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Décisions

TUE, 7e ch., 5 février 2025, n° T-743/21

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ryanair DAC

Défendeur :

Commission européenne, République portugaise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kowalik Bańczyk

Juges :

M. Buttigieg, M. Hesse (rapporteur)

Avocats :

Me Vahida, Me Laprévote, Me Pérez de Lamo, Me Rating, Me Metaxas-Maranghidis, Me Mimoso Ruiz, Me Oliveira e Costa

TUE n° T-743/21

4 février 2025

LE TRIBUNAL (septième chambre),

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ryanair DAC, demande l’annulation de la décision C(2021) 5302 final de la Commission, du 16 juillet 2021, relative à l’aide d’État SA.57369 (2020/N) – Portugal – Aide au sauvetage de TAP SGPS (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2 Le 9 juin 2020, la République portugaise a notifié à la Commission européenne une mesure d’aide sous la forme soit d’un prêt d’État, soit d’une combinaison d’un tel prêt et d’une garantie d’État, d’un montant maximal de 1,2 milliard d’euros (ci-après la « mesure en cause »), destinée à Transportes Aéreos Portugueses SGPS, SA (ci-après le « bénéficiaire »), conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

3 La mesure en cause vise à maintenir le bénéficiaire, société mère et actionnaire à 100 % de Transportes Aéreos Portugueses, SA (ci-après « TAP Air Portugal »), en activité pendant six mois, entre juillet et décembre 2020. La mesure en cause concerne un contrat de prêt conclu entre, notamment, la République portugaise en tant que prêteur, TAP Air Portugal en tant qu’emprunteuse et le bénéficiaire en tant que garant.

4 Le 10 juin 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 3989 final, relative à l’aide d’État SA.57369 (2020/N) – COVID-19 – Portugal – Aide accordée à TAP (ci-après la « décision initiale »), par laquelle elle a, après avoir conclu que la mesure en cause était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, déclaré cette mesure compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE lu conjointement avec les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1, ci-après les « lignes directrices »).

5 Par arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (TAP; Covid-19) (T 465/20, EU:T:2021:284), le Tribunal a annulé la décision initiale, au motif qu’elle était entachée d’un défaut de motivation en ce qui concernait l’application du point 22 des lignes directrices. Le Tribunal a jugé, en substance, que la Commission n’avait, au préalable, pas précisé si le bénéficiaire faisait partie d’un groupe au sens dudit point 22. Il a, en outre, décidé de tenir en suspens les effets de l’annulation de ladite décision jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission en vertu de l’article 108 TFUE.

6 Le 16 juillet 2021, la Commission a adopté la décision attaquée, dans laquelle elle a considéré que la mesure en cause était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qu’elle était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu conjointement avec les lignes directrices. Elle a, notamment, considéré que le bénéficiaire était éligible à une aide au sauvetage en vertu du point 22 des lignes directrices.

 Conclusions des parties

7 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

8 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

9 La République portugaise conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il tend à contester le bien-fondé de la décision attaquée et à son rejet au fond pour le surplus. À titre subsidiaire, elle conclut au rejet au fond du recours dans son intégralité.

 En droit

 Sur la recevabilité

10 En premier lieu, la requérante fait valoir qu’elle est une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), et que, dès lors, elle a qualité pour agir afin de défendre ses droits procéduraux. En second lieu, elle soutient que sa position concurrentielle sur le marché a été substantiellement affectée par la mesure en cause et qu’elle a, par conséquent, qualité pour contester également le bien-fondé de la décision attaquée.

11 La Commission et la République portugaise soutiennent que la requérante n’a pas qualité pour contester le bien-fondé de la décision attaquée.

12 Il convient de rappeler que, lorsque la Commission adopte une décision de ne pas soulever d’objections sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, comme en l’espèce, non seulement elle déclare les mesures en cause compatibles avec le marché intérieur, mais elle refuse également implicitement d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C 47/10 P, EU:C:2011:698, point 42 et jurisprudence citée). Si la Commission constate, après l’examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle est tenue d’adopter, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589, la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement. Aux termes de cette dernière disposition, une telle décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois (voir, par analogie, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C 83/09 P, EU:C:2011:341, point 46).

13 En l’espèce, la Commission a décidé, à l’issue d’un examen préliminaire, de ne pas soulever d’objections à l’encontre de la mesure en cause, au motif qu’elle était compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Dans la mesure où la procédure formelle d’examen n’a pas été ouverte, les parties intéressées, qui auraient pu déposer des observations durant cette phase, ont été privées de cette possibilité. Pour y remédier, il leur est reconnu le droit de contester, devant le juge de l’Union européenne, la décision prise par la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen. Ainsi, un recours introduit par une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE qui viserait à l’annulation de la décision de ne pas soulever d’objections serait recevable dès lors que l’auteur de ce recours tendrait à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C 322/09 P, EU:C:2010:701, point 56 et jurisprudence citée).

14 Au regard de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, une entreprise concurrente de la bénéficiaire d’une mesure d’aide figure parmi les « parties intéressées », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C 817/18 P, EU:C:2020:637, point 50 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C 322/09 P, EU:C:2010:701, point 59).

15 En l’espèce, il n’est pas contesté que la requérante était une concurrente de TAP Air Portugal et que, dès lors, elle est une partie intéressée au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, ayant qualité pour agir afin de sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

16 Quant à la qualité de la requérante pour contester le bien-fondé de la décision attaquée, il importe de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas la destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêts du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C 33/14 P, EU:C:2015:609, points 59 et 91, et du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C 244/16 P, EU:C:2018:177, point 39).

17 La décision attaquée qui a été adressée à la République portugaise ne constituant pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas un acte de portée générale (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C 583/11 P, EU:C:2013:625, point 56), il appartient au Tribunal de vérifier si la requérante est directement et individuellement concernée par cette décision, au sens de cette disposition.

18 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, EU:C:1986:42, point 22, et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C 260/05 P, EU:C:2007:700, point 53).

19 Ainsi, lorsqu’une partie requérante met en cause le bien-fondé d’une décision d’appréciation d’une aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme « intéressée », au sens du paragraphe 2 de cet article, ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus. Il en va notamment ainsi lorsque la position de la partie requérante sur le marché concerné est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 37 et jurisprudence citée).

20 À cet égard, la Cour a jugé que la démonstration, par la partie requérante, d’une atteinte substantielle à sa position sur le marché n’impliquait pas de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre elle et les entreprises bénéficiaires, mais nécessitait seulement de la part de la partie requérante qu’elle indique de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission était susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 57 et jurisprudence citée).

21 Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que l’atteinte substantielle à la position concurrentielle de la partie requérante sur le marché en cause résulte non pas d’une analyse approfondie des différents rapports de concurrence sur ce marché, permettant d’établir avec précision l’étendue de l’atteinte à sa position concurrentielle, mais, en principe, d’un constat prima facie que l’octroi de la mesure visée par la décision de la Commission conduit à porter substantiellement atteinte à cette position (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 58 et jurisprudence citée).

22 Il en découle que cette condition peut être satisfaite si la partie requérante apporte des éléments permettant de démontrer que la mesure en cause est susceptible de porter substantiellement atteinte à sa position sur le marché concerné (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 59 et jurisprudence citée).

23 S’agissant des éléments admis par la jurisprudence pour établir une telle atteinte substantielle, il convient de rappeler que la seule circonstance selon laquelle un acte est susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant sur le marché pertinent et selon laquelle l’entreprise concernée se trouve dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme individuellement concernée par ledit acte. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 60 et jurisprudence citée).

24 La démonstration d’une atteinte substantielle portée à la position d’un concurrent sur le marché ne saurait être limitée à la présence de certains éléments indiquant une dégradation des performances commerciales ou financières de la partie requérante, tels qu’une importante baisse du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de l’octroi de l’aide en question. L’octroi d’une aide d’État peut également porter atteinte à la situation concurrentielle d’un opérateur d’autres manières, notamment en provoquant un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle aide (arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 61).

25 En outre, la jurisprudence n’exige pas que la partie requérante apporte des éléments quant à la taille ou à l’étendue géographique des marchés en cause ou encore quant à ses parts de marché ou à celles du bénéficiaire de la mesure en cause ou d’éventuels concurrents sur lesdits marchés (arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 65).

26 C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’examiner si la requérante a apporté des éléments permettant de démontrer que la mesure en cause était susceptible de porter substantiellement atteinte à sa position sur le marché concerné.

27 À cet égard, la requérante fait valoir qu’elle est la concurrente la plus proche et la plus directe de TAP Air Portugal sur le marché portugais du transport aérien de passagers. Ainsi, elle aurait été en concurrence directe avec celle-ci sur 32 lignes entre des paires de villes identifiées comme des « point[s] d’origine/point[s] de destination » (ci-après les « lignes O&D »). Au regard de la capacité en sièges, la requérante aurait une part de marché de 20 % au Portugal, contre une part de marché de 33 % de TAP Air Portugal et des parts de marché respectives de 12 % et de 3 % pour les troisième et quatrième compagnies aériennes sur le marché portugais.

28 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste la recevabilité du recours dans la mesure où il est dirigé contre le bien-fondé de la décision attaquée. Selon la Commission, la requérante ne parvient pas à démontrer dans quelle mesure sa position concurrentielle est affectée de la même manière que si elle était destinataire de la décision et de façon à la distinguer des autres opérateurs économiques. Les éléments de preuve produits par la requérante à l’annexe A.3.1 de la requête se limiteraient au nombre de sièges au départ du Portugal sans indication quant aux routes concernées. Par ailleurs, il ne suffirait pas à la requérante de se référer aux 32 lignes O&D sur lesquelles elle et TAP Air Portugal étaient en concurrence directe, sans indiquer le nombre total de routes exploitées par celle-ci ni les destinations desservies en dehors de l’Union. La requérante n’aurait pas davantage établi qu’elle et TAP Air Portugal étaient les seules compagnies opérant sur ces lignes, à l’exclusion d’autres concurrents. Au surplus, sur certaines lignes, lorsque la ville en cause avait plusieurs aéroports, les aéroports desservis par TAP Air Portugal et la requérante ne seraient pas les mêmes, de sorte que l’existence d’une concurrence directe n’a pas été établie. En outre, la concurrence entre la requérante et TAP Air Portugal semblerait plus faible en ce qui concerne les vols internes au Portugal et les lignes à destination des îles des Açores (Portugal). La requérante aurait également omis de préciser comment ses propres activités sur les lignes O&D desservies à la fois par elle-même et par le bénéficiaire étaient effectivement ou pouvaient vraisemblablement être affectées par l’octroi de la mesure en cause.

29 Il y a lieu de rappeler qu’il n’est pas nécessaire, au stade de l’examen de la recevabilité du recours, de se prononcer de façon définitive sur le caractère substituable des services en cause ou encore sur les rapports de concurrence précis entre la partie requérante et le bénéficiaire. Il suffit, en principe, que la partie requérante démontre que, prima facie, l’octroi de la mesure en cause conduit à porter substantiellement atteinte à sa position concurrentielle (voir jurisprudence citée aux points 20 et 21 ci-dessus).

30 En l’espèce, il convient de constater, ainsi qu’il ressort de l’annexe A.3.8 de la requête, que la requérante et TAP Air Portugal se livraient concurrence sur 32 lignes O&D et que ces lignes étaient surtout des lignes intraeuropéennes. Il ressort, notamment, du paragraphe 10 de la décision attaquée que la requérante était la deuxième plus grande compagnie aérienne au Portugal, derrière TAP Air Portugal. En outre, la requérante fait valoir, sans être contredite, qu’elle a transporté 10.9 millions de passagers en 2019 sur ses lignes portugaises et que son programme prévu pour l’été 2020 comprenait 126 lignes au départ de 5 aéroports portugais.

31 De surcroît, il résulte des paragraphes 91 et 143 de la décision attaquée, notamment, que, en l’absence de la mesure en cause, le bénéficiaire aurait rencontré de graves difficultés financières et une pénurie aiguë de liquidité, voire risquait de devoir cesser ses activités. En l’absence de l’octroi de la mesure en cause, la requérante aurait donc été en mesure, probablement, d’étendre ses parts de marché.

32 Les éléments relevés aux points 30 et 31 ci-dessus permettent de constater que la requérante a démontré à suffisance de droit que l’octroi de la mesure en cause était prima facie susceptible de porter substantiellement atteinte à sa position concurrentielle sur le marché, en provoquant notamment un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle mesure (voir jurisprudence citée au point 24 ci-dessus).

33 L’argument de la Commission selon lequel la requérante n’a pas démontré que sa position concurrentielle par rapport à TAP Air Portugal était distincte de celle des autres concurrents de cette dernière ne saurait prospérer. En effet, la condition de l’affectation substantielle de la position concurrentielle de la partie requérante est un élément propre à celle-ci, qui doit être évalué seulement par rapport à sa position sur le marché antérieurement à l’octroi de la mesure en cause ou en l’absence de celle-ci. Il ne s’agit donc pas de comparer la situation de tous les concurrents présents sur le marché concerné. Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 25 ci-dessus, la Cour a précisé qu’il n’était pas nécessaire que la partie requérante apporte des éléments concernant ses parts de marché ou celles du bénéficiaire ou d’éventuels concurrents sur ce marché. Il en découle que, pour démontrer une affectation substantielle sur sa position concurrentielle, il ne saurait être exigé de la partie requérante d’établir, preuves à l’appui, quelle est la situation concurrentielle de ses concurrents et de se distinguer par rapport à celle-ci [arrêt du 10 mai 2023, Ryanair et Condor Flugdienst/Commission (Lufthansa ; COVID-19), T 34/21 et T 87/21, sous pourvoi, EU:T:2023:248, point 47].

34 Par ailleurs, il importe de relever que la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus prévoit deux critères distincts pour démontrer que les sujets autres que les destinataires d’une décision sont individuellement concernés par celle-ci, à savoir celui selon lequel la décision attaquée les atteint « en raison de certaines qualités qui leur sont particulières » et celui selon lequel cette décision les atteint en raison « d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne ». Cette jurisprudence n’exige donc pas d’une partie requérante qu’elle démontre, dans tous les cas, que sa situation de fait se distingue par rapport à celle de toute autre personne. Il suffit, en effet, que la décision attaquée atteigne la partie requérante en raison de certaines qualités qui lui sont particulières.

35 Tel est le cas d’espèce. En effet, les éléments mentionnés aux points 30 et 31 ci-dessus tendent à établir, de façon suffisamment plausible, que la position de la requérante sur le marché concerné se caractérisait par certaines qualités qui lui étaient particulières, telles que son importance sur ledit marché et le fait qu’elle était de loin la concurrente la plus proche de TAP Air Portugal.

36 La mesure en cause étant susceptible d’affecter de façon substantielle sa position concurrentielle sur le marché, la requérante est individuellement concernée par celle-ci.

37 Quant à la question de savoir si la requérante est directement concernée par la décision attaquée, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un concurrent du bénéficiaire d’une aide est directement concerné par une décision de la Commission autorisant un État membre à verser celle-ci lorsque la volonté dudit État d’y procéder ne fait nul doute (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T 435/93, EU:T:1995:79, points 60 et 61 et jurisprudence citée), comme c’est le cas en l’espèce.

38 Partant, la requérante est recevable à contester le bien-fondé de la décision attaquée.

 Sur le fond

39 À l’appui du recours, la requérante invoque cinq moyens, tirés, le premier, de la violation des conditions d’éligibilité prévues dans les lignes directrices, le deuxième, de la violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, le troisième, de la violation des principes de non discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, le quatrième, de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et, le cinquième, de la violation de l’obligation de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré de ce que la Commission a méconnu les conditions d’éligibilité d’une aide au sauvetage

40 Par son premier moyen, la requérante soutient que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que la mesure en cause relevait du champ d’application matériel des lignes directrices. Elle conteste le fait que le bénéficiaire était éligible à une aide au sauvetage.

41 Il convient de rappeler, d’emblée, que, aux termes du point 22 des lignes directrices, « [u]ne société qui fait partie d’un groupe ou est reprise par un groupe ne peut en principe pas bénéficier d’aides au titre des présentes lignes directrices, sauf s’il peut être démontré que ses difficultés lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe, et que ces difficultés sont trop graves pour être résolues par le groupe lui-même ».

42 Le point 22 des lignes directrices énonce les conditions permettant de considérer qu’une entreprise en difficulté qui fait partie d’un groupe ou est reprise par un groupe peut bénéficier d’une aide au sauvetage au titre de ces lignes directrices. Ainsi, si le bénéficiaire de l’aide fait partie d’un groupe ou est repris par un groupe, il incombe à la Commission d’examiner, en premier lieu, si les difficultés auxquelles il fait face lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe et, en second lieu, si ces difficultés sont trop graves pour être résolues par ledit groupe lui-même.

43 En l’espèce, ainsi qu’il est expliqué aux paragraphes 11, 99 et 100 de la décision attaquée, il convient de relever que, au moment de la notification de la mesure en cause, la moitié des actions du bénéficiaire étaient détenues par Participações Públicas SGPS SA (ci-après « Parpública »), qui gérait les participations de l’État portugais. Atlantic Gateway SGPS Lda (ci-après « AGW ») détenait 45 % des actions du bénéficiaire et 5 % des actions étaient détenues par d’autres actionnaires. AGW avait elle-même plusieurs actionnaires. Ainsi, M. Humberto Pedrosa détenait 50 % des actions dans AGW par l’intermédiaire de HPGB SGPS, SA et M. David Neeleman en possédait également 50 % par l’intermédiaire de DGN Corporation et de Global Azulair Projects SGPA, SA.

– Sur le premier grief, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la composition du groupe auquel appartenait le bénéficiaire

44 Tout d’abord, la requérante fait valoir que la Commission a omis de tenir compte, pour définir la composition du groupe au sens du point 22 des lignes directrices, des actionnaires directs et indirects d’AGW, à savoir MM. Pedrosa et Neeleman et leurs sociétés HPGB, DGN et Global Azulair Projects. Premièrement, elle soutient que ledit point exige un examen rigoureux de la composition du groupe et que la Commission n’a pas de marge de manœuvre, étant donné qu’elle est tenue d’examiner si le groupe peut résoudre les difficultés du bénéficiaire. Deuxièmement, la requérante soutient qu’une entité économique unique peut comprendre des personnes physiques si celles-ci exercent directement ou indirectement un contrôle commun sur d’autres personnes physiques ou morales faisant partie de cette entité.

45 En l’occurrence, l’Autoridade de Concorrência (Autorité de la concurrence, Portugal) aurait déjà considéré à plusieurs reprises que les deux actionnaires individuels, par le biais de leurs sociétés, HPGB et DGN, exerçaient un contrôle commun sur le bénéficiaire. Troisièmement, la Commission aurait reconnu, au paragraphe 100 de la décision attaquée, que les deux actionnaires individuels d’AGW étaient des entreprises partenaires du bénéficiaire, en application de l’article 3, paragraphe 2, de l’annexe de la recommandation 2003/361/CE de la Commission, du 6 mai 2003, concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (JO 2003, L 124, p. 36). Quatrièmement, la Commission aurait vérifié, au paragraphe 127 de la décision attaquée, la capacité de MM. Neeleman et Pedrosa de couvrir les besoins financiers du bénéficiaire. Elle aurait donc considéré, implicitement, que ceux-ci faisaient partie du groupe.

46 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

47 La Commission a constaté, aux paragraphes 93 à 113 de la décision attaquée, que le bénéficiaire faisait partie d’un groupe au sens du point 22 des lignes directrices, lu conjointement avec le point 21 et la note en bas de page no 28 de celles-ci. Selon la Commission, le bénéficiaire formait un groupe avec Parpública et AGW, deux de ses actionnaires directs qui possédaient, respectivement, 50 % et 45 % de son capital. Cependant, la Commission a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si les actionnaires ultimes d’AGW, à savoir MM. Neeleman et Pedrosa, faisaient également partie du groupe.

48 Force est de relever que le terme « groupe » au sens du point 22 des lignes directrices n’est pas défini.

49 Quant au contexte dans lequel s’insère le point 22 des lignes directrices, il convient de constater que les termes « groupe de sociétés » figurant au point 21, sous b), de ces lignes comportent une référence à la note en bas de page no 28, laquelle indique ce qui suit :

« Pour établir si une société est indépendante ou fait partie d’un groupe, il sera tenu compte des critères énoncés à l’annexe […] de la recommandation [2003/361]. »

50 L’article 3, paragraphe 2, de l’annexe de la recommandation 2003/361 prévoit, notamment, que sont des « entreprises partenaires » les entreprises qui ne sont pas qualifiées d’entreprises liées au sens du paragraphe 3 de cette annexe et entre lesquelles existe la relation suivante : une entreprise (l’entreprise en amont) détient, seule ou conjointement avec une ou plusieurs entreprises liées au sens du paragraphe 3 de ladite annexe, 25 % ou plus du capital ou des droits de vote d’une autre entreprise (l’entreprise en aval).

51 L’article 3, paragraphe 3, de la même annexe énonce ce qui suit :

« Sont des “entreprises liées” les entreprises qui entretiennent entre elles l’une ou l’autre des relations suivantes :

a) une entreprise a la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés d’une autre entreprise ;

b) une entreprise a le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise ;

c) une entreprise a le droit d’exercer une influence dominante sur une autre entreprise en vertu d’un contrat conclu avec celle-ci ou en vertu d’une clause des statuts de celle-ci ;

d) une entreprise actionnaire ou associée d’une autre entreprise contrôle seule, en vertu d’un accord conclu avec d’autres actionnaires ou associés de cette autre entreprise, la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés de celle-ci.

[…] »

52 Il y a lieu de relever que la Commission a examiné, dans un premier temps, aux paragraphes 98 à 104 de la décision attaquée, si le bénéficiaire, Parpública et AGW étaient des entreprises liées au sens de l’article 3, paragraphe 3, de l’annexe de la recommandation 2003/361 et, dans un second temps, aux paragraphes 105 à 110 de cette décision, si ces trois sociétés constituaient ensemble un groupe au sens du point 22 des lignes directrices.

53 En premier lieu, il convient de conclure que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit, ni d’erreur d’appréciation, en considérant, au paragraphe 104 de la décision attaquée, que les conditions figurant à l’article 3, paragraphe 3, de l’annexe de la recommandation 2003/361 étaient réunies en l’occurrence s’agissant de Parpública, d’AGW et du bénéficiaire et que ces sociétés pouvaient être considérées comme liées au sens de cette disposition. La Commission a tenu compte du contrôle commun exercé par AGW et par Parpública sur le bénéficiaire. En effet, ainsi qu’il ressort du paragraphe 101 de la décision attaquée, le pacte d’actionnaires conclu entre Parpública et AGW prévoyait une répartition égale des droits de nomination des membres du conseil d’administration du bénéficiaire entre ces deux sociétés. Il résulte également du paragraphe 101 de la décision attaquée que les décisions opérationnelles pouvaient être prises à une majorité de huit des douze votes des membres du conseil d’administration. Enfin, le paragraphe 102 de la décision attaquée prévoit, pour l’adoption de résolutions concernant des affaires stratégiques, qu’une majorité qualifiée est requise en cas de partage des voix.

54 En second lieu, la Commission s’est fondée sur l’existence d’un contrôle commun, ainsi que cela est exposé au point 53 ci-dessus, pour conclure que le bénéficiaire, Parpública et AGW formaient une entité économique unique. En effet, selon la jurisprudence, deux sociétés forment une entité économique unique, notamment, lorsque l’une exerce une influence déterminante sur l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 1996, Viho/Commission, C 73/95 P, EU:C:1996:405, point 51). Or, une influence déterminante peut également être exercée par deux sociétés ensemble si elles exercent un contrôle en commun sur une autre société (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2012, Dow Chemical/Commission, T 77/08, non publié, EU:T:2012:47, point 83).

55 Il ressort de ces considérations, contrairement à ce qu’allègue la requérante, que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit, ni d’erreur d’appréciation, en concluant, au paragraphe 113 de la décision attaquée, que le bénéficiaire faisait partie d’un groupe au sens du point 22 des lignes directrices. Dans ces conditions, c’est à juste titre que la Commission a relevé, au paragraphe 100 de la décision attaquée, qu’il n’était pas nécessaire pour elle de déterminer si les actionnaires ultimes d’AGW, à savoir MM. Neeleman et Pedrosa, faisaient également partie dudit groupe. En effet, la Commission pouvait conclure, à juste titre, que le bénéficiaire faisait partie d’un groupe au sens dudit point des lignes directrices sur le fondement de ses relations avec Parpública et AGW.

56 Par ailleurs, la question de savoir si la Commission a tenu compte, à suffisance de droit, des actionnaires d’AGW lors de son examen des deux conditions prévues au point 22 des lignes directrices, lesquelles sont décrites au point 42 ci-dessus, est traitée dans le cadre des deux griefs suivants du présent moyen.

57 Par conséquent, il convient de rejeter le présent grief.

– Sur le deuxième grief, tiré de ce que la Commission a erronément conclu que les difficultés du bénéficiaire lui étaient spécifiques et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe

58 Premièrement, la requérante fait valoir que la Commission s’est limitée à analyser la situation financière de la filiale du bénéficiaire, TAP Air Portugal, sans examiner la situation des sociétés liées à celle-ci.

59 Deuxièmement, la Commission aurait repris les données fournies par le gouvernement portugais sans effectuer son propre examen et n’aurait pas démontré que les difficultés étaient spécifiques au bénéficiaire. La requérante se réfère à deux autres décisions adoptées antérieurement à la décision initiale concernant des mesures d’aide dans le secteur du transport aérien et fait observer que la Commission avait bel et bien effectué une analyse des comptes du groupe.

60 Troisièmement, la Commission se serait contentée de déclarer qu’elle n’avait trouvé aucun indice d’une répartition arbitraire des coûts entre les membres du groupe au détriment du bénéficiaire, sans avoir examiné si tel était le cas. Plus particulièrement, elle n’aurait pas cherché à savoir si le bénéficiaire entretenait des relations économiques avec MM. Pedrosa et Neeleman, alors qu’il y aurait des indices dans la presse laissant présumer que M. Neeleman aurait presté des services au bénéficiaire. En outre, le rapport annuel du bénéficiaire indiquerait l’existence de transactions avec AGW et d’autres sociétés actives dans le secteur du transport, fondées ou possédées par MM. Pedrosa et Neeleman pendant l’année 2020. Ces indices auraient dû amener la Commission à effectuer un examen plus complet.

61 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

62 Il y a lieu de relever que la Commission soutient à juste titre que le membre de phrase « sauf s’il peut être démontré que ses difficultés lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe » contenu au point 22 des lignes directrices comporte une seule et même condition devant être interprétée en ce sens que les difficultés d’une entreprise faisant partie d’un groupe doivent être considérées comme lui étant spécifiques, si elles ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein dudit groupe [arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor; aide au sauvetage), T 577/20, EU:T:2022:301, point 48].

63 Il convient également de relever que la finalité du point 22 des lignes directrices est d’éviter qu’un groupe d’entreprises ne se décharge de ses coûts, de ses dettes ou de son passif sur une entité du groupe en la rendant de la sorte éligible au bénéfice d’une aide au sauvetage, alors qu’elle ne le serait pas autrement. En d’autres termes, ledit point 22 vise à faire obstacle au contournement des règles en matière d’aides d’État par le biais de mécanismes artificiellement créés au sein d’un groupe. En revanche, l’objectif de ce point n’est pas d’exclure du champ d’application des aides au sauvetage une entreprise faisant partie d’un groupe au seul motif que ses difficultés ont pour origine les difficultés rencontrées par le reste du groupe ou par une autre société du groupe, pour autant que lesdites difficultés n’ont pas été artificiellement créées ou arbitrairement réparties au sein dudit groupe [arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor; aide au sauvetage), T 577/20, EU:T:2022:301, point 46].

64 En outre, en ce qui concerne la répartition de la charge de la preuve dans le cadre d’une procédure d’examen préliminaire d’une mesure d’aide d’État, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission est tenue de conduire cette procédure de manière diligente et impartiale afin de disposer des éléments les plus complets et fiables possible pour ce faire (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 44 et jurisprudence citée).

65 Toutefois, si la Cour a jugé que, lors de l’examen de l’existence et de la légalité d’une aide d’État, il pouvait être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence qu’il incombe à la Commission de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 45 et jurisprudence citée).

66 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le présent grief.

67 En l’espèce, aux paragraphes 114 à 121 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les difficultés du bénéficiaire lui étaient spécifiques et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein de son groupe.

68 À cet égard la Commission a indiqué que TAP Air Portugal était à l’origine de la quasi-totalité des recettes du bénéficiaire et que cette société avait donc une influence majeure sur la performance de celui-ci. Entre 2006 et 2015, le bénéficiaire aurait accumulé des fonds propres négatifs. Malgré une croissance sur le plan opérationnel depuis sa privatisation partielle en 2015, TAP Air Portugal aurait affiché de manière constante une rentabilité diminuée. Le résultat du bénéficiaire pour l’année 2018 aurait été négatif, en raison d’une augmentation du prix du pétrole, des coûts de la restructuration et de la nécessité de dépenses extraordinaires pour la location d’avions. Ce résultat se serait traduit par une dépréciation des obligations émises en 2019 par rapport à la valeur initialement prévue. La pandémie de COVID-19 aurait interrompu le processus de transformation de TAP Air Portugal en cours et aurait aggravé les résultats déjà défavorables. En outre, la Commission a également observé que, selon les autorités portugaises, ni Parpública ni AGW n’avaient eu des fonctions communes par rapport au bénéficiaire et leurs comptes n’étaient pas consolidés, de sorte qu’il aurait été impossible de répartir des coûts.

69 Eu égard aux éléments mentionnés au point 68 ci-dessus, non contestés par la requérante, la Commission disposait d’indices pertinents et concordants laissant présumer que les difficultés étaient intrinsèques au bénéficiaire et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein de son groupe.

70 En effet, selon les informations figurant dans la décision attaquée, les difficultés du bénéficiaire trouvaient leur origine dans sa performance et sa gestion avant le début de la pandémie de COVID-19. Ces difficultés ont été exacerbées par ladite pandémie. La Commission a déduit des informations mises à sa disposition par la République portugaise que le bénéficiaire avait accumulé des fonds propres négatifs entre 2006 et 2015. En outre, il convient de constater que la rentabilité de TAP Air Portugal s’est trouvée réduite et la Commission identifie des causes concrètes à ce phénomène, exposant l’existence de coûts plus élevés que prévu. Enfin, il convient de constater que l’effet de la pandémie de COVID-19 sur la rentabilité d’une compagnie aérienne a été particulièrement préjudiciable, surtout si la compagnie aérienne était déjà en difficulté auparavant.

71 En outre, il n’existait pas d’indices suggérant que les difficultés financières auxquelles faisait face le bénéficiaire résultaient d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe, et encore moins d’une répartition provenant de MM. Neeleman et Pedrosa par le biais d’AGW, l’actionnaire direct du bénéficiaire. Ainsi qu’il est relevé au point 68 ci-dessus, la Commission a constaté dans la décision attaquée qu’AGW et le bénéficiaire n’avaient pas de fonctions communes et que leurs comptes n’étaient pas consolidés, de sorte qu’il aurait été impossible pour AGW et, par extension, pour MM. Neeleman et Pedrosa de répartir des coûts au détriment du bénéficiaire.

72 Les autres arguments avancés par la requérante ne remettent pas en cause ce qui précède. Certes, la Commission a accordé dans son examen une place importante aux résultats de TAP Air Portugal, et pas à ceux des autres sociétés sous contrôle du bénéficiaire, mais il n’a toutefois pas été contesté que TAP Air Portugal apportait la quasi-totalité des recettes du bénéficiaire. En outre, force est de constater que la Commission n’a pas limité son examen à la seule compagnie TAP Air Portugal, mais qu’elle a également tenu compte de la situation du bénéficiaire, ainsi qu’il ressort du point 68 ci-dessus.

73 En outre, si la Commission a procédé, dans d’autres décisions antérieures, à une méthode d’examen différente, cela n’implique pas qu’elle soit tenue de procéder de cette même façon dans le cas présent. En effet, c’est dans le seul cadre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE que doit être appréciée la légalité de la décision attaquée, et non à l’aune d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2022, Siremar/Commission, T 668/21, non publié, EU:T:2022:677, point 121 et jurisprudence citée).

74 De surcroît, les allégations de la requérante portant sur les transactions ayant eu lieu entre AGW et le bénéficiaire ainsi qu’entre M. Pedrosa, par le biais de ses sociétés, et le bénéficiaire sont spéculatives. Ces transactions, à les supposer établies, ne sont pas susceptibles de démontrer à elles seules une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe auquel appartenait le bénéficiaire. Dans ces circonstances, la Commission ne disposait pas d’indices l’obligeant, en application de la jurisprudence citée aux points 64 et 65 ci-dessus, à aller au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance.

75 Partant, il y a lieu d’écarter le présent grief.

– Sur le troisième grief, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et des erreurs de droit relatives à la conclusion selon laquelle les difficultés du bénéficiaire étaient trop graves pour être résolues par le groupe lui-même

76 En premier lieu, la requérante argue que la Commission a omis de tenir compte de la capacité de contribuer au sauvetage du bénéficiaire des deux actionnaires individuels d’AGW, MM. Neeleman et Pedrosa, qui contrôlaient indirectement, par le biais d’AGW et d’autres sociétés intermédiaires, le bénéficiaire. Le fait que, après l’octroi de la mesure en cause, AGW et la République portugaise ne se sont pas mises d’accord sur les conditions du prêt d’État et qu’AGW en aurait profité pour vendre une partie de ses actions à l’État portugais démontrerait que les actionnaires étaient en mesure d’aider le bénéficiaire, mais que cela n’était pas dans leur intérêt. En tenant compte de l’absence de volonté, de la part de ces actionnaires, de contribuer au sauvetage du bénéficiaire, la Commission aurait méconnu le point 22 des lignes directrices.

77 En second lieu, la requérante fait valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle MM. Neeleman et Pedrosa avaient eux-mêmes été affectés gravement par les conséquences de la pandémie de COVID-19 du fait qu’ils détenaient des sociétés dans le secteur du transport n’a pas été étayée. Premièrement, la requérante soutient qu’une référence aux problèmes causés par ladite pandémie est trop vague pour exclure que ces actionnaires aient eu la possibilité de contribuer, à tout le moins partiellement, au sauvetage du bénéficiaire. Deuxièmement, la Commission aurait exclu, de manière implicite, la possibilité d’une contribution partielle par les autres membres du groupe et se serait bornée à constater que le déficit intégral en liquidités estimé à 1,2 milliard d’euros ne pouvait pas être comblé par ces actionnaires. Troisièmement, la Commission n’aurait pas effectué son propre examen, mais se serait fiée aux informations soumises par la République portugaise. Elle n’aurait pas apprécié les moyens financiers desdits actionnaires, les fonds qu’ils détenaient, leurs profits nets, ni la capacité d’emprunt du groupe dans son intégralité. À cet effet, la requérante fait référence à plusieurs articles de presse qui démontreraient, notamment, que MM. Neeleman et Pedrosa étaient des hommes d’affaires importants dans le secteur du transport, capables de faire de gros investissements.

78 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste les arguments de la requérante.

79 À cet égard, conformément à ce qui a été constaté au point 42 ci-dessus, il convient de rappeler que, selon le point 22 des lignes directrices, une entreprise faisant partie d’un groupe de sociétés peut bénéficier d’une mesure d’aide au sauvetage si ses difficultés sont trop graves pour être résolues par le groupe lui-même.

80 En l’espèce, aux paragraphes 122 à 127 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les difficultés du bénéficiaire étaient trop graves pour être résolues par le groupe. À cet égard, la Commission a constaté que Parpública n’était pas en mesure d’aider le bénéficiaire étant donné qu’elle avait des moyens budgétaires limités. En outre, celle-ci étant une entreprise étatique, chaque contribution aurait été d’office qualifiée d’aide d’État. La Commission a considéré qu’AGW n’était pas davantage capable de résoudre les difficultés du bénéficiaire, étant donné qu’il s’agissait d’une société vide sans activité économique propre. Il résulterait, en outre, des informations fournies par la République portugaise que les actionnaires individuels indirects d’AGW, MM. Neeleman et Pedrosa, n’étaient pas en mesure, même partiellement, de résoudre les difficultés auxquelles faisait face le bénéficiaire. En effet, le montant de la mesure en cause serait substantiel et les sociétés des deux actionnaires, également actives dans le secteur du transport, auraient subi de fortes baisses de revenus également durant la période de pandémie de COVID-19.

81 Or, la requérante conteste la conclusion de la Commission, aux paragraphes 126 et 127 de la décision attaquée, selon laquelle MM. Neeleman et Pedrosa, actionnaires indirects du bénéficiaire, n’avaient pas la capacité de résoudre les difficultés de celui-ci.

82 Toutefois, force est de constater que la requérante n’apporte pas d’éléments permettant de remettre en cause cette conclusion.

83 Premièrement, la conclusion de la Commission selon laquelle MM. Neeleman et Pedrosa détenaient des sociétés dans le secteur du transport, de sorte qu’ils avaient eux-mêmes été gravement affectés par les suites de la pandémie de COVID-19 et étaient dans l’impossibilité de contribuer au sauvetage du bénéficiaire, partiellement ou intégralement, n’est pas sérieusement contestée par la requérante. En effet, c’est un fait notoire que des compagnies de transport terrestre ou aérien ont fait face à un arrêt quasi total de leurs activités pendant la première période de la pandémie de COVID-19. Il convient également de constater que, au moment de la notification de la mesure en cause, le sort des sociétés de transport était encore incertain.

84 Deuxièmement, la Commission a également tenu compte de l’envergure de l’opération de sauvetage en cause, d’un montant si élevé qu’il aurait été difficile pour les actionnaires de résoudre les problèmes du bénéficiaire. À ce sujet, la Commission a considéré à juste titre qu’un soutien partiel n’aurait pu empêcher la sortie du marché de ce bénéficiaire. En effet, eu égard aux difficultés existantes du bénéficiaire, aggravées par la situation très exceptionnelle et brutale de la pandémie de COVID-19, seul un financement de l’intégralité des besoins en liquidités pouvait sauver ce dernier dans un délai assez bref. Ainsi que la Commission l’a soutenu lors de l’audience, même dans l’hypothèse où les actionnaires directs ou indirects d’AGW auraient pu contribuer à résoudre une partie des problèmes du bénéficiaire, une aide au sauvetage aurait toujours été nécessaire afin d’atteindre l’objectif de √maintenir ce bénéficiaire en activité pendant six mois et empêcher sa sortie du marché pour défaut de liquidités.

85 Troisièmement, la Commission a pu à juste titre se fier aux informations fournies par la République portugaise dans le cadre de la notification de la mesure en cause. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 65 ci-dessus, la Commission n’est pas tenue de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations, telles que les éléments de preuve invoqués par la requérante, à savoir le rapport annuel du bénéficiaire et plusieurs sites Internet et articles de presse, se trouveraient dans le domaine public. Les éléments de preuve auxquels fait référence la requérante sont d’ordre très général et donnent tout au plus une impression globale du patrimoine de MM. Neeleman et Pedrosa et de leurs activités commerciales dans le secteur du transport terrestre et aérien. Ils ne démontrent donc pas avec certitude la situation financière de ces individus au moment de l’autorisation de la mesure en cause ni la capacité de ces derniers à résoudre les difficultés financières du bénéficiaire.

86 Il convient donc de rejeter le présent grief.

– Sur le quatrième grief, tiré d’une violation du point 8 des lignes directrices

87 La requérante soutient que la Commission a méconnu le point 8 des lignes directrices. Elle avance, en substance, que le bénéficiaire, ou le groupe dont il fait partie, aurait pu tenter d’emprunter de l’argent sur le marché. Elle fait observer que, selon la décision attaquée, le bénéficiaire était encore en mesure, en décembre 2019, malgré son résultat négatif, d’attirer des investissements d’un montant de 375 millions d’euros.

88 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

89 Selon le point 8 des lignes directrices, figurant dans la partie introductive de ces dernières, « une entreprise ne devrait pouvoir bénéficier d’une aide d’État qu’une fois toutes les options offertes par le marché épuisées ».

90 En l’espèce, aux paragraphes 57 à 60 de la décision attaquée, la Commission a évoqué les conséquences financières, pour le bénéficiaire, des restrictions massives imposées par la pandémie de COVID-19. Le paragraphe 79 expose que, malgré le fait que le bénéficiaire était encore en mesure de rassembler des fonds en 2019, les agences de notation avaient drastiquement baissé sa notation dans le cadre de la pandémie de COVID-19.

91 Il convient de noter que la requérante n’a pas contesté que la situation du bénéficiaire avait radicalement changé après la flambée de COVID-19. Ainsi, il ressort du paragraphe 27 de la décision attaquée que, le 20 mars 2020, l’agence de notation Standard & Poors avait baissé la notation de crédit pour huit compagnies aériennes, dont le bénéficiaire, sans exclure de nouvelles baisses dans un proche avenir. Il en allait de même pour d’autres agences de notation. En outre, Standard & Poors avait annoncé que les perspectives de recouvrement, pour ce qui concernait les obligations issues en décembre 2019 à hauteur de 375 millions d’euros, étaient de 45 %.

92 Il convient de constater que les circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19 ont eu pour conséquence inéluctable la détérioration du climat des investissements dans le secteur aérien. La position de la Commission selon laquelle il était quasi impossible de lever des fonds sur le marché est plausible. Il y a également lieu de tenir compte de la nature de l’aide, à savoir une aide au sauvetage qui devait être accordée dans l’urgence et pour une période relativement courte, c’est-à-dire de six mois au maximum.

93 En outre, la requérante n’apporte aucun élément susceptible de démontrer qu’un financement sur les marchés aurait été possible pour le bénéficiaire au moment de la notification de la mesure en cause en dépit des circonstances décrites aux points 90 à 92 ci-dessus.

94 Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter le présent grief et, par conséquent, de rejeter dans son intégralité le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

95 La requérante soutient que la Commission, en faisant une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu à la lumière des lignes directrices, a commis des erreurs concernant l’appréciation, premièrement, de l’existence d’un objectif d’intérêt commun, deuxièmement, du caractère approprié de la mesure en cause, troisièmement, de la proportionnalité de celle-ci et, quatrièmement, des effets négatifs de cette aide au sauvetage.

– Sur le premier grief, tiré de ce que la Commission a conclu à tort que la mesure en cause contribuait à un objectif d’intérêt commun

96 Selon la requérante, la conclusion, dans la décision attaquée, selon laquelle la mesure en cause contribuait à un objectif d’intérêt commun au sens des points 43 et 44 des lignes directrices n’est pas suffisamment étayée.

97 Premièrement, il ressortirait du paragraphe 132 de la décision attaquée que la Commission a tenu compte du seul fait que le bénéficiaire avait une taille particulière et que ses opérations s’étendaient à la plupart des aéroports commerciaux du Portugal pour conclure que son sauvetage constituait un objectif d’intérêt commun. La Commission aurait ainsi commis une erreur de droit. De surcroît, les décisions antérieures dans le même secteur, notamment la décision du 4 septembre 2017 relative à l’aide d’État SA.48937 (2017/N) – Allemagne – Aide au sauvetage d’Air Berlin PCL & Co. Luftverkehrs KG, la décision du 14 octobre 2019 relative à l’aide d’État SA.55394 (2019/N) – Allemagne – Aide au sauvetage de Condor et la décision du 24 février 2020, SA.56244 (2020/N) – Roumanie – Aide au sauvetage de TAROM, comporteraient une analyse plus approfondie. Dans ces décisions, la Commission ne se serait pas bornée à examiner la taille du bénéficiaire et le nombre d’aéroports concernés.

98 Deuxièmement, la requérante conteste la conclusion de la Commission selon laquelle la défaillance du bénéficiaire risquait d’interrompre un service important qu’il était à la fois compliqué de reproduire et difficile à assurer par un concurrent à la place du bénéficiaire, conformément au point 44, sous b), des lignes directrices. Rien n’indiquerait que TAP Air Portugal avait un grand nombre de réservations ou de passagers bloqués à l’étranger en raison des mesures de confinement et que ces derniers devaient être rapatriés pendant la période allant de juillet à décembre 2020. Au contraire, du fait des mesures restrictives des autorités, l’offre de vols sur les lignes de TAP Air Portugal aurait été excédentaire pendant la période pertinente. La Commission n’aurait pas correctement expliqué en quoi le critère de la difficulté de reproduction d’un service important était satisfait dans ce contexte marqué par une surcapacité susceptible de se prolonger pendant un certain temps dans le contexte de la crise de la COVID-19. En outre, plusieurs concurrents auraient déjà exploité les mêmes lignes que TAP Air Portugal, concurrents qui auraient pu assurer les services de cette compagnie.

99 Troisièmement, la requérante souligne que la Commission a commis une erreur d’appréciation relative au point 44, sous c), des lignes directrices. La Commission n’aurait pas établi que TAP Air Portugal jouait un rôle systémique important pour l’ensemble du territoire portugais et que sa sortie du marché aurait des conséquences négatives graves au Portugal. Ainsi, l’impact de cette compagnie aérienne sur l’économie, et plus particulièrement sur le tourisme au Portugal, n’aurait pas été démontré dans la décision attaquée.

100 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste ces arguments.

101 Il convient de rappeler, d’emblée, que, selon la jurisprudence, la Commission ne peut déclarer une aide compatible avec l’article 107, paragraphe 3, TFUE que si cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs qui y sont mentionnés, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, une mesure d’aide ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur si elle apporte une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaire pour atteindre les buts prévus par l’article 107, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2009, Kronoply/Commission, T 162/06, EU:T:2009:2, point 65 et jurisprudence citée).

102 En ce qui concerne plus particulièrement l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE dans le cas d’une aide au sauvetage, il résulte du point 43 des lignes directrices que le simple fait d’empêcher une entreprise de sortir du marché ne suffit pas pour justifier le recours à une telle aide. Il convient de démontrer, notamment, que l’aide poursuit un objectif d’intérêt commun en ce qu’elle a pour objet d’éviter des difficultés sociales ou de remédier à la défaillance du marché.

103 Afin de concrétiser la teneur du point 43 des lignes directrices, le point 44 de ces dernières prévoit que l’État membre doit démontrer que la défaillance du bénéficiaire serait susceptible d’entraîner de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché. Le point 44, sous a) à g), des lignes directrices expose sept exemples de situations dans lesquelles il est établi que l’aide poursuit un intérêt commun.

104 Parmi ces exemples figure, au point 44, sous b), des lignes directrices, la situation dans laquelle « il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire et qu’un concurrent (par exemple un fournisseur national d’infrastructures) pourrait difficilement assurer à la place du bénéficiaire ». À cet égard, il échet d’observer que les lignes directrices ne comportent pas de définition de la notion de « service important » au sens du point 44, sous b), de ces lignes directrices [arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor; aide au sauvetage), T 577/20, EU:T:2022:301, point 74].

105 Le simple fait que le point 44, sous b), des lignes directrices fasse référence « par exemple » à « un fournisseur national d’infrastructures » ne signifie aucunement que le champ d’application de ce point est limité aux services ayant une importance à l’échelle nationale ou qui revêtent une importance pour toute l’économie d’un État membre. En outre, il convient de rappeler que le point 44, sous b), des lignes directrices n’exige pas qu’il soit impossible de reproduire un service important ; il suffit qu’il soit « compliqué » de le faire [voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor; aide au sauvetage), T 577/20, EU:T:2022:301, points 76 à 84].

106 De plus, selon le point 44, sous c), des lignes directrices, la défaillance du bénéficiaire serait susceptible d’entraîner de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché si « la sortie du marché d’une entreprise jouant un rôle systémique essentiel dans une région ou un secteur particulier (par exemple en tant que fournisseur d’un intrant important) [avait] des conséquences négatives potentielles ».

107 En l’espèce, aux paragraphes 129 à 134 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la mesure en cause poursuivait les objectifs prévus au point 44, sous b) et c), des lignes directrices.

108 La Commission a observé dans la décision attaquée que TAP Air Portugal assurait la connectivité au sein du Portugal, en ce qui concernait en particulier la connexion du Portugal continental avec ses régions ultrapériphériques, avec les communautés portugaises en dehors du Portugal et avec les pays lusophones. Les vols concernés auraient relié, d’une part, les aéroports de Lisbonne (Portugal) et Porto (Portugal), de quatre îles des Açores et de Madère (Portugal) et, d’autre part, 49 destinations en Europe en dehors du Portugal, 10 destinations au Brésil, 17 destinations en Afrique et 8 destinations en Amérique du Nord. Au total, TAP Air Portugal aurait desservi, en 2019, 95 destinations dans 38 pays et elle aurait transporté plus de 17 millions de passagers. TAP Air Portugal n’assurerait pas seulement le transport de passagers, mais aussi le transport de fret sur son réseau de liaisons. En outre, TAP Air Portugal supporterait le secteur du tourisme, qui aurait représenté 14,6 % du produit national brut (PNB) du Portugal en 2018, et elle aurait engendré à elle seule 1,2 % du produit intérieur brut (PIB) du Portugal en 2019. La Commission a considéré que, si le bénéficiaire était sorti du marché, il aurait été encore plus difficile pour un bon nombre d’entreprises dans le secteur touristique de surmonter les conséquences de la pandémie de COVID-19. La Commission a également expliqué que, eu égard aux problèmes liés à la pandémie de COVID-19, les services de TAP Air Portugal n’auraient pas pu être assurés à court terme par un autre opérateur et la connectivité du Portugal n’aurait plus été garantie. TAP Air Portugal serait importante pour l’économie du Portugal et, de surcroît, un employeur important avec 10 000 employés directs et au moins 110 000 employés indirects.

109 Il découle de ces éléments que la Commission s’est fondée sur un faisceau d’indices pertinents et concordants pour conclure, à juste titre, que les services fournis par TAP Air Portugal, permettant d’assurer la connectivité du Portugal, constituaient un « service important », au sens du point 44, sous b), des lignes directrices, et que le bénéficiaire jouait un « rôle systémique essentiel » au Portugal au sens du point 44, sous c), de ces lignes directrices au vu de son importance pour l’économie de cet État membre.

110 Les arguments de la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause ce constat.

111 Premièrement, l’allégation de la requérante selon laquelle les liaisons auraient pu être assurées par d’autres compagnies aériennes d’une manière similaire n’a pas été étayée par des preuves. Cet argument ne convainc pas, étant donné que les autres compagnies aériennes desservant le Portugal étaient d’autant moins capables d’assurer ces services, sans risque d’une interruption significative des liaisons, qu’elles connaissaient, elles aussi, des difficultés causées par la crise sanitaire. Pour cette même raison, l’argument de la requérante selon lequel les services de TAP Air Portugal n’étaient pas compliqués à assurer par d’autres compagnies dans un contexte de diminution du trafic aérien en général et de surcapacité n’est pas de nature à remettre en question la plausibilité des considérations exposées dans la décision attaquée à cet égard.

112 Deuxièmement, contrairement à ce qu’allègue la requérante, il ressort de ce qui précède que la Commission n’a pas seulement tenu compte, notamment au paragraphe 132 de la décision attaquée, de la taille du bénéficiaire et des aéroports desservis, mais également d’autres éléments, dont la situation géographique du Portugal et des territoires ultrapériphériques, la connectivité, l’importance des services de TAP Air Portugal pour l’économie, le fait qu’elle transportait également du fret et le fait que cette compagnie n’était pas substituable à court terme.

113 Troisièmement, dans la mesure où la requérante se réfère à une pratique décisionnelle antérieure de la Commission pour alléguer que cette dernière aurait dû faire une analyse plus approfondie dans la décision attaquée, il y a lieu de relever que cette pratique, à supposer qu’elle soit différente, ne saurait affecter la légalité de la décision attaquée.

114 En effet, conformément à une jurisprudence constante, la Commission a l’obligation de tenir compte, dans l’évaluation des mesures litigieuses, de tous les éléments pertinents et de leur contexte. Ainsi, le fondement juridique d’une décision ne peut être remis en question en raison d’un changement par rapport à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. D’ailleurs, la Cour a déjà indiqué que c’était dans le seul cadre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE que devait être appréciée la légalité d’une décision de la Commission constatant qu’une aide ne répondait pas aux conditions d’application de cette dérogation, et non à l’aune d’une prétendue pratique antérieure (voir arrêt du 27 février 2013, Nitrogénművek Vegyipari/Commission, T 387/11, non publié, EU:T:2013:98, point 126 et jurisprudence citée).

115 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier grief du deuxième moyen.

– Sur le deuxième grief, tiré d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne le caractère approprié de la mesure en cause

116 La requérante fait valoir que la Commission a considéré à tort que la mesure en cause était appropriée.

117 En premier lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas appliqué un taux d’intérêt correct. Selon le point 56 des lignes directrices, le taux d’intérêt ne devrait pas être inférieur au taux de référence fixé dans la communication sur les taux de référence pour les entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté [actuellement taux interbancaire offert (Interbank Offered Rate, IBOR) à un an majoré de 400 points de base]. La Commission aurait retenu ce dernier taux. Toutefois, selon la requérante, le bénéficiaire ne présentait pas de taux normaux de couverture par des sûretés, contrairement aux bénéficiaires concernés par les décisions relatives à Air Berlin, TAROM et Condor (voir point 97 ci-dessus). En outre, il aurait été clair dès le départ que le prêt en cause ne serait pas remboursé dans le délai prévu de six mois, de sorte que ce prêt comportait davantage de risques.

118 En second lieu, la requérante estime que la durée de la mesure en cause était trop longue et que la Commission aurait dû demander au bénéficiaire de présenter un plan de restructuration conformément au point 55, sous d), ii), des lignes directrices dans un délai plus court que la période de six mois retenue. En effet, la Commission aurait dû comprendre que le prêt ne serait pas remboursé dans une période de six mois à compter de la date du premier versement de l’aide. En outre, elle n’aurait pas tenu compte du fait que tous les concurrents faisaient également face aux conséquences de la pandémie, de sorte que la mesure en cause aurait créé une distorsion significative de la concurrence. En tout état de cause, la Commission n’aurait pas indiqué dans la décision attaquée que l’autorisation de la mesure en cause n’allait pas être prolongée au-delà de six mois. La requérante met en exergue, exemples à l’appui, que la Commission aurait été plus stricte quant aux délais dans certaines décisions antérieures, prises notamment à l’aune de la crise des banques en 2008.

119 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

120 Conformément au point 54 des lignes directrices, les États membres doivent veiller à ce que l’aide soit accordée sous la forme qui permet d’atteindre l’objectif en créant le moins de distorsions possible. Dans le cas d’entreprises en difficulté, une solution consiste à veiller à ce que l’aide se présente sous la forme appropriée pour résoudre les difficultés du bénéficiaire.

121 Le point 55 des lignes directrices énumère les conditions auxquelles une aide au sauvetage doit obéir afin d’être autorisée par la Commission. Tout d’abord, il importe que la mesure d’aide au sauvetage soit limitée dans le temps. À cet égard, le point 55, sous d), ii), des lignes directrices prévoit, notamment, que les États membres doivent s’engager à transmettre à la Commission, dans un délai maximal de six mois, soit la preuve que le crédit a été intégralement remboursé, soit, pour autant que le bénéficiaire puisse être qualifié d’entreprise en difficulté, un plan de restructuration tel qu’énoncé à la section 3.1.2 des lignes directrices. Sur présentation d’un tel plan, l’autorisation de l’aide au sauvetage sera automatiquement prolongée jusqu’à ce que la Commission prenne une décision définitive sur le plan de restructuration, sauf si elle décide qu’une telle prolongation n’est pas justifiée ou doit être de durée ou de portée limitée.

122 Le point 56 des lignes directrices dispose ce qui suit :

« Le niveau de rémunération qu’un bénéficiaire est tenu de payer pour une aide au sauvetage doit tenir compte de la solvabilité sous-jacente du bénéficiaire, en faisant abstraction des effets temporaires des problèmes de liquidité et du soutien public, et doit prévoir des mesures incitatives permettant au bénéficiaire de rembourser l’aide dès que possible. La Commission exigera donc que la rémunération soit fixée à un taux qui ne sera pas inférieur au taux de référence fixé dans la communication sur les taux de référence pour les entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté (actuellement taux IBOR à 1 an majoré de 400 points de base) et soit majorée d’au moins 50 points de base dans le cas d’aides au sauvetage dont l’autorisation est prolongée conformément au point 55[, sous d), ii)]. »

123 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la mesure en cause était temporaire et que le gouvernement portugais avait promis de soumettre un plan de restructuration dans un délai de six mois après l’octroi de l’aide. Le taux d’intérêt lié au prêt était au moins égal au taux de référence visé au point 56 des lignes directrices. Le gouvernement portugais se serait engagé à utiliser le montant du prêt uniquement en vue de résoudre le problème de liquidité. La Commission a conclu que la mesure en cause était appropriée au sens des points 54 à 57 des lignes directrices.

124 À cet égard, en premier lieu, en ce qui concerne le taux d’intérêt appliqué pour le remboursement de la mesure en cause, il n’est pas contesté entre les parties que le taux d’intérêt attaché au prêt en cause est équivalent ou supérieur au taux de référence visé au point 56 des lignes directrices et n’est pas en dessous du seuil imposé. Contrairement à ce qu’avance la requérante, il ressort dudit point des lignes directrices qu’il n’y a pas lieu de majorer ce taux avant une éventuelle prolongation de l’aide. Étant donné que la Commission n’était pas en mesure de prévoir si la République portugaise allait présenter un plan de restructuration avant l’expiration de l’échéance, la requérante ne saurait lui reprocher de ne pas avoir majoré le taux au moment de l’adoption de la décision attaquée, au motif que les chances d’un remboursement après la période de six mois étaient minimes.

125 Certes, le point 56 des lignes directrices exige que « la rémunération soit fixée à un taux qui ne sera pas inférieur au taux de référence fixé dans la communication sur les taux de référence pour les entreprises faibles présentant des taux normaux de couverture par une sûreté ». Toutefois, ainsi que l’a relevé la Commission, le seuil mentionné au point 56 des lignes directrices s’applique indépendamment des sûretés fournies à l’État concerné par l’entreprise en difficulté. Il convient de constater que, en l’occurrence, le taux appliqué respecte le seuil fixé par le point 56 des lignes directrices.

126 En second lieu, en ce qui concerne le délai dans lequel un plan de restructuration devait être présenté, il résulte du libellé du point 55, sous d), des lignes directrices, qui a été résumé au point 121 ci-dessus, que, bien qu’un État membre puisse fixer une durée plus courte pour une aide au sauvetage, la Commission ne peut pas légalement l’y obliger. Au demeurant, la durée de six mois vise, comme l’indique le point 60 des lignes directrices, à permettre au bénéficiaire de reconstituer ses liquidités et d’établir, le cas échéant, un plan de restructuration ou de liquidation [voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2023, Wizz Air Hungary/Commission (Blue Air ; COVID-19 et aide au sauvetage), T 142/21, EU:T:2023:164, point 106 (non publié)].

127 S’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait dû savoir ou pour le moins soupçonner au moment d’approuver la mesure d’aide en cause que le prêt ne serait pas remboursé dans le délai de six mois, il convient de relever qu’elle se fonde sur des articles parus dans les médias après l’autorisation de la mesure en cause par la décision initiale (annexes A.3.12 et A.3.13 de la requête), dont l’analyse du caractère approprié de la mesure en cause a été reprise dans la décision attaquée.

128 Or, les articles mentionnés au point 127 ci-dessus comportent des points de vue généraux de la direction du bénéficiaire qui ne sauraient remettre en question le fait que la durée maximale d’une aide au sauvetage est de six mois pour les raisons exposées au point 126 ci-dessus.

129 Dans ces conditions, rien n’obligeait la Commission à déroger au délai prévu par le point 55, sous d), des lignes directrices, ni à imposer des exigences complémentaires à la République portugaise qui ne figuraient pas audit point. De ce fait, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir exigé la présentation d’un plan de restructuration avant l’expiration du délai de six mois, ni de ne pas avoir décidé au moment d’autoriser la mesure en cause, par l’adoption de la décision initiale, de ne pas accorder de prolongation de l’autorisation de la mesure en cause au-delà de six mois.

130 Partant, le deuxième grief du deuxième moyen doit être rejeté.

– Sur le troisième grief, tiré de plusieurs erreurs d’appréciation en ce qui concerne la proportionnalité de la mesure en cause

131 La requérante conteste la thèse de la Commission selon laquelle la mesure en cause n’allait pas au-delà du minimum nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt commun recherché.

132 Premièrement, la requérante fait valoir que les entreprises telles que le bénéficiaire, qui étaient déjà en difficulté le 31 décembre 2019, ont été exclues du champ d’application de la communication de la Commission du 19 mars 2020, intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1), et modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1, ci-après l’« encadrement temporaire »). Ainsi, le soutien de l’économie de la République portugaise dans le contexte de la pandémie de COVID-19 n’aurait pas fait partie de l’objectif commun d’intérêt général, eu égard également au libellé du point 23 des lignes directrices. Seule une petite proportion des besoins de trésorerie du bénéficiaire aurait été imputable aux difficultés de TAP Air Portugal antérieures au COVID-19.

133 Deuxièmement, la requérante argue que le montant de la mesure en cause semble dépasser les besoins en liquidités du bénéficiaire. Cela ressortirait d’abord des déclarations dans les médias du ministre portugais de l’Infrastructure et du Logement, dont il résulterait, notamment, que l’aide allait permettre à TAP Air Portugal d’opérer même au-delà de la fin de l’année.

134 Troisièmement, la Commission n’aurait pas apprécié correctement la nature des engagements antérieurs du bénéficiaire. Parmi ces engagements figuraient des investissements liés au remplacement à grande échelle d’une partie de la flotte de TAP Air Portugal. Le fait que cet engagement était maintenu, malgré les problèmes de liquidité, aurait permis au bénéficiaire d’utiliser l’aide octroyée pour financer des mesures structurelles. Cet investissement n’aurait pas été strictement nécessaire pour la survie du bénéficiaire dans la période allant de juillet à décembre 2020.

135 Quatrièmement, la requérante fait valoir que la mesure en cause devait être qualifiée de mesure structurelle, et non d’aide au sauvetage, étant donné qu’il aurait été peu probable, voire exclu, que le bénéficiaire rembourse le prêt dans le délai de six mois et qu’il n’avait fourni aucune sûreté à cet égard. Il résulterait du point 65 des lignes directrices que, pour être proportionnée, une mesure d’aide destinée à couvrir des pertes ne doit être octroyée que selon des modalités qui supposent une juste répartition des charges entre les investisseurs existants. Or, la décision attaquée ne ferait pas mention de l’existence d’une telle répartition des charges.

136 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

137 S’agissant du caractère proportionné des aides au sauvetage, le point 60 des lignes directrices dispose ce qui suit :

« Les aides au sauvetage doivent être limitées au montant nécessaire pour maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois. Pour déterminer ce montant, il sera tenu compte du résultat de l’application de la formule indiquée à l’annexe I. Toute aide dont le montant excède le résultat de ce calcul ne sera autorisée que si elle est dûment justifiée par la présentation d’un plan de liquidité fixant les besoins de liquidité du bénéficiaire pour les six mois à venir. »

138 Premièrement, il convient de relever que le point 14 de l’encadrement temporaire prévoit que les États membres « peuvent notifier à la Commission des régimes d’aides visant à répondre à des besoins de liquidité pressants et à soutenir les entreprises confrontées à des difficultés financières, et ce également lorsque ces difficultés sont dues à la flambée de COVID-19 ou aggravées par celle-ci » sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et comme cela est précisé dans les lignes directrices.

139 Il s’ensuit que l’encadrement temporaire ne s’oppose pas non plus à l’octroi d’aides sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE lorsque ces difficultés ont été causées ou aggravées par la pandémie de COVID-19.

140 En outre, il résulte des lignes directrices que les mesures d’aide au sauvetage ont pour objet d’éviter des difficultés sociales ou de remédier à la défaillance du marché, et ce indépendamment de l’origine des difficultés de l’entreprise concernée.

141 Par ailleurs, il a déjà été jugé qu’il n’était pas exclu que plusieurs mesures d’aide soient adoptées par un État membre sur le fondement de différentes dérogations prévues à l’article 107, paragraphes 2 ou 3, TFUE à l’égard d’un même événement, tel que la pandémie de COVID-19 (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, points 50 et 51 et jurisprudence citée).

142 Deuxièmement, il est vrai que la Commission n’a ni mentionné ni commenté dans la décision attaquée les déclarations dans les médias du ministre portugais de l’Infrastructure et du Logement invoquées par la requérante. Toutefois, étant donné que l’examen effectué par la Commission de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur repose sur une appréciation concrète, chiffrée et vérifiable de la conformité de ladite mesure avec les exigences prévues dans les lignes directrices, les déclarations faites dans les médias ne peuvent pas revêtir une importance essentielle dans l’analyse de la proportionnalité de la mesure en cause [voir, par analogie, arrêt du 10 mai 2023, Ryanair et Condor Flugdienst/Commission (Lufthansa ; COVID-19), T 34/21 et T 87/21, sous pourvoi, EU:T:2023:248, point 206].

143 En tout état de cause, ces déclarations ne remettent pas en cause les besoins en liquidités, mais reflètent la circonstance selon laquelle le plan de liquidité repose sur une analyse prospective établie dans le contexte d’une situation inédite et incertaine. En effet, dans sa déclaration rapportée le 15 juillet 2020, le ministre portugais de l’Infrastructure et du Logement a mentionné que, « compte tenu des informations disponibles à l’heure actuelle, le volume du paquet d’aide publique [était] suffisant ». Il a déclaré ne pas être sûr qu’il faudrait « davantage ou moins » d’aide que prévu par la mesure d’aide en cause. Dans sa déclaration rapportée le 9 juillet 2020, le ministre a expliqué que « [son ministère était arrivé] avec TAP et la Commission […] à une valeur basée sur les prévisions et les résultats de TAP elle même, ce qui […] donn[ait] la garantie [qu’ils avaient] une marge du point de vue de la trésorerie pour opérer, pour travailler, même au-delà de la fin de l’année, et [que] c’[étai]t ce sur quoi [ils travaillaient] actuellement ». Il ne saurait être inféré de ces déclarations que le besoin de liquidités qui ressortait du plan de liquidité était surestimé.

144 S’agissant du montant prévu du prêt en cause, il ressort de la décision attaquée que ce montant était fondé sur le plan de liquidité établi par la République portugaise. La Commission a évalué ce plan, qui reposait sur des projections des revenus et des coûts qui s’inscrivaient dans l’incertitude qui régnait à l’époque concernant toutes les projections au sujet des activités d’une compagnie aérienne. Elle a considéré que le plan de liquidité ne comprenait pas de dépenses inhabituelles ou illégales, comme le financement de mesures structurelles ou l’élargissement des activités au-delà des engagements antérieurs. Or, la requérante n’avance aucun argument susceptible de faire douter de la plausibilité dudit plan de liquidité autre que les déclarations dans les médias évoquées au point 142 ci-dessus.

145 Troisièmement, il convient de constater que, selon le point 60 des lignes directrices, les aides au sauvetage doivent être limitées au montant nécessaire pour maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois. Toutefois, ainsi que l’a fait valoir la Commission, il ne saurait être exclu que le besoin de trésorerie pendant ces six mois comprenne également des paiements d’échéances qui sont dues au cours de ce délai au titre d’engagements antérieurs qui concernent le remplacement d’avions. En effet, le non-remboursement de telles échéances pourrait entraîner l’insolvabilité de l’entreprise en difficulté, ce qui irait de toute évidence à l’encontre de l’objectif recherché [arrêt du 29 mars 2023, Wizz Air Hungary/Commission (Blue Air ; COVID-19 et aide au sauvetage), T 142/21, EU:T:2023:164, point 125]. L’argument de la requérante n’est donc pas fondé.

146 Quatrièmement, le point 65 des lignes directrices prévoit des mesures visant à répartir les charges entre les investisseurs existants lors de la phase de restructuration. De ce fait, ces mesures ne sont pas applicables aux aides au sauvetage, telles que la mesure en cause.

147 Partant, il y a lieu de rejeter la troisième grief du deuxième moyen.

– Sur le quatrième grief, tiré d’une erreur d’appréciation et d’une erreur de droit en ce qui concerne les effets négatifs de la mesure en cause

148 La requérante avance que la décision attaquée ne comporte pas d’appréciation complète des effets négatifs de la mesure en cause sur la concurrence, en méconnaissance de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices. Elle fait valoir que la Commission s’est bornée à exposer que le principe de non-récurrence et les conditions posées par les lignes directrices concernant des aides antérieures illégales étaient respectés. En particulier, la Commission n’aurait pas compté au nombre des effets négatifs le caractère discriminatoire de la mesure en cause. En effet, la mesure d’aide n’aurait profité qu’à TAP Air Portugal, tandis que la crise sanitaire aurait affecté toutes les compagnies aériennes, raison pour laquelle l’aide aurait eu un effet négatif sur la concurrence et les échanges au sein de l’Union.

149 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

150 Il ressort de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les « aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ». Le libellé de cette disposition impose une mise en balance des effets favorables et défavorables d’une mesure d’aide.

151 Il y a lieu de rappeler, d’emblée, que la Commission bénéficie, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’un large pouvoir d’appréciation (arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission, C 431/14 P, EU:C:2016:145, point 68 et jurisprudence citée). Dans le cas spécifique des aides au sauvetage, elle s’est autolimitée dans l’exercice dudit pouvoir d’appréciation à cet égard en adoptant les lignes directrices, dont elle ne saurait, en principe, se départir (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission, C 431/14 P, EU:C:2016:145, point 69 et jurisprudence citée).

152 En ce qui concerne les lignes directrices, il convient encore de relever que, en l’occurrence, la requérante n’a pas remis en cause leur légalité au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. La requérante n’a pas non plus contesté que la mesure en cause puisse être considérée comme une aide au sauvetage au sens des lignes directrices. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que l’examen de la compatibilité de la mesure d’aide en cause avec le marché commun pouvait être effectué à la lumière de ces lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2014, Westfälisch-Lippischer Sparkassen- und Giroverband/Commission, T 457/09, EU:T:2014:683, points 209 à 211).

153 Le point 38 des lignes directrices expose les critères à appliquer dans le cadre de l’examen de la compatibilité de la mesure d’aide en cause avec le marché commun. Au nombre de ces critères figure, au point 38, sous f), de ces lignes directrices, la « prévention des effets négatifs non désirés sur la concurrence et les échanges entre parties contractantes [, en ce sens que] les effets négatifs de l’aide doivent être suffisamment limités pour que l’équilibre général de la mesure soit positif ». Ainsi que la Commission l’a précisé aux paragraphes 147 et 148 de la décision attaquée, elle estime que tel est le cas, pour une aide au sauvetage, si, d’une part, le bénéficiaire concerné n’a pas de difficultés récurrentes qui n’ont pas pu être résolues par l’octroi d’une mesure d’aide au sauvetage ou à la restructuration antérieure (point 71 des lignes directrices) et si, d’autre part, ce bénéficiaire ne reçoit pas d’aide illégale dont elle a ordonné le recouvrement (point 94 des lignes directrices).

154 Le critère exposé au point 38, sous f), des lignes directrices est développé plus en détail dans la section 3.6 de celles-ci, intitulée « Effets négatifs ». Cette section comporte trois sous-sections qui concernent les aides au sauvetage, dont la sous-section 3.6.1, intitulée « Principe de non-récurrence », et la sous-section 3.6.3, dénommée « Bénéficiaires d’aides antérieures illégales ». Il incombait à la Commission de vérifier que les conditions exposées dans ces deux sous-sections, notamment aux points 71 et 94, étaient réunies. La Commission a estimé que tel était le cas, ce que la requérante n’a pas contesté. Dans ces conditions, la requérante ne saurait faire grief à la Commission d’avoir effectué un examen incomplet des effets négatifs de la mesure d’aide en cause.

155 Pour ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la mesure d’aide en cause est discriminatoire et la Commission n’a pas tenu compte des effets négatifs de cette discrimination alléguée au regard du marché commun, il sera analysé dans le cadre du troisième moyen.

156 Dès lors, le quatrième grief du deuxième moyen et, partant, ce moyen dans son intégralité doivent être écartés.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes de non-discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement

157 La requérante soutient, en substance, que la Commission a violé le principe de non-discrimination ainsi que les principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, au motif que la mesure en cause ne bénéficie qu’au bénéficiaire.

158 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste les arguments de la requérante.

159 Il convient de rappeler qu’une aide d’État qui viole des dispositions du traité ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C 594/18 P, EU:C:2020:742, point 44 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51).

– Sur la violation du principe de non-discrimination

160 Le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C 677/16, EU:C:2018:393, point 49).

161 Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C 127/07, EU:C:2008:728, point 26).

162 Par ailleurs, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C 611/17, EU:C:2019:332, point 55].

163 La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée autorise un traitement discriminatoire qui n’est ni approprié ni nécessaire pour atteindre l’objectif de la mesure en cause. Elle fait valoir que la Commission n’a examiné à aucun moment la nécessité d’octroyer l’aide uniquement au bénéficiaire. Les autres compagnies aériennes détiendraient une part de marché significative de 76,3 % de l’ensemble du trafic aérien intérieur et international du Portugal en ce qui concerne les passagers. La requérante elle-même détiendrait une part de marché de 20 % au Portugal. Selon la requérante, l’aide va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif dans la mesure où le bénéficiaire reçoit 100 % de l’aide, alors que sa part dans la connectivité du Portugal n’est que de 26,4 %. Elle met en exergue le fait que, à cet égard, l’allocation d’une aide à toutes les compagnies aériennes qui opèrent au Portugal en fonction de leur part de marché aurait permis d’atteindre le même objectif.

164 À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert, notamment, que cette mesure accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire en faussant ou menaçant de fausser le jeu de la concurrence (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 101, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 32). En particulier, l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE suppose que la Commission établisse que l’avantage économique, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises. Il lui incombe, pour ce faire, de démontrer, en particulier, que la mesure concernée introduit des différenciations entre les entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation comparable. Il faut donc que l’avantage soit octroyé de façon sélective et qu’il soit susceptible de placer certaines entreprises dans une situation plus favorable que d’autres (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 103, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 34).

165 Pour autant, sont compatibles avec le marché intérieur les aides d’État octroyées aux fins et dans les conditions prévues par l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Il s’ensuit que, sauf à priver cette disposition de tout effet utile, des aides d’État qui sont octroyées aux fins d’un objectif qui y est reconnu et dans les limites de ce qui est nécessaire et proportionné à la réalisation de cet objectif ne sauraient être jugées incompatibles avec le marché intérieur pour des effets qui sont inhérents à toute aide d’État, à savoir, notamment, pour des raisons liées à ce que l’aide est sélective ou à ce qu’elle fausserait la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, points 106 et 107 ; voir également, par analogie, arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, points 35 et 36).

166 Une aide ne peut donc pas être considérée comme incompatible avec le marché intérieur pour des raisons qui sont uniquement liées à ce qu’elle est sélective ou à ce qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 108, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 37).

167 Certes, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité FUE. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 109, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 38).

168 Toutefois, en ce qui concerne spécifiquement l’article 18 TFUE, il est de jurisprudence constante qu’il n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 110, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 39).

169 Dès lors que l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE prévoit des dérogations au principe, énoncé au paragraphe 1 de cet article, d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur et admet ainsi, en particulier, des différences de traitement entre entreprises, sous réserve qu’il soit satisfait aux exigences prévues par ces dérogations, ces dernières doivent être considérées comme des « dispositions particulières » prévues par les traités, au sens de l’article 18, premier alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 111, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 40).

170 Il s’ensuit que, en l’espèce, il convient seulement d’examiner si la différence de traitement induite par la mesure en cause est permise au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

171 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, de l’objectif de la mesure en cause, la requérante ne conteste pas que le bénéficiaire était une entreprise en difficulté et que ladite mesure visait à couvrir les besoins urgents de liquidité de ce dernier, résultant notamment des lourdes pertes d’exploitation qu’il avait enregistrées à la suite de la pandémie de COVID-19 et à lui permettre ainsi de poursuivre ses activités tout en élaborant un plan de restructuration viable. Il était donc question d’un besoin urgent de la part du bénéficiaire et sa situation était objectivement différente de celle d’autres compagnies aériennes sur le marché portugais, telles que la requérante.

172 S’agissant, en second lieu, des modalités d’octroi de la mesure en cause, il n’a pas été établi, ainsi qu’il résulte de l’analyse du deuxième moyen, que la Commission a méconnu l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE ou les lignes directrices. Plus particulièrement, la Commission a considéré à juste titre que la mesure en cause poursuivait un objectif d’intérêt commun, conformément à l’analyse exposée aux points 101 à 115 ci-dessus. En outre, elle n’a pas commis d’erreur d’appréciation en ce qui concerne le caractère approprié et proportionné de la mesure en cause et les effets négatifs de cette mesure sur le marché intérieur.

173 Au demeurant, la requérante n’établit pas qu’une répartition du montant de l’aide en cause entre toutes les compagnies aériennes présentes au Portugal aurait été plus efficace pour atteindre l’objectif recherché par la mesure en cause. Qui plus est, seules les entreprises en difficulté, à l’instar du bénéficiaire, pouvaient bénéficier d’une aide au sauvetage.

174 Il s’ensuit que la mesure en cause ne viole pas le principe de non-discrimination.

– Sur la violation de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement

175 La requérante soutient que la Commission aurait dû déterminer lors de l’appréciation de la compatibilité de la mesure en cause si la forme de l’aide octroyée en l’espèce respectait le principe de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement. En omettant de le faire, la Commission aurait commis une erreur de droit. La requérante estime que réserver l’aide uniquement au bénéficiaire restreint le droit accordé aux transporteurs de l’Union par le régime des licences d’exploitation de l’Union établi par le règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3), autrement dit le droit pour ceux ci de fournir librement des services de transport aérien au sein du marché intérieur. La décision attaquée entraînerait une restriction injustifiée des principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

176 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste cette argumentation.

177 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 167 ci dessus, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 131).

178 Cependant, la Cour a déjà jugé que les effets restrictifs qu’une mesure d’aide déploierait sur la libre prestation des services ou sur la liberté d’établissement ne constituaient pas pour autant une restriction interdite par le traité FUE, dans la mesure où il pouvait s’agir d’un effet inhérent à la nature même d’une aide d’État, tel que son caractère sélectif (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 132).

179 Lorsque les modalités d’une aide sont à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide dans son ensemble avec le marché intérieur doit nécessairement être apprécié par le biais de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (voir arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 133 et jurisprudence citée).

180 Or, en l’occurrence, le choix de Transportes Aéreos Portugueses en tant que bénéficiaire de la mesure en cause fait partie de l’objet de celle-ci, à savoir maintenir le bénéficiaire en activité pendant six mois et, en tout état de cause, quand bien même ce choix devait être considéré comme une modalité de ladite mesure, la requérante ne conteste pas qu’une telle modalité est indissolublement liée audit objet. Il s’ensuit que l’effet résultant du choix de Transportes Aéreos Portugueses en tant que bénéficiaire de la mesure en cause sur le marché intérieur ne peut pas faire l’objet d’un examen séparé de celui de la compatibilité de cette mesure d’aide dans son ensemble avec le marché intérieur par le biais de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 134).

181 En tout état de cause, s’il est vrai que la mesure en cause porte sur une aide individuelle, à savoir une aide au sauvetage, qui ne bénéficie qu’à Transportes Aéreos Portugueses, la requérante n’établit pas en quoi ce caractère exclusif est de nature à la dissuader d’effectuer des prestations de services depuis le Portugal et à destination du Portugal ou d’exercer sa liberté d’établissement dans cet État membre. Elle reste notamment en défaut d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que la mesure en cause produit des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qui sont néanmoins nécessaires et proportionnés pour couvrir les besoins urgents de liquidité du bénéficiaire afin d’éviter une sortie du marché de ce dernier, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, lu à la lumière des lignes directrices.

182 Par conséquent, la mesure en cause ne saurait constituer une entrave à la liberté d’établissement ou à la libre prestation des services. Il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné la compatibilité de cette mesure avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

183 Il y a donc lieu d’écarter cette branche et, partant, le troisième moyen dans son intégralité.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE

184 La requérante soutient, en substance, que l’examen mené par la Commission était incomplet et insuffisant, comme le démontrent notamment ses arguments avancés au soutien des premier, deuxième et troisième moyens. Or, cela témoignerait de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen et à permettre à la requérante de présenter ses observations.

185 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste les arguments de la requérante.

186 Lorsqu’une partie requérante demande l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une aide d’État, elle met en cause essentiellement le fait que cette décision a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant ce faisant ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, la partie requérante peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. L’utilisation de tels arguments ne saurait pour autant avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité. Au contraire, l’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être apportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 (voir arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 143 et jurisprudence citée).

187 Il appartient à l’auteur d’une telle demande de démontrer que des doutes sur cette compatibilité existaient, de telle sorte que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Une telle preuve doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de cette décision que dans son contenu, à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 144 et jurisprudence citée).

188 En particulier, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de ce que cette institution a fait face à de sérieuses difficultés pour apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur, ce qui aurait dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 145 et jurisprudence citée).

189 En l’espèce, il est vrai que, comme le fait valoir, en substance, la requérante, si elle parvenait à démontrer que la Commission avait fait face à de sérieuses difficultés pour apprécier la compatibilité de la mesure en cause, la décision attaquée devrait être annulée pour ce seul motif, quand bien même elle n’aurait pas établi, par ailleurs, que les appréciations portées sur le fond par cette institution étaient erronées en droit ou en fait (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 146 et jurisprudence citée).

190 Pour démontrer que la Commission a fait face à de telles difficultés, la requérante peut effectivement s’appuyer sur les appréciations sur lesquelles s’est fondée cette institution et, partant, avancer des arguments concernant le bien-fondé de la décision attaquée, quand bien même l’examen de ces arguments n’aboutirait pas à la conclusion selon laquelle les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en fait ou en droit (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 147 et jurisprudence citée).

191 Toutefois, force est de constater que le présent moyen est tiré, en substance, du caractère incomplet et insuffisant de l’examen effectué par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire et de l’appréciation différente de la compatibilité de la mesure en cause à laquelle cette institution serait parvenue à l’issue d’une procédure formelle d’examen. Or, il ressort des écritures de la requérante devant le Tribunal que, à l’appui de ce moyen, celle-ci a, pour l’essentiel, repris de manière condensée des arguments développés dans le cadre des trois premiers moyens du recours, relatifs au bien-fondé de la décision attaquée, et renvoyé à ces arguments.

192 Dans ces conditions, le Tribunal, ayant examiné au fond les premier, deuxième et troisième moyens, y compris les arguments tirés du caractère incomplet et insuffisant de l’examen mené par la Commission, n’est pas tenu d’apprécier le bien-fondé du présent moyen de manière séparée, dès lors que, par ce moyen, la requérante n’a pas mis en évidence d’éléments spécifiques susceptibles de démontrer que la Commission avait rencontré des difficultés sérieuses pour apprécier la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 149).

193 Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être écarté.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

194 La requérante fait valoir, en substance, que le raisonnement de la Commission dans la décision attaquée est soit inexistant, soit contradictoire.

195 Premièrement, la conclusion de la Commission selon laquelle les difficultés du bénéficiaire lui étaient spécifiques ne reposerait pas sur un examen complet et n’aurait pas tenu compte de toutes les informations portant sur les relations entre les actionnaires individuels indirects du bénéficiaire et ce dernier et elle n’aurait pas vérifié si les membres du groupe avaient réparti des coûts de manière arbitraire. Il en serait de même pour ce qui concerne l’examen de la capacité desdits actionnaires à contribuer à résoudre, à tout le moins partiellement, les difficultés du bénéficiaire.

196 Deuxièmement, la Commission se serait bornée à citer les points pertinents des lignes directrices sans motivation complémentaire, par exemple pour ce qui concerne la question de savoir si la mesure en cause poursuivait un objectif d’intérêt commun.

197 Troisièmement, la Commission n’aurait pas non plus apprécié si l’aide était non discriminatoire ni si elle respectait les principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

198 La Commission, soutenue par la République portugaise, conteste ces arguments.

199 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C 279/08 P, EU:C:2011:551, point 125 et jurisprudence citée).

200 Tout d’abord, il convient de relever que, ainsi qu’il résulte des points 47 à 57, 62 à 75, 79 à 86 et 89 à 94 ci-dessus dans le cadre de l’examen du premier moyen, la Commission a motivé à suffisance de droit la conclusion selon laquelle le bénéficiaire était éligible à une aide au sauvetage en application des lignes directrices.

201 Ensuite, il découle, en substance, de l’examen du deuxième moyen que la Commission, dans la décision attaquée, a suffisamment exposé les raisons pour lesquelles elle avait considéré que la mesure en cause poursuivait un objectif d’intérêt commun (voir points 101 à 115 ci-dessus), était appropriée (voir points 120 à 130 ci-dessus) et proportionnée (voir points 137 à 147 ci-dessus) et qu’elle a examiné les effets négatifs de la mesure en cause conformément aux lignes directrices (voir points 150 à 156 ci-dessus). Il s’ensuit que le Tribunal a été en mesure d’exercer son contrôle au sens de la jurisprudence citée au point 199 ci-dessus. Il ne saurait donc être question d’un défaut de motivation à cet égard.

202 Enfin, il y a lieu de constater que la décision attaquée contient les éléments, rappelés notamment aux points 108, 111 et 112 ci-dessus, permettant de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a estimé que la République portugaise pouvait octroyer l’aide en cause uniquement au bénéficiaire. Ces éléments font état du rôle du bénéficiaire dans la connectivité du Portugal et des pays lusophones ainsi que de son importance pour le secteur du tourisme du Portugal. En outre, ainsi qu’il résulte des points 177 à 183 ci-dessus, la Commission n’était pas tenue d’examiner la compatibilité de ladite aide avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

203 Il y a donc lieu d’écarter le cinquième moyen et de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

204 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

205 Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la République portugaise supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Ryanair DAC est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3) La République portugaise supportera ses propres dépens.

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