CA Riom, ch. com., 12 février 2025, n° 24/00117
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Mj de l'allier (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseillers :
Mme Noir, Mme Berger
Avocats :
Me Tourret, SCP Laloy - Bayet
La SARL Chris Elec ayant pour associé M. [F] [P], a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Cusset du 21 juin 2022.
Par courrier recommandé du 8 septembre 2022, la SELAR MJ de l'ALLIER ès-qualités de liquidateur de la SARL Chris Elec a mis en demeure M. [P] de rembourser la somme de 6 915,67 euros correspondant à des dépenses personnelles réalisées avec le compte de l'entreprise ainsi qu'à un compte courant d'associé débiteur.
Le liquidateur a également informé M. [P] qu'en vendant le véhicule de la société et en encaissant personnellement le fruit de cette vente, comme en usant du compte de la société pour des dépenses personnelles, il s'était rendu coupable de détournement d'actifs.
En réponse et par courriel du 11 juillet 2022, la secrétaire et assistante comptable de la société a indiqué ne pas avoir enregistré comptablement les dépenses personnelles du compte Qonto ne sachant pas comment procéder. Un tableau détaillant lesdites dépenses a été adressé au liquidateur. Elle a également indiqué que le fruit de la vente du véhicule avait servi à payer en partie le crédit afférent à son acquisition, ainsi que « des salaires, un solde de tout compte' »
Par courrier du 19 septembre 2022, M. [P] a indiqué que le véhicule avait été acheté avec des fonds personnels au moyen d'un crédit personnel ; que sur les conseils de son ancien expert-comptable il avait établi un certificat de cession au bénéfice de la société pour pouvoir récupérer la TVA déductible sans pour autant encaisser le prix de vente, le comptable ayant passé une écriture sur le compte courant associé dont il ignorait l'existence. Il a précisé avoir vendu le véhicule sans avoir conscience d'un quelconque détournement et être dans l'incapacité totale de reverser les sommes qui lui étaient réclamées.
Par exploit de commissaire de justice du 2 février 2023, la SELARL MJ de l'Allier, ès-qualités, a assigné M. [P] en paiement des sommes susvisées.
Par jugement du 5 décembre 2023, le tribunal de commerce de Cusset a :
Condamné M. [P] à payer à la SELARL MJ de l'Allier, représentée par Maître [M] [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société CHRISELEC :
- la somme de 595,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure
- la somme de 6 320,33 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure,
- la somme de 14 000 euros prix de vente du véhicule encaissé personnellement par M. [F] [P],
Condamné M. [P] à payer à la SELARL MJ de l'Allier ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Chris Elec, la somme de 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [P] a relevé appel de ce jugement suivant déclaration d'appel du 19 janvier 2024 afin d'obtenir l'infirmation de cette décision en toutes ses dispositions.
Aux termes de conclusions notifiées par RPVA le 19 avril 2024, M. [P] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement ;
- Constater le désistement de la SELARL MJ de l'Allier de sa demande de condamnation à la somme de 595,34 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure, et subsidiairement l'en débouter.
Débouter la SELARL MJ de l'Allier de sa demande de condamnation à la somme de 6 320,33 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure,
Débouter la SELARL MJ de l'Allier de sa demande de condamnation à la somme de 14 000 euros prix de vente du véhicule de la société qu'il a encaissé personnellement et subsidiairement, limiter la condamnation à ce titre à la somme de 8 565,02 euros ;
Débouter la SELARL MJ de l'Allier de sa demande au titre au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Juger que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
M. [P] soutient que le liquidateur ne rapporte pas la preuve des dépenses personnelles qu'il aurait engagé à concurrence de 6 320,33 euros. Il fait observer que les relevés bancaires ne sont pas produits et que la lecture du grand livre comptable ne permet pas de caractériser cette somme.
Il rappelle qu'il était l'unique associé de la société Chris Elec et affirme ne pas avoir prélevé de rémunération sur la période au cours de laquelle il aurait effectué des dépenses personnelles qui ne sont pas illégales si elles sont portées comptablement au compte-courant et si elles ne sont pas excessives au regard de la situation de la société. Il s'agit selon M. [P] d'une simple problématique d'écritures comptables.
S'agissant du véhicule, M. [P] reprend les explications données au liquidateur par courrier et prétend qu'en tout état de cause un premier versement par chèque a été encaissé par la société fin février 2021 pour 5 434,98 euros, la vente ayant permis de solder l'emprunt.
Par conclusions notifiées électroniquement le 18 juillet 2024, la SELARL MJ de l'Allier, ès-qualités de liquidateur de la SARL Chris Elec demande à la cour, au visa des articles L.223-21, L.223-621 et L.654-2 du code de commerce, de :
Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions à l'exception de la condamnation au remboursement du compte courant d'associé à hauteur de 595,34 euros, dont elle s'est désistée en première instance ;
Y ajoutant,
Condamner M. [P] à lui payer la somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En tout état de cause,
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [P].
Elle répond qu'il incombe à M. [P] de prouver que les prélèvements effectués ne sont pas illégaux et n'apparaissent comme tels qu'en raison de problèmes d'écritures comptables, le liquidateur n'ayant pas à reconstituer la comptabilité du débiteur. Elle signale que les relevés de la banque Qonto attestent des prélèvements dont elle sollicite le remboursement, mais plus encore, de dépenses personnelles et de retraits d'espèces antérieurs au mois de décembre 2021.
Elle fait observer que contrairement à ce qu'il affirme, M. [P] a prélevé sa rémunération et, alors que ses salariés n'étaient plus payés depuis mars 2022, a continué à effectuer des achats personnels avec le compte de la société, a prélevé 500 euros la veille de la déclaration d'état de cessation des paiements et réglé préférentiellement à un autre salarié, deux mois de salaires à sa compagne.
S'agissant du prix de vente du véhicule, la SELARL MJ de l'Allier indique qu'au vu du solde du compte au 3 septembre 2021 et des dépenses personnelles de M. [P] par le biais du compte de la société, il apparaît que la somme de 24 000 euros a été créditée au compte-courant d'associé de M. [P] lors de la cession et dépensée. Elle souligne le fait que M. [P] a régulièrement prélevé la somme de 208.19 euros sur le compte courant d'associé en remboursement du véhicule.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2024.
Motifs :
Selon les dispositions de l'article L223-21 du code de commerce, à peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Cette interdiction s'applique aux représentants légaux des personnes morales associées.
L'interdiction s'applique également aux conjoint, ascendants et descendants des personnes visées à l'alinéa précédent ainsi qu'à toute personne interposée.
Toutefois, si la société exploite un établissement financier, cette interdiction ne s'applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales.
L'article L654-2 du même code dispose qu'en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l'article L. 654-1 contre lesquelles a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
2° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur ;
3° Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;
4° Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l'entreprise ou de la personne morale ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;
5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.
- Sur la demande en paiement d'une somme de 595.34 euros :
La SELARL MJ de l'Allier indiquant s'être désistée en première instance de la demande portant sur le remboursement du compte-courant d'associé débiteur, il convient de prendre acte de ce désistement et de réformer le jugement en ce qu'il condamne M. [P] à verser à la SELARL MJ de l'Allier ès-qualités la somme de de 595,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure.
- Sur la demande de condamnation au remboursement de dépenses personnelles
M. [P] a adressé au liquidateur un tableau des dépenses personnelles effectuées à partir du compte Qonto que sa compagne ne savait pas enregistrer comptablement (pièce 4- courriel du 11 juillet 2022). Cette dernière indique « je n'ai rien enregistré comptablement car je ne savais pas comment faire » et précise que M. [P] comptait rembourser ces sommes au fur et à mesure « dès que la situation de l'entreprise se serait arrangée ».
Le tableau de ces dépenses effectuées avec la carte de la société (produit en pièce 8) fait état d'une dépense globale de 4 590.73 euros pour la période allant du mois de décembre 2021 au mois de mai 2022.
La comparaison avec les dépenses enregistrées sur le relevé de compte produit en pièce 11 permet de vérifier l'existence de ces dépenses. Il résulte par ailleurs de la consultation du relevé de compte que M. [P] a utilisé indistinctement le compte professionnel pour des dépenses professionnelles et personnelles avant le mois de décembre 2021. L'examen de cette pièce permet de constater que la demande en paiement de la somme de 6 320,33 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure, est justifiée.
- Sur la demande de condamnation de remboursement du prix de vente du véhicule :
M. [P] a indiqué par courrier du 19 septembre 2022, avoir personnellement acheté le véhicule Nissan [Immatriculation 4] et l'avoir cédé à la société Chris Elec pour pouvoir récupérer la TVA, sans toutefois percevoir la somme de 24 000 euros. Il a ajouté que cette somme avait été portée sur un compte-courant d'associé dont il ignorait l'existence et qu'il ne se souvenait pas avoir tenu une assemblée générale.
Il résulte pourtant de la pièce n°5 communiquée par l'intimée, que la société Chris Elec a déposé ses comptes annuels pour l'exercice clos au 31 décembre 2019 contre récépissé du greffe du tribunal de Cusset du 27 novembre 2020. En annexe, figure une convention passée entre la société et l'associé unique portant sur l'apport à la société (au cours de l'exercice écoulé) du véhicule Nissan moyennant une contrepartie de 24 000 euros en compte courant associé.
L'apport du véhicule à la société Chris Elec n'a donc pas été dépourvu de contrepartie pour M. [P] qui disposait d'une créance de 24 000 euros à l'égard de la société.
Ce véhicule a été vendu le 4 mai 2021.
Selon les propres déclarations de M. [P] (courrier du 19 décembre 2022) le produit de la vente a servi à rembourser le crédit personnel souscrit pour l'achat du véhicule, ainsi qu'à payer d'autres dettes. Or, il apparaît que l'avance faite par l'associé en compte-courant a été remboursée puisqu'à la date du 3 septembre 2021, le compte était créditeur de 595,34 euros. Ce compte-courant (pièce2) a été régulièrement prélevé de la somme de 208.19 euros à compter du 19 juin 2020 en remboursement du camion et M. [P] y a régulièrement effectué des prélèvements personnels.
L'appelant indique avoir versé dans le cadre de la vente du camion, la somme de 5 434.98 euros par chèque sur le compte de la société. Toutefois s'il produit un relevé de compte mentionnant ce dépôt le 24 février 2021, la cour est dans l'impossibilité de rattacher ce virement à la vente du camion intervenue le 4 mai 2021, soit postérieurement au dépôt de la somme censée provenir de la vente du véhicule.
Au regard des éléments de motivation susvisés, il appartient donc à M. [P] de restituer la somme de 14 000 euros correspondant au prix de vente du véhicule à la société Chris Elec propriétaire du véhicule, représentée par son liquidateur.
- Sur les autres demandes :
M. [P] succombant en ses demandes sera condamné aux dépens. Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SELARL MJ de l'Allier, ès-qualités, la charge de ses frais de défense.
M. [P] sera condamné à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Prend acte du désistement de la SELARL MJ de l'Allier ès-qualités de liquidateur de la SARL Chris Elec de sa demande en paiement de la somme de 595,35 euros ;
Infirme le jugement en ce qu'il condamne M. [P] à verser à la SELARL MJ de l'Allier ès-qualités de liquidateur de la SARL Chris Elec la somme de de 595,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2022, date de la première mise en demeure ;
Pour le surplus, confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne M. [F] [P] à verser à la SELARL MJ de l'Allier ès-qualités de liquidateur de la SARL Chris Elec la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [F] [P] aux dépens.