CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 7 février 2025, n° 23/02039
TOULOUSE
Arrêt
Autre
07/02/2025
ARRÊT N° 2025/42
N° RG 23/02039
N° Portalis DBVI-V-B7H-PP3H
CP/ND
Décision déférée du 11 Mai 2023
Conseil de Prud'hommes
Formation paritaire de TOULOUSE
(21/00765)
G. DE LOYE
SECTION ENCADREMENT
[V] [S]
C/
S.A. NOBLADIS
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANT
Monsieur [V] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean ABBO, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A. NOBLADIS
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Nathalie CLAIR de la SCP ACTEIS, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoirie dans le délibéré de la Cour, composée de :
C.GILLOIS-GHERA, présidente
M. DARIES, conseillère
C. PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [S] a été embauché le 9 septembre 2015 en qualité de responsable de groupe, statut cadre, par la société Sodirev, exploitant un centre commercial sous l'enseigne E. Leclerc à [Localité 5], suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Suivant contrat du 1er avril 2017, M. [S] a été nommé manager de secteur, chargé du rayon boucherie pour une durée de 26,25 h par semaine équivalant à 105 heures de présence par mois incluant les pauses conventionnelles. Sa rémunération mensuelle était fixée à 2 250 €.
A compter du même jour, 1er avril 2017, M. [S] a également été embauché pour exercer les mêmes fonctions, chargé du rayon boucherie, par la SA Nobladis, exploitant le centre commercial sous l'enseigne E. Leclerc à [Localité 2] pour la même durée et moyennant la même rémunération.
Le 1er février 2018, M. [S] a accepté de quitter ses fonctions auprès de la SA Nobladis pour les exercer à temps complet auprès de la société Sodirev suivant nouveau contrat de travail du 1er février 2018.
Après avoir donné son accord écrit pour mettre un terme au contrat à durée indéterminée du 1er février 2018, M. [S] a été de nouveau embauché par la SA Nobladis selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 2018 pour exercer les mêmes fonctions de manager de secteur que précédemment.
Il a été placé en arrêt de travail pour maladie le 20 mars 2020. Cet arrêt a été prolongé jusqu'au 4 mai 2020.
Le 4 mai 2020, M. [S] a été déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail et a repris le travail le lendemain.
Il a été reçu en entretien par le directeur du magasin, M. [B], et par son responsable hiérarchique, M. [H], le 6 mai 2020.
M. [S] a été placé en arrêt de travail le 7 mai 2020. Cet arrêt a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 31 octobre 2020.
Lors de la visite de reprise du 6 novembre 2020, le médecin du travail a déclaré M. [S] inapte à son poste, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Après avoir été convoqué par courrier du 9 novembre 2020 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 19 novembre 2020, M. [S] a été licencié par lettre du 23 novembre 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par courrier de son conseil du 20 mars 2021, M. [S] a dénoncé son solde de tout compte ainsi que la dégradation des conditions de travail imputables, selon lui, à la société Nobladis ayant conduit à la rupture du contrat de travail.
M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 21 mai 2021 pour contester son licenciement, soutenir des faits de harcèlement moral et demander le versement de diverses sommes.
Par jugement du 11 mai 2023, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- débouté M. [S] de toutes ses demandes,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné M. [S] aux dépens.
Par déclaration du 7 juin 2023, M. [S] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 19 mai 2023 dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 5 septembre 2023, auxquelles il est expressément fait référence, M. [V] [S] demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes,
Et statuant à nouveau,
- prononcer la nullité de son licenciement pour inaptitude en raison de la dégradation des conditions de travail caractérisant l'existence d'agissements de harcèlement moral subis durant l'exécution de son activité professionnelle,
- subsidiairement, constater l'absence de cause réelle et sérieuse entachant ce licenciement,
- condamner la société Nobladis au paiement des sommes suivantes :
* 32 400 € de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L 1235-3-1 du code du travail, ou, à défaut, 32 400 € pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse par application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail,
* 5 400 € pour déloyauté dans l'exécution du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité,
* 16 200 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis assortie de 1 620,00 € bruts de congés afférents,
* 1 814,96 € nets de solde d'indemnité de licenciement,
* 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
outre la condamnation de la SA Nobladis aux entiers dépens,
- ordonner la délivrance, à la charge de la société Nobladis, des documents sociaux rectifiés, (attestation Pôle Emploi, certificat de travail et bulletins de salaire au titre notamment des trois de préavis à régulariser) ainsi que la délivrance des documents comptables aux fins d'apprécier et de régulariser, en tant que de besoin, les droits à intéressement et à participation de M. [S] au titre de l'exercice 2020 dès lors que ce dernier n'a été bénéficiaire d'aucune somme sur ces fondements postérieurement à son départ de la SA Nobladis,
- débouter la société Nobladis de toutes ses demandes.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 20 novembre 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la SA Nobladis demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel,
- débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes,
Y ajoutant,
- condamner M. [S] à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 27 décembre 2024.
MOTIFS
Sur les demandes de prononcé de la nullité du licenciement pour harcèlement moral et d'allocation de dommages et intérêts pour déloyauté dans l'exécution du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité
En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l'article L.1152-1 du code du travail, le salarié présente, conformément à l'article L.1154-1 du code du travail, des éléments de fait qui font supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [S] impute à la société Nobladis une déloyauté dans le cadre de l'exécution de la relation professionnelle, une dégradation de ses conditions de travail ayant directement contribué à l'altération de son état de santé à l'origine de la rupture de son contrat de travail et soutient que ces faits sont constitutifs de harcèlement moral justifiant sa demande de prononcé de la nullité de son licenciement.
Il présente à la cour les faits suivants :
1) La société Nobladis a manqué à son obligation de sécurité, a compromis ses conditions de travail en faisant preuve de déloyauté et provoqué le constat de son inaptitude :
- M. [S] a été confronté à des décisions de son employeur provoquant des incertitudes sur l'organisation de son travail : les changements successifs de ses lieux de travail et l'appréciation fluctuante du décompte de son temps de travail ont été source de tension pour un collaborateur âgé de plus de 50 ans ; en moins de 5 ans, M. [S] a été prié de changer de lieu de travail à 4 reprises, passant de la société Sodirev qui exploite le centre Leclerc de [Localité 5] à un travail à temps partiel à la société Nobladis qui exploite le centre Leclerc de [Localité 2] à compter d'avril 2017 pour repasser en février 2018 intégralement au service de la société Sodirev avant de retourner travailler en juin 2018 au centre Leclerc de [Localité 2] pour la société Nobladis . Ces changements de lieu de travail ont été accompagnés d'une évolution du décompte de son temps de travail au gré des souhaits de la direction : d'abord, suivant un forfait jour annuel, puis deux contrats à temps partiel de 105 heures par mois suivis d'une convention de forfait en heures sur le mois remplacée, en dernier lieu, par une convention de forfait en heures sur l'année, laquelle avait pour conséquence, en contrariété avec la convention collective, la mise en place d'un emploi du temps parfaitement prévisible alors que la convention collective réserve cette convention aux salariés dont l'horaire de travail ne peut être déterminé qu'a posteriori.
- M. [S] soutient que ces changements d'organisation ont participé à dégrader ses conditions de travail, compliqué son quotidien et altéré son moral alors qu'il n'a bénéficié d'aucun entretien professionnel régulier ce qui l'a empêché d'acter les difficultés rencontrées et, notamment, une charge de travail excessive. La société qui était tenue, par application de l'article L.6315-1 du code du travail, d'informer son salarié qu'il bénéficierait de cet entretien ne l'en a informé que sur le contrat du 28 mai 2018, étant ajouté qu'il n'a pas plus bénéficié de l'entretien spécifique de carrière prévu par la convention collective au bénéfice des collaborateurs de plus de 45 ans que d'une attention particulière telle que prévue pour les collaborateurs de plus de 50 ans.
Il produit l'attestation de M. [T], ancien chef de secteur des produits frais, qui confirme avoir reçu les consignes de la hiérarchie pour mettre la pression sur les managers de rayon dont la direction voulait se séparer, dénoncé l'absence de scrupules de l'entreprise et de ses dirigeants et vante le dévouement sans faille de M. [S] qui avait accepté les changements de situation imposés par la direction.
- Il ajoute qu'avant la pandémie de covid, il n'avait jamais suspendu son activité malgré le stress croissant lié à la multiplication de ses tâches, au travail sur deux sites, à l'importance de son temps de travail, à la conséquente délégation de pouvoir et d'autorité imposée par l'employeur malgré son absence de formation juridique allant jusqu'à l'engagement d'un risque de responsabilité pénale personnelle. Il a subi des pressions permanentes allant jusqu'à lui faire signer une attestation contre son ancien directeur de magasin, M. [F].
Il verse aux débats une attestation de ce dernier qui relate qu'il lui avait été demandé de mettre la pression sur M. [S] en raison du montant élevé de son salaire pour le pousser à la démission, ce qu'il a refusé de faire et celle de Mme [J] [F], ancienne responsable publicité, qui atteste avoir été témoin de propos désobligeants et vexants de la part du directeur du magasin envers M. [S], lequel était investi dans son travail et qui rapporte la relation des faits de M. [S] sur l'entretien subi avec la direction de l'entreprise.
2) C'est dans ce contexte dégradé que M. [S], revenu au travail le 5 mai 2020 après un arrêt de travail pour maladie en raison de la pandémie de covid, va 'craquer' à la suite d'un entretien le 6 mai 2020 au cours duquel M. [B], son responsable, lui a crié dessus, multipliant les reproches sur son manque de professionnalisme, les problèmes d'hygiène de son rayon, le menaçant d'un contrôle de ses faits et gestes, cet épisode de violence et d'agressivité ayant humilié M. [S] et l'ayant déstabilisé au point qu'il s'effondre en pleurs devant son manager de secteur, M. [H], qui l'a invité à rentrer chez lui. M. [S] a été placé en arrêt de travail pour maladie à la suite de cet entretien et n'a jamais pu reprendre le travail ; son employeur a omis de faire une déclaration d'accident du travail.
Son mal-être et ses troubles de santé réactionnels sont établis, selon M. [S], par le dossier de la médecine du travail, le certificat de la psychologue du travail qu'il a consultée à plusieurs reprises et celui de son médecin traitant qui décrit les troubles de santé subis en raison de ce harcèlement : prise de poids, anxiété, insomnie, crise de psoriasis et il justifie des prescriptions d'anxiolytiques destinées à traiter ce trouble anxio-dépressif. La société Nobladis n'a pas plus évoqué cette situation devant les représentants du personnel qu'elle n'en n'a fait mention dans le document unique d'évaluation des risques que l'employeur devait tenir et mettre à jour.
3) L'inaptitude à son poste qui a justifié le licenciement est directement en lien avec ce harcèlement au travail, la société Nobladis ayant violé les prescriptions de son accord d'entreprise sur la discrimination et le harcèlement.
M. [S] présente ainsi à la cour des faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence de faits de harcèlement moral au sens de l'article
L.1152-1 susvisé.
En effet il établit la réalité de changements de son lieu de travail et des modalités de décompte de ses horaires de travail entre 2015 et 2018, M. [S] ayant accepté, sur demande de ses employeurs, d'exercer ses missions de responsable de groupe puis de manager de secteur, d'abord au sein de la société Sodirev à [Localité 5], puis suivant deux contrats de travail à temps partiel tant au sein de la société Sodirev qu'au sein de la société Nobladis à [Localité 2], avant de reprendre un travail de manager de secteur à temps plein en février 2018 au sein de la société Sodirev à [Localité 5] avant de rejoindre la société Nobladis en juin 2018.
La lecture des différents contrats de travail permet de constater que, si M. [S] a bien donné son accord aux divers changements contractuels ainsi intervenus, pour autant il établit la réalité des changements successifs évoqués et des importantes responsabilités afférentes à ses fonctions, notamment en raison de la délégation de pouvoirs à lui confiée par son employeur ainsi que des modifications subséquentes du décompte de son temps de travail, ce décompte étant réalisé d'abord par voie de forfait en jours, puis suivant deux décomptes de la durée du travail au sein de chacune des deux sociétés , et suivant un forfait en heures hebdomadaire pour finir par un forfait en heures calculé sur l'année.
M. [S] établit ainsi les difficultés particulières d'organisation de son travail de manager de rayon, la nécessité d'une adaptation régulière aux contraintes de chacun des postes. Il n'a été informé que dans le dernier contrat de travail du 28 mai 2018 du fait qu'il bénéficierait tous les deux ans d'un entretien professionnel alors que cette information aurait dû lui être donnée dès le premier contrat de travail conformément à l'article L.6315-1 du code du travail et soutient qu'il n'a bénéficié en contrariété avec la convention collective d'aucune des dispositions de suivi de sa carrière et de gestion attentive de cette dernière destinées aux salariés de plus de 50 ans.
En revanche, la cour estime que les attestations qu'il produit qui émanent de M. [T], de M. [F] et de Mme [J] [F] sont trop imprécises pour caractériser une prétendue dégradation des conditions de travail ou de la santé de l'appelant : M. [T] ne fait état d'aucun fait précis qu'aurait subi M. [S] de la part de la direction de l'entreprise, se contentant d'évoquer des pressions de la direction sur les managers de rayon, sans plus de précision ; M. [F], ancien directeur de la société Nobladis, en contentieux prud'homal avec cette dernière, explique qu'il lui avait été demandé de mettre la pression sur M. [S] sans indiquer l'identité de celui qui lui avait demandé de mettre cette pression, tout en ajoutant qu'il ne l'avait pas fait . M. [F] ne donne pas plus de précisions sur les remontrances auxquelles il aurait assisté de la part de la direction générale envers M. [S] que sur leur date et sur l'identité de leur auteur. L'attestation de Mme [J] [F] souffre des mêmes imprécisions : elle évoque sans les caractériser la tenue de propos désobligeants et vexants de la part du directeur du magasin de septembre à décembre 2019 envers M. [S] et n'explique pas les conditions dans lesquelles M. [S] n'aurait pas eu la possibilité de s'exprimer lors de ces échanges. Quant au contenu de l'entretien du 6 mai 2020 au cours duquel M. [S] aurait été mis plus bas que terre, Mme [J] [F] indique qu'elle tient cette infomation de M. [S] lui-même, la cour constatant qu' elle n'a été témoin ni du contenu de l'entretien ni de l'état de M. [S] au sortir de cet entretien.
La dégradation de son état de santé à compter d'avril 2020 est établie par le médecin traitant de M. [S], lequel atteste, dans un certificat du 11 janvier 2021, de son suivi à compter du 7 mai 2021 (en réalité 2020) pour un état de stress post traumatique avec anxiété généralisée que son client attribue à une agression du 6 mai précédent sur son lieu de travail. Selon ce médecin, M. [S] présente depuis ce jour là une tristesse de l'humeur avec des pleurs, une grande anxiété. Il ajoute que M. [S] souffre également d'une hypertension artérielle non équilibrée, qu'il suit une psychothérapie et qu'il lui a été prescrit un traitement médicamenteux. M. [S] produit en pièce 18 lesdites prescriptions médicales. Le courriel de Mme [S] du 11 mai 2020 au médecin du travail qui émane de l'épouse de l'appelant rapporte le mauvais état de santé de M. [S] ne lui permettant pas d'honorer d'entretien téléphonique avec le médecin du travail, cette dernière attribuant ce mauvais état de santé à l'entretien du 6 mai 2020 auquel l'épouse de M. [S] n'a pas assisté.
M. [S] verse également aux débats ses arrêts de travail pour maladie à compter du 20 mars 2020 et ses arrêts de prolongation jusqu'au 3 mai 2020, l'avis d'aptitude au poste du médecin du travail du 4 mai 2020, ses nouveaux arrêts de travail du 7 mai au 31 octobre 2020 et son dossier médical de suivi par le médecin du travail qui permet de relever que, lors de la visite de pré-reprise du 28 avril 2020, M. [S] a indiqué au médecin du travail qu'il était allé voir son médecin au retour de ses vacances qui lui avait conseillé de s'arrêter 15 jours eu égard à son hypertension déjà connue. Il lui a déclaré être très angoissé à l'idée de reprendre le travail, avoir très peur d'attraper le Covid-19, subir beaucoup de pression au quotidien dans son travail ( même hors Covid) ; il a ajouté se sentir débordé, avoir du mal à tout gérer, avoir peur d'affronter la pression qui l'attendait à son retour au travail, avoir peur de craquer, indiquant qu'il dormait très peu la nuit et consultait une psychologue. Lors de la visite de reprise, le médecin du travail a déclaré M. [S] apte à la reprise, M. [S] lui confirmant son inquiétude et lui indiquant prendre un traitement anxiolytique lui permettant d'éviter de penser à ce qui pourrait arriver dans l'avenir. Lors de la visite de pré-reprise du 31 octobre 2020 sollicitée par le salarié, le médecin du travail a noté que M. [S] se plaignait de son manager, M. [B], qui lui faisait subir une pression constante, l'avait traité de menteur, humilié et lui avait hurlé dessus ; qu'il était dans l'incompréhension la plus totale et envisageait une reconversion professionnelle, soit dans l'enseignement du métier de la boucherie, soit comme paysagiste. Le 6 novembre 2020, le médecin du travail l'a déclaré inapte à tous les postes de l'entreprise après avoir noté son refus de poursuivre son travail au sein de la société Nobladis, l'avoir orienté sur un bilan de compétence, M. [S] lui précisant envisager une reconversion comme paysagiste. Il est noté la trace d'un appel téléphonique avec M. [B] le
1er octobre 2020.
Enfin, M. [S] produit le certificat de Mme [E], psychologue du travail, qui atteste du suivi psychologique réalisé à l'égard de M. [S] du 20 février 2020 au 2 octobre suivant. Elle explique la demande de suivi de M. [S] en raison de l'anxiété manifestée au travail entraînant des maux tels que la perturbation de son sommeil, des poussées de psoriasis, un sentiment d'angoisse diffuse, se déclarant stressé en permanence. Elle ajoute que M. [S] lui a expliqué avoir été placé en arrêt de travail en raison des risques encourus pendant la crise du Covid en lien avec son hypertension ; que, le 7 mai 2020, il lui a rapporté avoir été victime d'une agression sur le lieu du travail le lendemain de son retour : qu'en septembre 2020, son anxiété s'est allégée malgré son incapacité à envisager sereinement l'avenir avec la persistance de troubles d'angoisse, de psoriasis et de troubles du sommeil, concluant sur l'amélioration de son équilibre psychologique mais sur la persistance de son état anxieux.
En réponse à la présentation par M. [S] de ces éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, la société Nobladis conteste tout manquement et toute dégradation des conditions de travail.
Elle présente, en premier lieu, le projet de reconversion professionnelle de M. [S] dans l'immobilier avec, dès 2017, la création de deux SCI. En mars 2020, M. [S] a peaufiné, pendant son voyage de noces à Cuba et la période de confinement qui s'en est suivie, son projet de changement de vie. C'est ainsi que, lors de l'entretien du 6 mai 2020 avec ses supérieurs, MM [B] et [H], il a sollicité une rupture conventionnelle avec des prétentions financières démesurées pour financer ses projets de reconversion qu'il a menés à bien dès le 25 janvier 2021, date d'immatriculation au registre des agents commerciaux deux mois seulement après son licenciement.
Elle stigmatise l'absence totale de reproche de M. [S] pendant toute la relation contractuelle.
La société Nobladis conteste tout manquement à l'occasion des changements de lieu de travail survenus entre le 1er avril 2017 et le 1er juin 2018, M. [S] n'ayant travaillé que 10 mois sur deux structures et 4 mois auprès de la Sodirev avant de regagner la société Nobladis en juin 2018, soit plus de deux ans avant la suspension de son contrat de travail, ce qui ne lui permet pas de prétendre valablement que ces changements soient à l'origine de sa déclaration d'inaptitude de novembre 2020. M. [S] n'a connu aucune période d'arrêt de travail entre 2017 et 2018, n'a alerté personne et a toujours manifesté son approbation aux changements intervenus. Aucune pression de sa direction n'est démontrée.
Aucun manquement n'est prouvé au regard des dispositions conventionnelles sur les salariés de plus de 45 ans, M. [S] n'ayant jamais sollicité la tenue d'un entretien spécifique de carrière, étant précisé qu'il a intégré la société après 50 ans et était en arrêt de travail pour maladie à l'arrivée de ses 55 ans.
Elle ajoute que ses relevés de badge permettent de démontrer que M. [S] a continué à travailler selon des horaires fixes et répétitifs, en majorité le matin, de bonne heure et qu'il n'a jamais réalisé d'horaires excessifs, ce que confirme son absence de demande de paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires ou dépassement des limites maximales de travail. Aucune pression au travail n'est démontrée pas plus que celle relative à la signature d'une attestation dans le cadre du procès intenté par M. [F].
Elle conteste, sur la foi des attestations de MM [H] et [B], toute agression verbale lors de l'entretien du 6 mai 2020, lesquels relatent qu'en réalité, M. [S] souhaitait une rupture conventionnelle, ajoutant que M. [S] n'a établi aucune démarche en vue d'établir le prétendu accident du travail dont il se prétend la victime tout comme elle conteste les prétendues pressions dues à l'importance de son salaire, laquelle n'est pas démontrée, étant précisé qu'elle n'avait aucun intérêt à se séparer de M. [S] dont le profil était rare sur le marché de l'emploi.
Elle produit des mails qui, selon elle, démontrent l'attention de la direction envers les problèmes de santé rencontrés par M. [S].
Elle entend contester les attestations produites par M. [S] qui émanent d'anciens salariés en conflit avec elle, non objectives et non circonstanciées, ainsi que le mail non objectif de Mme [S] du 11 mai 2020, laquelle impute le mauvais état de santé de son mari à l'agression du 6 mai 2020 à laquelle cette dernière n'a pas assisté .
Elle soutient encore n'avoir eu aucune connaissance des éléments contenus dans le dossier médical de M. [S] dont il ne communique que des extraits et conteste toute valeur probante aux attestations du psychologue et du médecin traitant, rappelant que les arrêts de travail sont des arrêts de droit commun, M. [S] ayant été déclaré apte sans réserves par le médecin du travail le 4 mai 2020. M. [S] n'a saisi ni les représentants du personnel ni l'inspection du travail d'une quelconque difficulté et l'employeur qui n'a été avisé par personne du moindre lien entre l'état de santé fragilisé de M. [S] et ses conditions de travail n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité.
Elle conteste en conséquence tout harcèlement moral et toute discrimination en raison de l'âge de M. [S].
Il appartient à la cour par application de l'article L. 1152-4 du code du travail de former sa conviction au vu des éléments de fait présentés par M. [S] et des explications et pièces produites par la société Nobladis, étant précisé qu'aucune demande n'est formée par M. [S] sur le fondement de la discrimination et qu'aucun moyen n'est développé sur une quelconque discrimination.
La cour estime que, si sont parfaitement établis les différents changements de lieux de travail et de méthodes de comptabilisation de ses horaires, entre le 1er avril 2017 et le 1er juin 2018, changements de nature à imposer à M. [S] de s'adapter à des conditions de travail différentes sur chacun des hypermarchés au sein duquel il travaillait, pour autant, aucune pression particulière n'est démontrée pendant la période de ces changements, M. [S] ayant donné son accord écrit aux modifications intervenues sans jamais se plaindre des perturbations qu'il allègue dans le cadre de la présente procédure et la société Nobladis établit par la production des relevés de badge de M. [S] entre juin 2018 et le 31 mai 2020 que M. [S] avait des horaires de travail fixes et répétitifs. Aucune déloyauté n'est par ailleurs démontrée à l'occasion de ces changements d'employeur et de lieu de travail, l'accord écrit de l'appelant à la mise en oeuvre de ces changements n'étant contredit par aucune pièce versée aux débats.
Il est constant que la société Nobladis n'a pas convoqué M. [S] à un entretien spécifique de carrière entre le 1er avril 2017, date de son embauche, et la rupture de son contrat de travail intervenue le 23 novembre 2020, pour autant aucun manquement à ses obligations conventionnelles n'est démontré à cet égard, la convention collective de gros et de détail à prédominance alimentaire prévoyant la tenue de cet entretien à compter des 45 ans du salarié puis tous les cinq ans, étant précisé que M. [S] avait 51 ans lors de son embauche de 2017 par la société Nobladis et que la période des 5 années n'était pas écoulée lors de son licenciement.
Reste que le premier contrat de travail du 1er avril 2017 ne mentionne pas que le salarié pouvait solliciter, en application de l'article L. 6315-1 du code du travail, un entretien professionnel et que cette mention n'a figuré que sur le contrat du 1er juin 2018. Et la société Nobladis ne contredit pas M. [S] quand il expose n'avoir pas bénéficié de l'entretien de carrière prévu à l'article L.6315-1.
Pour autant, cette absence de mention constitutive d'une erreur ne peut être qualifiée de manquement déloyal en l'absence de toute volonté de nuire à l'intérêt du salarié qui n'a pas plus sollicité d'entretien qu'il ne s'est plaint d'agissement de son employeur pendant tout le cours de la relation de travail.
Et l'absence de tenue de cet entretien professionnel qui est défini par l'article L.6315-1 comme un entretien consacré aux perspectives d'évolution professionnelle et qui comporte des informations sur la validation des acquis d'expérience et à l'activation par le salarié de son compte de formation, aux abondements de ce compte et au conseil en évolution professionnelle mais qui ne porte pas sur la charge de travail du salarié ne peut dans ces conditions être constitutif d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité mais plutôt à son obligation d'information sur l'évolution de la carrière du salarié et de sa formation.
Si M. [S] démontre par la production des certificats de son médecin traitant et de la psychologue du travail la réalité de ses problèmes de santé décrits par ces deux professionnels, et notamment un état de grande anxiété entraînant des poussées de psoriasis et des troubles du sommeil, pour autant, il ne démontre pas le lien qu'il allègue entre ses troubles de santé et ses conditions de travail et, notamment, la pression subie au travail et lors de l'entretien du 6 mai 2020.
La cour constate que le premier arrêt de travail pour maladie date du 20 mars 2020 et qu'il est en lien avec sa fragilité due à son hypertension, comme M. [S] l'a indiqué au médecin du travail lors de la visite du 28 avril 2020, de retour de voyage à Cuba, étant rappelé le contexte sanitaire de l'époque dû à la circulation de la Covid-19. Il a donné les mêmes indications à la psychologue du travail sur les causes de son premier arrêt de travail. Elle constate encore qu'avant mars 2020, M. [S] n'avait jamais été en arrêt de travail pour maladie même si son angoisse à reprendre le travail dont il a fait état devant le médecin du travail lors des visites du 28 avril et du 4 mai 2020 était alors verbalisée devant le médecin du travail et l'avait conduit à consulter une psychologue du travail qui confirme cette anxiété et les troubles physiques l'accompagnant (troubles du sommeil, poussées de psoriasis, sentiments d'angoisse diffuse).
Les deux attestations des supérieurs de M. [S], MM [B] et [H], régulières en la forme, permettent d'établir que, le 6 mai, lendemain du jour de sa reprise du travail après son arrêt de travail du 20 mars et ses prolongations, M. [S] a été reçu sur sa demande par M. [B], directeur du magasin, et M. [H], responsable des produits frais, et que M. [S] a demandé à M. [B] d'accepter le principe d'une rupture conventionnelle motivée par son âge, 55 ans et le fait qu'il voulait profiter de la vie ; les deux témoins relatent la demande de M. [S] de versement d'une indemnité (30 000 € d'après M. [B] et entre 20 et 30 000 € d'après M. [H]), montant que M. [B] a refusé de verser, ce qui a entraîné le refus de signature de la rupture conventionnelle. Les témoins rapportent également les reproches faits par M. [B] à M. [S], le directeur ayant contrôlé le service boucherie pendant l'absence de M. [S] et constaté des dysfonctionnements qu'il a demandé à M. [S] de rectifier et M. [H] certifie que M. [B] n'a tenu aucun propos désobligeant à l'encontre de M. [S] et qu'il s'est contenté de refuser la demande de paiement de 30 000 € accompagnant la rupture conventionnelle. Il ajoute avoir fait le point avec M. [S] après l'entretien, en demandant à M. [S] de reprendre son poste dès le lendemain et de rectifier les anomalies constatées ; qu'au terme de l'entretien, ils s'étaient quittés nomalement et qu'il avait été étonné d'apprendre par le service paye que, le lendemain, M. [S] était à nouveau placé en arrêt de travail pour maladie.
Si M. [S] établit par les certificats de son médecin et de la psychologue du travail et par la production du dossier de la médecine du travail qu'il a été perturbé par cet entretien, manifestant des troubles anxieux nécessitant des prescriptions d'anxiolytiques, pour autant la réalité de ces troubles est insuffisante pour établir que l'entretien du 6 mai a été conduit sans respect de la personne du salarié qui s'est vu refuser la signature d'une rupture conventionnelle en raison du montant jugé excessif par l'employeur de l'indemnité l'accompagnant et reprocher des manquements constatés par le directeur du magasin pendant l'absence de son manager de vente.
La lecture des mails émanant de l'entreprise pendant les périodes d'arrêt de travail pour maladie confirme que les services administratifs de la société ont correspondu avec bienveillance avec M. [S] pendant ses arrêts de travail.
Il résulte de l'analyse des pièces versées aux débats que la cour a la conviction que M. [S] n'a pas été victime de faits de harcèlement moral de la part de la société Nobladis, laquelle n'a pas commis d'agissement déloyal envers son salarié pas plus que de manquement à son obligation de sécurité.
M. [S] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation des manquements à l'obligation de loyauté et à l'obligation de sécurité et de sa demande de prononcé de la nullité de son licenciement pour harcèlement moral par confirmation du jugement entrepris.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur les demandes relatives aux indemnités de rupture
Il résulte des explications qui précèdent qu'il ne peut être reproché à la société Nobladis d'avoir causé l'inaptitude au poste de son salarié par un quelconque manquement à son obligation de sécurité de sorte que la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée par M. [S] sur ce fondement sera rejetée, le licenciement de M. [S] ayant été causé par son inaptitude au poste constatée par le médecin du travail lors de la visite de reprise du 6 novembre 2020.
La cour ajoute qu'il résulte des comptes-rendus de visite de la médecine du travail que M. [S] a refusé de reprendre son poste expliquant qu'il ne pouvait plus en supporter la pression et qu'il envisageait une reconversion professionnelle intervenue dès janvier 2021 M. [S] procédant alors à son immatriculation sur le registre des agents commerciaux dans le secteur de l'immobilier.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la demande en paiement d'une indemnité de préavis laquelle n'est pas due par la société Nobladis, M. [S] étant dans l'incapacité d'exécuter son préavis.
La demande de complément d'indemnité de licenciement fondée sur l'ajout dans le calcul de l'ancienneté du salarié de la période de préavis sera également rejetée par confirmation du jugement dont appel.
Sur le surplus des demandes
La demande de production de documents sociaux accessoire aux demandes de prononcé de la nullité du licenciement et de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement sera rejetée tout comme la demande de délivrance des documents comptables destinés à apprécier et à régulariser, en tant que de besoin, les droits à intéressement et à participation de M. [S] au titre de l'exercice 2020.
Cette dernière demande n'est en effet accompagnée d'aucune explication dans les conclusions de M. [S] et la société Nobladis s'y oppose en produisant l'attestation de son commissaire aux comptes qui certifie que les comptes annuels de la société Nobladis au titre de l'exercice clos au 31 janvier 2021 n'ont pas donné lieu à la constitution d'une provision au titre de la participation ou de l'intéressement des salariés.
M. [S] qui perd le procès sera condamné aux dépens sans qu'il soit justifié de faire, en cause d'appel, application de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement entrepris étant confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à faire application, en cause d'appel, de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [S] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. DELVER C.GILLOIS-GHERA
.
ARRÊT N° 2025/42
N° RG 23/02039
N° Portalis DBVI-V-B7H-PP3H
CP/ND
Décision déférée du 11 Mai 2023
Conseil de Prud'hommes
Formation paritaire de TOULOUSE
(21/00765)
G. DE LOYE
SECTION ENCADREMENT
[V] [S]
C/
S.A. NOBLADIS
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANT
Monsieur [V] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean ABBO, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A. NOBLADIS
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Nathalie CLAIR de la SCP ACTEIS, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoirie dans le délibéré de la Cour, composée de :
C.GILLOIS-GHERA, présidente
M. DARIES, conseillère
C. PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [S] a été embauché le 9 septembre 2015 en qualité de responsable de groupe, statut cadre, par la société Sodirev, exploitant un centre commercial sous l'enseigne E. Leclerc à [Localité 5], suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Suivant contrat du 1er avril 2017, M. [S] a été nommé manager de secteur, chargé du rayon boucherie pour une durée de 26,25 h par semaine équivalant à 105 heures de présence par mois incluant les pauses conventionnelles. Sa rémunération mensuelle était fixée à 2 250 €.
A compter du même jour, 1er avril 2017, M. [S] a également été embauché pour exercer les mêmes fonctions, chargé du rayon boucherie, par la SA Nobladis, exploitant le centre commercial sous l'enseigne E. Leclerc à [Localité 2] pour la même durée et moyennant la même rémunération.
Le 1er février 2018, M. [S] a accepté de quitter ses fonctions auprès de la SA Nobladis pour les exercer à temps complet auprès de la société Sodirev suivant nouveau contrat de travail du 1er février 2018.
Après avoir donné son accord écrit pour mettre un terme au contrat à durée indéterminée du 1er février 2018, M. [S] a été de nouveau embauché par la SA Nobladis selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 2018 pour exercer les mêmes fonctions de manager de secteur que précédemment.
Il a été placé en arrêt de travail pour maladie le 20 mars 2020. Cet arrêt a été prolongé jusqu'au 4 mai 2020.
Le 4 mai 2020, M. [S] a été déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail et a repris le travail le lendemain.
Il a été reçu en entretien par le directeur du magasin, M. [B], et par son responsable hiérarchique, M. [H], le 6 mai 2020.
M. [S] a été placé en arrêt de travail le 7 mai 2020. Cet arrêt a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 31 octobre 2020.
Lors de la visite de reprise du 6 novembre 2020, le médecin du travail a déclaré M. [S] inapte à son poste, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Après avoir été convoqué par courrier du 9 novembre 2020 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 19 novembre 2020, M. [S] a été licencié par lettre du 23 novembre 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par courrier de son conseil du 20 mars 2021, M. [S] a dénoncé son solde de tout compte ainsi que la dégradation des conditions de travail imputables, selon lui, à la société Nobladis ayant conduit à la rupture du contrat de travail.
M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 21 mai 2021 pour contester son licenciement, soutenir des faits de harcèlement moral et demander le versement de diverses sommes.
Par jugement du 11 mai 2023, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- débouté M. [S] de toutes ses demandes,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné M. [S] aux dépens.
Par déclaration du 7 juin 2023, M. [S] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 19 mai 2023 dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 5 septembre 2023, auxquelles il est expressément fait référence, M. [V] [S] demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes,
Et statuant à nouveau,
- prononcer la nullité de son licenciement pour inaptitude en raison de la dégradation des conditions de travail caractérisant l'existence d'agissements de harcèlement moral subis durant l'exécution de son activité professionnelle,
- subsidiairement, constater l'absence de cause réelle et sérieuse entachant ce licenciement,
- condamner la société Nobladis au paiement des sommes suivantes :
* 32 400 € de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L 1235-3-1 du code du travail, ou, à défaut, 32 400 € pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse par application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail,
* 5 400 € pour déloyauté dans l'exécution du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité,
* 16 200 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis assortie de 1 620,00 € bruts de congés afférents,
* 1 814,96 € nets de solde d'indemnité de licenciement,
* 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
outre la condamnation de la SA Nobladis aux entiers dépens,
- ordonner la délivrance, à la charge de la société Nobladis, des documents sociaux rectifiés, (attestation Pôle Emploi, certificat de travail et bulletins de salaire au titre notamment des trois de préavis à régulariser) ainsi que la délivrance des documents comptables aux fins d'apprécier et de régulariser, en tant que de besoin, les droits à intéressement et à participation de M. [S] au titre de l'exercice 2020 dès lors que ce dernier n'a été bénéficiaire d'aucune somme sur ces fondements postérieurement à son départ de la SA Nobladis,
- débouter la société Nobladis de toutes ses demandes.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 20 novembre 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la SA Nobladis demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel,
- débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes,
Y ajoutant,
- condamner M. [S] à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 27 décembre 2024.
MOTIFS
Sur les demandes de prononcé de la nullité du licenciement pour harcèlement moral et d'allocation de dommages et intérêts pour déloyauté dans l'exécution du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité
En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l'article L.1152-1 du code du travail, le salarié présente, conformément à l'article L.1154-1 du code du travail, des éléments de fait qui font supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [S] impute à la société Nobladis une déloyauté dans le cadre de l'exécution de la relation professionnelle, une dégradation de ses conditions de travail ayant directement contribué à l'altération de son état de santé à l'origine de la rupture de son contrat de travail et soutient que ces faits sont constitutifs de harcèlement moral justifiant sa demande de prononcé de la nullité de son licenciement.
Il présente à la cour les faits suivants :
1) La société Nobladis a manqué à son obligation de sécurité, a compromis ses conditions de travail en faisant preuve de déloyauté et provoqué le constat de son inaptitude :
- M. [S] a été confronté à des décisions de son employeur provoquant des incertitudes sur l'organisation de son travail : les changements successifs de ses lieux de travail et l'appréciation fluctuante du décompte de son temps de travail ont été source de tension pour un collaborateur âgé de plus de 50 ans ; en moins de 5 ans, M. [S] a été prié de changer de lieu de travail à 4 reprises, passant de la société Sodirev qui exploite le centre Leclerc de [Localité 5] à un travail à temps partiel à la société Nobladis qui exploite le centre Leclerc de [Localité 2] à compter d'avril 2017 pour repasser en février 2018 intégralement au service de la société Sodirev avant de retourner travailler en juin 2018 au centre Leclerc de [Localité 2] pour la société Nobladis . Ces changements de lieu de travail ont été accompagnés d'une évolution du décompte de son temps de travail au gré des souhaits de la direction : d'abord, suivant un forfait jour annuel, puis deux contrats à temps partiel de 105 heures par mois suivis d'une convention de forfait en heures sur le mois remplacée, en dernier lieu, par une convention de forfait en heures sur l'année, laquelle avait pour conséquence, en contrariété avec la convention collective, la mise en place d'un emploi du temps parfaitement prévisible alors que la convention collective réserve cette convention aux salariés dont l'horaire de travail ne peut être déterminé qu'a posteriori.
- M. [S] soutient que ces changements d'organisation ont participé à dégrader ses conditions de travail, compliqué son quotidien et altéré son moral alors qu'il n'a bénéficié d'aucun entretien professionnel régulier ce qui l'a empêché d'acter les difficultés rencontrées et, notamment, une charge de travail excessive. La société qui était tenue, par application de l'article L.6315-1 du code du travail, d'informer son salarié qu'il bénéficierait de cet entretien ne l'en a informé que sur le contrat du 28 mai 2018, étant ajouté qu'il n'a pas plus bénéficié de l'entretien spécifique de carrière prévu par la convention collective au bénéfice des collaborateurs de plus de 45 ans que d'une attention particulière telle que prévue pour les collaborateurs de plus de 50 ans.
Il produit l'attestation de M. [T], ancien chef de secteur des produits frais, qui confirme avoir reçu les consignes de la hiérarchie pour mettre la pression sur les managers de rayon dont la direction voulait se séparer, dénoncé l'absence de scrupules de l'entreprise et de ses dirigeants et vante le dévouement sans faille de M. [S] qui avait accepté les changements de situation imposés par la direction.
- Il ajoute qu'avant la pandémie de covid, il n'avait jamais suspendu son activité malgré le stress croissant lié à la multiplication de ses tâches, au travail sur deux sites, à l'importance de son temps de travail, à la conséquente délégation de pouvoir et d'autorité imposée par l'employeur malgré son absence de formation juridique allant jusqu'à l'engagement d'un risque de responsabilité pénale personnelle. Il a subi des pressions permanentes allant jusqu'à lui faire signer une attestation contre son ancien directeur de magasin, M. [F].
Il verse aux débats une attestation de ce dernier qui relate qu'il lui avait été demandé de mettre la pression sur M. [S] en raison du montant élevé de son salaire pour le pousser à la démission, ce qu'il a refusé de faire et celle de Mme [J] [F], ancienne responsable publicité, qui atteste avoir été témoin de propos désobligeants et vexants de la part du directeur du magasin envers M. [S], lequel était investi dans son travail et qui rapporte la relation des faits de M. [S] sur l'entretien subi avec la direction de l'entreprise.
2) C'est dans ce contexte dégradé que M. [S], revenu au travail le 5 mai 2020 après un arrêt de travail pour maladie en raison de la pandémie de covid, va 'craquer' à la suite d'un entretien le 6 mai 2020 au cours duquel M. [B], son responsable, lui a crié dessus, multipliant les reproches sur son manque de professionnalisme, les problèmes d'hygiène de son rayon, le menaçant d'un contrôle de ses faits et gestes, cet épisode de violence et d'agressivité ayant humilié M. [S] et l'ayant déstabilisé au point qu'il s'effondre en pleurs devant son manager de secteur, M. [H], qui l'a invité à rentrer chez lui. M. [S] a été placé en arrêt de travail pour maladie à la suite de cet entretien et n'a jamais pu reprendre le travail ; son employeur a omis de faire une déclaration d'accident du travail.
Son mal-être et ses troubles de santé réactionnels sont établis, selon M. [S], par le dossier de la médecine du travail, le certificat de la psychologue du travail qu'il a consultée à plusieurs reprises et celui de son médecin traitant qui décrit les troubles de santé subis en raison de ce harcèlement : prise de poids, anxiété, insomnie, crise de psoriasis et il justifie des prescriptions d'anxiolytiques destinées à traiter ce trouble anxio-dépressif. La société Nobladis n'a pas plus évoqué cette situation devant les représentants du personnel qu'elle n'en n'a fait mention dans le document unique d'évaluation des risques que l'employeur devait tenir et mettre à jour.
3) L'inaptitude à son poste qui a justifié le licenciement est directement en lien avec ce harcèlement au travail, la société Nobladis ayant violé les prescriptions de son accord d'entreprise sur la discrimination et le harcèlement.
M. [S] présente ainsi à la cour des faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence de faits de harcèlement moral au sens de l'article
L.1152-1 susvisé.
En effet il établit la réalité de changements de son lieu de travail et des modalités de décompte de ses horaires de travail entre 2015 et 2018, M. [S] ayant accepté, sur demande de ses employeurs, d'exercer ses missions de responsable de groupe puis de manager de secteur, d'abord au sein de la société Sodirev à [Localité 5], puis suivant deux contrats de travail à temps partiel tant au sein de la société Sodirev qu'au sein de la société Nobladis à [Localité 2], avant de reprendre un travail de manager de secteur à temps plein en février 2018 au sein de la société Sodirev à [Localité 5] avant de rejoindre la société Nobladis en juin 2018.
La lecture des différents contrats de travail permet de constater que, si M. [S] a bien donné son accord aux divers changements contractuels ainsi intervenus, pour autant il établit la réalité des changements successifs évoqués et des importantes responsabilités afférentes à ses fonctions, notamment en raison de la délégation de pouvoirs à lui confiée par son employeur ainsi que des modifications subséquentes du décompte de son temps de travail, ce décompte étant réalisé d'abord par voie de forfait en jours, puis suivant deux décomptes de la durée du travail au sein de chacune des deux sociétés , et suivant un forfait en heures hebdomadaire pour finir par un forfait en heures calculé sur l'année.
M. [S] établit ainsi les difficultés particulières d'organisation de son travail de manager de rayon, la nécessité d'une adaptation régulière aux contraintes de chacun des postes. Il n'a été informé que dans le dernier contrat de travail du 28 mai 2018 du fait qu'il bénéficierait tous les deux ans d'un entretien professionnel alors que cette information aurait dû lui être donnée dès le premier contrat de travail conformément à l'article L.6315-1 du code du travail et soutient qu'il n'a bénéficié en contrariété avec la convention collective d'aucune des dispositions de suivi de sa carrière et de gestion attentive de cette dernière destinées aux salariés de plus de 50 ans.
En revanche, la cour estime que les attestations qu'il produit qui émanent de M. [T], de M. [F] et de Mme [J] [F] sont trop imprécises pour caractériser une prétendue dégradation des conditions de travail ou de la santé de l'appelant : M. [T] ne fait état d'aucun fait précis qu'aurait subi M. [S] de la part de la direction de l'entreprise, se contentant d'évoquer des pressions de la direction sur les managers de rayon, sans plus de précision ; M. [F], ancien directeur de la société Nobladis, en contentieux prud'homal avec cette dernière, explique qu'il lui avait été demandé de mettre la pression sur M. [S] sans indiquer l'identité de celui qui lui avait demandé de mettre cette pression, tout en ajoutant qu'il ne l'avait pas fait . M. [F] ne donne pas plus de précisions sur les remontrances auxquelles il aurait assisté de la part de la direction générale envers M. [S] que sur leur date et sur l'identité de leur auteur. L'attestation de Mme [J] [F] souffre des mêmes imprécisions : elle évoque sans les caractériser la tenue de propos désobligeants et vexants de la part du directeur du magasin de septembre à décembre 2019 envers M. [S] et n'explique pas les conditions dans lesquelles M. [S] n'aurait pas eu la possibilité de s'exprimer lors de ces échanges. Quant au contenu de l'entretien du 6 mai 2020 au cours duquel M. [S] aurait été mis plus bas que terre, Mme [J] [F] indique qu'elle tient cette infomation de M. [S] lui-même, la cour constatant qu' elle n'a été témoin ni du contenu de l'entretien ni de l'état de M. [S] au sortir de cet entretien.
La dégradation de son état de santé à compter d'avril 2020 est établie par le médecin traitant de M. [S], lequel atteste, dans un certificat du 11 janvier 2021, de son suivi à compter du 7 mai 2021 (en réalité 2020) pour un état de stress post traumatique avec anxiété généralisée que son client attribue à une agression du 6 mai précédent sur son lieu de travail. Selon ce médecin, M. [S] présente depuis ce jour là une tristesse de l'humeur avec des pleurs, une grande anxiété. Il ajoute que M. [S] souffre également d'une hypertension artérielle non équilibrée, qu'il suit une psychothérapie et qu'il lui a été prescrit un traitement médicamenteux. M. [S] produit en pièce 18 lesdites prescriptions médicales. Le courriel de Mme [S] du 11 mai 2020 au médecin du travail qui émane de l'épouse de l'appelant rapporte le mauvais état de santé de M. [S] ne lui permettant pas d'honorer d'entretien téléphonique avec le médecin du travail, cette dernière attribuant ce mauvais état de santé à l'entretien du 6 mai 2020 auquel l'épouse de M. [S] n'a pas assisté.
M. [S] verse également aux débats ses arrêts de travail pour maladie à compter du 20 mars 2020 et ses arrêts de prolongation jusqu'au 3 mai 2020, l'avis d'aptitude au poste du médecin du travail du 4 mai 2020, ses nouveaux arrêts de travail du 7 mai au 31 octobre 2020 et son dossier médical de suivi par le médecin du travail qui permet de relever que, lors de la visite de pré-reprise du 28 avril 2020, M. [S] a indiqué au médecin du travail qu'il était allé voir son médecin au retour de ses vacances qui lui avait conseillé de s'arrêter 15 jours eu égard à son hypertension déjà connue. Il lui a déclaré être très angoissé à l'idée de reprendre le travail, avoir très peur d'attraper le Covid-19, subir beaucoup de pression au quotidien dans son travail ( même hors Covid) ; il a ajouté se sentir débordé, avoir du mal à tout gérer, avoir peur d'affronter la pression qui l'attendait à son retour au travail, avoir peur de craquer, indiquant qu'il dormait très peu la nuit et consultait une psychologue. Lors de la visite de reprise, le médecin du travail a déclaré M. [S] apte à la reprise, M. [S] lui confirmant son inquiétude et lui indiquant prendre un traitement anxiolytique lui permettant d'éviter de penser à ce qui pourrait arriver dans l'avenir. Lors de la visite de pré-reprise du 31 octobre 2020 sollicitée par le salarié, le médecin du travail a noté que M. [S] se plaignait de son manager, M. [B], qui lui faisait subir une pression constante, l'avait traité de menteur, humilié et lui avait hurlé dessus ; qu'il était dans l'incompréhension la plus totale et envisageait une reconversion professionnelle, soit dans l'enseignement du métier de la boucherie, soit comme paysagiste. Le 6 novembre 2020, le médecin du travail l'a déclaré inapte à tous les postes de l'entreprise après avoir noté son refus de poursuivre son travail au sein de la société Nobladis, l'avoir orienté sur un bilan de compétence, M. [S] lui précisant envisager une reconversion comme paysagiste. Il est noté la trace d'un appel téléphonique avec M. [B] le
1er octobre 2020.
Enfin, M. [S] produit le certificat de Mme [E], psychologue du travail, qui atteste du suivi psychologique réalisé à l'égard de M. [S] du 20 février 2020 au 2 octobre suivant. Elle explique la demande de suivi de M. [S] en raison de l'anxiété manifestée au travail entraînant des maux tels que la perturbation de son sommeil, des poussées de psoriasis, un sentiment d'angoisse diffuse, se déclarant stressé en permanence. Elle ajoute que M. [S] lui a expliqué avoir été placé en arrêt de travail en raison des risques encourus pendant la crise du Covid en lien avec son hypertension ; que, le 7 mai 2020, il lui a rapporté avoir été victime d'une agression sur le lieu du travail le lendemain de son retour : qu'en septembre 2020, son anxiété s'est allégée malgré son incapacité à envisager sereinement l'avenir avec la persistance de troubles d'angoisse, de psoriasis et de troubles du sommeil, concluant sur l'amélioration de son équilibre psychologique mais sur la persistance de son état anxieux.
En réponse à la présentation par M. [S] de ces éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, la société Nobladis conteste tout manquement et toute dégradation des conditions de travail.
Elle présente, en premier lieu, le projet de reconversion professionnelle de M. [S] dans l'immobilier avec, dès 2017, la création de deux SCI. En mars 2020, M. [S] a peaufiné, pendant son voyage de noces à Cuba et la période de confinement qui s'en est suivie, son projet de changement de vie. C'est ainsi que, lors de l'entretien du 6 mai 2020 avec ses supérieurs, MM [B] et [H], il a sollicité une rupture conventionnelle avec des prétentions financières démesurées pour financer ses projets de reconversion qu'il a menés à bien dès le 25 janvier 2021, date d'immatriculation au registre des agents commerciaux deux mois seulement après son licenciement.
Elle stigmatise l'absence totale de reproche de M. [S] pendant toute la relation contractuelle.
La société Nobladis conteste tout manquement à l'occasion des changements de lieu de travail survenus entre le 1er avril 2017 et le 1er juin 2018, M. [S] n'ayant travaillé que 10 mois sur deux structures et 4 mois auprès de la Sodirev avant de regagner la société Nobladis en juin 2018, soit plus de deux ans avant la suspension de son contrat de travail, ce qui ne lui permet pas de prétendre valablement que ces changements soient à l'origine de sa déclaration d'inaptitude de novembre 2020. M. [S] n'a connu aucune période d'arrêt de travail entre 2017 et 2018, n'a alerté personne et a toujours manifesté son approbation aux changements intervenus. Aucune pression de sa direction n'est démontrée.
Aucun manquement n'est prouvé au regard des dispositions conventionnelles sur les salariés de plus de 45 ans, M. [S] n'ayant jamais sollicité la tenue d'un entretien spécifique de carrière, étant précisé qu'il a intégré la société après 50 ans et était en arrêt de travail pour maladie à l'arrivée de ses 55 ans.
Elle ajoute que ses relevés de badge permettent de démontrer que M. [S] a continué à travailler selon des horaires fixes et répétitifs, en majorité le matin, de bonne heure et qu'il n'a jamais réalisé d'horaires excessifs, ce que confirme son absence de demande de paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires ou dépassement des limites maximales de travail. Aucune pression au travail n'est démontrée pas plus que celle relative à la signature d'une attestation dans le cadre du procès intenté par M. [F].
Elle conteste, sur la foi des attestations de MM [H] et [B], toute agression verbale lors de l'entretien du 6 mai 2020, lesquels relatent qu'en réalité, M. [S] souhaitait une rupture conventionnelle, ajoutant que M. [S] n'a établi aucune démarche en vue d'établir le prétendu accident du travail dont il se prétend la victime tout comme elle conteste les prétendues pressions dues à l'importance de son salaire, laquelle n'est pas démontrée, étant précisé qu'elle n'avait aucun intérêt à se séparer de M. [S] dont le profil était rare sur le marché de l'emploi.
Elle produit des mails qui, selon elle, démontrent l'attention de la direction envers les problèmes de santé rencontrés par M. [S].
Elle entend contester les attestations produites par M. [S] qui émanent d'anciens salariés en conflit avec elle, non objectives et non circonstanciées, ainsi que le mail non objectif de Mme [S] du 11 mai 2020, laquelle impute le mauvais état de santé de son mari à l'agression du 6 mai 2020 à laquelle cette dernière n'a pas assisté .
Elle soutient encore n'avoir eu aucune connaissance des éléments contenus dans le dossier médical de M. [S] dont il ne communique que des extraits et conteste toute valeur probante aux attestations du psychologue et du médecin traitant, rappelant que les arrêts de travail sont des arrêts de droit commun, M. [S] ayant été déclaré apte sans réserves par le médecin du travail le 4 mai 2020. M. [S] n'a saisi ni les représentants du personnel ni l'inspection du travail d'une quelconque difficulté et l'employeur qui n'a été avisé par personne du moindre lien entre l'état de santé fragilisé de M. [S] et ses conditions de travail n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité.
Elle conteste en conséquence tout harcèlement moral et toute discrimination en raison de l'âge de M. [S].
Il appartient à la cour par application de l'article L. 1152-4 du code du travail de former sa conviction au vu des éléments de fait présentés par M. [S] et des explications et pièces produites par la société Nobladis, étant précisé qu'aucune demande n'est formée par M. [S] sur le fondement de la discrimination et qu'aucun moyen n'est développé sur une quelconque discrimination.
La cour estime que, si sont parfaitement établis les différents changements de lieux de travail et de méthodes de comptabilisation de ses horaires, entre le 1er avril 2017 et le 1er juin 2018, changements de nature à imposer à M. [S] de s'adapter à des conditions de travail différentes sur chacun des hypermarchés au sein duquel il travaillait, pour autant, aucune pression particulière n'est démontrée pendant la période de ces changements, M. [S] ayant donné son accord écrit aux modifications intervenues sans jamais se plaindre des perturbations qu'il allègue dans le cadre de la présente procédure et la société Nobladis établit par la production des relevés de badge de M. [S] entre juin 2018 et le 31 mai 2020 que M. [S] avait des horaires de travail fixes et répétitifs. Aucune déloyauté n'est par ailleurs démontrée à l'occasion de ces changements d'employeur et de lieu de travail, l'accord écrit de l'appelant à la mise en oeuvre de ces changements n'étant contredit par aucune pièce versée aux débats.
Il est constant que la société Nobladis n'a pas convoqué M. [S] à un entretien spécifique de carrière entre le 1er avril 2017, date de son embauche, et la rupture de son contrat de travail intervenue le 23 novembre 2020, pour autant aucun manquement à ses obligations conventionnelles n'est démontré à cet égard, la convention collective de gros et de détail à prédominance alimentaire prévoyant la tenue de cet entretien à compter des 45 ans du salarié puis tous les cinq ans, étant précisé que M. [S] avait 51 ans lors de son embauche de 2017 par la société Nobladis et que la période des 5 années n'était pas écoulée lors de son licenciement.
Reste que le premier contrat de travail du 1er avril 2017 ne mentionne pas que le salarié pouvait solliciter, en application de l'article L. 6315-1 du code du travail, un entretien professionnel et que cette mention n'a figuré que sur le contrat du 1er juin 2018. Et la société Nobladis ne contredit pas M. [S] quand il expose n'avoir pas bénéficié de l'entretien de carrière prévu à l'article L.6315-1.
Pour autant, cette absence de mention constitutive d'une erreur ne peut être qualifiée de manquement déloyal en l'absence de toute volonté de nuire à l'intérêt du salarié qui n'a pas plus sollicité d'entretien qu'il ne s'est plaint d'agissement de son employeur pendant tout le cours de la relation de travail.
Et l'absence de tenue de cet entretien professionnel qui est défini par l'article L.6315-1 comme un entretien consacré aux perspectives d'évolution professionnelle et qui comporte des informations sur la validation des acquis d'expérience et à l'activation par le salarié de son compte de formation, aux abondements de ce compte et au conseil en évolution professionnelle mais qui ne porte pas sur la charge de travail du salarié ne peut dans ces conditions être constitutif d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité mais plutôt à son obligation d'information sur l'évolution de la carrière du salarié et de sa formation.
Si M. [S] démontre par la production des certificats de son médecin traitant et de la psychologue du travail la réalité de ses problèmes de santé décrits par ces deux professionnels, et notamment un état de grande anxiété entraînant des poussées de psoriasis et des troubles du sommeil, pour autant, il ne démontre pas le lien qu'il allègue entre ses troubles de santé et ses conditions de travail et, notamment, la pression subie au travail et lors de l'entretien du 6 mai 2020.
La cour constate que le premier arrêt de travail pour maladie date du 20 mars 2020 et qu'il est en lien avec sa fragilité due à son hypertension, comme M. [S] l'a indiqué au médecin du travail lors de la visite du 28 avril 2020, de retour de voyage à Cuba, étant rappelé le contexte sanitaire de l'époque dû à la circulation de la Covid-19. Il a donné les mêmes indications à la psychologue du travail sur les causes de son premier arrêt de travail. Elle constate encore qu'avant mars 2020, M. [S] n'avait jamais été en arrêt de travail pour maladie même si son angoisse à reprendre le travail dont il a fait état devant le médecin du travail lors des visites du 28 avril et du 4 mai 2020 était alors verbalisée devant le médecin du travail et l'avait conduit à consulter une psychologue du travail qui confirme cette anxiété et les troubles physiques l'accompagnant (troubles du sommeil, poussées de psoriasis, sentiments d'angoisse diffuse).
Les deux attestations des supérieurs de M. [S], MM [B] et [H], régulières en la forme, permettent d'établir que, le 6 mai, lendemain du jour de sa reprise du travail après son arrêt de travail du 20 mars et ses prolongations, M. [S] a été reçu sur sa demande par M. [B], directeur du magasin, et M. [H], responsable des produits frais, et que M. [S] a demandé à M. [B] d'accepter le principe d'une rupture conventionnelle motivée par son âge, 55 ans et le fait qu'il voulait profiter de la vie ; les deux témoins relatent la demande de M. [S] de versement d'une indemnité (30 000 € d'après M. [B] et entre 20 et 30 000 € d'après M. [H]), montant que M. [B] a refusé de verser, ce qui a entraîné le refus de signature de la rupture conventionnelle. Les témoins rapportent également les reproches faits par M. [B] à M. [S], le directeur ayant contrôlé le service boucherie pendant l'absence de M. [S] et constaté des dysfonctionnements qu'il a demandé à M. [S] de rectifier et M. [H] certifie que M. [B] n'a tenu aucun propos désobligeant à l'encontre de M. [S] et qu'il s'est contenté de refuser la demande de paiement de 30 000 € accompagnant la rupture conventionnelle. Il ajoute avoir fait le point avec M. [S] après l'entretien, en demandant à M. [S] de reprendre son poste dès le lendemain et de rectifier les anomalies constatées ; qu'au terme de l'entretien, ils s'étaient quittés nomalement et qu'il avait été étonné d'apprendre par le service paye que, le lendemain, M. [S] était à nouveau placé en arrêt de travail pour maladie.
Si M. [S] établit par les certificats de son médecin et de la psychologue du travail et par la production du dossier de la médecine du travail qu'il a été perturbé par cet entretien, manifestant des troubles anxieux nécessitant des prescriptions d'anxiolytiques, pour autant la réalité de ces troubles est insuffisante pour établir que l'entretien du 6 mai a été conduit sans respect de la personne du salarié qui s'est vu refuser la signature d'une rupture conventionnelle en raison du montant jugé excessif par l'employeur de l'indemnité l'accompagnant et reprocher des manquements constatés par le directeur du magasin pendant l'absence de son manager de vente.
La lecture des mails émanant de l'entreprise pendant les périodes d'arrêt de travail pour maladie confirme que les services administratifs de la société ont correspondu avec bienveillance avec M. [S] pendant ses arrêts de travail.
Il résulte de l'analyse des pièces versées aux débats que la cour a la conviction que M. [S] n'a pas été victime de faits de harcèlement moral de la part de la société Nobladis, laquelle n'a pas commis d'agissement déloyal envers son salarié pas plus que de manquement à son obligation de sécurité.
M. [S] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation des manquements à l'obligation de loyauté et à l'obligation de sécurité et de sa demande de prononcé de la nullité de son licenciement pour harcèlement moral par confirmation du jugement entrepris.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur les demandes relatives aux indemnités de rupture
Il résulte des explications qui précèdent qu'il ne peut être reproché à la société Nobladis d'avoir causé l'inaptitude au poste de son salarié par un quelconque manquement à son obligation de sécurité de sorte que la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée par M. [S] sur ce fondement sera rejetée, le licenciement de M. [S] ayant été causé par son inaptitude au poste constatée par le médecin du travail lors de la visite de reprise du 6 novembre 2020.
La cour ajoute qu'il résulte des comptes-rendus de visite de la médecine du travail que M. [S] a refusé de reprendre son poste expliquant qu'il ne pouvait plus en supporter la pression et qu'il envisageait une reconversion professionnelle intervenue dès janvier 2021 M. [S] procédant alors à son immatriculation sur le registre des agents commerciaux dans le secteur de l'immobilier.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la demande en paiement d'une indemnité de préavis laquelle n'est pas due par la société Nobladis, M. [S] étant dans l'incapacité d'exécuter son préavis.
La demande de complément d'indemnité de licenciement fondée sur l'ajout dans le calcul de l'ancienneté du salarié de la période de préavis sera également rejetée par confirmation du jugement dont appel.
Sur le surplus des demandes
La demande de production de documents sociaux accessoire aux demandes de prononcé de la nullité du licenciement et de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement sera rejetée tout comme la demande de délivrance des documents comptables destinés à apprécier et à régulariser, en tant que de besoin, les droits à intéressement et à participation de M. [S] au titre de l'exercice 2020.
Cette dernière demande n'est en effet accompagnée d'aucune explication dans les conclusions de M. [S] et la société Nobladis s'y oppose en produisant l'attestation de son commissaire aux comptes qui certifie que les comptes annuels de la société Nobladis au titre de l'exercice clos au 31 janvier 2021 n'ont pas donné lieu à la constitution d'une provision au titre de la participation ou de l'intéressement des salariés.
M. [S] qui perd le procès sera condamné aux dépens sans qu'il soit justifié de faire, en cause d'appel, application de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement entrepris étant confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à faire application, en cause d'appel, de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [S] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. DELVER C.GILLOIS-GHERA
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