Livv
Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 29 janvier 2025, n° 22/04519

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gigault (SAS), Technisphere (SAS), Mutuelle des architectes français

Défendeur :

Sci Les Tourreilles (Sté), L'hermitage (SARL), Mma Iard (Sté), Mma Iard Assurances Mutuelles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defix

Conseillers :

Mme Rouger, Mme Robert

Avocats :

Me Gendre, Me Steva-Touzery, Me Lanaelle

TJ Toulouse, du 4 nov. 2022, n° 20/02704

4 novembre 2022

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société civile immobilière (Sci) Les Tourreilles, est propriétaire d'un ensemble immobilier sis [Adresse 11] à [Localité 5] (31).

Elle a donné à bail cet ensemble immobilier à la Sarl L'Hermitage qui y exploite une maison de retraite.

La Sci Les Tourreilles, a entrepris, dans le courant de l'année 2007, la construction de bâtiments complémentaires, d'une salle d'activité et l'aménagement d'un bâtiment existant.

Par contrat du 28 février 2007, la Sci Les Tourreilles a confié la maîtrise d'oeuvre à la Selarl Martinie.

Par contrat du 2 avril 2007, la Sci les Tourreilles a conclu une convention d'assistance à maître d'ouvrage avec la Sarl Citec ingenierie.

Par contrat du 12 avril 2007, la Sci les Tourreilles a confié à la Sarl Technisphère, assurée auprès de la Maf, une mission de prestation de bureau d'études techniques pour les lots :

- 'électricité courants forts/courants faibles /sécurité incendie',

- 'chauffage/ventilation/rafraîchissement',

- 'plomberie/sanitaire'.

Selon devis du 10 juillet 2007, la Sarl Balmoissière et Miquel, assurée auprès de la Sa Mma iard et la société Mma iard assurances mutuelles, s'est vue confier le lot n°11 'plomberie sanitaire - chauffage - rafraîchissement - ventilation - désenfumage' pour un prix total de 985.504 euros toutes taxes comprises.

Par contrat de sous-traitance du 22 novembre 2007, la Sarl Balmoissière et Miquel a confié à la société Technisphère une mission d'études d'exécution partielle portant sur le dimensionnement des réseaux de chauffage, ventilation, plomberie, désenfumage (gaines) et

sur la réalisation de documents graphiques.

La réception des travaux est intervenue le 27 novembre 2008 avec réserves.

À compter du mois d'octobre 2009, la Sci Les Tourreilles et la société à responsabilité limitée (Sarl) L'Hermitage, exploitant cette maison de retraite, ont dénoncé des dysfonctionnements de la chaudière.

Une expertise amiable diligentée en 2016 par l'assureur de la Sarl Balmoissière et Miquel n'a pas permis aux parties de trouver un accord amiable.

Par ordonnance du 24 janvier 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse, saisi par les sociétés Les Tourreilles et l'Hermitage, a ordonné une expertise judiciaire, confiée à M. [C] [F].

Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de la Sarl Balmoissière et Miquel, clôturée pour insuffisance d'actif le 4 juin 2019.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 14 février 2020.

-:-:-:-

Par actes d'huissier des 24, 28 et 29 juillet 2020, la Sci les Tourreilles et la Sarl L'Hermitage ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse les sociétés Technisphère et Balmoissière et Miquel, ainsi que leurs assureurs respectifs, la Maf et la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, afin que celles-ci soient condamnées à les indemniser des travaux de reprise et du préjudice de jouissance découlant des désordres dénoncés.

-:-:-:-

Par jugement réputé contradictoire du 4 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse, a :

- déclaré irrecevables les demandes formées à l'encontre de la Sas Balmoissière et Miquel,

- condamné la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, in solidum, à payer à la Sci les Tourreilles la somme de 37.455,71euros hors taxes au titre des travaux de reprise,

- fixé le partage de responsabilité comme suit :

* 50% pour la Sas Balmoissière et Miquel assurée par les Mma iard,

* 50% pour la Sas Technisphère assurée par la Mutuelle des architectes français,

- dit que dans les rapports entre les co-obligés qui ont exercé des recours la charge de la dépense finale doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions,

- condamné la Sas Technisphère et la Mutuelle des architectes français, in solidum, à payer à la Sarl L'Hermitage la somme de 5.000 euros au titre du préjudice de jouissance,

- débouté la Sci les Tourreilles de sa demande en paiement au titre du préjudice de jouissance,

- débouté la Sarl l'Hermitage de sa demande en paiement au titre des travaux de reprise,

- condamné la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, in solidum, à payer à la Sci les Tourreilles et la Sarl L'Hermitage, la somme de 4.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard aux entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux de la procédure de référés et les frais d'expertise judiciaire,

- admis les avocats y ayant droit et en ayant fait la demande, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- fixé la contribution à la dette pour les dépens et les frais irrépétibles comme suit,

* 25% à la charge de la Sas Technisphère,

* 25% à la charge de la Mutuelle des architectes français,

* 25% à la charge de la Compagnie Mma iard assurances mutuelles,

* 25% à la charge de la Sa Mma iard,

- dit que dans les rapports entre co-obligés qui ont exercés des recours la charge finale de la dépense doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions,

- rejeté la demande tendant à voir écartée l'exécution provisoire de droit.

Le premier juge a constaté qu'aucune partie ne contestait le caractère décennal du désordre et que l'expertise judiciaire permettait de retenir que la détérioration par corrosion et la présence de tartre rendaient l'ouvrage impropre à l'usage auquel il était destiné.

Le tribunal judiciaire a retenu une erreur de conception et une faute d'exécution dans la mise en oeuvre de l'installation relativement à l'absence de traitement de l'eau contre la corrosion et le tartre. Il a estimé que compte tenu de la mission de la Sas Technisphère, l'absence de pot de remplissage aurait pu et dû être décelée lors de l'exécution des travaux si le bureau technique avait contrôlé l'exécution des travaux ainsi que l'introduction d'un traitement anticorrosion.

Il a considéré que la Sarl L'Hermitage n'ayant pu bénéficier d'une qualité de chauffage correcte pendant sept ans avait souffert d'un préjudice de jouissance et que le préjudice de jouissance n'entrait pas dans le champ de la garantie des compagnies Mma.

-:-:-:-

Par déclaration du 30 décembre 2022, la Sas Technisphère et la compagnie d'assurance Mutuelle des architectes français ont relevé appel de ce jugement, en ce qu'il a:

- condamné la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, in solidum, à payer à la Sci les Tourreilles la somme de 37.455,71euros hors taxes au titre des travaux de reprise,

- fixé le partage de responsabilité comme suit :

* 50% pour la Sas Balmoissière et Miquel assurée par les Mma iard,

* 50% pour la Sas Technisphère assurée par la Mutuelle des architectes français,

- dit que dans les rapports entre les co-obligés qui ont exercé des recours la charge de la dépense finale doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions,

- condamné la Sas Technisphère et la Mutuelle des architectes français, in solidum, à payer à la Sarl L'Hermitage la somme de 5.000 euros au titre du préjudice de jouissance,

- condamné la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, in solidum, à payer à la Sci les Tourreilles et la Sarl L'Hermitage, la somme de 4.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard aux entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux de la procédure de référés et les frais d'expertise judiciaire,

- admis les avocats y ayant droit et en ayant fait la demande, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- fixé la contribution à la dette pour les dépens et les frais irrépétibles comme suit,

* 25% à la charge de la Sas Technisphère,

* 25% à la charge de la Mutuelle des architectes français,

* 25% à la charge de la compagnie Mma Iard assurances mutuelles,

* 25% à la charge de la Sa Mma iard,

- dit que dans les rapports entre co-obligés qui ont exercés des recours la charge finale de la dépense doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions.

Ont été intimées :

- la Sci Les Tourreilles,

- la Sarl L'Hermitage,

- la Sa Mma iard assurances mutuelles,

- la Sa Mma iard.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions transmises à la cour par voie électronique le 24 mars 2023, la Sas Technisphère et la Mutuelle des architectes français, appelantes, demandent à la cour, au visa des articles 1240 et 1792 du code civil, de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Technisphère et la Mutuelle des architectes français à l'encontre du jugement rendu le 4 novembre 2022,

- infirmer le jugement rendu le 4 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu'il:

* condamne la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, in solidum, à payer à la Sci les Tourreilles la somme de 37.455,71euros hors taxes au titre des travaux de reprise,

* ordonne le partage de responsabilité comme suit

50% pour la Sas Balmoissière et Miquel assurée par les Mma iard

50% pour la Sas Technisphère assurée par la Mutuelle des architectes français

* ordonne que dans les rapports entre les co-obligés qui ont exercé des recours la charge de la dépense finale doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions,

* condamne la Sas Technisphère et la Mutuelle des architectes français, in solidum, à payer à la Sarl L'Hermitage la somme de 5.000 euros au titre du préjudice de jouissance,

* condamne la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, in solidum, à payer à la Sci les Tourreilles et la Sarl L'Hermitage, la somme de 4.500euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamne la Sas Technisphère, la Mutuelle des architectes français, la compagnie Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard aux entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux de la procédure de référés et les frais d'expertise judiciaire,

* admet les avocats y ayant droit et en ayant fait la demande, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

* fixe la contribution à la dette pour les dépens et les frais irrépétibles comme suit :

25% à la charge de la Sas Technisphère,

25% à la charge de la Mutuelle des architectes français,

25% à la charge de la Compagnie Mma iard assurances mutuelles,

25% à la charge de la Sa Mma Iard,

* ordonne que dans les rapports entre co-obligés qui ont exercés des recours la charge finale de la dépense doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions ».

Statuant à nouveau :

- débouter la Sci les Tourreilles et la Sarl L'Hermitage de ses demandes,

Subsidiairement

- débouter la Sci les Tourreilles et la Sarl L'Hermitage de leurs demandes au titre du préjudice de jouissance,

- condamner in solidum Mma iard et Mma iard mutuelles à relever et garantir intégralement la société Technisphère et la Mutuelle des architectes français de toutes condamnations prononcées à leur encontre,

Très subsidiairement

- ordonner que la contribution à la dette de la société Technisphère et de la Mutuelle des architectes français soit limitée à 20% tant au titre des condamnations principales que des frais irrépétibles et dépens,

- condamner par voie de conséquence, Mma iard et Mma iard assurances à relever et garantir la société Technisphère et la Mutuelle des architectes français à hauteur de 80%,

- rejeter toutes demandes contraires et appel incident comme étant infondés,

- condamner tous succombants à régler une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner tous succombants aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selas d'avocats Atcm sur ses offres de droit.

À l'appui de leurs prétentions, les appelantes soutiennent que :

- les désordres relèvent exclusivement d'un défaut de mise en service de l'installation et d'entretien du réseau de chauffage par la société Balmoissière et Miquel,

- aucune erreur de conception en lien avec la mission de la société Technisphère n'est caractérisée,

- le coût des interventions d'entretien par la société Balmoissière et Miquel est sans lien avec les travaux correctifs et ne peut être mis à sa charge,

- la société Balmoissière et Miquel a commis une erreur d'exécution et aurait dû remédier à sa défaillance d'origine dans le cadre de la maintenance et de l'entretien de l'installation, de sorte que ses assureurs doivent être condamnés à relever et garantir la société Technisphère,

- l'éventuelle faute de la société Technisphère peut être de ne pas avoir exigé la remise d'une attestation permettant de justifier que le liquide anti-corrosion avait été introduit lors de la mise en service, ce qui ne pourrait être considéré comme causal qu'à hauteur de 20%,

- aucun préjudice de jouissance n'a été justifié, le chauffage a toujours fonctionné puisque l'entretien a permis de remédier aux dysfonctionnements.

Dans leurs dernières conclusions transmises à la cour par voie électronique le 22 juin 2023, la Sci les Tourreilles et la Sarl l'Hermitage, intimées, demandent à la cour, au visa des articles 1791 et suivants du code civil, de :

- confirmer le jugement du 4 novembre 2022 du tribunal judiciaire de Toulouse numéro RG 20/02704 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- débouter la société Technisphère et Mutuelle des architectes français assurances de leurs demandes,

Y ajouter,

- condamner les sociétés Technisphère et Balmoissière et Miquel et leurs assureurs, les sociétés Mutuelle des architectes français assurances, Mma iard assurances mutuelles et la compagnie Mma iard Sa, in solidum une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux sociétés les Tourreilles et L'Hermitage,

- les condamner in solidum aux entiers frais et dépens, incluant les frais de la procédure de référé et des honoraires et frais de l'expert judiciaire.

À l'appui de leurs prétentions, les intimées soutiennent que :

- dans son rapport, l'expert conclut que le désordre, consistant en la détérioration par corrosion et par la présence de tartre sur les composants du circuit de chauffage, rend les installations impropres à leur usage,

- l'expert judiciaire a retenu comme cause du dommage une absence de traitement de l'eau contre la corrosion et le tartre et considère que ce désordre résulte d'une erreur de conception et d'exécution dans la mise en oeuvre des installations, et notamment l'absence d'un pot de remplissage avec vannes,

- la société Technisphère est un bureau d'étude prescripteur qui n'a pas contrôlé le travail de l'entrepreneur lors du remplissage de l'installation, engageant ainsi sa responsabilité,

- les sociétés Mma doivent leur garantie au titre de l'assurance décennale et ne peuvent opposer le montant de leur franchise contractuelle,

- le traitement des pannes a fait perdre du temps au personnel et suscité des inquiétudes sur la capacité de l'installation à fonctionner en cas de grand froid.

Dans leurs dernières conclusions transmises à la cour par voie électronique le 23 juin 2023, la Mma iard et Mma iard assurances mutuelles, intimées formant appel incident, demandent à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, ainsi que de l'article L.112-6 du code des assurances, de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et, en tout cas, mal fondées,

À titre principal :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse rendu le 4 novembre 2022,

- débouter la société Technisphère et la Maf de toute demande de relève et de garantie à l'encontre des Mma,

- limiter la somme allouée à la Sci Les Tourreilles et la société L'Hermitage au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à 2.500 euros,

À titre subsidiaire :

- ordonner que les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles puissent opposer leur franchise contractuelle correspondant à 10% du montant des dommages avec un minimum de 587 euros et un maximum de 2.354 euros, dans la cadre de sa garantie « Dommages immatériels consécutifs »,

En tout état de cause :

- condamner in solidum la société Technisphère et la Maf au paiement d'une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens de l'instance, dont 'distraction' à la Selas Clamens Conseil, avocats qui est en droit de les recouvrer, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

À l'appui de leurs prétentions, les intimées soutiennent que :

- l'expert judiciaire a retenu que les désordres affectant le circuit de chauffage ont été causés par l'absence de traitement de l'eau contre la corrosion et le tartre, matérialisée par l'absence de mise en place d'un pot de remplissage sur l'équipement en cause,

- l'expert judiciaire a retenu le caractère décennal des désordres, en ce qu'ils rendent l'installation de chauffage impropre à sa destination,

- l'expert judiciaire a retenu une erreur de conception imputable à la société Technisphère qui a prescrit et conçu l'installation et une faute d'exécution imputable à la société Balmoissière et Miquel, la prise en charge des conséquences matérielles du litige doit donc leur être commune,

- la société l'Hermitage n'établit pas la preuve d'un préjudice de jouissance et d'une perte de clientèle,

- l'indemnisation d'un préjudice de jouissance n'entre pas dans le champ de la garantie d'assurance, qui ne couvre que les dommages immatériels générant une perte financière et non une simple gêne dans la jouissance du bien immobilier,

- à titre subsidiaire, les assureurs sont fondés à opposer la franchise contractuelle prévue pour les dommages immatériels consécutifs qui relèvent d'une garantie facultative.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 mai 2024 et l'affaire a été examinée à l'audience du 11 juin 2024.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

- Sur la responsabilité de la Sas Technisphère :

1. La cour relève en premier lieu que les parties ne contestent pas l'existence des désordres affectant le système de chauffage et leur qualification de désordres décennaux.

La société Technisphère critique le fait que les désordres lui ont été en partie imputés et soutient qu'elle n'a pas commis de faute qui serait à l'origine des désordres.

En vertu de l'article 1792-1 du code civil, l'entrepreneur comme le technicien lié au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage est réputé constructeur de l'ouvrage et soumis à la garantie décennale.

La société Technisphère a été chargée par la Sci Les Tourreilles d'une mission de prestation de bureau d'études techniques pour le lot chauffage et est donc soumise, à ce titre, à la garantie décennale pour les désordres qui affectent ce lot. Elle a donc été justement condamnée par le premier juge, in solidum, avec les assureurs de l'entrepreneur à indemniser le maître d'ouvrage au titre des travaux de reprise.

En revanche, pour déterminer la charge définitive des condamnations sur le fondement de la garantie décennale prononcées à l'encontre des assureurs de l'entrepreneur et du bureau d'études techniques et son assureur, il convient de statuer sur l'imputabilité des désordres.

2. Dans leurs conclusions, la Sas Technisphère et la Maf font état d'une citation qu'elles attribuent à l'expert judiciaire et qui évoque l'incertitude de l'origine des désordres. La cour relève toutefois que cette citation correspond à un extrait littéral de l'assignation en référé du 26 novembre 2018, utilisé par l'expert judiciaire pour rappeler les faits et ne constitue donc pas l'avis de l'expert judiciaire.

3. Dans son rapport, l'expert judiciaire indique que les installations de chauffage ont été pensées, conçues, dimensionnées, visées et réceptionnées par la société Technisphère, montées, posées, raccordées et livrées en état de marche par la société Balmoissière et Miquel qui les a également entretenues pendant les deux ans de garantie de 2008 à 2010.

Il indique que les premiers désordres sont apparus dès 2009 et se sont étendus jusqu'en 2016.

L'expert expose que l'emploi d'additif anticorrosif et anti-tartre dans l'eau est indispensable pour éviter l'embouage des circuits et leur colmatage, que pour aider l'introduction des produits traitants dans le circuit, il doit être équipé d'un pot de remplissage avec vannes. Il explique que le désordre consiste en une détérioration par corrosion et par la présence de tartre des composants du circuit de chauffage, qu'il concerne les circulateurs, le ballon d'eau chaude, le corps de chauffe de la chaudière et le ballon de dilatation. Il indique que les causes des désordres sont l'absence de traitement de l'eau contre la corrosion et contre le tartre et relève que le circuit en l'espèce ne comporte pas de pot de remplissage et qu'en son absence, il est impossible d'assurer les traitements obligatoires de l'eau.

L'expert judiciaire a constaté que les documents techniques contractuels édités par la société Technisphère prévoyaient l'installation d'un pot de remplissage avec des vannes pour introduire les produits anticorrosion et estime que les désordres et malfaçons sont dus à une erreur de conception et une faute d'exécution dans la mise en oeuvre des installations.

L'expert judiciaire considère que l'absence de pot de remplissage aurait dû alerter le bureau technique Technisphère de par sa double obligation de prescripteur et de réalisateur ainsi que l'entreprise Balmoissière et Miquel en sa qualité d'installateur.

Il relate que la société Technisphère a confirmé en réunion n'avoir pas contrôlé lors du remplissage de l'installation de chauffage par l'entrepreneur que le produit anticorrosion imposé aurait été réellement introduit. Il relève qu'aucun document n'a été remis au maître d'ouvrage à titre d'attestation de l'introduction du produit anticorrosion dans le circuit.

4. Il ressort du contrat du 12 avril 2007 conclu avec la Sci Les Tourreilles, que la Sarl Technisphère s'est vue confier, dans le cadre de sa prestation de bureau d'études techniques pour le lot chauffage, notamment, les missions suivantes :

- avant-projet,

- projet et dossier de consultation des entreprises,

- assistance à la consultation des entreprises,

- contrôle de l'exécution des travaux pour les lots techniques,

- visa des documents d'exécution,

- opérations d'assistance aux opérations de réception, sous forme de vacations.

Elle devait donc contrôler la présence du pot de remplissage avec vannes qu'elle avait prévu au cahier des charges d'une part, ainsi que s'assurer que l'entrepreneur avait effectivement introduit le produit anticorrosion et anti-tartre, au titre de sa mission de contrôle de l'exécution des travaux du lot chauffage, ce qu'elle n'a pas fait, commettant ainsi une faute à l'origine des désordres retenus.

Cependant, elle avait bien prévu le pot de remplissage dans le cahier des charges, or ce pot n'a pas été installé par l'entrepreneur qui n'a ainsi pas respecté les prescriptions techniques, entrepreneur qui n'a, en outre, pas introduit les produits nécessaires pour éviter la corrosion et les dépôts de tartre en violation des règles de l'art. Il y a donc lieu de considérer que ces fautes de l'entrepreneur sont la cause prépondérante des désordres affectant le système de chauffage. La charge définitive des condamnations sera en conséquence répartie comme suit :

- 40% pour la société Technisphère assurée par la Maf,

- 60% pour la Sarl Balmoissière et Miquel, assurée par les sociétés Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard.

Le jugement sera réformé en conséquence.

5. Compte tenu de la faute imputable à la Sas Technisphère, il y a lieu de rejeter la demande de la Sas Technisphère et la Maf d'être intégralement relevées et garanties par les assureurs de la Sarl Balmoissière et Miquel.

6. La Sas Technisphère soutient que le coût des interventions d'entretien par la société Balmoissière et Miquel est sans lien avec les travaux correctifs et ne peut être mise à sa charge.

Toutefois, l'expert judiciaire a relevé que la corrosion et le tartre avaient accru la détérioration des composants du circuit de chauffage et retenu plusieurs factures de la Sarl Balmoissière et Miquel au titre des préjudices. La cour relève, en outre, que la Sas Technisphère n'a pas présenté de dires devant l'expert judiciaire pour critiquer les factures retenues. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la Sas Technisphère et la Maf à payer à la Sci les Tourreilles la somme de 37.455,71 euros hors taxes au titre des travaux de reprise, in solidum avec les assureurs de la Sarl Balmoissière et Miquel.

Le premier juge a uniquement dit que dans les rapports entre les co-obligés qui ont exercé des recours la charge de la dépense finale doit être supportée par chacun dans les mêmes proportions que le partage de responsabilité instauré, sans prononcer de condamnation à relever et garantir. Au regard des dispositions de la présente décision quant au partage de responsabilité il convient de condamner les Mma Iard, assureurs de la Sas Balmoissière et Miquel , à relever et garantir la Sas Technisphère et la Maf de la condamnation prononcée ci-dessus à hauteur de 60% correspondant à la part de responsabilité de leur assurée.

- Sur le préjudice de jouissance :

7. Les désordres affectant les travaux relatifs au chauffage n'ont pas permis à la Sarl L'Hermitage de jouir paisiblement et dans des conditions normales de l'installation réalisée. Le premier juge a justement retenu l'existence d'un préjudice de jouissance subi par la Sarl L'Hermitage pendant sept années et estimé à hauteur de 5 000 euros. Sa décision sera confirmée en ce qu'il a condamné la Sas Technisphère et la Mutuelle des architectes français, in solidum, à payer à la Sarl L'Hermitage la somme de 5.000 euros au titre du préjudice de jouissance.

- Sur les dépens et frais irrépétibles :

8. Parties principalement perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la Sas Technisphère, la Maf, la Sa Mma iard et la société Mma iard assurances mutuelles seront condamnées in solidum aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la Sarl L'Hermitage et la Sci Les Tourreilles, prises ensemble la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel. Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles exposés en première instance.

Dans leurs rapports entre elles, la charge définitive des condamnations prononcées au titre des dépens et frais irrépétibles sera répartie à concurrence de 40 % à la charge de la Sas Technisphère et de la Maf d'une part et de 60 % à la charge de la Sa Mma iard et la société Mma iard assurances mutuelles, assureurs de la Sarl Balmoissière et Miquel d'autre part.

Les demandes présentées par la Sas Technisphère, la Maf, la Sa Mma iard et la société Mma iard assurances mutuelles au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposées seront quant à elles rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant, dans la limite de sa saisine, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Toulouse, sauf en ce qu'il a :

- fixé le partage de responsabilité comme suit :

* 50% pour la Sas Balmoissiere et Miquel assurée par les Mma iard,

* 50% pour la Sas Technisphere assurée par la Mutuelle des architectes français,

- dit que dans les rapports entre les co-obligés qui ont exercé des recours la charge de la dépense finale doit être supportée par chacun dans ces mêmes proportions.

Statuant à nouveau et y ajoutant

Fixe le partage de responsabilité comme suit :

- 40% pour la Sas Technisphère assurée par la Maf,

- 60% pour la Sarl Balmoissière et Miquel assurée par la société Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard.

Dit que que la charge définitive des condamnations prononcées au titre des travaux de reprise sera répartie comme suit :

- 40% pour la Sas Technisphère assurée par la Maf,

- 60% pour la société Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, assureurs de la Sarl Balmoissière et Miquel.

Dit qu'en conséquence la Sas Technisphère et la Maf seront relevées et garanties des condamnations prononcées à leur encontre par la société Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard, assureurs de la Sarl Balmoissière et Miquel à hauteur de 60%.

Condamne in solidum la Sas Technisphère, la Maf, la société Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard aux dépens d'appel.

Condamne in solidum la Sas Technisphère, la Maf, la société Mma iard assurances mutuelles et la Sa Mma iard à payer à la Sarl L'Hermitage et la Sci Les Tourreilles la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Dit que la charge définitive des condamnations prononcées au titre des dépens et frais irrépétibles sera répartie à concurrence de 40% à la charge de la Sas Technisphère et de la Maf et de 60% à la charge de la Sa Mma iard assurances mutuelles et de la Sa Mma iard, assureurs de la Sarl Balmoissière et Miquel .

Rejette les demandes présentées par la Sas Technisphère, la Maf, la Sa Mma iard et la société Mma iard assurances mutuelles au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposées en appel.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site