CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 29 janvier 2025, n° 23/00080
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Aniere, Ekip' (SELARL)
Défendeur :
Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir, Cabinet Gabaig (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defix
Conseillers :
Mme Rouger, Mme Robert
Avocats :
Me Sorel, Me Barrere, Me Estrade
EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée (Sarl) Cabinet Gabaig administre en qualité de syndic la Résidence le Manoir, située [Adresse 4] à [Localité 6] (64).
En cette qualité, la Sarl Cabinet Gabaig a entendu récupérer des charges de copropriété impayées d'un copropriétaire non occupant, M. [S] [E].
Par jugement du 29 mai 2017 du tribunal de commerce de Tarbes, M. [E] a fait l'objet d'une liquidation judiciaire. La Selarl [M] [K]' a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire de M. [E].
À l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, le syndicat des copropriétaires détenait une créance à l'encontre de M. [E] qu'il chiffrait à hauteur de 12 278,93 euros.
Le Syndicat des copropriétaires a affirmé n'avoir jamais reçu l'avis d'avoir à déclarer cette créance que le mandataire liquidateur assurait avoir adressé au syndic le 13 juin 2017. Le Syndicat a souligné à cet égard une erreur dans l'orthographe du nom du syndic et dans l'adresse postale.
Suivant jugement du 15 décembre 2020, le tribunal de commerce de Tarbes a prononcé la clôture des opérations de liquidation judiciaire de M. [E] et désigné la Selarl Ekip' en la personne de Maître [K] [M] en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de poursuivre les instances en cours et de répartir, le cas échéant, les sommes perçues à l'issue de celles-ci.
Le 4 mars 2021, la créance a fait l'objet d'un certificat d'irrécouvrabilité communiqué par Maître [M] au Syndicat des copropriétaires par courrier.
Par ordonnance du 7 juin 2021, le juge commissaire a rejeté la demande en relevé de forclusion formée par le syndicat des propriétaires.
Par courrier du 20 septembre 2021, le syndic a sollicité un dédommagement auprès de la Seral Ekip'.
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Par acte d'huissier du 9 juin 2022, le Syndicat des copropriétaires de la « résidence le Manoir », représenté par son syndic en exercice la Sarl cabinet Gabaig a assigné la Selarl Ekip' devant le tribunal judiciaire de Foix, sur le fondement de l'article 1241 du code civil aux fins d'obtenir réparation de son préjudice.
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Par un jugement réputé contradictoire du 16 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Foix a :
- condamné la Selarl Ekip', prise en la personne de son représentant légal, à payer au Syndicat des copropriétaires de la « Résidence le Manoir », représenté par son syndic en exercice la Sarl cabinet Gabaig, la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- condamné la Selarl Ekip', prise en la personne de son représentant légal, à payer au Syndicat des copropriétaires de la « Résidence le Manoir », représenté par son syndic en exercice la Sarl cabinet Gabaig, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit,
- condamné la Selarl Ekip', prise en la personne de son représentant légal, aux dépens tels que définis à l'article 695 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé l'existence d'une erreur dans l'identité du destinataire de l'avis à déclarer la créance (Gabet au lieu de Gabaig) et dans l'adresse du syndic de copropriété ([Adresse 1] au lieu de [Adresse 2]) au titre d'une créance, à titre chirographaire, d'un montant de 12 278,93 euros alors que cette créance est garantie par une hypothèque légale de sorte qu'il a constaté que le Syndicat des copropriétaire n'a pas reçu cet avis et n'a pas été en mesure de faire rectifier la nature de sa créance.
Le tribunal a considéré que le mandataire liquidateur a manqué à son obligation de conduire des diligences suffisantes pour adresser l'avis aux créanciers à la bonne entité et à la bonne adresse et pour qualifier correctement la créance du Syndicat, créant ainsi au détriment de ce dernier un préjudice caractérisé par la perte de chance de recouvrer sa créance.
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Par déclaration du 6 janvier 2023, la Selarl Epip' a relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :
- condamné la Selarl Ekip', prise en la personne de son représentant légal, à payer au Syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir, représenté par son syndic en exercice la Sarl cabinet Gabaig la somme de 7 000 euros à titre de dommages intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- condamné la Selarl Ekip', prise en la personne de son représentant légal, à payer au syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir, représenté par son syndic en exercice la Sarl cabinet Gabaig la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit,
- condamné la Selarl Ekip' prise en la personne de son représentant légal aux dépens tels que définis à l'article 695 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 juillet 2023, la Selarl Ekip', appelante, demande à la cour, au visa des articles L. 622-21 et R. 622-21 du code de commerce, et des articles 1240 et 1241 du code civil, de :
- réformer le jugement dont appel en ce a qu'il condamné la Selarl Ekip' prise en la personne de son représentant légal à payer au syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir, représentée par son syndic en exercice la Sarl cabinet Gabaig la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts, intérêts au taux légal à compter du jugement, outre 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit et a condamné la Selarl Ekip' aux dépens,
Statuant à nouveau,
- débouter le syndicat des copropriétaires des fins de son appel incident,
- condamner le syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir représenté par son syndic en exercice à payer à la Selarl Ekip' la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en règlement des frais irrépétibles d'appel,
- condamner le syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir représenté par son syndic en exercice aux entiers dépens avec distraction au profit de maître Gilles Sorel en application de l'article 699 du code de procédure civile,
- débouter le syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir de ses demandes, fins et conclusions contraires.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 juin 2023, le syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir représenté par son syndic en exercice, la Sarl cabinet Gabaig, intimé, demande à la cour, de :
- confirmer la décision en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la Selarl Ekip' et la condamner à indemniser le Syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir au titre de la perte de chance éprouvée,
- réformant sur le montant, condamner la Selarl Ekip' à payer au Syndicat des copropriétaires de la Résidence le Manoir une indemnité de 12 000 euros en réparation de son préjudice,
- y ajoutant, condamner la Selarl Ekip' au paiement d'une indemnité supplémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 mai 2024. L'affaire a été examinée à l'audience du 11 juin 2024.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
1. L'article 1240 du code civil dispose que 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
2. En vertu de l'article L. 622-24 du code de commerce 'à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'État'.
3. Il sera rappelé que le délai de déclaration a été fixé par l'article R. 622-24 du code de commerce à deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc et que, selon l'article R. 622-21 du même code 'Le mandataire judiciaire, dans le délai de quinze jours à compter du jugement d'ouverture, avertit les créanciers connus d'avoir à lui déclarer leurs créances dans le délai mentionné à l'article R. 622-24".
4. Par ailleurs, l'article L. 622-6, al. 2 du code de commerce précise que 'Le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie'.
5. Il est constant en l'espèce qu'en exécution d'un jugement du tribunal de commerce de Tarbes le 29 mai 2017, la Selarl [M] [K], désignée en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de M. [S] [E] et ultérieurement dénommée Selarl Ekip', a établi le 13 juin 2017 un avis informant de l'ouverture de cette procédure collective et invitant à la déclaration de créance le 'cabinet Gabet, Syndic [Adresse 1]' en visant une créance à titre chirographaire d'un montant de 12 278,93 euros.
6. Il sera constaté que l'avis litigieux comportait des erreurs étant toutefois précisé que la diligence prévue à l'article R. 622-21 du Code de commerce ne prévoit pas de formalisme à l'exception des avis à destination des créanciers titulaires de sûretés publiées pour lesquels ce texte prévoit le recours à la lettre recommandée avec accusé de réception. Le mandataire est par ailleurs tributaire, pour l'envoi de ces avis, de la qualité des informations communiquées par le débiteur ou des éléments de comptabilité et pièces remis par ce dernier comme en l'espèce, la liste des créanciers établie par M. [E] comportant les erreurs dénoncées sans mention permettant d'identifier en l'état du début de la procédure la nature chirographaire ou privilégiée de la créance.
6.1. Pour contester la faute qui lui est reprochée, la société appelante soutient qu'il n'est pas démontré que le Syndic de copropriété n'a pas reçu cet avis alors qu'il résulte des termes de la requête en relevé de forclusion déposée par le Syndicat le 04 mars 2021 exposant que « Le Mandataire liquidateur n'a jamais averti le créancier de cette procédure et qu'une lettre du 13 juin 2017 a seulement indiqué que la créance avait été admise « à titre chirographaire » (lettre adressée au « Cabinet GABET » (sic), « [Adresse 1]») pour la somme de 12 278,93 € » de sorte qu'en énonçant ces faits, le syndic avait bien reçu le courrier revêtu de la flamme de la Selarl Ekip' et qui n'a pas été retourné avec la mention « non distribué », « NPAI » ou « inconnu à l'adresse indiquée ».
6.2. La cour relève certes que le mandataire liquidateur avait, dans les quinze jours qui ont suivi la publication intervenue dans le Bodacc des 5, 6 et 7 juin 2017 du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, connaissance de l'existence d'une créance détenue par un syndic de copropriété et qu'il était tenu d'adresser à ce créancier un courrier portant les informations complètes prévues par le texte précité. Il n'appartient pas au destinataire de ce courrier de rapporter la preuve qu'il ne l'a pas reçu mais au contraire au mandataire judiciaire qu'il l'a bien envoyé. Les mentions erronées d'identification et d'adressage, portées sur ce courrier suffisent à faire présumer qu'il n'a pas été reçu, l'affirmation contenue dans la requête en relevé de forclusion du 4 mars 2021 sur le contenu erroné de l'avis litigieux ne saurait faire la preuve contraire, le requérant ayant préalablement affirmé dans cette requête que 'le mandataire liquidataire n'a jamais averti le créancier' (souligné dans le texte) de la procédure collective.
6.3. Toutefois, l'article R. 622-21 du code de commerce ne distingue pas entre les titulaires d'un privilège spécial et les titulaires d'un privilège général. Cette disposition ne profite ainsi pas aux syndicats de copropriétaires, dès lors que, en application des articles 2374 et 2378 du code civil en leur rédaction applicable au litige, ils sont dispensés de la formalité d'inscription du privilège dont ils bénéficient pour garantir le paiement de leurs créances de charges et de travaux (Com. 4 mars 2003, n° 00-11.952). Le mandataire liquidateur n'était donc pas tenu d'aviser personnellement le Syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Manoir par lettre recommandée avec accusé de réception. La publication au Bodacc du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ayant par ailleurs été régulièrement faite, cette dernière avait une vertu informative qu'un professionnel de l'immobilier comme un syndic connaissant l'existence d'une créance à l'endroit d'un copropriétaire ayant la qualité de commerçant ne pouvait ignorer, se devant de surveiller la situation de ce débiteur suffisamment régulièrement en présence d'un montant élevé de la créance et ne pas laisser écouler la période de six mois impartie pour, le cas échéant, présenter une requête en relevé de forclusion, sans procéder à une telle vérification usuelle.
6.4. Le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir a fait signifier une opposition sur le prix de vente à l'avocat chargé de la vente aux enchères publiques de l'immeuble se trouvant dans la copropriété suivant acte extrajudiciaire du 19 avril 2020 et un état de collocation a été établi le 4 mai 2020 afin de répartir le prix de vente d'un montant de 80 500 euros et publié au Bodacc en son édition des 22 et 23 juin 2020.
Cet état précisait que le solde à répartir après le paiement des frais de justice s'élevait à la somme de 59 834,76 euros et que le Syndicat ayant fait opposition pour un montant de 20.198,67 euros en y incluant les charges de copropriété impayées de 2017 pour un montant de 14 244,96 euros, soit pour un montant supérieur aux charges de copropriété dues par M. [S] [E] avant l'ouverture de la liquidation qui s'élevaient alors à 12 278,93 euros. Le mandataire liquidateur a seulement retenu la somme de 8 307,24 euros au titre de l'opposition sur créances postérieures déclarées soulignant que les créances antérieures n'avaient pas été déclarées. Le Syndicat des copropriétaires n'a pas contesté cet état qui lui a été par ailleurs notifié par le greffe du tribunal de commerce de Tarbes le 5 mai 2020 de sorte qu'un certificat de non-contestation a été délivré le 30 juillet 2020.
6.5. Il suit de ces constatations que la qualification de créance chirographaire dans l'avis litigieux n'est pas à l'origine de la limitation du paiement issu de la collocation mais seulement le défaut de déclaration de créance dans les délais légaux, le Syndicat n'établissant pas un lien de causalité entre le défaut de réception de l'avis et le paiement partiel finalement reçu, le créancier n'ayant pas exercé de recours contre la décision de rejet de sa requête en relevé de forclusion étant relevé en l'espèce que la publicité collective prévue par la loi était suffisante pour pallier l'absence de réception de l'avis à déclarer la créance non assortie d'une sureté publiée.
7. En l'absence de faute caractérisée du mandataire liquidateur et, en tout état de cause, de préjudice en lien de causalité avec ce défaut de réception de l'avis, l'action en responsabilité engagée par le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir doit être rejetée. Le jugement entrepris sera donc intégralement infirmé.
8. Le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir sera tenu aux entiers dépens de première instance et d'appel.
9. La Selarl Ekip' est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer à l'occasion de cette procédure. Le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir sera condamné à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Foix.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir de l'intégralité de ses demandes.
Condamne le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir aux dépens de première instance et d'appel.
Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître Gilles Sorel, avocat, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait directement l'avance.
Condamne le Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Manoir à payer à la Selarl Ekip' la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.