Cass. 3e civ., 30 janvier 2025, n° 23-14.327
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Cassou de Saint-Mathurin
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 24 janvier 2023), par acte du 20 avril 2015, M. et Mme [R] (les vendeurs) ont vendu à M. et Mme [C] (les acquéreurs) une maison.
2. Soutenant que le bien était affecté de divers désordres, les acquéreurs ont, par acte du 21 octobre 2016, assigné en référé les vendeurs aux fins d'expertise judiciaire. La demande a été rejetée en première instance et partiellement accueillie en appel, par arrêt du 24 octobre 2017, pour les seuls désordres affectant la façade ouest de la maison.
3. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 25 mars 2019.
4. Le 22 octobre 2019, les acquéreurs ont assigné les vendeurs en indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Les vendeurs font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action fondée sur la garantie des vices cachés, de les condamner à indemniser les acquéreurs de l'intégralité de leurs préjudices et à payer une certaine somme en réparation de leur préjudice moral, alors « que l'interruption de la prescription résultant de la demande en justice, même en référé est non avenue si la demande est définitivement rejetée ; qu'en conférant à l'action en référé-expertise intentée par M. et Mme [C] un caractère interruptif de la prescription de l'action en réparation de tous les désordres affectant l'immeuble cependant qu'elle constatait que cette demande avait été accueillie uniquement en ce qu'elle visait les désordres affectant la façade ouest et qu'elle avait été rejetée en ce qu'elle visait les autres désordres, ce dont il résultait que, s'agissant de ces autres désordres, l'interruption était non avenue, la cour d'appel a violé les articles 2241 et 2243 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. Les acquéreurs contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit, les vendeurs n'ayant pas fait valoir devant les juges du fond que l'effet interruptif de prescription attaché à l'assignation en référé serait limité aux seuls désordres ayant finalement donné lieu à expertise, à l'exclusion des autres.
7. Toutefois, le moyen est de pur droit, dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
8. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 2241, alinéa 1er, et 2243 du code civil :
9. Aux termes du premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
10. Selon le second, l'interruption est non avenue si la demande est définitivement rejetée.
11. Pour déclarer recevable l'action en garantie des vices cachés au titre de l'ensemble des désordres allégués par les acquéreurs, l'arrêt retient que la prescription a été interrompue par l'assignation en référé-expertise du 21 octobre 2016.
12. En statuant ainsi, après avoir constaté que la demande d'expertise n'avait été accueillie que pour les désordres affectant la façade ouest, de sorte que l'interruption de prescription attachée à l'assignation s'agissant des autres désordres dénoncés était non avenue, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant recevable l'action fondée sur la garantie des vices cachés entraîne la cassation des chefs de dispositif confirmant le jugement de première instance en ce qu'il a ordonné un complément d'expertise et sursis à statuer sur l'indemnisation des préjudices (coût des travaux et préjudice de jouissance) dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare recevable l'action fondée sur la garantie des vices cachés,
- condamne M. et Mme [R] à indemniser M. et Mme [C] de l'ensemble de leurs préjudices et à leur payer la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral,
- ordonne un complément d'expertise et sursoit à statuer sur l'indemnisation des préjudices (coût des travaux et préjudice de jouissance) dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire,
- statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,
l'arrêt rendu le 24 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. et Mme [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;