société Aristophil conserve la garde et la conservation des collections et contient une clause (promesse de vente) par laquelle le propriétaire promet unilatéralement de vendre la collection à la société Aristophil, au terme des 5 ans de garde et conservation moyennant un prix déterminé par expertise et au minimum supérieur au prix d'acquisition majoré de 8 % environ par an. Elle prévoit aussi (terme de la convention) que ce propriétaire peut, chaque année ou au terme de la conservation, mettre fin au contrat et peut alors soit conserver la collection, soit vendre la collection, soit appliquer la promesse de vente.

Pour organiser la commercialisation de ces produits, la société Aristophil a mandaté la société Art Courtage, qui a fait appel à un réseau d'agents commerciaux et de courtiers qu'elle a formés et qui étaient chargés de les proposer et de les vendre à leurs clients au nom et pour le compte de la société Aristophil. La société Art courtage a souscrit à cet effet, auprès de la société CNA Insurance Company Limited devenue CNA Insurance Company (Europe) un contrat d'assurance groupe pour garantir sa responsabilité, et celle des intermédiaires mandatés, pouvant être encourue à l'occasion de la commercialisation des produits Aristophil.

Suivant contrat intitulé "Le secret des manuscrits" du 12 juin 2012, Monsieur [A] [X] a acheté à la société Aristophil, 19 parts d'une indivision (en comptant 10000) pour un montant de 28500 euros. Le contrat a été signé par "le vendeur ou mandataire autorisé" de la société Aristophil, dont l'identité ne figure pas au contrat ou dans d'autres documents annexes au contrat.

Suivant contrat intitulé "Les grandes heures du génie humain" du 5 juin 2013, Monsieur [A] [X] a acheté à la société Aristophil, 11 parts d'une indivision (en comptant 6800) pour un montant de 16500 euros. Le contrat a été signé par "le vendeur ou mandataire autorisé" de la société Aristophil, dont l'identité ne figure pas au contrat ou dans d'autres documents annexes au contrat.

Le 6 décembre 2012, l'autorité des marchés financiers a saisi le service national d'enquêtes de la DGCCRF pour investiguer sur la société Aristophil et le 6 février 2014, celle-ci a dressé un procès-verbal relevant, notamment, des infractions de pratiques commerciales trompeuses à l'encontre de cette société. Une information judiciaire a été ouverte le 5 mars 2015 et Monsieur [A] [X] s'était constitué partie civile le 4 mai 2015.

En outre, la SAS Aristophil a été placée en redressement judiciaire le 16 février 2015 et en liquidation judiciaire le 5 août 2015.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 décembre 2019, le conseil de Monsieur [A] [X] a mis en demeure Monsieur [O] [M], qu'il estime être la personne ayant signé les contrats susvisés. Il lui a demandé de lui faire une proposition indemnitaire, de déclarer à son assureur le sinistre résultant des opérations ci-dessus et causé par ses manquements à ses obligations d'information et de conseil à son égard et d'en aviser son intermédiaire dans la commercialisation des produits Aristophil, la société Invest 2X Conseils.

Par arrêt du 7 juin 2022, la cour d'appel a infirmé l'ordonnance du 14 septembre 2021 du juge de la mise en état en ce qu'il avait déclaré prescrite l'action du demandeur Monsieur [A] [X].

Monsieur [A] [X] est décédé le 21 juillet 2022, laissant pour lui succéder ses trois enfants : Monsieur [L] [X], Monsieur [C] [X] et Madame [I] [X] épouse [P] qui ont repris l'instance.

Par jugement réputé contradictoire du 31 août 2023, le tribunal judiciaire d'Epinal a :

- débouté Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X] de toutes leurs demandes,

- rejeté la demande de la SA Insurance Company (Europe) au titre de ses frais de défense,

- condamné Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X] aux dépens.

Pour statuer ainsi, sur l'intervention de Monsieur [O] [M] dans la souscription des contrats, le juge constate que les deux contrats souscrits par Monsieur [A] [X] portent une signature à la rubrique "le vendeur ou mandataire autorisé" de la société Aristophil mais qu'aucun nom ou cachet n'y est apposé. Le juge ajoute cependant qu'il résulte clairement de la comparaison de ces deux signatures, avec celles figurant sur des contrats Aristophil souscrits par d'autres personnes et produits aux débats, que ces signatures sont bien celles de Monsieur [O] [M].

Sur la responsabilité, le juge indique que le conseiller en gestion de patrimoine doit fournir une information et des conseils adaptés et doit donc s'informer sur l'opération envisagée.

Il ajoute qu'il appartient à celui qui est tenu d'une obligation particulière d'information d'administrer la preuve qu'il s'en est acquitté.

S'agissant du caractère lucratif et sécurisé des investissements et de l'affirmation par Monsieur [O] [M] que la société Aristophil garantissait le rachat des oeuvres à l'expiration d'un délai de 5 ans, le juge a constaté que les pièces contractuelles versées aux débats ne contiennent aucune mention en ce sens et indiquent, au contraire, que ce sont les acquéreurs qui émettent une promesse unilatérale de vendre leur collection à la société Aristophil à l'issue de ce délai.

Ce mécanisme bien que particulier et relativement complexe est cependant clairement explicité, notamment quant aux modalités de revente des parts.

Le tribunal a également évoqué la copie d'un document ni signé, ni daté, versée aux débats par les demandeurs, faisant référence aux deux investissements effectués par Monsieur [A] [X] et décrivant des caractéristiques paraissant contraires à la réalité des termes du contrat. Cependant, il a estimé que ce document ne peut pas être attribué avec certitude à Monsieur [O] [M] et ne peut prouver que ce dernier aurait délivré à Monsieur [A] [X] des informations inexactes, mensongères ou ambiguës sur le produit Aristophil.

S'agissant de l'argument selon lequel Monsieur [O] [M] n'aurait pas délivré une information pré-contractuelle sur la consistance précise des biens acquis, le tribunal a retenu que les contrats de vente précisent que le détail des lettres, manuscrits, livres constituant la collection est annexé au contrat et en déduit que le produit vendu était connu et déterminé par son souscripteur ;

S'agissant de la surévaluation des oeuvres acquises, le jugement déféré a indiqué qu'aucun élément du dossier ne démontrait que Monsieur [O] [M] a eu connaissance d'une surévaluation des oeuvres acquises et les garanties expertales de la société Aristophil avaient, à cette époque, l'apparence d'un grand sérieux. Il ajoute qu'il ne peut être reproché à Monsieur [O] [M] de ne pas s'être procuré les avis des experts de la société Aristophil, certains acteurs de la dite société ayant été mis en cause ultérieurement au plan pénal et cela n'était pas décelable par Monsieur [O] [M] à ce moment là.

S'agissant du marché des manuscrits, le tribunal a considéré qu'au moment de la signature des contrats, aucune alerte officielle (ou par d'autres canaux) n'avait été émise, hormis un article de magazine qui avait posé la question de la viabilité des produits Aristophil. Certes, il a été relevé que des informations négatives ont pu par la suite apparaître mais, dans le même temps, la société Aristophil faisait l'objet d'articles de presse très élogieux et la banque de France attribuait une cotation B3 à la société Aristophil exprimant ainsi sa capacité à honorer ses engagements financiers sur un horizon de trois ans.

Au vu de ces éléments, il a été décidé qu'il ne peut être reproché à Monsieur [O] [M] un manquement à ses obligations de conseil quant à l'évolution du produit ou du marché, et le fait de ne pas s'être interrogé sur la rationalité économique du contrat.

S'agissant de l'adéquation du produit au client, Monsieur [A] [X] avait rempli deux "fiches connaissance client" par lesquelles il avait donné mandat au conseiller en gestion de patrimoine de rechercher un produit d'investissement répondant à des objectifs déterminés caractérisant la prise en compte des besoins et capacités du client.

En conclusion et sur la responsabilité de Monsieur [M], en s'appuyant sur l'ensemble des éléments ci-dessus le tribunal a considéré qu'il a correctement rempli ses obligations en sa qualité de conseiller en gestion de patrimoine et a débouté les consorts [X] de toutes leurs demandes.

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Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique le 5 octobre 2023, les consorts [X] ont relevé appel de ce jugement.

Bien que la déclaration d'appel lui ait été régulièrement signifiée le 15 novembre 2023 et les conclusions le 11 janvier 2024 en l'étude, Monsieur [O] [M] n'a pas constitué avocat.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 4 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, les consorts [X] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Épinal le 31 août 2023 en ce qu'il a débouté Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X], en leur qualité d'ayants droit de Monsieur [A] [X], de toutes leurs demandes et en ce qu'il les a condamnés aux dépens,

Et, statuant à nouveau,

- condamner Monsieur [O] [M] à verser aux consorts [X] les sommes suivantes :

- à titre principal, la somme de 40500 euros de dommages et intérêts en réparation intégrale du préjudice principal,

- à titre subsidiaire, la somme de 38250 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de ne pas souscrire un placement moins hasardeux,

- condamner Monsieur [O] [M] à verser aux consorts [X] la somme de 7850 euros au titre de l'immobilisation du capital investi,

- condamner la SA Insurance Company (Europe) à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de Monsieur [O] [M], au profit des consorts [X] par mise en oeuvre de la police FN 5989,

- condamner in solidum Monsieur [O] [M] et la SA Insurance Company (Europe) à verser aux consorts [X], une somme de 8000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- condamner in solidum Monsieur [O] [M] et la SA Insurance Company (Europe) aux dépens de première instance et d'appel.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 19 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SA CNA Insurance Company (Europe) demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

A titre principal,

- juger que Monsieur [O] [M] n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité,

- débouter les consorts [X] de toutes leurs prétentions,

A titre très subsidiaire,

- juger que les consorts [X] échouent à démontrer subir un préjudice réparable,

- débouter les consorts [X] de toutes leurs prétentions,

A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la responsabilité de Monsieur [O] [M] viendrait à être retenue :

- juger que la SA CNA Insurance Company (Europe) ne saurait être tenue à garantir les condamnations prononcées contre Monsieur [O] [M] qu'après déduction de la franchise de 2000 euros prévue par les conditions particulières de la police FN 5989,

En tout état de cause,

- condamner les consorts [X], in solidum, à payer à la SA CNA Insurance Company (Europe) une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de Maître Aline Poirson en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 18 juin 2024.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 4 novembre 2024 et le délibéré au 13 janvier, prorogé 27 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par les consorts [X] le 4 janvier 2024 et par la SA CNA Insurance Company (Europe) le 19 mars 2024, et visées par le greffe, auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 18 juin 2024 ;

Sur la demande liée à la responsabilité

Courant 2012, Monsieur [M], ancien agent général d'Axa Assurances, indiquait à son client Monsieur [A] [X], qu'il exerçait une nouvelle activité en son nom propre, chargé de la commercialisation d'un investissement 'haut de gamme' concernant des collections d'oeuvres (lettres et manuscrits) appartenant à la société 'Aristophil' qui assurait un rendement élevé ;

Monsieur [X] a ainsi investi en une année 28500 euros le 12 juin 2012 dans la collection ' de [T] [B] à [T] [Z] ' ainsi que 16500 euros le 5 juin 2013 dans la collection 'les Grandes Heures du Génie Humain (ch . III)' ; il indique que les deux contrats ont été signés par Monsieur [M] en qualité de mandataire (conseiller) de Monsieur [X] et également en qualité de mandataire de la société Aristophil ; y était adjointe une convention de garde et de conservation par laquelle la société Aristophil était désignée gardienne pour une durée de 5 années aux fins de valorisation ;

une convention notariée lui était remise ainsi qu'une facture correspondant à son investissement ;

Il est demandé à la cour par les appelants d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la responsabilité de Monsieur [M] au titre des fautes par lui commises, dans la commercialisation de ces produits, notamment concernant ses caractéristiques et ses risques, ces informations devant évidemment précéder la souscription des deux contrats ;

Ayant manqué à ses obligations d'information et de conseil, Monsieur [M] engage sa responsabilité contractuelle envers son mandant ; il appartient au débiteur de ces obligations, d'établir qu'il s'y est conformé ;

Or, en l'espèce l'assureur CNA ne démontre ni même n'allègue l'accomplissement par Monsieur [M] d'une quelconque prestation de conseil et d'information alors que ce dernier cumulait deux mandats ; il n'est pas plus justifié de la délivrance d'une information sur la consistance précise des oeuvres concernées par le contrat, ni de la véracité de leur valeur ainsi que de l'existence d'un risque particulier tenant à la difficulté de revente de parts d'une indivision ; les documents produits sont particulièrement insuffisants pour démontrer le respect de ses obligations par le conseiller en gestion de patrimoine qui dans un écrit succinct a tenté d'établir l'absence de risque en capital pour le souscripteur, assuré d'un rendement annuel de 8% sur la période de garde de 5 années ;

Or la réalité était toute autre, s'agissant d'un placement atypique présentant un risque élevé sur un marché particulier non régulé par l'AMF ; en effet l'attractivité du produit tenait à l'allégation d'une garantie de rachat au terme de la période de placement par la société Aristophil, qui n'a jamais été offerte ce qui est pour le moins fautif ;

En réponse, la société CNA Insurance Company (Europe) indique qu'elle intervient au titre des garanties prévues par la police n° FN 5989 dont le bénéfice est recherché, en sa qualité d'assureur de responsabilité civile professionnelle de Monsieur [O] [M] ;

Elle considère que Monsieur [X] était parfaitement informé des conditions contractuelles de ses investissements, et notamment de ce qu'il ne percevrait une rémunération de 8 % que si, au terme de la durée du contrat, la société Aristophil sollicitait le rachat de la collection ;

A titre principal, elle conclut à l'absence de faute commise par Monsieur [M], pour lequel elle reconnaît son obligation d'information et de conseil envers ses clients, en qualité de conseiller en gestion de patrimoine, obligation de moyens ; or il ne peut être tenu compte des conséquences relatives aux aléas des placements et ses obligations pour justifier d'un manquement du mandataire dont les obligations s'apprécient au regard de l'état de ses connaissances à la période où il intervient ;

En l'espèce Monsieur [X] a délivré les documents en sa possession - fiches connaissance client- portant sur le fonctionnement des investissements et des risques induits ; le contrat de garde comporte une promesse de vente connue et évidente au profit de la société Aristophil sans garantie de rendement et soumise à la levée d'option par cette dernière ;

l'intimée conteste en outre, l'authenticité de la note manuscrite produite par les consorts [X] ; Elle indique qu'il ressort des actes notariés signés, que [A] [X] connaissait les risques liés à la revente des oeuvres constituées en indivision qui y sont énoncés clairement ;

En outre la composition des collections acquises est fournie en annexe à l'acte authentique signé ; leur valorisation était présentée comme déterminée par des experts indépendants ce qui exclut de reprocher à Monsieur [M] l'absence de vérification personnelle sur la valeur des oeuvres, objet des placements ; un document concernant la garantie de valeur par la société Lloyd's de Londres a été remis au souscripteur et le grief tenant à la surévaluation des oeuvres ne saurait être opposé à Monsieur [M], chargé uniquement de les commercialiser ; au contraire le conseil prodigué par Monsieur [M] était en adéquation avec les besoins du souscripteur qui ne peut lui reprocher l'absence du résultat escompté, d'autant qu'à l'époque de la souscription la société Aristophil disposait d'une bonne réputation et des gages de fiabilité; dès lors aucune faute n'est imputable à Monsieur [M] ; ce qui justifie la confirmation du jugement entrepris ;

Aux termes de l'article 1103 du code civil ' les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits' ; 'ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public' ajoute l'article 1104 du même code ;

L'article 9 du code de procédure civile énonce en outre, 'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de ses prétentions' ;

En l'espèce il est établi que c'était la société Art Courtage qui était chargée de la distribution des produits Aristophil ; elle choisissait alors d'autres sociétés afin de commercialiser les produits, mission qu'elle a notamment confiée à la société Invest 2X Conseils ; cette dernière a conclu dans ce cadre avec Monsieur [M], inscrit au registre du commerce comme conseiller en gestion de patrimoine (pièce 3-17) ;

Ainsi il résulte des pièces produites la preuve de la qualité de mandataire de Monsieur [O] [M] dans les deux souscriptions de Monsieur [X] ;

La signature de Monsieur [O] [M] apparaît également sur la 'fiche de connaissance client' afférente au contrat du 12 juin 2012 (pièce 3-4) laquelle établit l'existence d'un contrat de mandat en faveur de Monsieur [M] portant sur la recherche d'un placement d'épargne pour un investissement de 28500 euros concédé par Monsieur [X] ; il en est de même pour la seconde souscription le 5 juin 2013 pour 16500 euros (pièce 3-9 appelants) ; Monsieur [M] était en conséquence doublement débiteur d'obligations envers [A] [X] ;

Ainsi Monsieur [O] [M] a été à l'origine de la souscription de Monsieur [X] de 19 parts d'indivision dans 'le Secret des Manuscrits' pour un montant de 28500 euros (pièces 3-5-36-3-7a et b appelants) ainsi que dans celle portant sur 'les Grandes heures du Génie Humain chapitre III' de 11 parts pour 16500 euros (pièces 3-8 ,3-9, 3-10 et 3-12 abc) ;

La note manuscrite produite par les appelants émane à l'évidence de Monsieur [M], eu égard aux sommes mentionnées qui correspondent aux deux investissements effectués par [A] [X], à sa teneur (note de calcul) et à l'annexe de la carte professionnelle de ce dernier (pièces 3-2 a et b) ;

S'agissant de la faute imputée, il est constant que la preuve du respect par l'intermédiaire ayant conseillé des placements dans les produits Aristophil, doit être rapportée par celui qui a pour obligation de respecter son devoir de conseil et d'information ; il doit également établir qu'il s'est conformé aux directives de son mandataire, en lui conseillant le produit financier en litige ;

Les pièces qui figurent au dossier des appelants démontrent que le souscripteur [A] [X], a reçu très peu d'informations écrites sur la nature et les qualités des contrats souscrits, si ce n'est un document intitulé 'les garanties Aristophil' (pièces 1-10) ; or ce document n'est qu'une énumération de garanties énoncées par la société Aristophil et il est incontestable que la garantie auprès de la Lloyd's de Londres, n'est qu'une assurance concernant le vol des pièces de collection et ne garantit en aucun cas leur valeur ;

Les documents que le souscripteur a signés lors de la conclusion des contrats sont tous identiques comme comportant un contrat de garde adossé à l'acquisition, d'une durée de cinq ans renouvelable ainsi qu'une promesse de vente à la société Aristophil au terme du contrat de garde 'Au prix d'achat qui figure en Annexe 1" ou ' à un prix déterminé par expertise' (article VI) ;

L'article VII intitulé 'terme de la convention' prévoit 'qu'à l'issue de la conservation par la société Aristophil, le cocontractant pourra mettre fin au contrat et soit conserver la collection, la vendre sur le marché national ou appliquer la promesse de vente et revendre la collection à la Société aux conditions stipulées à l'article VI' (pièce 3-5);

La production de ces documents ne permet pas d'établir que Monsieur [O] [M] s'est conformé à son obligation d'information et de conseil dû à son client, notamment quant au caractère de l'investissement, aux risques induits ainsi que du rendement prévisible mentionné à hauteur de '8% par an' et 'disponible en tous temps' sur le document manuscrit en possession de Monsieur [X] qui ne peut émaner que de son mandataire, Monsieur [M] ; or ce sont des contre-vérités, en l'absence de rendement financier précis et compte tenu du caractère indivis de l'investissement réalisé, lequel rend la revente des parts d'indivision ainsi acquises plus difficile et aléatoire ;

Enfin si certaines parts ont pu être revendues, comme justifié par Maître [G] [Y] administrateur judiciaire de la société Aristophil, à l'issue de ces opérations les parts d'indivision en possession des appelants ont été valorisées pour la première à 74,368 euros la part et pour la seconde à 37,797 euros la part, soit à un niveau sans aucun rapport avec celui de la soucription des contrats - environ un dixième- (pièces 3-14) ;

Par conséquent, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a écarté tout manquement grave aux obligations dues par Monsieur [O] [M] relativement à l'information sur la nature des produits objets de l'investissement, sur les risques encourus, les rendements ainsi que sur les conditions de revente ; les manquements ainsi établis engagent la responsabilité de Monsieur [M] et partant, de son assureur ;

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ;

Sur les préjudices et l'obligation d'indemniser de la société CNA Insurance Company

Les appelants relèvent au vu des ventes aux enchères des placements en litige, une perte en capital moyenne de 84 à 92% du prix d'achat versé par les souscripteurs, certaines oeuvres ne trouvant même aucun preneur ;

S'agissant de ses investissements, la vente au cours de six années a permis de récupérer une somme de 2195 euros sur les 28500 euros investis ; la perte financière moyenne sera par conséquent de 90% de la valeur investie ;

En premier lieu, les appelants demandent l'indemnisation de leur perte intégrale en affirmant que leur consentement n'aurait pas été recueilli si les souscripteurs avaient connu l'ensemble des éléments sus énoncés;

Ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'ils réclament la réparation de la perte de chance de souscrire un placement plus avantageux et de récupérer des gains, subie par [A] [X] qu'ils entendent voir fixée à 95% dont à déduire 10% du prix par la vente soit 85% pour un préjudice total calculé à 38260 euros ;

Un second poste d'indemnisation tient à l'immobilisation du capital placé ainsi qu'à la perte de rendement enregistrée calculée à la somme de 7850 euros pour les deux investissements ;

En réponse la société CNA Insurance Company conclut à titre subsidiaire, à l'absence de préjudice réparable en l'absence de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice subi ; elle rappelle que l'intimé a lui-même engagé une action en responsabilité contre le notaire ayant concouru à l'acte authentique ;

De plus les pertes alléguées sont hypothétiques, la proportion des ventes de l'ensemble des collections n'étant pas établie, ce qui rend le préjudice non déterminable ;

De manière surabondante elle conclut à la seule indemnisation d'une perte de chance de ne pas conclure de contrat et par conséquent, d'éviter le dommage qui s'est réalisé ; son quantum tel que réclamé est qualifié de manifestement excessif ; enfin elle considère que le préjudice tiré de l'immobilisation du capital placé est purement hypothétique ce qui justifie le débouté de ce chef ;

Plus subsidiairement encore, elle se prévaut des limites de sa garantie et des conditions de la prise en charge du sinistre ;

A ce titre elle reconnaît le bénéfice de la police n° FN 5989 à Monsieur [M], en qualité de sous mandataire de la société Art Courtage mais entend lui opposer, cependant, le plafond de garantie de 250000 euros par assuré et par période d'assurance, sans que le montant des prestations dues par l'assureur ne puisse excéder 5 millions d'euros pour l'ensemble des assurés pour la même période, outre une franchise de 2000 euros par sinistre applicable au cas d'espèce ;

Le principe est celui de l'indemnisation de l'entier préjudice de [A] [X], en ce qu'il résulte de la souscription des deux contrats Aristophil commercialisés par Monsieur [M], ce dernier ayant manqué à ses obligations d'information et de conseil inhérentes à son mandat, ainsi qu'à son statut de conseiller en gestion de patrimoine ;

Il est constant que l'indemnisation d'un manquement à un devoir de conseil consiste en une perte de chance ; elle se résout en dommages et intérêts, en prenant en compte la perte de chance de ne pas avoir conclu un investissement plus adapté aux besoins et souhaits du mandataire, [A] [X] ; celle-ci doit être réelle pour être indemnisable ; cela exclut toute demande de réparation à hauteur des sommes investies ;

En l'espèce l'intimée soutient improprement que seule la déconfiture de la société Aristophil est à l'origine du préjudice de [A] [X] ;

En effet les manquements résultent d'une carence d'information et de conseil imputable à Monsieur [M], son assuré ;

Il en résulte, eu égard au caractère déterminant du rendement d'un placement ainsi qu'à la part d'aléa acceptable pour le souscripteur, que la présentation inexacte des contrats par le mandataire qui les a commercialisés notamment en ce qui concerne le rendement et la liquidité du placement, est à l'origine du préjudice qui consiste en la perte d'une chance de ne pas avoir contracté avec la société Aristophil ou de n'avoir pu investir son capital dans d'autres placements plus conformes à ses attentes ;

S'agissant des montants réclamés, il est établi que les reventes par le commissaire-priseur Aguttes génèrent une perte en capital moyenne de 90 % ;

La demande d'indemnisation au titre de la perte de chance est celle qui porte sur une disparition certaine et actuelle d'une éventualité favorable ;

Aussi il y a lieu de déterminer la probabilité d'une part, pour l'investisseur de souscrire un contrat à des conditions plus avantageuses et d'autre part, la valeur des gains qu'il aurait pu espérer percevoir s'il avait investi les sommes dans un produit moins risqué que celui choisi ;

Il résulte des tableaux produits par les appelants, sur le compte réalisé à la suite de la vente d'oeuvres relatives aux investissements de [A] [X], qu'une somme de 2195 euros a été recouvrée pour la première collection, concernant un investissement de 28500 euros ;

Aussi s'agissant de l'indemnisation au titre de la perte de chance d'investir différemment les sommes concernées par les deux contrats, la demande des appelants qui est chiffrée à 85% du nominal de la souscription, dépasse l'effectivité de la chance perdue, analysée au vu des éléments de la cause, qui sera dès lors limitée à 60% ;

Dès lors, l'indemnisation des appelants se calcule à 24225 x 0,60 + 14025 x 0,60 soit 14535 + 8415 soit 22950 euros ;

S'agissant de la réparation accessoire au titre de l'immobilisation du capital réclamée par les appelants en sus de la première demande, elle concerne la perte de rendement du capital investi auprès de la société Aristophil ;

Calculé à hauteur 1,5 % par an, ce préjudice sera retenu comme correctement apprécié et liquidé à hauteur de 5130 euros pour le premier contrat [28500 x 1,50% x 12 ans (du 12 juin 2012 au 12 juin 2024)] et de 2722 euros pour le second [16500 x 1,5% x 11 ans (du 5 juin 2013 au 5 juin 2024)] soit un total de 7850 euros ;

En conséquence, Monsieur [M] étant contractuellement mandaté par la société Art Invest 2X devenue Invest 2X Conseils, ce depuis le 1er décembre 2011 (pièce 3-17) et à ce titre, il était couvert par la police d'assurance FN 5989 bénéfiant à Art Courtage, mandataire et à ses sous-mandataires (pièce 3-18) ; ils sont ainsi tenus in solidum, d'indemniser le souscripteur de son entier préjudice ;

Le sinistre individuel de 2019 concernant [A] [X] est ainsi indemnisable au maximum à hauteur de 250000 euros, plafond par assuré à savoir Monsieur [M], avec une franchise contractuelle de 2000 euros ; dans le même temps la totalité des sinistres de cette année ne peut entraîner le paiement d'une indemnisation supérieure à 5000000 euros pour l'ensemble des assurés ; faute de justifier d'un dépassement du plafond, la société CNA devra être condamnée à garantir Monsieur [O] [M], son assuré, à hauteur des condamnations prononcées contre lui en faveur des ayants-droit de [A] [X], application faite de la franchise de 2000 euros ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société CNA Insurance Company succombant dans ses prétentions, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné les consorts [X] aux dépens et a rejeté leur demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau, la société CNA Insurance Company sera condamnée aux dépens de première instance, outre la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;

La société CNA Insurance Company, partie perdante, devra supporter les dépens ; en outre il est équitable qu'elle soit condamnée à verser aux appelants la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; en revanche l'intimée sera déboutée de sa propre demande de ce chef ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt rendu par défaut prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne Monsieur [O] [M] à verser à Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X], en leur qualité d'ayants droit de [A] [X], la somme de 22950 euros (VINGT-DEUX MILLE NEUF CENT CINQUANTE EUROS) à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas souscrire un placement moins hasardeux et plus adapté aux souhaits du souscripteur,

Condamne Monsieur [O] [M] à verser à Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X], en leur qualité d'ayants droit de [A] [X], la somme de 7850 euros (SEPT MILLE HUIT CENT CINQUANTE EUROS) au titre de l'immobilisation du capital investi,

Condamne la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de Monsieur [O] [M], au profit de Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X], en leur qualité d'ayants-droit de [A] [X], par la mise en 'uvre de la police FN 5989 ;

Dit et juge que la société CNA Insurance Company (Europe) ne saurait être tenue à garantir les condamnations prononcées contre Monsieur [O] [M], qu'après déduction de la franchise de 2 000 euros prévue par les conditions particulières de la police n° FN 5989 ;

Condamne in solidum Monsieur [O] [M] et la société CNA Insurance Company (Europe) à verser à Madame [I] [X], Monsieur [L] [X] et Monsieur [C] [X], en leur qualité d'ayants droit de [A] [X] une somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre des frais irrépétibles de première instance et de 4000 euros (QUATRE MILLE EUROS) au titre de ces frais exposés en appel ;

Déboute Monsieur [O] [M] et la société CNA Insurance Company (Europe) de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum Monsieur [O] [M] et la société CNA Insurance Company (Europe) aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par

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