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Décisions

Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-19.217

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocats :

SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SARL Le Prado - Gilbert

Colmar, du 31 mai 2023

31 mai 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 31 mai 2023) et les productions, par contrat des 1er et 28 avril 2006, la société Loos France (la société Loos), fabriquant de chaudières industrielles, a accordé à la société Midi technique l'exclusivité territoriale pour la distribution de ses produits sur la zone Midi-Pyrénées-Grand Sud-Ouest. Par contrats des 12 et 28 avril 2006, rédigés en des termes identiques, elle a accordé à la société Suditherm l'exclusivité territoriale sur la zone Sud-Est-Provence-Alpes-Côte d'Azur.

2. Le 19 septembre 2011, la société Loos a résilié ces contrats avec effet au 19 mars 2012 et a, le 26 septembre suivant, communiqué aux sociétés Midi technique et Suditherm les modalités d'exécution du préavis.

3. Invoquant leur qualité d'agent commercial et reprochant à la société Loos, aux droits de laquelle sont venues la société Bosch thermotechnologie puis la société ELM Leblanc, une modification unilatérale des modes de calcul de leurs commissions, dont elles réclament par ailleurs le paiement, le caractère abusif de la rupture et le non-respect du préavis, les sociétés Midi technique et Suditherm ont saisi, sur le fondement d'une clause compromissoire, un tribunal arbitral.

4. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence, cette dernière venant au droits de la société Suditherm, ont interjeté appel de la sentence arbitrale rendue le 5 janvier 2021.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence font grief à l'arrêt de dire que les contrats des 1er et 12 avril 2006 liant les parties ne peuvent pas être qualifiés de contrats d'agent commercial et de rejeter leurs demandes tendant à enjoindre à la société Loos, aux droits de laquelle est venue la société ELM Leblanc, de justifier de l'ensemble des commandes et factures correspondantes à partir de 2009 jusqu'à la résiliation de ces contrats, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à ordonner la réintégration de l'ensemble des ventes réalisées, notamment par la société Loos Chaudières Industrielles (LCI), sur les zones d'exclusivité concédées aux sociétés Midi technique et Suditherm dans la détermination du quantum des rappels de commissions et des indemnités leur étant dues, à ordonner la réintégration de l'ensemble des ventes réalisées avec la société LCI dans la détermination du quantum des rappels de commissions et des indemnités dues aux sociétés Midi technique et Suditherm, à condamner la société ELM Leblanc à verser à la société Midi technique les sommes suivantes : 93 100,90 euros à titre de rappels de commissions, 94 664,99 euros à titre d'indemnisation pour les opérations réalisées sur son secteur en violation de son exclusivité territoriale, 100 000 euros à titre d'indemnité de rupture et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, et à condamner la société ELM Leblanc à verser à la société Thermie Provence, venant aux droits de la société Suditherm, les sommes suivantes : 114 643,10 euros à titre de rappels de commissions, 24 250 euros à titre d'indemnisation pour les opérations réalisées sur son secteur en violation de son exclusivité territoriale, 80 000 euros à titre d'indemnité de rupture et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, alors :

« 2°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour confirmer leur statut d'agent commercial, les sociétés Midi technique et Suditherm versaient aux débats, en pièce 9, le courrier recommandé avec accusé de réception du 17 février 2011, dans lequel la société Loos, aux droits de laquelle vient la société ELM Leblanc, reconnaissait expressément que le mandat qu'elle avait confié à ses contractantes relevait du statut des agents commerciaux au sens des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce ; qu'en considérant que les sociétés Midi technique et Suditherm ne pouvaient se prévaloir du statut d'agent commercial sans examiner, même sommairement, ce courrier inclinant en faveur de cette qualification, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour confirmer leur statut d'agent commercial, les sociétés Midi technique et Suditherm versaient aux débats, en pièce 26, le courrier recommandé avec accusé de réception du 21 décembre 2011, dans lequel la société Loos, aux droits de laquelle vient la société ELM Leblanc, évoquait les conditions de la résiliation des "contrats d'agents commerciaux", "la finalité commune du mandat d'intérêt commun" liant les sociétés Midi technique et Suditherm, d'une part, à la société Loos, d'autre part, et proposait le paiement de commissions restant dues, ainsi que le versement d'une indemnité au titre du préjudice subi en raison de la résiliation des contrats, calculée "sur une base moyenne de deux années de commissions sur la base encaissée au cours des trois derniers exercices" ; qu'en considérant que les sociétés Midi technique et Suditherm ne pouvaient se prévaloir du statut d'agent commercial sans examiner, même sommairement, ce courrier inclinant en faveur de cette qualification, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions.

7. Pour dire que les contrats liant les parties ne peuvent pas être qualifiés de contrat d'agent commercial, l'arrêt retient qu'il résulte de la lecture des clauses contractuelles que les sociétés Midi technique et Suditherm achètent les produits de la société Loos et les revendent, tandis que l'agent commercial vend les produits de son mandant sans en prendre la propriété, que la lettre de mai 2005 évoque une représentation commerciale dont la définition n'est pas celle de l'agent commercial, que la lettre du mois de mai 2006 ne rapporte pas davantage cette preuve, que le compte rendu d'une réunion qui s'est tenue le 4 janvier 2010 indique que la société Loos intervient en qualité de « distributeur », enfin, que les sociétés Midi technique et Thermie Provence, celle-ci venant aux droits de la société Suditherm, ne démontrent pas qu'elles se sont comportées comme des agents commerciaux.

8. En statuant ainsi, sans examiner, même succinctement, tant les termes de la lettre du 17 février 2011, par lesquels la société Loos indiquait que le mandat confié relevait du statut des agents commerciaux, au sens des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, que ceux de la lettre du 21 décembre 2011, par lesquels cette société se référait aux conditions de la résiliation des « contrats d'agents commerciaux » et à « la finalité commune du mandat d'intérêt commun » liant les cocontractants, la cour d‘appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence font grief à l'arrêt d'infirmer la sentence arbitrale en ce qu'elle a dit que la société Loos a modifié unilatéralement leur rémunération sans leur acceptation, et de rejeter leurs demandes au titre du rappel de commissions et leurs autres demandes, alors « que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Midi technique et Suditherm reprochaient à leur cocontractante, pièces à l'appui, d'avoir modifié unilatéralement les modalités contractuelles de fixation de leurs commissions, sans que ces modifications aient été acceptées, ce qui les avaient privées des commissions auxquelles elles auraient pu prétendre en application des stipulations contractuelles ; qu'elles démontraient ainsi que la société Loos avait "exécuté de manière déloyale les contrats d'agence" ; qu'en se bornant à affirmer de façon péremptoire, pour rejeter les demandes des sociétés Midi technique et Thermie Provence en dommages et intérêts pour exécution déloyale par la société Loos et au titre du rappel de commissions sur opérations réalisées et qui ne leur ont pas été réglées en tout ou partie, que celles-ci ne démontraient pas que le contrat aurait été exécuté de façon déloyale, sans à aucun moment répondre à leurs conclusions circonstanciées dénonçant une modification unilatérale du mode de calcul des commissions à leur détriment, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. Il résulte de ce texte que tout jugement doit être motivé à peine de nullité. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

11. Pour rejeter les demandes de la société Midi technique et Thermie Provence en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale par la société Loos des contrats les liant, l'arrêt retient qu'elles ne démontrent pas que les contrats ont été exécutés de façon déloyale, surtout en l'absence de mise en cause de la société LCI.

12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de ces sociétés soutenant que la déloyauté de la société Loos résultait notamment de la modification unilatérale du mode de calcul des commissions à leur détriment, la cour d‘appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence font grief à l'arrêt d'infirmer la sentence arbitrale en ce qu'elle a dit que le refus par la société Loos de régler les commissions correspondant aux ventes réalisées avec la société RCI est injustifié et donc abusif et que la société Midi technique et la société Suditherm, aux droits de laquelle est venue la société Thermie Provence, ont droit à des commissions pour l'ensemble des ventes réalisées au profit de la société RCI, et de rejeter leurs demandes au titre du rappel de commissions et leurs autres demandes, alors « que tout jugement doit être motivé et doit donc se suffire à lui-même ; que, pour infirmer la sentence arbitrale du 5 janvier 2021 en ce qu'elle a dit que le refus de la société Loos de régler les commissions correspondant aux ventes réalisées par la société RCI est injustifié et donc abusif et rejeter les demandes des sociétés Midi technique et Suditherm, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que "la société Loos [...] établit l'existence d'une faute contractuelle des sociétés [Midi technique et Suditherm] qui ont réalisé des ventes essentiellement au profit de la société RCI" ; qu'en statuant par de tels motifs, dénués de toute analyse concrète des données du litige, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

14. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

15. Pour rejeter les demandes des sociétés Midi technique et Thermie Provence en paiement de sommes à titre de rappel de commissions, l'arrêt se borne à affirmer que la société Loos établit l'existence d'une faute contractuelle des sociétés Midi technique et Suditherm, qui ont réalisé des ventes essentiellement au profit de la société RCI.

16. En statuant ainsi, sans expliquer en quoi la réalisation des ventes essentiellement au profit de la société RCI, fût-elle avérée, caractérisait une faute, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

17. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence font grief à l'arrêt attaqué de rejeter leurs demandes de dommages et intérêts pour non-respect du préavis alors « que, sauf circonstances particulières, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt qu'un préavis de six mois a été respecté, mais que, durant celui-ci, les modalités d'exercice de l'activité de distribution ont été modifiées ; qu'en déboutant néanmoins les sociétés Midi technique et Thermie Provence de leurs demandes indemnitaires pour non-respect du préavis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

18. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Selon le second, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

19. Pour rejeter les demandes des sociétés Midi technique et Thermie Provence à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, l'arrêt retient que le préavis de six mois a été respecté.

20. En statuant ainsi, après avoir constaté que, par lettre du 19 septembre 2011, les modalités d'exercice de l'activité de distribution avaient été modifiées pendant la période de préavis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme la sentence arbitrale rendue par le Tribunal arbitral de Mulhouse le 5 Janvier 2021 en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur le principe de l'estoppel soulevée par les demanderesses au regard de la position de la défenderesse antérieurement à la présente procédure et la fin de non-recevoir fondée sur le principe de l'estoppel soulevée par la défenderesse pour faire déclarer irrecevables les chefs de demande visant les sociétés Loos et LCI au regard de la position des demanderesses devant les tribunaux, antérieurement à la présente procédure, l'arrêt rendu le 31 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

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