Livv
Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 10 février 2025, n° 24/01990

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Pro Natura (SAS), Organic Life (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rouquette-Dugaret

Conseillers :

Mme Martin, Mme Reyter Levis

Avocats :

Me Sergent, Me Pericchi, Me Nasica

Cons. prud'h. Avignon, du 28 mai 2024, n…

28 mai 2024

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Mme [V] [Z] a été engagée par la SAS Pro Natura à compter du 1er septembre 2011 suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de directrice commerciale et marketing, coefficient 450, avec un statut cadre.

Le contrat de travail de Mme [V] [Z] a été transféré, à compter du 1er janvier 2017, au sein de la SAS Organic Alliance, au droit de laquelle vient la SAS Organic Life.

Le groupe Organic Alliance est spécialisé dans la distribution de fruits et légumes, fruits secs et produits frais bio, et est composé de la société Pro Natura et la société Organic Life.

Mme [V] [Z] a été convoquée, par lettre du 20 octobre 2021, à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé au 03 novembre 2021, puis licenciée pour faute grave par courrier du 18 novembre 2021.

Contestant son licenciement et formulant divers griefs à l'encontre de l'employeur, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon, par requête reçue le 23 juin 2022, afin de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à lui payer plusieurs sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Par jugement contradictoire du 28 mai 2024, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :

- déclaré le conseil de prud'hommes de céans matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce d'Avignon pour connaître des demandes de Mme [Z] ;

- dit que le dossier sera transmis à la juridiction compétente par le greffe à défaut d'appel dans le délai imparti ;

- réservé les dépens.

Par acte du 11 juin 2024, Mme [V] [Z] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du président de chambre, délégué du premier président, Mme [V] [Z] a été autorisée à assigner les sociétés Pro Natura et Organic Life à l'audience du 18 décembre 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 17 décembre 2024, Mme [V] [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 28 mai 2024 RG n° 22/00165 par le conseil de prud'hommes d'Avignon,

- retenir la compétence matérielle du conseil de prud'hommes d'Avignon,

- déclarer le conseil de prud'hommes d'Avignon compétent pour statuer sur l'ensemble des demandes liées à l'exécution du contrat de travail en ce compris la demande en réparation de Mme [Z] du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail prévues par un pacte d'actionnaires.

- déclarer le conseil de prud'hommes d'Avignon compétent pour statuer sur l'ensemble des demandes liées à la rupture du contrat de travail ayant lié Mme [Z] à la SAS Pro Natura et la SAS Organic Life

- déclarer le conseil de prud'hommes d'Avignon compétent pour statuer sur l'ensemble des demandes que Mme [Z] a formulées aux termes de ses conclusions.

- condamner la SAS Pro Natura et la SAS Organic Life au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Débouter la SAS Pro Natura et la SAS Organic Life leur demande de

condamnation de Mme [Z] au paiement d'un article 700 du code de procédure

civile.

Débouter la SAS Pro Natura et la SAS Organic Life de leur demande de condamnation de Mme [Z] au dépens.

Débouter la SAS Pro Natura et la SAS Organic Life de toutes plus amples demandes, fins et conclusions.

- condamner la SAS Pro Natura et la SAS Organic Life au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la SAS SAS Pro Natura et la SAS Organic Life aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- les sociétés Pro Natura et Organic Life n'ont jamais contesté l'existence d'un contrat de travail,

- selon la jurisprudence de la Cour de cassation la demande par un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail prévues par un pacte d'actionnaires, constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail, relevant de la compétence juridictionnelle du conseil de prud'hommes.

En l'état de leurs dernières écritures en date du 12 décembre 2024 les SAS Pro Natura et Organic Life demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 28 mai 2024 par le conseil de prud'hommes d'Avignon en ce qu'il a jugé que la demande de Mme [V] [Z] relative aux actions de la société Organic Together ne relève pas de la compétence de la juridiction prud'homale ;

et, statuant de nouveau :

- juger que la demande relative aux actions de la société Organic Together ne relève pas de la compétence de la juridiction prud'homale ;

- juger que Mme [V] [Z] a d'ores et déjà saisi d'une demande parfaitement identique le tribunal de commerce d'Avignon ;

- renvoyer Mme [V] [Z] à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce d'Avignon ;

reconventionnellement :

- condamner Mme [V] [Z] au paiement de la somme de 3.000 euros, respectivement aux sociétés Organic Life et Pro Natura au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens.

Elles exposent que :

- les actions par lesquelles le salarié exerce uniquement ses prérogatives d'actionnaire ou d'associé au même titre que les autres détenteurs d'actions ou de parts sont de la compétence de la juridiction commerciale : le litige oppose alors un associé à la société, indépendamment de sa qualité de salarié,

- le seul fait de se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail ne permet donc pas au salarié de porter ses demandes d'indemnisation des actions détenues dans une autre société devant la

juridiction prud'homale, il s'agit d'un contentieux de nature commerciale, tiré des conséquences de l'obligation de vente des actions en cas d'événement déclencheur dans la mesure où ce contentieux trouve sa source dans les clauses des contrats de promesse de cessions des actions et non dans le contrat de travail, les litiges nés à l'occasion d'une cession de titres d'une société commerciale relèvent de la compétence du tribunal de commerce,

- les actions en question n'étaient pas des actions de la société Organic Life, son employeur, mais d'une autre société qui s'appelait Organic Together et que Mme [V] [Z] détenait en sa qualité d'associée de cette dernière.

- ni la société Organic Life, ni son ancien président, M. [R] [Y], n'étaient parties prenantes aux opérations inhérentes aux actions Organic Together détenues par Mme [Z], ni aux promesses de ventes concluent dans ce cadre par cette dernière.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS

Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail :

«Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à

l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti ».

En l'espèce les demandes de Mme [Z] tendaient à contester son licenciement alors qu'aucune des parties n'a contesté l'existence d'un contrat de travail en sorte que le conseil de prud'hommes ne pouvait se déclarer incompétent pour connaître des demandes suivantes :

« (...)

Enjoindre la Sté PRO NATURA d'avoir à communiquer son registre d'entrée et de sortie du personnel,

Enjoindre la Sté ORGANIC LIFE d'avoir à communiquer son registre d'entrée et de sortie du personnel,

Prononcer illégale la modification unilatérale du contrat de travail de Mme [Z].

Prononcer déloyale l'exécution du contrat de travail de Mme [Z].

Prononcer illégale l'exécution du contrat de travail de Mme [Z].

Condamner in solidum la Société PRONATURA et la Société ORGANIC LIFE au paiement de

34.686 € de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale et illégale du contrat de travail.

(...)

Prononcer sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave notifié à Mme [Z] le 18.11.2021

Par conséquent,

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 46 339.65 € bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 4 634 € bruts au titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 45 636.20 € au titre de l'indemnité de licenciement.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 162 398. 77 €au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

(...)

Prononcer le débouter des sociétés PRONATURA et ORGANIC LIFE de toutes plus amples demandes, fins et conclusions.

Ordonner le remboursement in solidum par la Sté PRO NATURA et la Sté ORGANIC LIFE aux

organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme [Z] en application des dispositions de l'article L1235-4 du Code du Travail.

Dire que conformément aux dispositions des articles L1235-4 du Code du Travail et R 1235-2

du Code du Travail, une copie du présent jugement sera adressée par le greffe au Pôle Emploi

du lieu ou demeure le salarié.

Ordonner l'exécution provisoire de droit de la décision à intervenir en application de l'article R1454-28 du code du travail;

Dire et juger que pour l'application de l'article R 1454-28 du code du travail, la moyenne des

trois derniers mois de salaire est de 11562.11 € Bruts

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir en application des dispositions de

l'article 515 du Nouveau Code de Procédure Civile, compte tenu des circonstances de fait, des

délais de procédure, et pour le cas où la Sté PRO NATURA et/ou la Sté ORGANIC LIFE viendrait à interjeter appel de la décision à intervenir;

Dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier et le montant des sommes de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 no 96/1080 (tarif des huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du C.P.C.

Condamner in solidum la Sté PRO NATURA et la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la

somme de 6000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. »

En réplique, les sociétés Pro Natura et Organic Life sollicitaient de la juridiction prud'homale :

« In limine litis :

JUGER que la demande relative aux actions de la Société ORGANIC TOGETHER ne

relève pas de la compétence du Conseil de Prud'hommes ;

' JUGER que Madame [V] [Z] a d'ores et déjà saisi d'une demande parfaitement identique le Tribunal de commerce d'Avignon ;

RENVOYER Madame [V] [Z] à mieux se pourvoir devant le Tribunal de Commerce de Paris.

A titre principal :

JUGER que la demande relative à la perte de chance est irrecevable faute de tout intérêt à agir au jour de l'introduction de l'instance et, en tout état de cause, que Madame [V] [Z] ne démontre pas l'existence de quelque perte de chance que ce soit ;

JUGER que Madame [V] [Z] a d'ores et déjà saisi d'une demande parfaitement identique le Tribunal de commerce d'Avignon ;

JUGER que le contrat de travail de Madame [V] [Z] n'a pas été modifié

sans son accord;

JUGER les Sociétés PRO NATURA et ORGANIC LIFE n'ont pas failli à l'une quelconque de

leurs obligations;

JUGER que la demande de Madame [V] [Z] visant à obtenir la condamnation in solidum de la Société PRO NATURA et de la Société ORGANIC LIFE à des dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale et illégale du contrat de travail est tout à la fois prescrite et donc irrecevable, mais également et en tout état de cause infondée et injustifiée ;

METTRE HORS DE CAUSE la Société PRO NATURA ;

JUGER que le licenciement de Madame [V] [Z] est parfaitement justifié et bien- fondé et qu'il repose sur une faute grave.

JUGER que le licenciement de Madame [V] [Z] n'est pas intervenu dans des conditions ;

En conséquence :

DÉBOUTER Madame [V] [Z] de sa demande de requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DÉBOUTER Madame [V] [Z] de l'intégralité de ses demandes.

Reconventionnellement :

CONDAMNER Madame [V] [Z] au paiement de la somme de 3.000 €, respectivement aux Sociétés ORGANIC LIFE et PRO NATURA au titre de l'article »

L'exception d'incompétence soulevée par les deux sociétés ne concernait que les prétentions de Mme [Z] figurant ainsi au dispositif de ses écritures :

« Prononcer le débouter des sociétés PRONATURA et ORGANIC LIFE quant à leur demande d'incompétence matérielle da la juridiction prud'homale;

(...)

Prononcer la compétence matérielle de la juridiction prud'homale pour statuer sur la demande

en réparation de Mme [Z] du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail prévues par un pacte d'actionnaires ;

(...)

Prononcer recevable la demande en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des

conditions de la rupture du contrat de travail prévues par un pacte d'actionnaires.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 684 371.71 € au titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de valoriser les actions détenues.»

Il n'y a qu'en ce qui concerne la demande concernant la réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail prévues par un pacte d'actionnaires que la compétence du conseil de prud'hommes était contestée.

A l'appui de son appel, Mme [Z] fait état de plusieurs jurisprudences :

- Cass. soc. 19-1-1999 n° 96-44.688 PB : dans cette décision la Cour de cassation a jugé que :

Sur le premier moyen du pourvoi n° 96-44.688, dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 mars 1996 :

Attendu que la société Sicasov fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 6 mars 1996) d'avoir déclaré fondé M. [J] en son contredit à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 6 juin 1995 qui s'était déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris, alors, selon le moyen, que le litige consécutif à la rupture d'un contrat collectif de prévoyance souscrit par une entreprise au profit de ses salariés, et ayant pour objet la réparation réclamée par un salarié dont le contrat de travail avait été rompu avant qu'il ait été mis fin au contrat d'assurance de groupe dont il bénéficiait, sur le fondement de la faute que son ancien employeur aurait commise en ne souscrivant pas en sa faveur un autre contrat d'assurance lui assurant le maintien des garanties antérieures, ne relève pas de la compétence de la juridiction prud'homale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 511-1 du Code du travail ;

Mais attendu que, selon l'article L. 511-1 du Code du travail, les conseils de prud'hommes sont compétents pour régler les différends qui peuvent s'élever entre les employeurs et leurs salariés à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du Code du travail ; qu'il en résulte que toute action fondée sur la violation, invoquée par un salarié ou un ancien salarié, d'une obligation pesant sur l'employeur, doit être portée devant la juridiction prud'homale ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a relevé que le différend qui opposait le salarié à son ancien employeur aux droits et obligations duquel il n'était pas contesté que se trouvait la société Sicasov, était né de l'exécution du contrat d'assurance souscrit par ce dernier au profit de l'ensemble de son personnel, lequel constituait un avantage social complémentaire et accessoire au contrat de travail, a exactement retenu la compétence de la juridiction prud'homale ; que le moyen n'est pas fondé ;

Cette espèce concernait un contrat d'assurance souscrit par l'employeur au profit de ses salariés constituant un accessoire du contrat de travail. Or Mme [Z] n'offre pas de démontrer que la cession d'actions d'une société tierce à la relation des parties, la société Organic Together, présentait un lien avec son contrat de travail

La deuxième décision citée par l'appelante, Cass. soc. 7-6-2023 n° 21-24.514 , enseigne que

'Vu l'article L. 1411-1 du code du travail :

7. Selon ce texte, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.

8. Il en résulte que la demande en paiement de dommages-intérêts d'un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail.

9. La Cour de cassation juge que la juridiction prud'homale est compétente pour connaître d'une action en réparation du préjudice subi par un salarié en exécution d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de licenciement d'un salarié la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé annuellement par la majorité des actionnaires qui constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail (Soc., 9 juillet 2008, pourvoi n° 06-45.800, Bull. 2008, V, n° 150).

10. Si la juridiction prud'homale demeure incompétente pour statuer sur la validité d'un pacte d'actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d'exception, d'une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de licenciement d'un salarié la cession immédiate de ses actions.

11. Pour rejeter ses demandes aux fins de juger abusive et irrégulière la cession d'actions Dream Management intervenue le 31 juillet 2015 et d'obtenir le paiement d'une somme au titre du préjudice en résultant, l'arrêt relève que la clause de rachat forcé d'actions n'est pas un accessoire du contrat de travail mais est insérée dans un pacte d'actionnaires distinct portant sur des actions de la société Dream Management, dont l'examen de la validité relève exclusivement de la juridiction commerciale.

12. En statuant ainsi, alors que la demande par un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail, constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.».

Toutefois dans ses conclusions devant la présente cour, Mme [Z] n'explique pas en quoi cette jurisprudence s'appliquerait à son cas particulier.

C'est dans ses écritures de première instance que la cour trouvera les raisons de la demande formulée par Mme [Z] exposées ainsi :

«En 2017, la Sté ORGANIC LIFE a demandé à l'ensemble des membres du comité de direction qui détenaient des actions de la Sté ORGANIC ALLIANCE, dont Mme [Z], de réinvestir

massivement ces dernières. Pièce(s) n° 6.1

L'objectif d'une telle demande était de donner un signal positif au nouveau fonds d'investissement et permettre que l'opération puisse aboutir.

C'est dans ces conditions que Mme [Z] a réinvesti 684 371.71 € d'actions. Pièce(s) n° 6.1

La rupture de son contrat de travail a donc des répercussions financières extrêmement préjudiciables pour Mme [Z] puisqu'elle la prive de la valeur de ces actions.

En effet, le licenciement de Mme [Z] a entraîné la rupture de son contrat de travail, rupture constituant une condition de mise en oeuvre de la promesse de vente du 14.12.2017. Pièce n° 6.2.

Après avoir soutenu, en vain, l'incompétence matérielle de la juridiction prud'homale, la société ORGANIC LIFE soutient l'irrecevabilité de la demande de Mme [Z] au motif que cette dernière n'établirait pas un intérêt à agir faute, semble-t-il, selon la société ORGANIC LIFE, de préjudice.

On peine à comprendre l'argument de la société ORGANIC LIFE si ce n'est d'en déduire qu'elle conforte la cause inavouable du licenciement.

En effet, Mme [Z] a investi pas moins de 684 371.71 € d'actions, soit 60 mois de salaires

bruts. Fort singulièrement, ou fort opportunément, à la date du soudain licenciement pour faute grave de Mme [Z], la valeur des actions détenues par cette dernière est nulle.

Tant est si bien que le rachat des actions de Mme [Z] par l'effet de la mise en 'uvre de la promesse unilatérale des suites du licenciement se fait à coût zéro.

Entre décembre 2017 et novembre 2021 (c'est à dire en quatre années), Mme [Z] a ainsi

perdu 684371.71 € c'est à dire cinq ans de salaires bruts (elle a donc perdu plus que ce qu'elle a perçu en salaire sur ces 4 années).

Si la perte de 684371.71 euros par l'effet d'un licenciement tout aussi infondé qu'abusif ne constitue pas un intérêt à agir et à formuler une demande de réparation du préjudice qui est celui de Mme [Z], nous peinons à appréhender ce qui pourrait bien constituer un intérêt à agir.

Quant au montant constituant la réparation du préjudice de Mme [Z], eu égard aux agissements déloyaux de la société ORGANIC LIFE qui à instrumentaliser un licenciement infondé à une date lui permettant de récupérer à coût zéro les actions de Mme [Z] (notamment mais pas uniquement puisque d'autres salariés ont fait les frais des mêmes procédés déloyaux), il est légitime de rétablir entièrement Mme [Z] dans les droits qui étaient les siens.

Mais encore, il est évident que Mme [Z] n'aurait jamais rompu son contrat de travail

à une date à laquelle les actions dont elle était titulaire auraient eu une valeur inférieure à celle qui était la leur en 2017.

Mais enfin, comme indiqué supra, il est patent qu'ayant investi 684373.71 euros, Mme [Z] avait un intérêt maximal à 'uvrer dans l'intérêt de la société et, ce faisant, conserver le bénéfice de ses fonctions.

La société ORGANIC LIFE a donc engagé sa responsabilité et doit être condamnée à indemniser le préjudice économique de Mme [Z] au titre de la perte de chance :

Par conséquent, il conviendra de prononcer recevable la demande en réparation en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail prévues par un pacte d'actionnaires.

Il conviendra de condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 684 371.71 € au titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de valoriser les actions détenues.»

Les sociétés intimés avaient essentiellement soulevé l'exception d'incompétence ratione materiae en développant que :

« II semble opportun de noter que Madame [V] [Z] a décidé de sa propre initiative, sur ses propres deniers personnels, de participer à une opération capitalistique de LBO dans le cadre de la création de la Société ORGANIC TOGETHER dont elle est associée au même titre que d'autres personnes physiques.

Cette Société ORGANIC TOGETHER est alors actionnaire de la Société ORGANIC LIFE.

La Société ORGANIC LIFE est alors la Société holding du Groupe ORGANIC ALLIANCE, elle-même détenue notamment par :

' La Société ORGANIC ALLIANCE INTERNATIONAL, regroupant le consortium d'investisseurs financiers suivants :

' Le FPCI Cerea Capital II représenté par sa Société de gestion Céréa Partners

' Le groupe Unigrains en direct et via le fonds IAA Croissance qu'il gère ;

' MACSF (Mutuelle d'Assurance des Professionnels de la Santé) ;

' D'autres investisseurs financiers minoritaires ;

' Et la Société ORGANIC TOGETHER.

La Société ORGANIC ALLIANCE INTERNATIONAL est l'actionnaire majoritaire de la Société ORGANIC LIFE SAS.

(...)

Dans le cadre de cette opération, différents accords ont été passés entre les parties intéressées

(dont au demeurant ne fait pas partie ORGANIC LIFE) afin, comme il est d'usage, de prévoir les conditions de départ, de l'un, notamment, des dirigeants pendant la vie de l'opération.

Des promesses ont ainsi été conclues afin d'envisager les modalités précises et contractuelles de rachat des actions dans différentes hypothèses.

L'objectif étant alors de s'accorder contractuellement sur le sort des actions détenues en considération de certains évènements.

Pièce n16 : Promesse de vente de Madame [Z]

Au-delà de cette promesse, il n'existe aucune stipulation contractuelle de quelque nature liant de près ou de loin la Société ORGANIC LIFE, employeur, avec Madame [V] [Z].

Les actions dont bénéficient Madame [V] [Z] ne constituent ni un élément de salaire ni un accessoire de son contrat de travail.

Madame [V] [Z] opère une confusion entre une qualité d'actionnaire d'une Société,

en l'occurrence, la Société ORGANIC TOGETHER (qui n'est pas l'employeur de Madame [V] [Z]), et sa qualité de salarié de la seule Société ORGANIC LIFE.

Le litige qui porte sur les actions de Madame [V] [Z] et sur leur valorisation, relève des seules conventions qu'elle a dument signées et dans lesquelles elle s'est clairement engagée et qui de facto l'oblige.

Dans le cadre de cette promesse, les bénéficiaires, dont ne font pas partie Monsieur [R] [Y] ou encore la Société ORGANIC LIFE, ont dument informé Madame [V] [Z] de leur décision d'exercer ladite promesse de vente dans les délais impartis.»

Il est exact que Mme [Z] n'évoquait pas en l'espèce dans ses premières conclusions la mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de licenciement d'un salarié la cession immédiate de ses actions.

En effet, Mme [Z] soutenait que La rupture de son contrat de travail a donc des répercussions financières extrêmement préjudiciables pour Mme [Z] puisqu'elle la prive de la valeur de ces actions et sans avancer la moindre explication sur le lien pouvant exister entre la rupture de son contrat de travail et le préjudice qu'elle invoque.

La cour a demandé aux parties, antérieurement à l'audience, de lui faire parvenir le contrat d'apport conclu entre Mme [Z] et d'autres associés avec la SAS Organic Life du 14 décembre 2017 et la promesse unilatérale de vente d'actions souscrite le 13 décembre 2017 par Mme [Z] au profit de ses co-associés au sein de la SAS Organic Life désignés Bénéficiaires de Premier Rang et la SAS Organic Alliance International, désignée Bénéficiaire de Second Rang. Par cette promesse Mme [Z] s'engageait à céder ses 684.371 actions de la SAS Organic Together en cas de survenance d'une 'événement déclencheur' parmi lesquels la cessation des fonctions, pour quelque motif que ce soit, de salarié.

Dès lors que c'est en qualité de salariée du groupe Organic que Mme [Z] a souscrit cette promesse et que c'est par l'effet de son licenciement que ses actions sont obligatoirement cédées, étant observé que ladite promesse distingue les différentes variétés d' 'événement déclencheur' ( licenciement, démission, départ à la retraite, prise d'acte...), il en résulte que l'évaluation du préjudice qui résulterait d'une perte de valeur de ces actions à l'occasion d'un licenciement ressort de la compétence de la juridiction prud'homale.

Par contre, il résulte de l'assignation délivrée le 24 novembre 2022 par Mmes [Z] et [M] à l'encontre de MM. [U] [N], [B] [K], [E] [G], Mme [F] [A], la SAS Organic Together et la SAS Organic Life devant le tribunal de commerce d'Avignon que les demandes formulées devant cette juridiction sont les suivantes :

juger

- que le tribunal judiciaire d'Avignon est compétent, matériellement et géographiquement.

- qu'à défaut de consentement de leur part, la cession des actions de Mesdames [Z] et [M] (dans le capital de la société Organic Together) est nulle tant en vertu de la loi, que des statuts de la société et du pacte d'associés.

- que i'option d'achat dont se prévaudrait les défendeurs est soumise à une condition dite potestative et, partant, entachée de nullité.

- que la tentative d'exercice de leur option d'achat par les défendeurs est constitutive d'un exercice déloyal et abusif d'un droit qui ne peut, dès lors, produire effet.

- que Mesdames [Z] et [M] sont victimes de réticence dolosive.

- que la clause de bad leaver qu'elles ont signée a été mise en oeuvre en fraude de leurs droits, de manière complètement déloyale.

- qu'en étant exclues du groupe Organic, elles ont perdu une chance de pouvoir obtenir une meilleure valorisation de leurs titres.

- que Mesdames [Z] et [M] ont été trompées lorsqu''il a été fait pression sur elles pour qu'elles réinvestissent la moitié de leur profit.

en conséquence de ce qui précède,

A titre principal:

que doivent être remboursées à Mesdames [Z] et [M], au titre de la perte de chance, les sommes auxquelles elles auraient dû avoir droit, à savoir:

- 1287 483 euros pour Mme [Z]

- 1033 040 euros pour Mme [M]

A titre subsidiaire:

que doit être remboursé à Mesdames [Z] et [M] a minima l'intégralité de leur

réinvestissement, à savoir :

- 684 371 euros pour madame [Z]

- 548 531 euros pour madame [M]

A défaut d'octroyer toutes lesdites sommes:

juger

que Mesdames [Z] et [M] sont toujours propriétaires des actions querellées.

juger

que Mesdames [Z] et [M], en étant expropriées du groupe Organic, ont perdu une

chance d'obtenir une meilleure valorisation de leurs titres.

contraindre

les sociétés Organic Life et Organic Together à communiquer le registre du mouvement des titres.

contraindre

les sociétés Organic Life et Organic Together à séquestrer les titres de Mesdames [Z] et [M], afin de protéger lesdits titres de toutes man'uvres frauduleuses.

interdire

aux sociétés Organic Life et Organic Together de céder à nouveau les actions de Mesdames [Z] et [M] pour le cas où le tribunal considèrerait que la cession n'est pas nulle

juger

en conséquence de ce qui précède,

à titre principal :

que doivent être remboursées à Mesdames [Z] et [M], au titre de la perte de chance, les sommes auxquelles elles auraient dû avoir droit, à savoir:

- 1 287 483 euros pour Madame [Z]

- 1 033 040 euros pour Madame [M]

à titre subsidiaire :

que doit être remboursé à Mesdames [Z] et [M] a minima l'intégralité de leur réinvestissement, à savoir :

- 684 371 euros pour Madame [Z]

- 548 531 euros pour Madame [M]

à défaut d'octroyer toutes lesdites sommes :

juger

que Mesdames [Z] et [M] sont toujours propriétaires des actions querellées.

que Mesdames [Z] et [M] en étant expropriées du groupe Organic, ont perdu une chance d'obtenir une meilleure valorisation de leurs titres.

contraindre

les sociétés Organic Life et Organic Together a communiquer le registre du mouvement des titres.

contraindre

les sociétés Organic Life et Organic Together à séquestrer les titres de Mesdames [Z] et [M] a'n de proteger lesdits titres de toutes maneuvres frauduleuses.

interdire

aux sociétés Organic Life et Organic Together de céder à nouveau les actions de Mesdames [Z] et [M] pour le cas où le tribunal considérerait que la cession n'est pas nulle.

en tout état de cause,

condamner in solidum les sociétés Organic Life et Organic Together au paiement d'une somme de 1 300 000 euros en réparation du préjudice matériel subi par madame [Z].

condamner

les sociétés Organic Life et Organic Together au paiement d'une somme de 1 050 000 euros en

réparation du préjudice matériel subi par madame [M].

condamner in solidum

les sociétés Organic Life et Organic Together à payer à Mesdames [Z] et [M], en

application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 50.000 € (25.000 € à chacune).

ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

condamner les défendeurs aux entiers dépens.

Il s'agit donc des mêmes demandes que celles présentées devant la juridiction prud'homale laquelle ne présente qu'une compétence accessoire et résiduelle pour en connaître.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande concernant la cession de parts sociales.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

Infirme le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes suivantes :

Enjoindre la Sté PRO NATURA d'avoir à communiquer son registre d'entrée et de sortie du personnel,

Enjoindre la Sté ORGANIC LIFE d'avoir à communiquer son registre d'entrée et de sortie du personnel,

Prononcer illégale la modification unilatérale du contrat de travail de Mme [Z].

Prononcer déloyale l'exécution du contrat de travail de Mme [Z].

Prononcer illégale l'exécution du contrat de travail de Mme [Z].

Condamner in solidum la Société PRONATURA et la Société ORGANIC LIFE au paiement de

34.686 € de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale et illégale du contrat de travail.

(...)

Prononcer sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave notifié à Mme [Z] le 18.11.2021

Par conséquent,

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 46 339.65 € bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 4 634 € bruts au titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 45 636.20 € au titre de l'indemnité de licenciement.

Condamner la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 162 398. 77 €au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

(...)

Prononcer le débouter des sociétés PRONATURA et ORGANIC LIFE de toutes plus amples demandes, fins et conclusions.

Ordonner le remboursement in solidum par la Sté PRO NATURA et la Sté ORGANIC LIFE aux

organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme [Z] en application des dispositions de l'article L1235-4 du Code du Travail.

Dire que conformément aux dispositions des articles L1235-4 du Code du Travail et R 1235-2

du Code du Travail, une copie du présent jugement sera adressée par le greffe au Pôle Emploi

du lieu ou demeure le salarié.

Ordonner l'exécution provisoire de droit de la décision à intervenir en application de l'article R1454-28 du code du travail;

Dire et juger que pour l'application de l'article R 1454-28 du code du travail, la moyenne des

trois derniers mois de salaire est de 11562.11 € Bruts

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir en application des dispositions de

l'article 515 du Nouveau Code de Procédure Civile, compte tenu des circonstances de fait, des

délais de procédure, et pour le cas où la Sté PRO NATURA et/ou la Sté ORGANIC LIFE viendrait à interjeter appel de la décision à intervenir;

Dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier et le montant des sommes de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 no 96/1080 (tarif des huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du C.P.C.

Condamner in solidum la Sté PRO NATURA et la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la

somme de 6000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau, dit le conseil de prud'hommes d'Avignon compétent pour connaître de ces demandes et renvoie les parties devant le conseil de prud'hommes d'Avignon pour qu'il soit statué sur ces demandes,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Avignon en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce d'Avignon pour connaître de la demande suivante :

Condamner in solidum la Sté PRO NATURA et la Sté ORGANIC LIFE au paiement de la somme de 684 371.71 € au titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de valoriser les actions détenues.

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site