CA Versailles, ch. civ. 1-4 construction, 27 janvier 2025, n° 24/01288
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Altarea Cogedim IDF (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Trouiller
Conseillers :
Mme Romi, Mme Moulin-Zys
Avocats :
Me Nahmany, Me Baumgartner, Me Fargues, Me Perrin, ASSOCIATION Perrin Badier, SELEURL JBR Avocats
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte notarié du 16 février 2017, M. [I] [T] et Mme [K] [W] épouse [T] ont acquis une maison individuelle en état futur d'achèvement dans l'ensemble immobilier dénommé '[Adresse 3]', [Adresse 5], par la société SCCV [Localité 4] [Adresse 3] (ci-après [Localité 4]) dont la société Altarea Cogedim IDF (ci-après Altarea) était la gérante.
Sont notamment intervenues à l'opération de construction outre la société Altarea et la société [Localité 4], en qualité de maîtres d'ouvrage :
- la société Axhium ingénierie, au titre de la maîtrise d''uvre d'exécution,
- la société Haour architectes, au titre de la maîtrise d''uvre de conception,
- la société Millet chantier Idf, au titre du lot 414 « menuiseries extérieures »,
- la société Bati pro 77, au titre des lots 608 « sols souples/parquet », 609 « sols durs », et 6.16 « peinture »,
- la société IDF isolation décoration façade, au titre du lot 409 « ravalement »,
- la société ISF énergie, au titre des lots 502 « plomberie », 503 « VMC », 504 « chauffage » et 615 « meubles de salle de bain »,
- la société K entreprise, au titre du lot 402 « étanchéité »,
- la société Veritas, en qualité de bureau de contrôle technique.
La livraison a eu lieu, avec réserves, le 21 mars 2018.
Par courriers des 17 et 20 avril 2018, les époux [T] ont mis en demeure la société Altarea d'effectuer les travaux permettant de lever les réserves.
Ils ont, le 14 mars 2019, fait établir un constat d'huissier et ont, par acte du 29 mars 2019, assigné en référé les sociétés [Localité 4] et Altarea aux fins d'ordonner des travaux de reprise pour remédier aux désordres.
Par ordonnance de référé du 11 juillet 2019, M. [R] [Z] a été désigné pour procéder aux opérations d'expertise.
L'expert judiciaire a rendu son rapport définitif le 22 décembre 2020.
Par acte du 2 avril 2021, les époux [T] ont assigné les sociétés [Localité 4] et Altarea aux fins de condamnation solidaire à leur payer principalement la somme de 48 623,11 euros au titre des travaux de reprise des réserves et la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et de jouissance.
Par acte du 12 juillet 2022, les sociétés [Localité 4] et Altarea ont assigné en intervention forcée les sociétés Millet chantier Idf, Batipro 77, IDF isolation décoration façades, ISF énergie, K entreprise et Axhium ingénierie afin de les appeler en garantie.
Par conclusions d'incident du 10 octobre 2023, les sociétés [Localité 4] et Altarea ont saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer irrecevables comme forcloses les demandes des époux [T].
Par ordonnance d'incident du 2 février 2024, le juge de la mise en état, a :
- déclaré irrecevables les demandes des époux [T] du fait de la forclusion,
- rejeté la demande de dommages-intérêts des époux [T] pour intention dilatoire,
- réservé les frais et dépens liés au présent incident,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état virtuelle du 2 avril 2024 pour conclusions au fond des parties sur les demandes subsidiaires des époux [T].
Après avoir rappelé que la suspension de la prescription pendant les opérations d'expertise prévue par l'article 2239 du code civil n'était pas applicable au délai de forclusion qui n'était susceptible d'être interrompu que par une action en justice, le juge de la mise en état a déclaré l'action des époux [T] irrecevable car prescrite (sic) leur assignation ayant été signifiée le 2 avril 2021 alors qu'ils avaient eu un an à compter de la désignation de l'expert pour agir contre les venderesses sur le fondement de la garantie des vices apparents, soit jusqu'au 11 juillet 2020.
Il a retenu que le fait que cette fin de non-recevoir n'ait pas été soulevée plus tôt par les sociétés [Localité 4] et Altarea ne pouvait valoir renonciation de leur part au droit de le faire, en l'absence d'une volonté non équivoque.
Enfin, il a rejeté la demande de dommages-intérêts des époux [T] en l'absence de démonstration d'une intention dilatoire de la part des défenderesses.
Par déclaration du 20 février 2024, les époux [T] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de leurs premières conclusions remises au greffe le 18 juin 2024 (16 pages), les époux [T] demandent à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle les a déclarés irrecevables en leurs demandes fondées sur l'article 1642-1 du code civil,
- de confirmer l'ordonnance pour le surplus,
- de déclarer recevables leurs demandes fondées sur l'article 1642-1 du code civil,
- de déclarer recevables leurs demandes fondées sur l'article 1642-1 du code civil tendant à voir condamner les sociétés Altarea et la société [Localité 4] C'ur à réparer les désordres numérotés 1, 3, 4, 6, 7, 8, 13, 15, 18, 23, 29, 36, 37 et 45 dans le rapport d'expertise du 22 décembre 2020,
- de débouter les parties intimées de leurs demandes,
- de condamner in solidum la société Altarea, la société [Localité 4] et tout autre partie adverse succombant à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de leurs premières conclusions, remises au greffe le 17 juillet 2024 (11 pages), les sociétés [Localité 4] et Altarea demandent à la cour de :
- in limine litis, déclarer irrecevable car nouvellement formée en appel la demande de condamnation formée par les appelants et rédigée comme suit : « déclarer recevables les demandes des époux [T] fondées sur l'article 1642-1 du code civil tendant à voir condamner les sociétés Altarea cogedim Idf et la société SCCV [Localité 4] [Adresse 3] à réparer les désordres numérotés 1, 3, 4, 6, 7, 8, 13, 15, 18, 23, 29, 36, 37 et 45 dans le rapport d'expertise du 22 décembre 2020 »,
- sur le fond, confirmer l'ordonnance,
- condamner les époux [T] à la somme 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'incident et d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 25 novembre 2024 au cours de laquelle les intimées ont réclamé le rejet des conclusions appelants n°2 déposées le jour même de l'audience.
Estimant que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté par les appelants qui disposaient d'un délai suffisant pour conclure avant l'audience, la cour a écarté les conclusions remises au greffe le 25 novembre 2024, jour de l'audience.
L'affaire a été mise en délibéré au 27 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En l'absence de toute contestation, le rejet de la demande de dommages et intérêts des époux [T] en l'absence d'intention dilatoire est définitif.
Sur l'existence d'une demande nouvelle
Les intimées soutiennent que les appelants ont formé à hauteur d'appel une demande nouvelle qui est irrecevable.
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'« à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
En application de l'article 565, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Il ressort du dossier que dans leurs conclusions d'incident notifiées le 28 novembre 2023, les époux [T] ont notamment demandé au juge de la mise en état de les dire « recevables en l'ensemble de leurs demandes sur l'ensemble des moyens présentés dans leur assignation du 2 avril 2021 et leurs conclusions n°2 du 20 juin 2023 » et de rejeter la fin de non-recevoir.
Dans leur assignation du 2 avril 2021, ils réclamaient notamment la condamnation solidaire des intimées à leur payer la somme de 48 623,11 euros au titre des travaux de reprise des réserves et dans leurs conclusions n°2, ils réclamaient notamment la condamnation solidaire des intimées à leur payer la somme de 54 444,19 euros au titre des travaux de reprise des réserves.
À hauteur d'appel les époux [T] demandent à la cour :
- « de déclarer recevables leurs demandes fondées sur l'article 1642-1 du code civil,
- et par conséquent de déclarer recevables leurs demandes fondées sur l'article 1642-1 du code civil tendant à voir condamner les sociétés Altarea et la société [Localité 4] C'ur à réparer les désordres numérotés 1, 3, 4, 6, 7, 8, 13, 15, 18, 23, 29, 36, 37 et 45 dans le rapport d'expertise du 22 décembre 2020 ».
Il en ressort que les époux [T] réclament depuis le départ la réparation des désordres listés dans le rapport d'expertise et des préjudices découlant de ces désordres et que seules les demandes fondées sur l'article 1642-1 du code civil sont visées dans le présent incident.
L'intégration d'une numérotation des désordres contribue à préciser la demande et ne la rend pas nouvelle.
Force est de constater que les intimées n'établissent pas qu'une demande nouvelle aurait été présentée devant la cour dans le cadre de l'examen de cet incident.
Aucune irrecevabilité n'est par conséquent encourue à ce titre.
Sur le bien-fondé de la fin de non-recevoir
À l'appui de leur appel, les appelants soutiennent, au visa des articles 1642-1 et 2241 du code civil, que leurs demandes ne sont pas forcloses, que le délai annal court à compter du 21 mars 2018, date de livraison de l'ouvrage, que ce délai a été interrompu par l'assignation en référé du 20 mars 2019 et qu'ils ont assigné en ouverture de rapport dans les six mois du dépôt, effectué le 22 décembre 2020, conformément à l'article 2239 du code civil.
Les intimées rétorquent que si le délai annal avait été valablement interrompu par l'assignation en justice, il n'avait recommencé à courir qu'à compter du 11 juillet 2019, date de l'ordonnance désignant l'expert, pour une durée d'un an.
Selon l'article 1642-1 du code civil pris en son premier alinéa, « le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents».
Selon l'article 1648 du code civil, pris en son second alinéa, «dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents».
En application de l'article 2241 du code civil, le délai de forclusion est interrompu par la demande en justice, même en référé.
En application de l'article 2220 du code civil, il est admis que la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion.
Il en résulte que les appelants ne peuvent pas invoquer l'application de la suspension du délai de leurs recours pendant la durée des opérations d'expertise, leur action étant encadrée par un délai de forclusion.
En l'espèce, l'ordonnance de désignation d'expert du 11 juillet 2019 a ouvert un nouveau délai d'un an à compter de cette date et les époux [T] avaient donc jusqu'au 11 juillet 2020 pour assigner en justice les sociétés [Localité 4] et Altarea.
Il en résulte qu'en assignant en garantie des vices cachés les sociétés [Localité 4] et Altarea le 2 avril 2021, les époux [T] ont agi tardivement.
En conséquence, l'ordonnance est confirmée en ce qu'elle a fait droit à la fin de non-recevoir des demandes des époux [T] fondées sur l'article 1642-1 du code civil du fait de la forclusion.
Sur l'impossibilité ou la renonciation à soulever la forclusion
Les appelants invoquent par ailleurs l'impossibilité de soulever cette fin de non-recevoir et l'existence d'une renonciation à le faire.
Ils font valoir que le délai de forclusion annal n'est pas applicable à l'action qui a pour objet d'obtenir l'exécution de l'engagement pris par le vendeur à construire de réparer les désordres apparents qui ont fait l'objet de réserves à la réception. Ils estiment que la venderesse s'était clairement engagée à lever certaines réserves numérotées 1, 3, 4, 6, 8, 13, 15, 18. Selon eux, dans le courrier du 7 mai 2018, la venderesse a très expressément indiqué que les points non abordés avaient été acceptés et qu'ils feraient l'objet d'une reprise, ce qui l'empêcherait de se prévaloir d'une forclusion.
Ils ajoutent que les réserves 1, 3, 4, 7, 23, 29, 36, 37 et 45 avaient fait l'objet d'une reprise insuffisante et que l'exécution spontanée démontrait clairement un engagement de lever les réserves.
Ils soutiennent enfin qu'ils ont visé l'article 1642-1 dès leur assignation au fond du 2 avril 2021 et que les défenderesses n'ont soulevé l'incident qu'à compter du 10 octobre 2023, soit plus de deux ans après l'assignation ce qui démontre qu'elles ont renoncé à se prévaloir de la fin de non-recevoir.
Les intimées rétorquent qu'il n'y a eu aucun engagement non équivoque et sans ambiguïté du vendeur à prendre à sa charge personnelle la reprise des réserves, que le maître d'ouvrage n'a pas à apprécier le bien-fondé des réserves des acquéreurs et que les entreprises ont l'obligation de résultat de lever les réserves de réception et de livraison.
Elles estiment que le vendeur n'a pris aucun engagement personnel et précis et rappellent que la forclusion peut être soulevée en tout état de cause, sauf volonté dilatoire, non établie en l'espèce.
Elles soulignent avoir expressément indiqué s'être réservées la possibilité de soulever la forclusion.
L'article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
L'article 123 du code de procédure civile dispose que « les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt ».
En l'espèce, la fin de non-recevoir tirée de la forclusion pouvant être soulevée en tout état de cause, le fait qu'elle n'aurait pas été soulevée par les sociétés Altarea et [Localité 4] plus tôt dans la procédure ne saurait valoir renonciation de leur part à s'en prévaloir.
Par ailleurs, il ne saurait ressortir du courrier du 7 mai 2018 de la société Altarea (pièce n°8 produite par les appelants) une quelconque renonciation de sa part, en l'absence de leur engagement exprès ou tacite non équivoque à renoncer au moyen de forclusion. Ce d'autant que dans un dire adressé à l'expert le 4 décembre 2020, puis dans leurs premières conclusions au fond, les intimées ont rappelé qu'elles se réservaient le droit d'invoquer ultérieurement la forclusion.
En conséquence, l'ordonnance est confirmée en ce qu'elle a écarté toute renonciation à se prévaloir de la forclusion.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer l'ordonnance en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [T], qui succombent en appel, supporteront la charge des dépens d'appel.
Il n'apparaît pas inéquitable d'octroyer aux intimées une somme totale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance en totalité ;
Y ajoutant,
Condamne M. [I] [T] et Mme [K] [W] épouse [T] aux dépens d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés [Localité 4] [Adresse 3] et Altarea Cogedim IDF une indemnité totale de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et les déboute de leur demande à ce titre.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.