CA Bordeaux, 1re ch. civ., 27 janvier 2025, n° 24/03105
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
VTB Bank (Sté)
Défendeur :
Etoile 06 (SCI), BNP Paribas (SA), Commercial Bank AG (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
Mme Vallée, Mme Lamarque
Avocats :
Me Pechier, Me Perbet, Me Hoepffner, Me Kouznetsov, Me Fonrouge, Me Martinet
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La SA VTB Bank, une banque russe créée en 1990, est créancière de M. [V] [T], de nationalité russe ayant notamment développé ses affaires en France dans le négoce de métaux et le cognac, à hauteur de la somme de 1 969 421 447,15 roubles (soit la contre-valeur de 26 862 908,54 euros au taux de conversion du 30 mai 2016).
Les procédures judiciaires russes et leur exequatur en France :
Par décision en date du 6 février 2015, le tribunal de l'arrondissement de Basmanny de la ville de Moscou a condamné M. [T] à régler des sommes à la société VTB Bank en sa qualité de caution de prêts souscrits par certaines de ses sociétés russes. Ce jugement a été confirmé en appel et devant la cour de cassation russe.
Une procédure d'exequatur du jugement de 2015 a été initiée devant le tribunal judiciaire de Paris le 11 juillet 2016, lequel le 12 avril 2023 a constaté la péremption de l'instance.
Par décision du 14 décembre 2016, le jugement du 6 février 2015 a été annulé par le tribunal de l'arrondissement de Basmanny de la ville de Moscou, suite à une procédure en révision initiée par M. [T].
Par seconde décision en date du 4 août 2021, le tribunal de l'arrondissement de Basmanny de la ville de Moscou a de nouveau condamné M. [T] à régler des sommes à la société VTB Bank en sa qualité de caution de prêts souscrits par certaines de ces sociétés russes.
Par jugement en date du 6 novembre 2024, à la demande de la société VTB Bank, le tribunal judiciaire de Lyon et en l'absence de M. [T], a prononcé l'exequatur du jugement rendu le 4 août 2021 par le tribunal d'arrondissement de Basmanny.
Les procédures d'exécution forcée en France :
Sur la base du premier jugement de 2015, la société VTB Bank a été autorisée par le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire d'Angoulême à saisir à titre conservatoire les parts sociales appartenant à M. [T] dans la SCI Etoile 06 et les 5 groupements fonciers agricoles, qui ont été pratiquées les 20 juin et 19 juillet 2016 et dénoncées à l'intéressé en Russie.
Par jugement du 14 janvier 2019, le juge de l'exécution prés le tribunal judiciaire d'Angoulême a rejeté la demande en mainlevée initiée par M. [T], qui alléguait le transfert de ses parts sociales à son épouse en nom propre.
Le 9 février 2024, Mme [R] et M. [T] ont assigné la société VTB Bank devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Angoulême en main levée des saisies conservatoires compte tenu de l'anéantissement rétroactif de la procédure d'exequatur et la caducité des saisies conservatoires dénoncées en 2016. L'affaire, plaidée le 18 novembre 2024 a été mise en délibéré au 13 janvier 2025.
La procédure dont appel :
Par acte d'huissier du 11 août 2020, la société VTB Bank a fait assigner la SCI Etoile 06, le GFA De [Localité 11] ainsi les époux [T], devant le tribunal judiciaire d'Angoulême, aux fins, notamment, d'obtenir la nullité ou, à défaut l'inopposabilité, des augmentations de capital des 18 et 25 août 2017, des sociétés Etoile 06 et GFA De [Localité 11] par M. [T] et sa femme dans le cadre d'un appauvrissement frauduleux visant à tenter d'échapper à leurs créanciers.
Le tribunal judiciaire d'Angoulême est ainsi saisi par jonction de la procédure initiée par les société BNP Paribas, BNP Paribas Suisse et [Localité 9] Commercial Bank AG contre les époux [T] :
- d'une demande formée par la SA VTB Bank en nullité, ou à défaut d'inopposabilité des augmentations de capital des 18 et 25 août 2017 des sociétés Etoile 06 et GFA De [Localité 11] par M. [T] et sa femme en tentant de faire croire que l'intégralité des nouvelles parts était uniquement attribuée à Mme [R] son épouse, laquelle n'était en réalité aucune propriétaire des parts en son nom propre, et ce, aux fins d'organiser la dilution des parts sociales pour échapper à la saisie conservatoire des parts sociales détenues par M. [T] effectué en juin et juillet notamment dans ces 2 sociétés,
- d'une demande initiée par les société BNP Paribas, BNP Paribas Suisse et [Localité 9] Commercial Bank AG concernant la même affaire et les mêmes défendeurs qui a été jointe à la première procédure.
Par ordonnance du 23 novembre 2021, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire d'Angoulême a rejeté les demandes formulées par les intimés, retenant notamment que la société VTB Bank et les autres banques BNP Paribas pouvaient agir à l'encontre des sociétés Etoile 06 et GFA de [Localité 11] pour demander la nullité des décisions prises en assemblées générales les 18 et 25 août 2017, les actions n'étant pas prescrites.
Par nouvelles conclusions d'incident du 19 septembre 2023, M. et Mme [T] ont demandé le sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge de l'exécution en demande de mainlevée de la saisie conservatoire. Par conclusions du même jour, Les société SCI Etoile 06 et GFA de [Localité 11] ont soulevé l'irrecevabilité de l'action de la société VTB Bank pour défaut de son droit d'agir en raison de son inscription sur la liste des entités visées par les mesures restrictives mises en place par le règlement n° 269/2014 du 17 mars 2014, ordonnée par le Règlement n° 2022/581 du 8 avril 2022, eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de' l'Ukraine.
Par ordonnance du 7 mai 2024, le juge de la mise en état a :
- débouté les époux [T] de leur demande tendant à voir prononcer un sursis à statuer ;
- débouté la SA BNP Paribas, la SA BNP Paribas (Suisse) et la société [Localité 9] Commercial Bank AG de leur demande tendant à voir prononcer la disjonction des instances opposant d'une part celles-ci et d'autre part la société VTB Bank aux époux [T], à la SCI Etoile 06 et au GFA De [Localité 11] ;
- déclaré irrecevable l'action engagée, par la société VTB Bank, pour défaut de droit d'agir ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Ia société BNP Paribas, de la société BNP Paribas (Suisse), de la société [Localité 9] Commercial Bank AG et de la société VTB Bank ;
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du mardi 2 juillet 2024 à 9 heures pour les conclusions au fond de Me Hoepffner ;
- réservé les dépens de l'incident et dit qu'ils suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
La société VTB Bank a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 2 juillet 2024, en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable l'action engagée par la société VTB Bank pour défaut de droit d'agir ;
- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société BNP Paribas (Suisse), de la société [Localité 9] Commercial Bank AG et de la société VTB Bank ;
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 2 juillet 2024 à 9 heures pour les conclusions au fond de Me Hoepffner ;
- réservé les dépens de l'incident et disons qu'ils suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
Par dernières conclusions déposées le 6 décembre 2024, la société VTB Bank demande à la cour de :
- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture du 25 novembre 2024 pour lui permettre de notifier ses conclusions et pour les intimés d'y répondre,
et à titre subsidiaire de déclarer irrecevables les conclusions d'intimés du 25 novembre ainsi que les pièces citées au soutien de leurs conclusions,
en tout état de cause :
- réformer l'ordonnance rendue le 7 mai 2024 par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire d'Angoulême en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable l'action engagée par la société VTB Bank pour défaut de droit d'agir ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société VTB Bank ;
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 2 juillet 2024 pour les conclusions au fond des époux [T], de la SCI Etoile 06 et du GFA De [Localité 11] ;
- réservé les dépens de l'incident et dit qu'ils suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
Statuant à nouveau :
- déclarer recevable l'action de la société VTB Bank ;
- condamner solidairement les époux [T], la SCI Etoile 06 et le GFA De [Localité 11] à payer à la société VTB Bank la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées le 9 décembre 2024, les époux [T], le GFA De [Localité 11] et la SCI Etoile 06 demandent à la cour de :
- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture du 25 novembre 2024 au jour des plaidoiries pour permettre à l'ensemble des parties de notifier leurs conclusions,
- confirmer l'ordonnance du 7 mai 2024 du juge de la mise en état de tribunal judiciaire d'Angoulême en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par la société VTB Bank pour défaut de droit d'agir l'action initiée par la société VTB Bank car contraire au Règlement (UE) n°269/2014 du 17 mars 2014 ;
- déclarer la société VTB Bank irrecevable pour défaut de droit à agir ;
- condamner la société VTB Bank au paiement de la somme de la somme de 10 000 euros à chacune des sociétés Etoile 06 et De [Localité 11] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées le 21 octobre 2024, la société BNP Bank, la société BNP Bank (Suisse) et la société [Localité 9] Commercial Bank AG demandent à la cour de :
- donner acte aux concluantes qu'elles s'en remettent à la solution qui sera retenue par la Cour ;
- condamner toute partie succombante à payer aux concluantes une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 9 décembre 2024. Par accord des parties, l'ordonnance de clôture de la procédure initialement fixée au 25 novembre 2024 a été rabattue et à nouveau fixée le 9 décembre 2024, avant toute plaidoirie des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Cour n'est saisie de l'infirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état qu'en ce qu'elle a déclarée irrecevable l'action engage par la banque VTB pour défaut de droit d'agir.
Le juge de la mise en état a retenu que l'action de la banque VTB figurant sur la liste des personnes concernées par le gel des avoirs, viserait à obtenir une compensation ou une garantie, de sorte qu'elle serait irrecevable en application de l'article 11 du règlement européen n°269/2014 du 17 mars 2014.
L'appelante soutient que si la banque VTB figure dans la liste des personnes morales contre lesquelles un gel des avoir a été instauré par le conseil de l'Union européenne par l'édiction du règlement visé, il n'est pas une mesure confiscatoire mais d'indisponibilité temporaire, les personnes qui possèdent des fonds dans les Etats membres de l'Union européenne conservent en effet leur droit de propriété sur ces avoirs.
Elle soutient également que l'instauration de mesures du gel des avoirs n'emporte pas l'interdiction pour les personnes visées par le gel des avoirs, d'ester en justice, comme le prévoit l'article 5 quindecies du règlement européen n° 833/2014, qui peuvent continuer à bénéficier de prestations de services de conseils, dès lors que ces prestations sont 'strictement nécessaires' à l'exercice des droits de la défense ou pour garantir l'accès aux procédures judiciaires.
Elle fait ainsi valoir que:
- par son action elle ne vise pas à obtenir une compensation ou une garantie financière,
- la demande n'a pas été formulée à l'occasion d'un contrat ou d'une opération dont l'exécution a été affectée par les mesure de gel des avoirs puisqu'elle a assigné en 2020 avant d'être inscrite sur le registre du gel des avoirs en avril 2022 et que le comportement frauduleux qu'elle oppose à M. [T] est également antérieur à ces mesures, ayant été condamné par un jugement de 2015;
- qu'elle doit pouvoir continuer à se défendre dans le cadre de la procédure en cours sans que soit porté atteinte à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, sauf à nier ses droits et qualité de créancier en raison du risque de prescription les 'fonds et 'ressources économiques' de ce même article couvrent aussi les garanties de ses droits. Elle produit un échange de courriel du 9 mai 2022 avec la DGFIP qui lui confirme qu'elle dispose du droit de se défendre devant les juridictions sans autorisation nécessaire.
La société Groupement foncier agricole de [Localité 11], la société Etoile 06, Mme [R] et M. [T] sollicitent la confirmation de l'ordonnance déférée et soutiennent que la procédure engagée au titre de la garantie est bien visée par le règlement cité car elle tend à se faire remettre des parts sociales de sociétés françaises ou se faire payer le prix de ces parts sociales.
Ainsi, l' acte de cautionnement dont se prévaut la banque est visé par l'article 11 du règlement, ne permettant pas de faire droit à sa demande en ce qu'il est inclus dans le terme 'contrat' et qu'il définit les 'fonds' comme les actifs financiers et avantages économiques de toute nature notamment les garanties et les 'ressources économiques' comme les avoirs de toute nature qui peuvent être utilisés pour obtenir les fonds.
L'assignation délivrée par la Banque correspond également à une 'demande' visée par l'article 11 du règlement.
Ils soutiennent que cet article est de portée générale car vise les mesures instituées par le règlement et non pas uniquement la mesure de gel et cette interdiction restrictive en soi doit être appliquée comme telle.
Les sociétés BNP Paribas, BNP Paribas Suisse et Hambourg Commercial Bank font état des manoeuvres dilatoires organisés par les époux [T] en procédant à la dilution des parts de ces sociétés en augmentant leur capital et en attribuant les nouvelles parts à la seule Mme [T], délibération dont les banques sollicitent la nullité dans le cadre de la présente instance. Dans le cadre de la procédure en incident, elles s'en remettent à la solution qui sera retenue par la Cour.
***
Conformément à l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen du fond pour défaut de droit d'agir, tel" le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 32 du même code énonce qu'est irrecevable " toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.'
Il ressort du règlement du conseil de l'Union européenne n° 269/2014 du 17 mars 2014 que la société VTB Bank a fait l'objet de mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, étant mentionnée en Annexe I depuis le 8 avril 2022 (règlement n° 269/2014).
L'article 11 du règlement stipule :
'1. Il n'est fait droit à aucune demande à l'occasion de tout contrat ou toute opération dont l'exécution a été affectée, directement ou indirectement, en tout ou en partie, par les mesures instituées en vertu du présent règlement, y compris à des demandes d'indemnisation ou à toute autre demande de ce type, telle qu'une demande de compensation ou une demande à titre de garantie, notamment une demande visant à
obtenir la prorogation ou le paiement d'une garantie ou d'une contre-garantie, notamment financière, quelle qu'en soit la forme, présentée par:
a) des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes figurant à l'annexe I;
b) toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme agissant par l'intermédiaire ou pour le compte d'une des personnes ou entités ou d'un des organismes visés au point a).
2. Dans toute procédure visant à donner effet à une demande, la charge de la preuve que la satisfaction de la demande n'est pas interdite par le paragraphe 1 incombe à la personne physique ou morale, à l'entité ou à l'organisme cherchant à donner effet à cette demande.'
L'article 1 précise que le terme demande recouvre 'toute demande, sous forme contentieuse ou non, introduite antérieurement ou postérieurement au 17 mars 2014 et résultant d'un contrat ou d'une opération ou rattachée à un contrat ou à une opération, et notamment:
i) une demande visant à obtenir l'exécution de toute obligation résultant d'un contrat ou d'une opération ou rattachée à un contrat ou à une opération;
ii) une demande visant à obtenir la prorogation ou le paiement d'une garantie ou d'une contre-garantie financières, quelle qu'en soit la forme;
iii) une demande d'indemnisation se rapportant à un contrat ou à une opération;
iv) une demande reconventionnelle;
v) une demande visant à obtenir, y compris par voie d'exequatur, la reconnaissance ou l'exécution d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une décision équivalente, quel que soit le lieu où ils ont été rendus;'
Le terme 'contrat ou obligations' recouvre quant à lui 'toute opération, quelle qu'en soit la forme, quelle que soit la législation qui lui est applicable, comportant un ou plusieurs contrats ou obligations similaires établis entre des parties identiques ou non; à cet effet, le terme «contrat» inclut toute garantie ou toute contre-garantie, notamment financières, et tout crédit, juridiquement indépendants ou non, ainsi que toute disposition y relative qui trouve son origine dans une telle opération ou qui y est liée';
L'article 2 précise que : '(...) 2. aucun fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l'annexe I, ni dégagés à leur profit. '
Etant précisé que par 'gel des fonds', le règlement entend 'toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation, manipulation de fonds ou accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuilles;'
Selon son article 5 ,
'1. Par dérogation à l'article 2, les autorités compétentes des États membres peuvent autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, si les conditions suivantes sont réunies:
a) les fonds ou ressources économiques font l'objet d'une décision arbitrale rendue avant la date à laquelle la personne physique ou morale, l'entité ou l'organisme visé à l'article 2 a été inclus dans l'annexe I, d'une décision judiciaire ou administrative rendue dans l'Union ou d'une décision judiciaire exécutoire dans l'État membre concerné, avant ou après cette date;
b) les fonds ou ressources économiques seront exclusivement utilisés pour faire droit aux demandes garanties par une telle décision ou dont la validité a été établie par une telle décision, dans les limites fixées par les lois et règlements régissant les droits des personnes admises à présenter de telles demandes;
c) la décision n'est pas rendue au bénéfice d'une personne physique ou morale, d'une entité ou d'un organisme figurant sur la liste de l'annexe I; '
Par ailleurs, le préambule du règlement mentionne que '(6) le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la Charte des droits fonda mentaux de l'Union européenne, et plus particulièrement les
droits à un recours effectif et à l'accès à un tribunal impartial, ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel. Il convient d'appliquer le présent règlement conformément à ces droits et principes.'
Il convient de lire ces dispositions en lien avec celles du règlement du conseil de l'Union européenne n°833/2014 en date du 31 juillet 2014 concernant les mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine
Son article 5 quindecies précise ainsi que (...)
'2. Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services d'architecture et d'ingénierie, des services de conseil juridique et des services de conseil informatique:
(...) b) à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.
(...)
5. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires à l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'une procédure judiciaire et du droit à un recours effectif.
6. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l'accès aux procédures judiciaires, administratives ou d'arbitrage dans un État membre, ainsi que pour la reconnaissance ou l'exécution d'un jugement ou d'une sentence arbitrale rendu dans un État membre, à condition qu'une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du règlement (UE) no 269/2014.'
En l'espèce, la société VTB Bank se présente comme créancière de M. [T] et des sociétés dont ce dernier détient des parts sociales en vertu d'un jugement du tribunal de l'arrondissement de Basmanny de la ville de Moscou du 4 août 2021, dont l'exequatur en France a été prononcée par jugement du tribunal judiciaire de Lyon en date du 6 novembre 2024.
La présente instance, initiée en 2020, a pour objet de déterminer si les augmentations de capital litigieuses réalisées en 2017 par les époux [T] l'ont été dans le cadre d'un appauvrissement frauduleux visant à tenter d'échapper à leurs créanciers.
Elle est diligentée à l'initiative de la société VTB Bank en exécution d'un acte de cautionnement personnel et solidaire de M. [T] à l'égard de la société russe Usine métallurgique Gourievsky, en procédure collective depuis le 24 janvier 2014, l'intimé ayant été appelé en garantie par la banque le 14 mars 2014.
Il n'est pas contesté que la société VTB Bank figure depuis 2022 sur la liste des sociétés visées par le règlement de 2014, en application du règlement d'exécution du conseil du 8 avril 2022.
L'action de la société VTB Bank porte sur la procédure d'insolvabilité qui aurait été organisée en France par M. [T] pour échapper à ses obligations et de ce fait, entre dans le champ d'application de l'article 11 dès lors que la demande est directement liée à l'acte de cautionnement du contrat de prêt qui fonde l'intérêt à agir de la banque en vue de la garantie de sa créance si le transfert frauduleux des parts sociales était démontré, donc dans une relation dont l'exécution est affectée par les-dites mesures restrictives.
La société VTB Bank produit deux courriels de la direction générale du Trésor public, service des sanctions financières internationales le 9 mai 2022 qui atteste que l'action de la banque pour se 'défendre devant une juridiction française' ne nécessite pas d'autorisation, mais qu'en revanche, la banque devra être autorisée à percevoir des honoraires en provenance d'une personne sanctionnée et le 6 novembre 2024 qui 'prend note' du détail de la procédure en cours devant le tribunal judiciaire d'Angoulême.
Conformément à l'article 5 quindecies du règlement n° 833/2014 et à la lumière de l'article 6 du préambule du règlement 269/2014, la procédure engagée permet à la société VTB Bank d'exercer son droit à un recours effectif et d'éviter notamment toute prescription de ses droits à pouvoir dénoncer une insolvabilité frauduleuse pour obtenir un jour les valeurs des parts sociales détenues par M. [T] en application du jugement rendu par le tribunal de l'arrondissement de Basmanny de la ville de Moscou en date du 4 août 2021.
Comme rappelé par ministère de l'économique et des finances dans ses courriels, il s'agit ici de préserver les droits de la société VTB Bank sans qu'elle puisse disposer des fonds à ce jour, ce qui nécessiterait une autorisation spécifique de la DGFIP.
Par ailleurs, conformément à l'article 2 du règlement 269/2014, la banque peut se prévaloir des exemptions à agir en justice en France dès lors qu'elle dispose déjà d'un jugement russe de 2021, rendu exécutoire en France depuis le 6 novembre 2024, en application d'un contrat de cautionnement de 2011 et l'action ayant été engagée par assignation du 11 août 2020, soit près de 2 ans avant son inscription sur l'annexe des personnes morales visées par les mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, peu important que cette décision ait été rendue après l'inscription de la société VTB Bank à l'annexe du règlement du conseil de l'Union européenne.
En conséquence, l'objet de la procédure introduite par la banque russe VTB visant à obtenir l'annulation ou à titre subsidiaire l'inopposabilité des décisions d 'augmentation de capital prises par un ressortissant russe résidant en France, en l'espèce M. [T] au profit de son épouse entre bien dans le champ d'application des demandes visées par l'article 11, de manière indirecte, mais bénéficie des exemptions en raison de l'absence de demande de mise à disposition des fonds, des dates des actes fondant la demande, de la date d'assignation et de l'exequatur du jugement russe en France.
Il convient dès lors d'infirmer l'ordonnance déférée, la société VTB Bank étant recevable à agir sans que la décision à intervenir sur le fond ne préjuge de la possibilité pour la demanderesse d'obtenir la remise des parts sociales détenues par M. [T] dans les sociétés Etoile 06 et Groupement foncier agricole de [Localité 11], d'autres banques venant le poursuivre en recouvrement d'impayés d'un montant très important qui limiteront d'autant les sommes qui seraient alors disponibles et la société VTB Bank étant à ce jour inscrite sur la liste des personnes morales ayant besoin d'une autorisation de l'admis nitration française pour débloquer des avoirs qui lui seraient dus.
M. [T], la société Etoile 06 et la société groupement foncier agricole de [Localité 11], parties perdantes seront condamnées aux dépens, ainsi qu'à verser à la société VTB Bank la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés BNP Paribas, BNP Paribas (Suisse) et [Localité 9] commercial bank AG étant intervenues au soutien de l'incident formé au principal seront débouté de leur demande au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme l'ordonnance déférée,
Dit recevable l'action engagée par la société VTB Bank à l'encontre de M. [T] et Mme [R], la société Etoile 06 et la société groupement foncier agricole de [Localité 11],
Condamne M. [T] et Mme [R], la société Etoile 06 et la société groupement foncier agricole de [Localité 11] à verser à la société VTB Bank la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles,
Déboute les sociétés BNP Paribas, BNP Paribas (Suisse) et [Localité 9] commercial bank AG de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens des SA BNP Paribas, SA BNP Paribas (Suisse) et de [Localité 9] commercial bank AG resteront à leur charge,
Condamne M. [T] et Mme [R], la société Etoile 06 et la société groupement foncier agricole de [Localité 11] aux dépens.