CA Nouméa, ch. soc., 13 février 2025, n° 23/00076
NOUMÉA
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Pacifique Rotative (Sté), CAFAT, QBE Insurance International Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Allard
Conseillers :
Mme Xivecas, M. Soubeyran
Avocats :
Me Laguillon, Me Cuenot, Me Descombes, Me Lecordier, Me Reuter
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M. [N] a été embauché par la société Pacific print à compter du 28 mars 1988 en qualité de manoeuvre. Il a ultérieurement été promu agent polyvalent paqueteur / rotativiste puis conducteur rotativiste.
Le 29 juillet 2014, M. [N] a été victime d'un accident du travail alors qu'il travaillait sur une rotative, sa main ayant été happée par les rouleaux de la machine.
Par requête déposée le 20 juillet 2016, M. [N] a saisi le tribunal du travail de Nouméa d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. La société QBE, assureur de l'employeur, est intervenue volontairement à l'instance.
Le 2 décembre 2016, le juge de la mise en état a ordonné une expertise médicale confiée au docteur [M] destinée à déterminer les conséquences médico-légales de l'accident. L'expert a déposé un rapport en date du 28 juillet 2017.
Selon jugement en date du 21 mars 2018, le tribunal du travail a notamment :
- dit que M. [N] avait été victime d'un accident de travail dû à la faute inexcusable de son employeur,
- ordonné la majoration de la rente au taux maximum,
- ordonné la réouverture des débats sur la liquidation du préjudice de M. [N].
Sur appel de l'employeur, cette cour, selon arrêt du 30 juillet 2020, a :
- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait reconnu que l'accident du travail était dû à la faute inexcusable de l'employeur et ordonné la majoration de la rente à son taux maximum,
- condamné la société Pacifique rotative à verser à M. [N] une provision de
5 000 000 FCFP à valoir sur la réparation de ses préjudices,
- renvoyé les parties devant le tribunal du travail sur la liquidation des préjudices réparables.
Le 12 février 2021, le juge des référés a désigné le docteur [C], psychiatre, aux fins de déterminer les conséquences des atteintes psychiques de l'accident. Cet expert a déposé un rapport daté du 5 juillet 2021.
Selon jugement du 26 avril 2021, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a ouvert une procédure de sauvegarde judiciaire à l'égard de la société Pacifique rotative.
Selon jugement du 2 novembre 2022, ce même tribunal a arrêté le plan de sauvegarde présenté par la société Pacifique rotative.
Par jugement du 17 mars 2023, ce tribunal a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et la liquidation judiciaire de la société Pacifique rotative et désigné la selarl Gastaud en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement en date du 29 août 2023, le tribunal du travail de Nouméa a :
- rejeté l'exception d'inopposabilité de la déclaration de créance soulevée par la société Pacifique rotative et la selarl Gastaud,
- déclaré recevable la demande de fixation de la créance de M. [N] au passif de la procédure de sauvegarde de la société Pacifique rotative,
- fixé la créance de M. [N] au passif de la procédure de sauvegarde de la société Pacifique rotative selon les montants suivants :
. 126 700 FCFP au titre du préjudice patrimonial
. 6 611 341 FCFP au titre du préjudice extra-patrimonial,
soit une créance d'un montant total de 6 738 041 FCFP,
- constaté qu'en exécution de l'arrêt du 30 juillet 2020, la société Pacifique rotative a versé à M. [N] une provision de 5 000 000 FCFP,
- fixé la créance de M. [N] au passif de la procédure de sauvegarde de la société Pacifique rotative à la somme de 1 738 041 FCFP,
- dit que la somme produira un intérêt au taux légal, avec capitalisation en vertu de l'article 1154 du code civil à compter « du jugement à venir s'agissant des créances indemnitaires » (sic),
- condamné la société Pacifique rotative à verser M. [N] la somme de 200 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il convient de fixer à titre de créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Pacifique rotative aux dépens.
Selon requête déposée le 25 septembre 2023, M. [N] a interjeté appel de cette décision en intimant la société Pacifique rotative, la selarl Gastaud, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Pacifique rotative, la société CBF associés, ès qualités d'administrateur judiciaire, ainsi que la CAFAT. La selarl Gastaud, ès qualités, a formé un appel incident.
Aux termes de son mémoire déposé le 8 juillet 2024, M. [N] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'inopposabilité de la déclaration de créance soulevée par la société Pacifique rotative et la selarl Gastaud, déclaré recevable la demande de fixation de la créance de M. [N] au passif de la procédure de sauvegarde de la société Pacifique rotative, fixé la créance de M. [N] au passif de la procédure de sauvegarde de la société Pacifique rotative à 126 700 FCFP au titre du préjudice patrimonial, dit que la somme produira un intérêt au taux légal, avec capitalisation en vertu de l'article 1154 du code civil à compter du jugement à venir s'agissant des créances indemnitaires, condamné la société Pacifique rotative au remboursement des dépens, condamné la société Pacifique rotative à verser à M. [N] la somme de 200 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il convient de fixer à titre de créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société ;
- infirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
- fixer la créance de M. [N], dont les montants sont les suivants, au passif de la procédure de sauvegarde de la société Pacifique rotative :
342.000 FCFP au titre des dépenses de santé actuelles
1.706.277 FCFP au titre de la perte de gains professionnels futurs
277.515 FCFP au titre de l'incidence professionnelle
541.000 FCFP au titre des dépenses de santé futures
2.121.000 FCFP au titre du déficit fonctionnel temporaire
6.000.000 FCFP au titre des souffrances endurées
16.736.325 FCFP au titre du déficit fonctionnel permanent
1.000.000 FCFP au titre du préjudice d'agrément
1.000.000 FCFP au titre du préjudice esthétique permanent ;
- condamner la société Pacifique rotative à verser la somme de 420.000 FCFP à M. [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ainsi qu'à la somme de 420.000 FCFP pour la présente procédure.
Dans des conclusions déposées le 1er juillet 2024, la CAFAT prie la cour de :
- constater l'intervention de l'organisme social ;
- si la cour d'appel venait à confirmer la faute inexcusable de l'employeur, fixer le montant de la majoration de rente due à M. [N] au maximum et condamner la société Pacifique rotative, sous couvert de la compagnie d'assurances QBE, à payer à la CAFAT la somme correspondant au capital de la majoration de rente, soit 6 655 359 FCFP payables sur 13 ans et un reliquat de 57 335 FCFP.
Selon conclusions transmises le 2 août 2024, la selarl Gastaud, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Pacifique rotative, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'inopposabilité de la déclaration de créance et en ce qu'il a fait droit à une partie des demandes indemnitaires de M. [N] ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [N] de ses demandes indemnitaires ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la CAFAT ;
à titre principal,
- déclarer irrecevable la demande de M. [N] relative à la condamnation au paiement d'une somme d'argent, et ce en vertu des règles de l'arrêt des poursuites et de l'interdiction des paiements respectivement prévues aux articles L 622-21 et L 622-7 du code de commerce ;
- débouter M. [N] de toute demande de fixation au passif qu'il pourrait subsidiairement présenter, en application de l'article L 622-26 du code de commerce, et ce à défaut de déclaration de créance dans les délais légaux ;
à titre subsidiaire,
- débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
- débouter la CAFAT de l'ensemble de ses demandes ;
en tout état de cause,
- ordonner la garantie au profit de la société Pacifique rotative de son assureur responsabilité, la société QBE, au titre de la majoration de la rente ;
- condamner M. [N] au paiement de la somme de 250.000 FCFP au titre des frais irrépétibles.
Sur ce, la cour,
1) La selarl Gastaud, ès qualités, excipe de l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation formulée par M. [N] aux motifs que celui-ci n'a déclaré aucune créance au mépris de l'article L 622-24 du code du commerce et qu'il ne peut pas se prévaloir de la dispense de déclaration prévue par l'article L 625-1 du code du commerce.
M. [N] reproche à la selarl Gastaud de ne pas l'avoir averti de l'ouverture d'une procédure collective et objecte qu'en sa qualité de salarié, il était dispensé par l'article L 6622-24 de déclarer sa créance.
La créance indemnitaire dont la liquidation est sollicitée, est née antérieurement au jugement d'ouverture puisque son fait générateur réside dans un accident du travail survenu le 29 juillet 2014, près de sept ans avant l'ouverture de la sauvegarde.
L'article L 622-24 du code du commerce, tel qu'applicable en Nouvelle-Calédonie, dispose notamment :
« A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement.
La déclaration des créances peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix. »
Ce texte dispense les « salariés » de l'obligation de déclarer les créances ayant leur origine antérieurement au jugement d'ouverture. Il ne contient aucune restriction fondée sur la cause de l'obligation.
La selarl Gastaud estime que cette dispense ne concerne que les « créances résultant du contrat de travail », soit les créances salariales, pour lesquelles une procédure spécifique de vérification a été instituée par les articles L 625-1 et suivants du code du commerce, 118 et suivants de la délibération n° 352 du 18 janvier 2008 portant mesures de procédure en matière de sauvegarde des entreprises. Elle en déduit que la créance indemnitaire, consécutive à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, doit être déclarée.
La circonstance que le législateur n'ait examiné que les créances salariales, c'est-à-dire les créances relatives à la rémunération due au salarié, n'est pas décisive dans la mesure où, à la date de l'adoption de la loi du 26 juillet 2005, le salarié, victime d'une faute inexcusable, ne pouvait prétendre qu'à une indemnisation forfaitaire servie par la caisse de sécurité sociale. L'indemnisation complémentaire, objet du présent litige, trouve sa source dans une réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010.
L'indemnisation complémentaire sollicitée par M. [N] est intimement liée à la relation salariale. La société Pacifique rotative a engagé sa responsabilité envers M. [N] en raison d'une exécution fautive du contrat de travail. La créance indemnitaire invoquée par M. [N] dérive, comme le salaire et ses accessoires, du contrat de travail. L'article L 622-24 ne limitant pas la dispense de déclaration aux seules créances salariales, il convient de retenir que M. [N] était dispensé de déclarer sa créance indemnitaire. La fin de non-recevoir tirée de l'absence de déclaration sera rejetée.
2) Dans le cadre de son appel incident, M. [N] formule les réclamations suivantes :
perte de gains professionnels actuels : 126.700 FCFP
frais de santé actuels : 342.000 FCFP
perte de gains professionnels futurs : 1.706.277 FCFP
incidence professionnelle : 277.515 FCFP
dépenses de santé futures : 541.000 FCFP
déficit fonctionnel temporaire : 2.121.000 FCFP
souffrances endurées : 6.000.000 FCFP
déficit fonctionnel permanent : 16.736.325 FCFP
préjudice d'agrément : 1.000.000 FCFP
préjudice esthétique permanent : 1.000.000 FCFP.
3) Il est admis que les dispositions de l'article 34, alinéa 1, du décret du 24 février 1957, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016, ne font pas obstacle à ce qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, et indépendamment de la majoration de rente servie à la victime d'un accident du travail, celle-ci puisse lui demander réparation de l'ensemble des dommages non couverts par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions du décret susmentionné, conformément aux règles de droit commun de l'indemnisation des dommages.
4) Il résulte du dossier et notamment du rapport du docteur [M], expert commis le 2 décembre 2016, que M. [N] a été victime d'un écrasement de la main gauche qui s'est traduit par une fracture d'une phalange du troisième doigt, une perte de substance cutanée, une amputation pulpaire des troisième et quatrième doigts et une pulvérisation d'encre dans la peau et les tissus sous-cutanés.
Le traitement de la blessure a exigé :
- la pose d'une broche, un parage et lavage avec mise en place d'une lame de Delbet (intervention du 29 juillet sous anesthésie générale),
- une réfection du pansement sous anesthésie locorégionale (interventions des 31 juillet, 1er août, 4 août , 6 août, 8 août 2014),
- une greffe de peau sur la totalité de face palmaire de la main et les troisième et quatrième doigts (intervention sous anesthésie générale du 1er septembre 2014),
- une réfection du pansement tous les jours,
- une ablation de la broche (intervention sous anesthésie générale du 26 mars 2015),
- une plastie chirurgicale ayant pour siège la première commissure (intervention sous anesthésie locorégionale du 8 juillet 2015),
- une nouvelle plastie ayant pour siège la première commissure (intervention sous anesthésie locorégionale du 26 février 2016),
- une ténolyse de la main gauche (intervention sous anesthésie générale du 3 juin 2016),
- une infiltration acromio-claviculaire gauche pratiquée le 21 septembre 2016,
- de la kinésithérapie.
Aux termes de son rapport déposé le 4 mai 2017, le docteur [M], fixant la date de consolidation sur le plan fonctionnel au 26 septembre 2016 et le plan psychique en octobre 2017, a retenu :
- une gêne temporaire totale dans toutes les activités personnelles : 53 jours
- une gêne temporaire partielle dans toutes les activités personnelles à 50 % : 131 jours
- une gêne temporaire partielle dans toutes les activités personnelles à 25 % : 1 an et 232 jours
- une atteinte à l'intégrité physique au taux de 23 %
- une atteinte à l'intégrité psychique à fixer en octobre 2017
- des souffrances endurées : 5/7
- un dommage esthétique permanent : 2/7.
Le docteur [C], médecin expert désigné conformément aux suggestions du docteur [M], a retenu :
- une gêne temporaire totale : 1 jour
- une gêne temporaire partielle dans toutes les activités personnelles à 25 % : 2485 jours
- un déficit fonctionnel permanent : 15 % selon le barème indicatif en droit commun et de 75 % selon le barème indicatif en accident du travail.
5) L'article 24 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 relatif à la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer prévoit notamment que la CAFAT supporte les soins médicaux et chirurgicaux, les frais pharmaceutiques et accessoires, les frais d'hospitalisation et assure, d'une façon générale, la prise en charge des frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime.
Les dépenses nécessitées par les soins étant prises en charge par la CAFAT au titre des prestations légales, M. [N] ne peut pas prétendre à une quelconque indemnisation au titre des frais de santé qui seraient restés à sa charge ou au titre de dépenses de santé futures. Les prétentions formulées à ces titres seront rejetées.
6) L'article 27 du décret précité prévoit :
« Les indemnités dues aux bénéficiaires du présent décret comprennent :
1° L'indemnité journalière due à la victime pendant la période d'incapacité temporaire qui l'oblige à interrompre son travail ;
2° Les prestations autres que les rentes dues en cas d'accident suivi de mort définies aux articles 31 et 32 ci-dessous ;
3° La rente due à la victime atteinte d'une incapacité permanente de travail et, en cas de mort, les rentes dues aux ayants droit de la victime.
Le salaire de la journée au cours de laquelle le travail a été interrompu est intégralement à la charge de l'employeur. »
En vertu de ce texte, les conséquences professionnelles de l'accident sont déjà indemnisées par les indemnités journalières et la rente servies à M. [N]. Celui-ci sera donc débouté de ses demandes au titre d'une perte de gains professionnels actuels, d'une perte de gains professionnels futurs ou du déclassement professionnel qu'il vise sous la rubrique « incidence professionnelle ».
7) Les premiers juges ont évalué le déficit fonctionnel temporaire à 1.811.341 FCFP. La selarl Gastaud ne remet pas en cause pas ce chiffre tandis que M. [N] revendique une indemnité d'un montant de 2.121.000 FCFP.
M. [N] retient un préjudice journalier de 3.000 FCFP tandis que les premiers juges ont pris une indemnité de référence de 2.610 FCFP. Ce dernier chiffre étant conforme à la jurisprudence dominante locale, l'évaluation retenue par le tribunal du travail de Nouméa sera entérinée.
8) En première instance, M. [N] a obtenu une indemnité de 4.000.000 FCFP en réparation des souffrances endurées. Il souhaite que cette indemnité soit portée à 6.000.000 FCFP tandis que la confirmation du jugement est sollicitée par le mandataire liquidateur.
Ce poste indemnise les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.
Eu égard aux informations fournies par le rapport d'expertise sur la nature de la blessure et son traitement (pages 24 et 25) et à l'âge de la victime, l'évaluation retenue par le tribunal du travail de Nouméa sera entérinée.
9) Il n'est pas contesté que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent de sorte que M. [N] peut prétendre à une indemnité de ce chef. Le jugement entrepris doit être infirmé puisque le tribunal du travail de Nouméa a débouté M. [N].
Le déficit fonctionnel permanent correspond :
- d'une part à « une altération de la main gauche non dominante » puisque le majeur est enraidi, que lors de la fermeture des doigts, l'annulaire chevauche l'auriculaire, et à « une limitation fonctionnelle de l'épaule gauche de moyenne importance », avec une amyotrophie des muscles et diminution de la force musculaire,
- d'autre part des « troubles psychopathologiques qui entrent dans la cadre d'un état de stress post-traumatique avec modification de la personnalité », M. [N] présentant désormais des « traits de personnalité traumatique ».
S'agissant de l'altération des fonctions de la main blessée, le docteur [M] note que la manoeuvre pour dévisser un flacon est difficile et douloureuse. L'expert estime que « la fonction globale de la main gauche est altérée de moitié ».
Pour sa part, le docteur [C] retient que M. [N] est facilement irritable et que son handicap engendre une « blessure narcissique » en raison de la perte de son statut sur un plan professionnel, familial et culturel.
Le docteur [M] évalue le déficit fonctionnel permanent consécutif aux atteintes à la main et à l'épaule à 23 %, par référence au barème du Concours médical. Le docteur [C] évalue déficit fonctionnel permanent consécutif aux séquelles psychologiques à 15 % selon le barème indicatif en droit commun et à 75 % selon le barème indicatif en accident du travail.
S'appuyant sur ce dernier chiffre, M. [N] retient, pour son calcul, un taux de 75 %. Ce chiffre ne sera pas retenu dans la mesure où le barème indicatif d'invalidité des accidents du travail est étranger à l'indemnisation de droit commun d'un préjudice corporel. En revanche, le barème du Concours médical auquel s'est référé le docteur [M] est communément pris en compte pour l'évaluation du déficit fonctionnel permanent.
En conséquence, le préjudice sera évalué en fonction d'un taux d'invalidité de
38 % (25 + 13).
Eu égard à l'âge de la victime au jour de l'accident et à l'impact des séquelles, le déficit fonctionnel permanent sera chiffré à 10.000.000 FCFP.
10) Les premiers juges ont évalué le préjudice esthétique de M. [N] à 300.000 FCFP. La selarl Gastaud, ès qualités, sollicite la confirmation du jugement sur ce point tandis que la victime revendique une indemnité de 1.000.000 FCFP.
L'expert judiciaire a évalué ce préjudice à 2/7, soit léger, le préjudice esthétique résultant d'une déformation de la main, des cicatrices de greffe et des brides.
Au regard de l'âge de la victime au moment de l'accident (54 ans) et du siège des cicatrices (une main, une cuisse), les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce préjudice en allouant un montant de 300.000 FCFP.
11) Les premiers juges ont alloué à M. [N] une indemnité de 500.000 FCFP en réparation de son préjudice d'agrément. M. [N] revendique une indemnité de 1.000.000 FCFP tandis que le mandataire liquidateur s'oppose à cette demande.
M. [N] se plaint de ne plus pouvoir s'adonner au bricolage et au jardinage .
Le préjudice d'agrément répare l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, la perte de qualité de vie subie après consolidation étant déjà prise en compte au titre du déficit fonctionnel permanent. M. [N] ne démontrant pas qu'il consacrait ses loisirs au jardinage et aux activités de bricolage, ce chef de demande sera rejeté.
12) Après déduction de la provision déjà versée, la créance résiduelle de M. [N] ressort à : 1.811.341 + 4.000.000 + 10.000.000 + 300.000 - 5.000.000 = 11.111.341 FCFP.
Le jugement d'ouverture ayant arrêté le cours des intérêts, c'est à tort que le tribunal du travail de Nouméa a mis en compte des intérêts moratoires avec anatocisme.
13) Les questions de la majoration de la rente servie par la caisse à M. [N] et de l'obligation de garantie de l'assureur, évoquées par la CAFAT, ont d'ores et déjà été tranchées dans les décisions des 21 mars 2018 et 30 juillet 2020.
Par ces motifs
La cour,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par le mandataire liquidateur ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Fixe au passif de la société Pacifique rotative la créance indemnitaire de M. [N] à la hauteur de 11.111.341 FCFP ;
Fixe au passif de la société Pacifique rotative la créance de M. [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 400.000 FCFP ;
Met les dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de liquidation judiciaire.