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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 4 février 2025, n° 24/02722

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

M. Graffin, M. Vetu

Avocats :

Me Apollis, Me Ayral, Me Benhafessa, Me Auche, Me Richaud, Me Senmartin

TJ Narbonne, du 13 mai 2024, n° 23/00015

13 mai 2024

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [G] [D], inscrite au barreau des Pyrénées Orientales depuis 1978, a exercé sa profession d'avocate dans le cadre de la société d'exercice pluriprofessionnelle, d'avocats et notaires, et inter barreaux [A]-[D]-[S]-[B] (ci-après SELAS RFCB), depuis la création de cette dernière en 2018.

Par assemblée générale du 29 décembre 2020, la société RFCB s'est engagée à acquérir les fonds d'exercice libéral de M. [Y] [A] et Mme [G] [D] ayant fait l'objet d'un commodat (un prêt à usage).

Aux termes de cette assemblée, les deux nouvelles associées, Mme [Z] [O] et Mme [C] [P], se sont engagées à fournir leur caution personnelle et solidaire aux établissements bancaires, dans le respect de l'égalité entre associés, en garantie des prêts en cours.

Le 27 octobre 2022, le bâtonnier de l'ordre des avocats, saisi sur requête de Mme [G] [D], a rendu une décision arbitrale autorisant cette dernière à procéder à la vente forcée de sa clientèle au prix de 200'000 euros.

La société RFCB a formé deux recours contre cette décision ; et par deux décisions du 16 mai 2023, la cour d'appel de Montpellier les a jugés irrecevables.

Le 18 juillet 2022, l'assemblée générale de la société RFCB a décidé la cession de l'office notarial de [Localité 13] contre l'avis de Mme [G] [D] et de M. [K] [S].

Le 5 octobre 2022, l'assemblée générale des associés de la société RFCB a voté la vente de l'office notarial de [Localité 14] et la distribution des bénéfices contre l'avis de Mme [G] [D].

Dès le 14 octobre 2022, Mme [C] [P] et M. [R] [B] ont demandé au Garde des sceaux leur retrait de notaires associés de la société RFCB.

Le 16 novembre 2022, M. [R] [B], en sa double qualité de représentant de la société RFCB, et de représentant de la société In'nova en cours de formation, a vendu l'office notarial de [Localité 14].

Le 12 décembre 2022, les associés majoritaires de la société RFCB ont signé les statuts d'une société pluriprofessionnelle d'exercice d'avocat et de notaire dénommée In'nova.

Le 27 janvier 2023, l'assemblée générale a voté la modification des statuts par suppression de la clause de non-concurrence et des délais de prévenance en cas de retrait, la restitution du commodat de M. [Y] [A] ainsi que la dissolution anticipée de la société RFCB désignant comme liquidateurs Mme [Z] [O] et M. [R] [B].

Le 24 février 2023, l'assemblée générale a voté la distribution des bénéfices et, tout en rappelant que la société était dissoute, le recrutement d'un avocat collaborateur.

Le 2 mars 2023, le Garde des [Localité 15] a accepté le retrait de Mme [C] [P] et de M. [R] [B] de la société RFCB, et nommé la société d'exercice pluri professionnelle In'nova, notaire à la résidence de [Localité 14].

Le 10 mars 2023, Mme [C] [P], Mme [Z] [O] et M. [R] [B] ont déménagé les locaux, laissant M. [A] dans les lieux.

Mme [G] [D] a procédé à la saisie-attribution de sa créance.

Par exploit du 21 juillet 2023, la société RFCB a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carcassonne et s'est pourvu contre la décision rendue le 16 mai 2023.

Par jugement en date du 16 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Narbonne a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société RFCB, désigné M. [V] [N] en qualité de liquidateur, fixé la date de cessation des paiements au 16 mai 2023, et rejeté l'intervention volontaire de M. [K] [S].

Le 24 novembre 2023, Mme [G] [D] a formé tierce-opposition contre ledit jugement tenant un moyen propre tiré de l'effet attributif immédiat des saisies-attribution et une fraude à ses droits.

Par jugement en date du 19 février 2024, le tribunal judiciaire de Narbonne a ordonné une réouverture des débats afin que la société RFCB donne toutes explications sur la créance au titre de la cession de l'office notarial, ainsi que sur les actifs mobiliers.

Par jugement contradictoire en date du 13 mai 2024, le tribunal judiciaire de Narbonne (le jugement déféré) a':

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- déclaré recevable la tierce-opposition formée par Mme [G] [D]';

- rétracté le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Narbonne le 16 octobre 2023 en ce qu'il fixe l'état de cessation de paiement à la date du 16 mai 2023';

- dit que l'état de cessation de paiement est constitué au 16 octobre 2023';

- dit que le jugement du 16 octobre 2023 demeure valable pour le surplus';

- désigné le bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 14] aux fins d'exercer les actes de la profession';

- dit que l'autorité de la chose jugée de la tierce opposition est opposable à toutes les parties';

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires';

- dit que les dépens de l'instance seront mis à la charge de la société RFCB';

- et rappelé que la décision est exécutoire par provision.

Par déclaration du 24 mai 2024, Mme [G] [D] a relevé appel limité de ce jugement en ce qu'il a':

- rejeté l'exception d'incompétence';

- dit que l'état de cessation de paiement est constitué au 16 octobre 2023';

- dit que le jugement du 16 octobre 2023 demeure valable pour le surplus';

- et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par conclusions du 5 novembre 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 31, 47, 582, 583, 591 du code de procédure civile et des articles L.'631-1, L.'661-2 et L.'661-1 du code de commerce :

- juger irrecevable la société RFCB en sa demande de renvoi devant la cour d'appel de Nîmes fondée sur l'article 47 du code de procédure civile';

Subsidiairement,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence';

- d'ordonner le renvoi devant la cour d'appel de Toulouse';

Sur le fond,

- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel';

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la date de cessation de paiement est constituée au 16 octobre 2023, dit que le jugement du 16 octobre 2023 demeure valable pour le surplus et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires';

- de la juger recevable en sa tierce opposition tant au regard de son moyen propre que sur la fraude à ses droits';

- de la juger recevable en sa tierce opposition, portant sur tous les chefs contestés du jugement rendu le 16 octobre 2023';

- de débouter la société RFCB de son appel incident subsidiaire tendant à la voir juger irrecevable en son appel';

- de faire droit à sa tierce-opposition';

- de juger que l'état de cessation des paiements n'est pas constitué le 16 octobre 2023';

Subsidiairement,

- de fixer la date où la cour jugerait l'état de cessation de paiement constitué au jour où la cour statuera';

- de laisser la charge des dépens à la société RFCB';

En tout état de cause,

- de juger que la déclaration de cessation de paiement est établie en fraude de ses droits';

- de juger n'y avoir lieu à liquidation';

- de débouter la société RFCB de sa demande d'ouverture de liquidation judiciaire et de toutes ses demandes';

- et de la condamner à lui payer la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 26 septembre 2024, formant appel incident, la SELAS RFCB demande à la cour, au visa des articles 47, 583 du code de procédure civile et R.'600-1 et L.'661-2 du code de commerce':

In limine litis,

- de se déclarer incompétent au profit de la cour d'appel de Nîmes ;

Sur le fond et à titre subsidiaire,

- de dire irrecevable l'intervention volontaire de M. [K] [S]';

- de le débouter, en toute hypothèses, de ses demandes';

- de dire irrecevable Mme [G] [D] en sa tierce opposition';

- de réformer le jugement entrepris et dire que la décision en date du 16 octobre 2023, prononçant la liquidation judiciaire et fixant la cessation de paiement au 16 mai 2023, doit reprendre son plein et entier effet';

À titre infiniment subsidiaire,

- de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions';

En toutes hypothèses,

- et de condamner Mme [G] [D] et M. [K] [S] à lui payer la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 26 septembre 2024, l'ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales demande à la cour de'confirmer le jugement entrepris, et de laisser les dépens à la charge de la partie qui succombe.

Par conclusions du 21 août 2024, M. [V] [N], ès qualités de liquidateur de la SELAS RFCB, demande à la cour de'lui donner acte qu'il s'en remet à la justice sur le bien-fondé de demandes adverses, et de condamner le trésor public aux dépens d'appel, avec distraction.

Par conclusions du 31 août 2024, formant appel incident, M. [K] [S] demande à la cour, au visa des articles L.'621-1 et suivants et R.'600-1 et suivants du code de commerce, de':

In limine litis,

- de déclarer irrecevable la société RFCB en sa demande visant à décliner la compétence de la cour d'appel de Montpellier au profit de celle de Nîmes';

Subsidiairement,

- d'infirmer le jugement entrepris';

- de renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Toulouse';

En toutes hypothèses,

- d'infirmer le jugement attaqué';

- de déclarer son intervention volontaire'recevable et bien fondé ;

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Mme [G] [D] recevable et bien fondée en sa tierce opposition';

- de juger n'y avoir lieu à cessation des paiements'; n'y avoir lieu à liquidation judiciaire'; et que la déclaration de cessation des paiements est frauduleuse';

- de débouter la société RFCB de sa demande d'ouverture de liquidation judiciaire'et de l'intégralité de ses demandes';

- de débouter M. [V] [N], ès qualités, de l'intégralité de ses demandes';

- et de condamner la société RFCB à lui payer la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La chambre des notaires des Pyrénées-Orientales, destinataire de la déclaration d'appel par acte d'huissier en date du 11 juillet 2024, déposé à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.

Par avis du 8 juillet 2024 reçu le 10 juillet 2024, le ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

L'ordonnance de clôture est datée du 10 décembre 2024.

MOTIFS

L'article 47 du code de procédure civile dispose que :

« Lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe.

Le défendeur ou toutes les parties en cause d'appel peut demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions. À peine d'irrecevabilité, la demande est présentée dès que son auteur a connaissance de la cause de renvoi. En cas de renvoi il est procédé comme il est dit à l'article 82. »

Par conclusions formant appel incident, la SELAS RFCB demande à la cour, au visa de cet article, de se déclarer incompétente au profit de la cour d'appel de Nîmes et de lui renvoyer l'affaire.

Mme [D] soulève l'irrecevabilité de cette demande et elle sollicite, subsidiairement, d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence et d'ordonner le renvoi devant la cour d'appel de Toulouse.

L'article 47 code de procédure civile était déjà soulevé en première instance par Mme [D] elle-même, tiers opposante, invoquant une fraude à ses droits, à la liquidation de la SELAS RFCB.

En cause d'appel, Mme [D] fait valoir qu'elle est suspendue et ne peut relever des dispositions de l'article 47 code de procédure civile ; et qu'en déclarant sa cessation des paiements à Narbonne alors que la SELAS RFCB est inscrite au barreau des Pyrénées-Orientales (Perpignan) et de Montpellier, celle-ci ne pouvait ignorer s'exposer à être jugée en appel par la cour de Montpellier.

Mais la SELAS d'avocats et notaires [A]-[D]-[S]-[B] (RFCB) lui répond exactement que si l'exception de la compétence qui était soulevée par Me [D] en première instance n'était pas recevable devant le tribunal judiciaire de Narbonne saisi, juridiction déjà limitrophe du siège social de la SELAS RCFB initialement inscrite à Perpignan, l'exception d'incompétence n'est pas tardivement soulevée devant la cour d'appel de Montpellier saisie désormais du litige, laquelle se trouve être la cour compétente pour l'ensemble des juridictions de son ressort, dont notamment celles de Perpignan, Narbonne et Montpellier.

Les conditions de l'article 47 sont réunies, le siège social de la SELAS RCFB est sis à Perpignan, la SELAS RCFB était inscrite au barreau de Perpignan, mais également à celui de Montpellier, et les avocats associés de la SELAS RCFB étaient ou étant inscrits, soit à Perpignan (maîtres [D], [A], [Z] [O]), soit à Montpellier (maître [S]).

La demande de " délocalisation" de l'affaire est recevable et fondée, étant observé que la cour de céans estime elle-même ne pas présenter toute l'apparence d'impartialité au sens de l'article 6 § 1 de la CEDH à laquelle les auxilliaires de justice du ressort ont droit.

Il convient en conséquence de renvoyer l'examen de l'appel interjeté par Mme [D] de la décision du tribunal judiciaire de Narbonne en date du 13 mai 2024 devant la cour d'appel de Nîmes.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Narbonne en date du 13 mai 2024 n° 23/00015 :

Vu l'appel formé le 24 mai 2024 par Mme [G] [D], appel enregistré sous le n°RG 24/02722 :

Vu les articles 47 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme :

Déclare recevable devant la cour l'exception de procédure soulevée ;

Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes ;

Dit que le dossier de l'affaire sera transmis par le greffe à la juridiction désignée ;

Réserve les dépens.

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