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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 24 janvier 2025, n° 22/04140

NÎMES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

M. Maitral, Mme Vareilles

Avocats :

Me Sebellini, Me Mazars

T. première instance Nîmes, du 13 déc. 2…

13 décembre 2022

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 22 décembre 2022 par Monsieur [U] [M] à l'encontre du jugement rendu le 13 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Nîmes, dans l'instance n°20/02117 ;

Vu l'ordonnance rendue le 13 juin 2023 par le magistrat délégué par le Premier président de la cour d'appel de Nîmes qui a débouté Monsieur [U] [M] de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 8 septembre 2023 par Monsieur [U] [M], appelant, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 19 juin 2023 par Madame [X] [L] épouse [H], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de Monsieur [T] [H], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance du 27 mai 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 26 décembre 2024,

Sur les faits

Suivant acte sous signature privée du 2 octobre 2009, Monsieur [T] [H] et Monsieur [U] [M] ont conclu un bail de courte durée dont le terme a été fixé au 31 août 2011. Puis, suivant acte sous signature privée du 1er septembre 2011, Monsieur [T] [H] et son épouse, d'une part, Monsieur [U] [M], d'autre part, ont conclu un bail intitulé 'bail commercial' d'une durée de neuf années à compter du même jour.

Il était stipulé, s'agissant de la destination des locaux, que le preneur ne pourra utiliser les lieux loués qu'à usage commercial et pour l'exercice des activités d'entretien et réparation de véhicules automobiles, à l'exclusion de toutes autre activité susceptible de produire du bruit, des trépidations ou autre, de nature à incommoder les occupants de l'immeubles.

Par acte extra-judiciaire du 26 février 2020, les bailleurs ont signifié au preneur un congé avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction pour le 31 août 2020.

Sur la procédure

Par exploit du 22 avril 2020, le preneur a fait assigner les bailleurs aux fins de contester le congé et de se voir octroyer une indemnité d'éviction.

Par jugement rendu le 13 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Nîmes a :

- débouté Monsieur [U] [M] de sa demande en nullité du congé refusant le renouvellement du bail commercial sans offre d'indemnité d'éviction, en date du 26 février 2020,

- débouté Monsieur [U] [M] de sa demande d'octroi d'une indemnité d'éviction,

- débouté Madame [X] [L] épouse [H] et Monsieur [T] [H] de leur

demande de dommages et intérêts ;

- condamné Monsieur [U] [M] à payer la somme de 1 700 euros à Madame [X] [L] épouse [H] et à Monsieur [T] [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Monsieur [U] [M] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Monsieur [U] [M] aux entiers dépens ;

- rappelé que le présent jugement est de droit exécutoire par provision;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Monsieur [U] [M] a relevé appel de cette décision pour le voir réformer en ce qu'elle l'a débouté de sa demande en nullité du congé du 26 février 2020, de sa demande d'octroi d'une indemnité d'éviction, de sa demande de condamnation des époux [H] au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'elle l'a condamné à payer la somme de 1 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Monsieur [T] [H] est décédé le 23 novembre 2022, laissant pour lui succéder son épouse, Madame [X] [L].

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelant demande à la cour de :

- le Déclarer recevable et bien fondé en son appel à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 13 décembre 2022,

- Réformer le jugement en ce qu'il a estimé que Monsieur [U] [M] n'était pas immatriculé au répertoire des métiers à la date du congé,

En conséquence,

- Accorder à Monsieur [U] [M] le bénéfice du statut des baux commerciaux,

Vu l'absence de mise en demeure précédant le congé avec refus de renouvellement délivré à Monsieur [U] [M] en date du 26 février 2020,

Tenant l'inexistence des motifs graves et légitimes invoqués dans le congé délivré à Monsieur [U] [M] ,

- Prononcer la nullité du congé délivré à Monsieur [U] [M] en date du 26

février 2020,

Vu le principe de l'estoppel,

- Déclarer irrecevable le moyen soulevé par les consorts [H] tiré de la dénégation du statut des baux commerciaux,

- Condamner Madame [X] [H] au versement d'une indemnité d'éviction au profit du locataire en fonction des critères définis à l'article L. 145- 14 du code de commerce,

A cet effet,

- Ordonner la réouverture des débats pour permettre aux parties d'apporter les éléments chiffrés relatifs à cette indemnité,

Subsidiairement,

- Surseoir à statuer en l'attente des résultats de l'expertise judiciaire aux fins de chiffrage de l'indemnité d'éviction,

- Débouter Madame [H] de toutes ses demandes fins et conclusions et de son appel incident,

- Condamner Madame [X] [H] au versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir qu'il a été immatriculé au répertoire des métiers à compter du 1er octobre 2009 pour une activité code APE 4520A Entretien et Réparation de véhicules automobiles légers sous le numéro de Sirène 514 856 855. Son inscription au registre du commerce et des sociétés de Nîmes du 15 mars 2021 a directement pris la suite de l'inscription au répertoire des métiers sans interruption entre le passage du statut d'artisan au statut de commerçant.

À titre subsidiaire, l'appelant soutient que les parties ont voulu se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux.

S'agissant de l'irrecevabilité du moyen soulevé en première instance tiré de l'absence d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l'appelant indique que les droits du locataire en matière de bail commercial ont été rappelés par les bailleurs et donc reconnus expressément : ils ne peuvent ensuite se contredire dans leurs conclusions.

L'appelant précise que les travaux anciens qui lui sont reprochés étaient indispensables à l'exercice de son activité et connus des bailleurs qui étaient d'accord pour qu'ils soient réalisés. Quand bien même les travaux ne seraient pas considérés comme autorisés, ils n'ont pas de caractère irréversible. Les bailleurs ne pouvaient s'exonérer de l'envoi d'une mise en demeure. Les bailleurs sont de mauvaise foi et ne peuvent se dispenser du versement d'une indemnité d'éviction. Les travaux n'ont pas été exécutés en violation du bail. Il n'existe aucune infraction susceptible de justifier le non renouvellement du bail pour cause grave.

S'agissant de l'appel incident formé par Madame [H], l'appelant rappelle qu'elle habite à plusieurs centaines de mètres de la carosserie et qu'il n'est pas responsable des problèmes de santé de cette dernière. S'il devait quitter les lieux, cela entraînerait la cessation de son activité.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, Madame [X] [L] veuve [H], intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa de l'article L145-1 et, subsidiairement, de l'article L. 145-17 du code de commerce, de :

- Déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Monsieur [U] [M] à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 13 décembre 2022

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

.débouté Monsieur [U] [M] de la demande en nullité du congé refusant le renouvellement du bail commercial sans offre d'indemnité d'éviction, en date du 26 février 2020

.débouté Monsieur [U] [M] de la demande d'octroi d'une indemnité d'éviction

.condamné Monsieur [U] [M] à payer la somme de 1 700 euros à Madame [X] [L] épouse [H] et à Monsieur [T] [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

.débouté Monsieur [U] [M] de la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

.condamné Monsieur [U] [M] aux entiers dépens

- Débouter Monsieur [U] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formées en cause d'appel,

Statuant sur l'appel incident formé par Madame [X] [H],

- Infirmer le jugement dont appel seulement en ce qu'il a débouté Monsieur et Madame [H] de leur demande de dommages intérêts,

Y faisant droit,

- Condamner Monsieur [U] [M] à porter et payer à Madame [X] [H] une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi en raison du comportement fautif de Monsieur [U] [M],

Y ajoutant en tout état de cause,

- Condamner Monsieur [U] [M] à porter et payer à Madame [X] [H] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- le Condamner aux entiers dépens d'appel.

L'intimée réplique que l'appelant ne satisfait pas à la condition d'immatriculation, que ce soit à la date de délivrance du congé, à la date de revendication du statut des baux commerciaux par assignation ou encore à la date d'effet du congé. Il ne peut revendiquer le bénéfice du statut des baux commerciaux. Le bénéfice du statut des baux commerciaux ne résulte pas de la soumission volontaire des parties, puisque l'absence d'immatriculation au registre du commerce du preneur résulte de son seul fait, sans autorisation, ni accord exprès des bailleurs.

À titre subsidiaire, l'intimée indique que le preneur a méconnu la destination des locaux prévue au contrat de bail et que son activité génère des nuisances olfactives et sonores. Il s'est adjoint une activité de peinture et de vernissage non autorisée par le bailleur. Il a procédé à des travaux non autorisés par le bailleur. Les installations qui touchent à la structure du bâtiment ne sont pas réversibles. Les bailleurs n'étaient donc pas tenus de procéder à une mise en demeure préalable à la délivrance du congé.

L'intimée souligne que le preneur se maintient dans les lieux au mépris des décisions de justice et alors qu'il connaît parfaitement la situation de santé fragile de ses bailleurs exposés aux gaz utilisés pour l'activité de peintre en carrosserie.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur les conditions d'application du statut des baux commerciaux

La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne « l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions » ( 3 Civ, 15 mars 2018, pourvoi n 17-21.991).

Les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et, pour justifier les prétentions qu'elles ont soumises au premier juge, les parties peuvent, en cause d'appel, invoquer des moyens nouveaux (Com., 10 février 2015, pourvoi n° 13-28.262).

Le principe de l'estoppel ne fait donc obstacle à l'action qu'en cas de contradiction entre prétentions successives, et non seulement entre différentes allégations d'un plaideur au cours d'un même procès.

En l'espèce, les bailleurs n'ont pas modifié leurs prétentions, ni même leurs moyens, au cours du débat judiciaire, puisque dès leurs conclusions de première instance, ils ont dénié au preneur le bénéfice du statut des baux commerciaux en invoquant son absence d'immatriculation à la date de délivrance du congé et de sa prise d'effet.

La fin de non recevoir soulevée par le preneur doit donc être écartée.

Aux termes de l'article L.145-1 du code de commerce, dans sa version application au présent litige, les dispositions du chapitre V du bail commercial s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce.

En l'espèce, les extraits du registre national des entreprises et des inscriptions figurant au répertoire des métiers, versés au débat par le bailleur, établissent que Monsieur [U] [M] est immatriculé depuis seulement le 15 mars 2021 pour l'activité principale exercée depuis le 1er mars 2021 de carrosserie, achat vente de véhicules d'occasion. L'extrait Kbis fait également état d'une inscription au registre du commerce et des sociétés au 29 avril 2021.

L'inscription de Monsieur [U] [M] à compter du 1er octobre 2009 au répertoire national des entreprises et des établissements (SIRENE) tenu par l'INSEE qui lui a attribué un numéro d'identification ne saurait être confondue avec l'inscription au répertoire des métiers auquel le registre national des entreprises s'est substitué.

Monsieur [U] [M] justifie que, le 16 septembre 2009, le centre de formalités des entreprises de la chambre des métiers du Gard a accusé réception de sa demande d'immatriculation en précisant que son dossier était complet et qu'il le transmettait aux organismes concernés. Toutefois le récépissé de dépôt de dossier de création d'entreprise du 16 septembre 2009 comporte la mention 'en attente d'immatriculation' et et précise qu'il ne saurait remplacer l'extrait d'immatriculation au répertoire des métiers et/ou au registre du commerce et des sociétés.

Monsieur [U] [M] qui ne communique pas de certificat d'immatriculation n'établit pas que sa demande d'immatriculation ait été effectivement suivie d'effet.

2) Sur l'application volontaire du statut des baux commerciaux

Si les conditions requises pour que le preneur bénéficie de la propriété commerciale ne sont pas réunies, les parties au contrat peuvent convenir volontairement de soumettre le bail au statut des baux commerciaux.

Cependant, la seule connaissance du bailleur du défaut d'immatriculation du preneur ne suffit pas à établir sa volonté de renoncer aux conditions du statut (3e Civ., 17 mars 2016, pourvoi n 14-25.088).

En l'espèce, il n'est pas établi, ni même allégué que les bailleurs ignoraient, lors de la conclusion du bail ou de la délivrance du congé, que le preneur n'était pas immatriculé au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés. Leur renonciation non équivoque à se prévaloir des conditions d'application du statut n'est donc pas caractérisée.

Le preneur est ainsi mal fondé à se prévaloir de la propriété commerciale et le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en nullité de congé et en paiement d'une indemnité d'éviction.

3) Sur la demande en réparation du préjudice moral de la bailleresse

L'habitation des bailleurs ne jouxte pas les locaux dans lesquels Monsieur [U] [M] exerce une activité de carrosserie. Il n'est pas démontré que les gaz utilisés par ce dernier pour peindre les véhicules automobiles aient eu une incidence directe et certaine sur l'état de santé des bailleurs. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté les bailleurs de leur demande en dommages-intérêts.

4) Sur les frais du procès

L'appelant qui succombe sera condamné aux dépens de l'instance d'appel.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'intimée.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Rejette la fin de non recevoir tenant au moyen soulevé par les consorts [H] tiré de la dénégation du statut des baux commerciaux,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [U] [M] aux entiers dépens d'appel,

Déboute Madame [X] [L] épouse [H] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

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