CA Pau, 2e ch. sect. 1, 10 février 2025, n° 24/02261
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse regionale de credit agricole mutuel pyrenees gascogne (Sté)
Défendeur :
Ekip' (SELARL), Equip-Eco (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseillers :
M. Darracq, Mme Baylaucq
Avocats :
Me Chevallier, Me Marbot
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 1er juillet 2021 (édité le 25 juin), la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne (ci-après la banque) a consenti à la société Equip-Eco (sarl) un prêt de trésorerie de 110.000 euros garanti par l'Etat dans le cadre du dispositif mis en place lors de la crise sanitaire du Covid-19.
Par jugement du 18 janvier 2022, le tribunal de commerce de Pau a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Equip-Eco et désigné la selarl Ekip' ès qualités en qualité de mandataire judiciaire.
La banque a déclaré une créance d'un montant de 110.275 euros à échoir, au titre du prêt garanti par l'Etat précité.
La société Equip-Eco a contesté la validité du prêt octroyé, selon elle, en violation des dispositions légales et réglementaires régissant les prêts garantis par l'Etat (PGE).
Par ordonnance du 29 juin 2023, notifiée le 9 octobre suivant, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse en ce qu'elle implique un différend à trancher quant à l'affectation et la validité du PGE, invité la banque à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, à peine de forclusion, et sursis à statuer.
Suivant exploit du 25 octobre 2023, la banque a fait assigner la société Equip-Eco et la selarl Ekip' ès qualités par devant le tribunal de commerce de Pau.
Par jugement contradictoire du 16 juillet 2024, le tribunal a :
- débouté la banque de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la banque à payer à la société Equip-Eco la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 31 juillet 2024, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne a relevé de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 novembre 2024.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2024 par la banque qui a demandé à la cour de réformer le jugement entrepris, et de :
- débouter la société Equip-Eco de sa demande de nullité du PGE de 110.000 euros et le rejet de la créance déclarée
- statuant à nouveau, constater qu'elle est créancière de la société Equip-Eco et fixer la créance au titre du PGE de 110.000 euros à la somme de 110.275 euros à titre chirographaire à échoir.
- à titre subsidiaire, en cas d'annulation du PGE, constater qu'elle est créancière de la société Equip-Eco et fixer la créance au titre du PGE de 110.000 euros à la somme de 110.275 euros à titre chirographaire à échoir
- en toute hypothèse, débouter la société Equip-Eco de ses demandes.
* Vu les dernières conclusions notifiées le 24 octobre 2024 par la société Equip-Eco et la selarl Ekip' ès qualités qui ont demandé à la cour de :
- débouter la banque de sa demande tendant à voir fixer sa créance au titre du PGE à la somme de 110.275 euros
- condamner la banque à payer à la société Equip-Eco la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
* L'appelante fait grief au jugement entrepris de l'avoir déboutée de sa demande au motif que le prêt de litigieux était nul, en application de l'article 1178 du code civil, car il ne respectait pas le critère d'additionnalité requis par la loi n°2020-289 du 23 mars 2020 accordant la garantie de l'Etat à certains prêts alors qu'il ressort des pièces versées aux débats que, après déblocage des fonds, le total des concours de la banque a augmenté de 98.685,35 euros entre les dates de référence et que le prêt octroyé couvrait l'intégralité des besoins de trésorerie de la société Equip-Eco qui n'a plus utilisé l'ouverture de crédit de 30.000 euros. L'appelante ajoute que, en cas d'annulation du prêt, elle détient une créance de restitution du capital emprunté qui doit être admise au passif dans les termes de sa déclaration de créance.
Les intimées font valoir que le jugement a exactement retenu que le prêt octroyé par la banque ne remplissait pas le critère d'additionnalité exigé pour la garantie de l'Etat dès lors que les concours de la banque, entre les deux dates de référence, ont augmenté de 98.685,35 euros alors qu'ils auraient dû augmenter de 110.000 euros, la différence résultant du remboursement imposé, au moyen du prêt octroyé, de l'encours débiteur de 11.314,65 euros au titre de l'ouverture de crédit en compte courant de 30.000 euros dont la suppression a également été imposée par la banque qui a ainsi ilicitement fait garantir par l'Etat une dette antérieure à l'octroi du prêt. Les intimées en déduisent que le prêt doit être annulé et que la demande de restitution du capital emprunté doit être rejetée, d'abord, comme se heurtant à la prohibition des demandes nouvelles en appel, et, subsidiairement en ce que l'annulation du contrat résulte de la propre turpitude de la banque. A défaut, la créance de la banque doit être minorée à concurrence du préjudice subi par la société Equip-Eco du fait de la faute contractuelle de la banque lors de l'octroi du prêt l'ayant privée d'une partie de ses ressources financières.
MOTIFS
observations liminaires
Les parties ont conclu non seulement sur l'exception de nullité du contrat de prêt litigieux mais également sur son annulation, les intimées considérant que le tribunal de commerce avait, à bon droit, estimé que le contrat de prêt était nul et devait être annulé, et l'appelante demandant le rejet de la demande d'annulation du contrat.
Cependant, si les motifs du jugement retiennent que le contrat de prêt doit être annulé, le dispositif n'a pas prononcé l'annulation du contrat et, à hauteur d'appel, le dispositif des conclusions des intimées n'a pas repris leur demande d'annulation énoncée dans les motifs.
Toutefois, les parties ont conclu sur cette demande ainsi que sur les effets de l'anéantissement du contrat annulé entraînant les restitutions réciproques.
Par ailleurs, il résulte des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce que les pouvoirs du juge compétent saisi par une partie sur invitation du juge-commissaire pour trancher la contestation d'une créance se limitent à trancher cette contestation et à renvoyer au juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance.
En l'état des conclusions des parties, et de l'instance pendante devant le juge-commissaire saisi de la déclaration de créance contestée par les intimées, la cour doit nécessairement statuer sur l'annulation du contrat de prêt.
sur l'annulation du contrat de prêt
L'article 6 III de la loi n°2020-289 du 23 mars 2020, dans sa version applicable au présent litige, dispose que les prêts couverts par la garantie prévue au I doivent répondre à un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de l'économie. Ils comportent un différé d'amortissement minimal de douze mois et une clause donnant à l'emprunteur la faculté, à l'issue de la première année, de les amortir sur une période additionnelle calculée en nombre d'années, selon son choix et dans la limite d'un nombre maximal d'années précisé par l'arrêté susmentionné. Les concours totaux apportés par l'établissement prêteur ou par un même intermédiaire en financement participatif à l'entreprise concernée ne doivent pas avoir diminué, lors de l'octroi de la garantie, par rapport au niveau qui était le leur le 16 mars 2020, dans le cas où cet octroi intervient avant le 1er janvier 2021, ou par rapport au niveau qui était le leur le 31 décembre 2020, dans le cas où cet octroi intervient à compter du 1er janvier 2021 inclus.
L'article 2 de l'arrêté d'application du 23 mars 2020 dispose que l'établissement prêteur, ou l'intermédiaire en financement participatif pour le compte des prêteurs, doit en outre démontrer, en cas de demande de mise en jeu de la garantie visée à l'article 1er, qu'après l'octroi du prêt couvert par cette garantie, le niveau des concours tirés qu'il détenait vis-à-vis de l'emprunteur était supérieur au niveau des concours tirés qu'il apportait à ce dernier à la date du 16 mars 2020, dans le cas où cet octroi intervient avant le 1er janvier 2021, ou au niveau qui était le leur le 31 décembre 2020 dans le cas où cet octroi intervient à compter du 1er janvier 2021 inclus, corrigé des réductions intervenues entre la date d'octroi et respectivement le 16 mars 2020 ou le 31 décembre 2020, et résultant de l'échéancier contractuel antérieur à la date respectivement du 16 mars 2020 ou du 31 décembre 2020, ou d'une décision de l'emprunteur.
Il résulte des dispositions qui précèdent que l'absence de diminution des concours du prêteur, entre les dates de référence, constitue, à tout le moins, une condition de l'octroi et du maintien de la garantie de l'Etat.
Les intimées voient également dans ce critère d'additionnalité des concours une condition de la validité du prêt garanti par l'Etat, ce que ne conteste pas la banque.
En la cause, il ressort des mails versés aux débats que la banque a subordonné l'octroi du prêt de trésorerie garanti par l'Etat à la renonciation par la société Equip-Eco à l'ouverture de crédit en compte courant de 30.000 euros, considérant que le prêt sollicité faisait double emploi avec l'autorisation de découvert.
C'est dans ce contexte que cette ligne de trésorerie antérieure au prêt garanti par l'Etat a été supprimée, comme cela ressort du propre document d'additionnalité produit par la banque qui ne peut sérieusement soutenir que l'autorisation de découvert a été maintenue mais non utilisée par la société Equip-Eco.
Par l'effet de la suppression de ce concours antérieur, la banque, diminuant le montant de ses concours antérieurs, a réduit son exposition aux risques de défaut de sa cliente, puisque, selon le document d'additionnalité, le montant des concours antérieurs, corrigés à la date d'octroi du prêt, s'élève à 142.053,90 euros et que, après l'octroi du prêt, le montant de ces concours a été ramené à 130.739,25 euros.
En réalité, la diminution des concours antérieurs est même supérieure puisque, tant qu'elle n'est pas résiliée, l'ouverture de crédit en compte courant doit être retenue pour son montant autorisé, soit 30.000 euros et non pour la fraction utilisée à date par l'entreprise, ce qui porte les concours antérieurs corrigés à 160.739,25 euros.
Et, si, selon le document d'additionnalité, l'octroi du prêt de 110.000 euros porte le montant total des concours de la banque à la somme de 240.739,25 euros, soit une augmentation totale des concours de 98.685,35 euros, cette augmentation ne remplit donc pas le critère d'additionnalité qui interdit la diminution des concours antérieurs de la banque.
Par conséquent, le prêt litigieux ne remplit pas le critère d'additionnalité requis par la loi et, en l'état des conclusions des parties, doit donc être annulé en application de l'article 1178 du code civil .
Il convient de compléter le jugement entrepris et de prononcer la nullité du contrat de prêt litigieux.
En revanche, il n'entre pas dans les pouvoirs de la cour, statuant en qualité du juge du fond saisi sur invitation du juge-commissaire, de statuer sur l'admission ou le rejet de la créance déclarée au passif.
Les parties seront donc renvoyées de ce chef à saisir le juge-commissaire afin qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance déclarée par la banque.
sur la recevabilité de la demande en restitution du capital emprunté
En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est pas saisie de la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté en appel qui n'a pas été reprise dans le dispositif des conclusions des intimées.
Il n'y a donc pas lieu de statuer de ce chef.
Il sera seulement observé, à titre non décisif, que la demande de restitution du capital emprunté est la conséquence de l'annulation du contrat de prêt poursuivi par la société Equip-Eco et la selarl Ekip' ès qualités, et que, en application de l'article 566 du code de procédure civile, les parties peuvent ajouter aux prétentions initiales les demandes qui en sont la conséquence.
Par ailleurs, la créance de restitution à la suite de l'annulation d'un contrat trouve son origine non pas dans le contrat annulé mais dans la décision qui la prononce.
Et, il résulte de l'article L. 622-24 alinéa 6 du code de commerce que les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture [...] et qui ne bénéficient pas du paiement préférentiel, doivent être déclarées au passif dans les deux mois courant à compter de leur date d'exigibilité.
En l'espèce, le jugement entrepris n'ayant pas prononcé l'annulation du contrat de prêt, la banque n'était pas tenue de déclarer sa créance de restitution.
La banque est donc recevable, sans avoir à justifier d'une déclaration de créance, à demander à la cour de statuer sur l'existence de la créance de restitution à la suite de l'annulation du prêt, mais irrecevable, pour défaut de pouvoir juridictionnel du juge du fond, à demander la fixation de celle-ci au passif de la procédure collective.
Le cas échéant, après examen du fond, la banque sera renvoyée à la procédure de déclaration des créances de ce chef.
Sur le fond, il est constant que le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé, les prestations exécutées donnant lieu à la restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 du code civil.
La société Equip-Eco demande, par voie de défense au fond, à être déchargée de son obligation de restituer le capital emprunté en raison de la faute de la banque qui n'a pas respecté le critère d'additionnalité.
Les intimées considèrent que la banque a abusivement utilisé le dispositif légal du PEG pour réduire les lignes de crédit dont bénéficiait la société Equip-Eco afin de les inclure artificiellement dans le garantie de l'Etat.
Mais, si l'annulation du prêt est imputable à la banque, cette circonstance n'est pas, en elle-même, de nature à priver la banque de sa créance de restitution, au regard des circonstances de la cause.
En premier lieu, la banque n'a pas suscité la mise en place du PEG, et il ne ressort pas des mails versés aux débats que la suppression de l'autorisation de découvert procédait d'une volonté délibérée de contourner le dispositif légal mais de répondre aux besoins de trésorerie de l'entreprise qui avait fait l'objet d'une étude préalable au prêt.
Le grief de turpitude n'est pas fondé.
Ensuite, la société Equip-Eco ne peut se faire un grief personnel de la couverture d'un concours antérieur par la garantie de l'Etat, l'éventuelle déchéance de la garantie de l'Etat n'étant pas préjudiciable à l'emprunteur.
Par ailleurs, la société Equip-Eco ne rapporte pas la preuve d'un préjudice personnel directement imputable à la suppression de l'autorisation de découvert de 30.000 euros.
En effet, la société Equip-Eco, qui n'a versé aucune pièce sur sa situation économique et financière à la date du prêt, ne démontre pas en quoi la suppression de l'autorisation de découvert lui a causé un préjudice, et lequel, ou a contribué à son état de cessation des paiements, notamment en démontrant qu'elle aurait été en capacité de mobiliser l'autorisation de découvert pour un montant disponible qui lui aurait permis de faire face au passif exigible.
Par conséquent, la société Equip-Eco ne justifie pas d'un préjudice en lien direct avec la banque de nature à priver celle-ci de sa créance de restitution.
La demande de fixation de la créance au passif étant irrecevable, il sera constaté que la banque est créancière de la somme de 110.000 euros, au titre de la restitution du capital emprunté, et de renvoyer la banque à la procédure de déclaration des créances.
La société Equip-Eco, qui succombe pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris,
le complétant et, statuant à nouveau,
PRONONCE l'annulation du contrat de prêt de trésorerie de 110.000 euros consenti par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne à la société Equip-Eco,
RENVOIE les parties à saisir le juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance déclarée par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne au titre du prêt de trésorerie garanti par l'Etat de 110.000 euros,
CONSTATE que la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne est créancière à l'égard de la société Equip-Eco de la somme de 110.000 euros au titre de sa créance de restitution à la suite de l'annulation du prêt par le présent arrêt,
DECLARE irrecevable la demande de fixation de cette créance au passif de la procédure collective de la société Equip-Eco,
RENVOIE la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne à la procédure de déclaration des créances,
CONDAMNE la société Equip-Eco aux dépens de première instance et d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.