CA Versailles, ch. com. 3-1, 5 février 2025, n° 23/03269
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
R Car Agency (SARL)
Défendeur :
Techni Confort (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Tissot, Me Borrel, Me Perez
EXPOSE DES FAITS
La société R car agency a pour activité l'achat et la vente de véhicules neufs et d'occasion, de location de voiture sans chauffeur et d'import-export automobiles.
Suivant facture du 20 juillet 2018, la société R car agency a vendu à la société Techni confort, un véhicule de marque Mercedes-Benz, immatriculé [Immatriculation 6], au prix de 67.500 euros, partiellement financé par un crédit d'un montant de 51.000 euros, d'une durée de 60 mois, souscrit le 18 juillet 2018 auprès de la Société générale.
Le 1er mars 2020, M. [Z], dirigeant de la société Techni confort, a été interrogé par les services de police dans le cadre d'une enquête relative à un recel de véhicule volé. Le véhicule litigieux a alors été placé en fourrière et récupéré le 14 octobre 2020 par la société Mercedes-Benz financial services, sa véritable propriétaire.
Par acte du 25 novembre 2022, la société Techni confort et M. [Z] ont fait assigner la société R car agency devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 22 mars 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société R car agency et a désigné la SCP BTSG en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 21 avril 2023, le tribunal a condamné la société R car agency à payer à la société Techni confort la somme de 67.500 euros au titre de la restitution du prix payé, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018 et capitalisation de ces intérêts, débouté la société Techni confort de sa demande de paiement de la somme de 53.990 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'acquisition d'un véhicule de remplacement, débouté M. [Z] de sa demande de 20.000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société R car agency à payer à la société Techni confort la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Les premiers juges ont considéré que la société Techni confort avait été illicitement évincée du véhicule qu'elle avait régulièrement acquis, mais qu'elle ne justifiait d'aucun préjudice du fait de l'acquisition d'un véhicule de remplacement alors qu'elle sollicitait déjà le remboursement du premier. Ils ont par ailleurs estimé que M. [Z] ne rapportait pas la preuve de la garde à vue prétendument subie et conséquemment du préjudice moral invoqué.
Par déclaration du 16 mai 2023, la SCP BTSG ès qualités a interjeté appel limité du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Techni confort la somme de 67.500 euros au titre de la restitution du prix avec intérêts capitalisés, outre celle de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens. Seule la société Techni confort a été intimée.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 27 juillet 2023 la SCP BTSG ès qualités demande à la cour de la recevoir en son appel, d'infirmer en tous points de la déclaration d'appel le jugement, statuant à nouveau, de débouter la société Techni confort de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 novembre 2023, la société Techni confort demande à la cour de :
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société R car agency à lui payer la somme de 67.500 euros au titre de la restitution du prix payé, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018 et capitalisation, outre celle de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- mais compte tenu de la décision de liquidation, fixer sa créance à la somme de 67.500 euros au titre de la restitution du prix payé avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018 et capitalisation,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et reconventionnellement, fixer sa créance à la somme de 53.990 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouter la société R car agency de toutes ses demandes ;
- y ajoutant, fixer sa créance à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 novembre 2024.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour relève que M. [Z] n'a pas été intimé par la société R car agency et qu'il n'a pas fait appel de sorte que les chefs du jugement l'ayant débouté de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité de procédure sont définitifs.
La société R car agency soutient, sur le fondement des articles 1625 et suivants du code civil, que l'acquéreur dispose d'un recours en garantie contre le vendeur lorsque l'éviction a une cause antérieure au contrat de vente, alors qu'en l'espèce n'est pas démontrée l'existence d'une circonstance antérieure au contrat de cession à l'origine de l'éviction de la société Techni confort. Elle précise qu'elle n'avait connaissance d'aucune irrégularité concernant le véhicule vendu dès lors qu'elle a pu régulièrement en déclarer l'achat et enregistrer un changement de titulaire auprès du système d'immatriculation des véhicules et que ni la carte grise, ni aucun autre document du véhicule, ne laissaient transparaitre une quelconque irrégularité. Elle ajoute que la plainte qui aurait été déposée par le prétendu propriétaire du véhicule date de 2020, ce qui est postérieur à la cession du véhicule à la société Techni confort.
La société Techni confort réplique que la société R car agency est tenue de lui restituer le prix du véhicule et de l'indemniser à hauteur de ses préjudices dès lors qu'en qualité de vendeur professionnel, elle a manqué à son obligation de vérification de la marchandise et qu'elle doit la garantir de toute éviction qui aurait une cause antérieure à la cession. Elle soutient que la société R car agency n'a pas correctement vérifié l'origine et la propriété du véhicule, le vol de celui-ci étant nécessairement antérieur à la cession en cause, qu'elle doit réparer son préjudice dans la mesure où elle ne lui a pas garanti la jouissance paisible du bien vendu, qu'elle a en outre été contrainte de racheter un nouveau véhicule.
Sur la demande de restitution du prix de vente du véhicule
L'article 1625 du code civil dispose que : « La garantie que le vendeur doit à l'acquéreur a deux objets : le premier est la possession paisible de la chose vendue ; le second, les défauts cachés de cette chose ou les vices rédhibitoires. »
Par ailleurs, l'article 1626 du même code civil précise que : « Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »
Enfin, l'article 1630 dispose que : « Lorsque la garantie a été promise, ou qu'il n'a rien été stipulé à ce sujet, si l'acquéreur est évincé, il a droit de demander contre le vendeur :
1° La restitution du prix ;
2° Celle des fruits, lorsqu'il est obligé de les rendre au propriétaire qui l'évince ;
3° Les frais faits sur la demande en garantie de l'acheteur, et ceux faits par le demandeur originaire ;
4° Enfin les dommages et intérêts, ainsi que les frais et loyaux coûts du contrat ».
En application de ces dispositions, le vendeur doit garantir à l'acquéreur la possession paisible de ses droits et le garantir de tout trouble de droit émanant des tiers.
Comme le rappelle à juste titre la société R car agency, la mise en 'uvre de la garantie d'éviction du fait d'un tiers suppose que l'acquéreur démontre que la cause de l'éviction est antérieure à la vente.
En l'espèce, la société Techni confort produit un certificat de cession du 20 juillet 2018 et une facture émise par la société R car agency à la même date confirmant la vente du véhicule litigieux par la société R car agency à la société Techni confort moyennant le prix de 67.500 euros. Elle justifie avoir contracté un prêt auprès, non pas de la société Mercedes Benz financial services, mais de la Société générale, pour financer l'acquisition du véhicule.
La société Techni confort communique également un ordre de convoyage du véhicule en cause établi par la société Mercedes Benz financial services le 13 octobre 2020, une autorisation de sortie de fourrière dudit véhicule du 14 octobre 2020 et un courriel émanant du commissariat de police de [Localité 7] du 23 juin 2022 dont il ressort que le véhicule, après sa mise en fourrière le 1er mars 2020, a été restitué à la société Mercedes Benz financial services le 14 octobre 2020. Il est ainsi démontré que la société Techni confort a été privée par la société Mercedes Benz financial services de son droit de propriété sur le véhicule que la société R car agency lui avait vendu.
La restitution de la voiture à la société Mercedes Benz financial services induit qu'elle n'appartenait pas à la société R car agency lorsque cette dernière l'a revendue à la société Techni confort et qu'ainsi, la cause de l'éviction subie par cette dernière est antérieure à la vente.
L'enregistrement administratif des cessions intervenues successivement entre M. [S] [J] et la société R car agency le 8 mai 2018, puis entre cette dernière et la société Techni confort le 20 juillet 2018 par le service d'immatriculation des véhicules ne suffit pas à remettre en cause l'antériorité de l'origine de l'éviction. La cour observe que le véhicule a été immatriculé pour la première fois le 18 juillet 2016, soit près de deux ans avant son acquisition par la société R car agency, mais que le numéro de formule du certificat d'immatriculation présenté par M. [S] [J] commence par 2018, ce qui implique que ce dernier n'est pas le premier propriétaire du véhicule et que n'est donc pas justifiée une chaine régulière et licite de revente du véhicule depuis sa mise en circulation.
Dans ces conditions, les premiers juges ont à juste titre considéré que la demande de remboursement du prix de cession de la société Techni confort était fondée. Le jugement sera donc confirmé sur ce point. La somme de 67.500 euros produira intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018, avec capitalisation, ces points n'étant pas discutés par les parties.
Toutefois, pour tenir compte de la procédure de liquidation judiciaire dont la société R car agency fait l'objet, une créance chirographaire de 67.500 euros sera fixée à son passif au bénéfice de la société Techni confort et cette dernière sera déboutée de sa demande au titre des intérêts et de leur capitalisation au-delà du 22 mars 2023 en application de l'article L.622-28 du code de commerce.
Sur la demande de dommages et intérêts
L'article 1630 du code civil dispose que : « Lorsque la garantie a été promise, ou qu'il n'a rien été stipulé à ce sujet, si l'acquéreur est évincé, il a droit de demander contre le vendeur :
1° La restitution du prix ;
2° Celle des fruits, lorsqu'il est obligé de les rendre au propriétaire qui l'évince ;
3° Les frais faits sur la demande en garantie de l'acheteur, et ceux faits par le demandeur originaire ;
4° Enfin les dommages et intérêts, ainsi que les frais et loyaux coûts du contrat ».
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont débouté la société Techni confort de sa demande de dommages et intérêts au titre du coût d'acquisition d'un autre véhicule.
En effet, dès lors qu'il a été fait droit à la demande de restitution du prix de cession du véhicule, la société Techni confort est replacée dans la situation qui était la sienne avant l'éviction et l'indemnisation sollicitée aboutirait à une seconde réparation du même préjudice.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Au regard de la solution du litige et de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la société R car agency, le jugement sera infirmé des chefs des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d'appel, ainsi que deux sommes de 3.000 euros, au titre des frais irrépétibles exposés par la société Techni confort en première instance et en appel, seront fixés au passif de la société R car agency, laquelle, en tant que partie succombante, ne peut prétendre à aucune indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, dans la limite de sa saisine,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Techni confort de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'acquisition d'un autre véhicule,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Fixe les créances chirographaires de la société Techni confort au passif de la société R car agency comme suit :
- 67.500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018 jusqu'au 22 mars 2023, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, au titre du remboursement du prix de cession du véhicule,
- 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
- 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Fixe les dépens de première instance et d'appel au passif de la société R car agency.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.