CA Lyon, ch. juridiction premier président, 10 février 2025, n° 25/00013
LYON
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bardoux
Conseiller :
M. Bardoux
Avocat :
Me Sliti-Bitam
EXPOSE DU LITIGE
M. [Z] [O] a été le gérant de la S.A.S. [O], qui exploitait une supérette.
Par jugement du 22 novembre 2023, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a prononcé la liquidation judiciaire de la société [O] et désigné Me [P] [T] en qualité de liquidateur judiciaire.
Faisant grief à M. [O] de ne pas avoir remis de documents comptables indispensables à l'accomplissement de la mission du mandataire et notamment le bilan arrêté au 31 mars 2023 ni la liste des créanciers de la procédure, empêchant de ce fait le bon déroulement de la procédure et de ne pas avoir procédé au remboursement du compte courant d'associé débiteur à hauteur de 4 899 € au bilan 2022, le ministère public a adressé une requête en faillite personnelle devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse.
Par jugement contradictoire du 23 octobre 2024, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a notamment en ordonnant l'exécution provisoire prononcé une faillite personnelle à l'encontre de M. [Z] [O] pour une durée de 3 ans.
M. [O] a interjeté appel le 4 novembre 2024.
Par actes des 10 et 11 décembre 2024, M. [O] a assigné en référé le ministère public et Me [T], liquidateur judiciaire de la société [O] devant le premier président aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire.
A l'audience du 27 janvier 2025 devant le délégué du premier président, M. [O] s'en est remis à ses écritures, qu'il a soutenues oralement.
Dans son assignation, M. [O] soutient au visa de l'article R. 661-1 du Code de commerce l'existence de moyen sérieux à l'appui de l'appel tenant d'abord à la caractérisation insuffisante des fautes de gestion qui lui sont reprochées. Il affirme en effet avoir remis au liquidateur judiciaire la liste des créanciers par courriel du 22 janvier 2024.
Il précise avoir remis au liquidateur judiciaire les documents comptables de la société, la comptabilité étant régulière pour les exercices clos des 31 mars 2020, 31 mars 2021 et 31 mars 2022.
Il indique que les difficultés de la société qui se sont accumulées, couplées à une diminution drastique de la trésorerie sur les derniers mois ne lui ont pas permis d'établir la comptabilité du seul dernier exercice, ce qui peut constituer tout au plus une négligence mais pas une faute de gestion.
Puis, s'agissant du compte courant débiteur, il précise s'être rapproché le 22 octobre 2024 du liquidateur judiciaire pour mettre en place un échéancier, et de nouveau par le biais de son conseil le 5 novembre 2024, et cela a été accepté. Il fait valoir que l'existence d'un compte courant débiteur constitue tout au plus une erreur comptable, ou une simple négligence et non une faute de gestion, qui ne peut justifier, sans être disproportionnée, une mesure en faillite personnelle.
Ensuite, M. [O] soulève la nécessité de proportionnalité et de motivation du jugement. Il relève que le jugement du tribunal de Bourg-en-Bresse n'a pas motivé sa décision, ni sur le quantum, ni sur la gravité, ni sur la situation personnelle de l'intéressé et que la motivation fait preuve d'une légèreté regrettable, préjudiciable et insuffisante.
Il estime que le tribunal aurait dû s'interroger sur la gravité des fautes reprochées, a fortiori sur leur matérialité, sur le caractère répété ou non de ses agissements, sur sa situation personnelle et notamment son impossibilité d'exercer son activité dont il tire l'ensemble de ses revenus.
Suite à la communication réalisée par le greffier le 20 janvier 2025 et par avis du 21 janvier 2025 régulièrement porté à la connaissance des parties lors de l'audience, le ministère public a émis un avis favorable à une suspension de l'exécution provisoire.
Me [T], bien que cité par acte remis à une personne habilitée à le recevoir, n'a pas comparu. Par courrier du 13 décembre 2024, il a fait savoir qu'il n'entendait pas comparaître à défaut de fonds dans la liquidation judiciaire.
Le ministère public n'a pas comparu lors de l'audience.
Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties, à la décision déférée, aux conclusions régulièrement déposées et ci-dessus visées, comme pour l'exposé des moyens à l'énoncé qui en sera fait ci-dessous dans les motifs.
MOTIFS
Attendu que l'article R. 661-1 du Code de commerce prévoit d'une part que le jugement qui prononce la faillite personnelle n'est pas exécutoire de plein droit à titre provisoire et d'autre part dans son alinéa 4 que, par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du Code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel statuant en référé ne peut arrêter l'exécution provisoire ordonnée d'un tel jugement, que si les moyens invoqués à l'appui de l'appel paraissent sérieux ;
Attendu qu'un moyen sérieux ne relève pas d'une simple affirmation ni de la seule reprise des arguments développés en première instance ; qu'en d'autres termes un moyen sérieux est un moyen suffisamment consistant pour mériter d'être allégué ou soutenu, pris en considération et avoir des chances d'être retenu après discussion et réflexion et qui doit en tout état de cause conduire à l'annulation ou à la réformation ;
Que l'absence de pouvoir juridictionnel du premier président pour déterminer les chances de succès de l'appel doit le conduire à ne retenir un moyen que s'il repose sur une base factuelle évidente ;
Attendu que M. [O] soutient l'absence de motivation du jugement rendu le 23 octobre 2024 en relevant en fait une insuffisance des motifs qui ont conduit le tribunal de commerce à prononcer une sanction de faillite personnelle, tout en considérant qu'elle devra conduire à l'infirmation de cette décision ;
Attendu que la seule lecture de ce jugement objective qu'une motivation y figure visant à la fois les textes mis en application comme les griefs opposés au dirigeant par le ministère public en retenant qu'ils justifient le prononcé d'une faillite personnelle ;
Attendu qu'il n'appartient pas au premier président de réaliser une analyse de la décision déférée en appel pour déterminer la suffisance de sa motivation, cette appréciation relevant de la compétence exclusive de la cour ;
Attendu que l'effet dévolutif de l'appel va nécessairement conduire la cour à apprécier de nouveaux les manquements reprochés à M. [O] et à déterminer s'ils peuvent ou doivent conduire au prononcé d'une sanction commerciale, par l'appréciation de leur gravité et de la proportionnalité de la sanction envisagée ;
Que l'invocation d'une insuffisance de motivation ne peut ici être retenue comme constituant un moyen sérieux d'annulation ;
Attendu que M. [O] conteste le grief retenu par le tribunal de commerce concernant l'absence de remise de la liste des créanciers en violation de l'article L. 622-6 du Code de commerce, en affirmant qu'il appartenait au ministère public de caractériser sa mauvaise foi et en relevant qu'il a effectivement remis cette liste au liquidateur judiciaire par un courriel du 22 janvier 2024 ;
Qu'il produit un échange de courriels entre le 23 et le 24 janvier 2024 avec le liquidateur judiciaire qui révèle qu'une liste incomplète avait été transmise et qu'il était rappelé au dirigeant les sanctions qu'il était susceptible d'encourir ;
Attendu que si le délai mensuel de l'article L. 622-6 du Code de commerce n'avait pas été respecté lors d'une transmission de liste le 22 janvier 2024 alors que la liquidation judiciaire avait été prononcée le 22 novembre 2023, il n'en demeure pas moins que les éléments produits par M. [O] viennent contredire au moins en partie le grief retenu par le tribunal de commerce tenant à l'absence de transmission d'une liste ;
Qu'au surplus, il doit être relevé que ce grief n'était pas de nature à permettre le prononcé d'une faillite personnelle au regard même des termes de l'article L. 653-8 du code de commerce rappelés par M. [O] ;
Attendu que la discussion de M. [O] de l'existence de ce grief est retenu comme un moyen paraissant sérieux de réformation ;
Attendu que le demandeur fait ensuite valoir qu'il n'a pas été en possibilité de fournir la comptabilité et le bilan arrêté au 31 mars 2023 et critique le jugement entrepris en ce qu'il a retenu en utilisant l'adverbe «notamment» qu'il n'avait pas remis les documents comptables indispensables à l'accomplissement de la mission du liquidateur judiciaire ;
Attendu qu'il produit des éléments comptables antérieurs à cet exercice qui suffisent à caractériser l'existence d'un moyen paraissant sérieux concernant les conditions dans lesquelles ce dirigeant a fait face à ses obligations légales de tenue d'une comptabilité ;
Attendu qu'en l'état de ce qui vient d'être retenu, éléments qui sont susceptibles de conduire la cour à avoir une appréciation différente des fautes de gestion ou griefs opposés à M. [O] et de la sanction susceptible d'en découler, il est fait droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse sans qu'il soit besoin d'apprécier le sérieux des autres moyens de réformation qu'il articule ;
Attendu que les dépens du présent référé doivent être laissés à la charge des parties ;
PAR CES MOTIFS
Nous, Pierre Bardoux, délégué du premier président, statuant publiquement, en référé, par ordonnance réputée contradictoire,
Vu la déclaration d'appel du 4 novembre 2024,
Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée dans le jugement rendu le 23 octobre 2024 par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse ayant prononcé à l'encontre de M. [Z] [O] une faillite personnelle d'une durée de trois ans,
Disons que chaque partie garde la charge de ses propres dépens de référé.