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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 12 février 2025, n° 23/03630

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/03630

12 février 2025

12/02/2025

ARRÊT N° 53 /25

N° RG 23/03630

N° Portalis DBVI-V-B7H-PYPW

MD - SC

Décision déférée du 25 Septembre 2023

Juge de la mise en état de TOULOUSE -22/01396

E. JOUEN

S.E.L.A.R.L. EVOLUTION

C/

SCCV CERGY J1 NOVAREA

INFIRMATION

Grosse délivrée

le 12/02/2025

à

Me Jean-louis JEUSSET

Me Aurélie LACLAU

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DOUZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

S.E.L.A.R.L. EVOLUTION

ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Jean-Louis JEUSSET de la SELARL CABINET JEUSSET AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Représentée par Me Christophe BEJIN de la SCP BEJIN-CAMUS-BELOT, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN (plaidant)

INTIMEE

SCCV CERGY J1 NOVAREA

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Aurélie LACLAU de la SELARL T & L AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Représentée par Me Philippe MAMMAR, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 octobre 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. DEFIX, Président, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. DEFIX, président

C. ROUGER, conseillère

S. LECLERCQ, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière : lors des débats M. POZZOBON

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par devis du 27 août 2019, la société civile immobilière de construction vente (Sccv) Cergy J1 Novarea a confié à Sas (société par actions simplifiée) Société Anizienne de Construction (SAC), la réalisation de divers travaux portant sur la construction de 107 logements sis [Adresse 6] à [Localité 5] (95) pour un montant hors taxes de 4.170.000 euros.

Le maître d'oeuvre de l'opération était la société Nationale engeneering building.

Le 11 juin 2020, la Sas Société anizienne de construction a édité un document de situation définitive indiquant qu'une somme de 31 380,20 euros lui restait due. Y a été joint le décompte général définitif valant demande en paiement de la somme de 33 031,78 euros.

Par courrier du 14 octobre 2020, la société Cergy J1 Novarea a notifié à la Sas Société anizienne le décompte rectifié par le maître d'oeuvre, la société National engineering building qui fixait la créance de l'entrepreneur à la somme de 375,22 euros.

Par jugement du 28 janvier 2021, le tribunal de commerce de Saint Quentin a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la Sas Société anizienne de construction, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 23 avril 2021 avec désignation de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) Grave [C] aujourd'hui dénommée Selarl Evolution en qualité de liquidateur, prise en la personne de Maître [W] [C].

Par courriers des 10 mai et 10 juin 2021, M. [C] a exigé le paiement de la somme de 31 380,20 euros à la Sccv Cergy J1 Novarea.

Par acte d'huissier du 25 janvier 2022, le mandataire liquidateur a sommé la société Cergy J1 Novarea d'indiquer si elle avait confié des travaux à la Sas Société anizienne de construction, si elle reconnaissait le bien-fondé de la facture du 11 juin 2020, selon quelles modalités elle entendait s'acquitter de la somme de 31 380,20 euros après déduction de la retenue de garantie ou de 33 031,78 euros avec la retenue de garantie et, à défaut de s'en acquitter, d'expliquer les raisons de ce refus.

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Par exploit d'huissier délivré le 23 mars 2022, la Selarl Grave [C] agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction, a fait assigner la Sci Cergy J1 Novarea devant le tribunal judiciaire de Toulouse aux fins, notamment, de voir condamner cette dernière au paiement de la somme de 33.031,78 euros toutes taxes comprises.

Par conclusions d'incident notifiées le 22 mars 2023, la Sccv Cergy J1 Novarea a soulevé l'irrecevabilité des demandes formulées par la Selarl Evolution compte tenu du caractère intangible du décompte définitif.

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Par ordonnance du 25 septembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse, a :

- déclaré irrecevable la demande en paiement formée par la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction,

- débouté la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur de la Sas Société anizienne de construction de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction à régler à la Sccv Cergy J1 Novarea la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction aux dépens de l'incident.

Le juge de la mise en état a considéré que le moyen tiré de l'acceptation implicite du décompte général définitif répondait à la définition de la fin de non-recevoir posée par l'article 112 du code de procédure civile en ce qu'il vise à déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond.

Il a considéré qu'il était nécessaire, pour statuer sur la fin de non-recevoir, de trancher la question de fond relative à l'applicabilité du cahier des clauses administratives générales (ccag) 'spirit' à la Sas Société anizienne de construction et à l'opposabilité de la norme Afnor NF P03-001.

Le juge de la mise en état a refusé de renvoyer la question devant le tribunal judiciaire statuant en formation collégiale au motif, d'une part que ce renvoi n'était pas de droit, le tribunal pouvant statuer à juge unique sur les demandes en paiement formulées par un entrepreneur au titre du solde d'un marché de travaux et, d'autre part qu'il n'était pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner le renvoi.

Le juge de la mise en état a retenu que la Sas Société anizienne de construction avait eu connaissance du ccag 'spirit' et en avait accepté les termes sauf en ce qui concerne les postes sur situations, que ses dispositions lui étaient donc opposables.

Il a considéré que la norme Afnor NF P03-001 était opposable à la Sas Société anizienne de construction en vertu d'une stipulation du ccag 'spirit'.

Il a considéré que l'article 1356 du code civil ne s'appliquait pas au ccag 'spirit', document type approuvé par arrêté ministériel et a rejeté la demande visant à voir déclarer nulles les stipulations de l'article 16-4-2 du ccag 'spirit'.

Le juge de la mise en état a considéré que la Sccv Cergy J1 Novarea avait notifié à la Sas société Anizienne de construction un décompte général définitif non contesté par cette dernière, rendant le décompte intangible et interdisant tout réclamation en vertu de la norme Afnor NF P03-001 et de l'article 16-4-2 du ccag 'spirit', rendant irrecevable l'action en paiement de la Sas Société anizienne de construction faute d'intérêt à agir.

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Par déclaration du 20 octobre 2023, la Selarl Evolution a relevé appel de l'ordonnance en ce qu'elle a :

- déclaré irrecevable la demande en paiement formée par Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction,

- débouté la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur de la Sas Société anizienne de construction de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction à régler à la Sccv Cergy J1 Novarea la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction aux dépens de l'incident.

Suivant avis du 27 octobre 2023, le président de chambre a fixé l'affaire à bref délai au visa de l'article 904-1 du code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 mars 2024, la Selarl Evolution ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de Construction , appelante, demande à la cour, au visa de l'article 789 du code de procédure civile, des articles 1119 et de 1356 du code civil, de l'article 19-6-3 de la norme Afnor P 03-001 et de l'article 16-4-2 du ccag 'spirit', de :

- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la Selarl Evolution ès qualités de liquidateur judiciaire de Sac à l'encontre de l'ordonnance rendue par Madame le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse du 25 septembre 2023 sous le n° de rôle 22/01396,

- infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :

* déclaré irrecevable la demande en paiement formée par la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de 'SAC',

* débouté la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de 'SAC' de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de 'SAC' à régler À Sccv Cergy J1 Novarea la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de 'SAC' aux dépens de l'incident,

Statuant de nouveau,

- «juger» que l'argumentaire ressortant de l'application des stipulations de l'article 16-4-2 du ccag 'spirit' ne saurait constituer une « fin de non recevoir », au sens de l'article 789 du code de procédure civile, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- «juger» par voie de conséquence que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse ne pouvait pas retenir sa compétence au sens de l'article 789 du code de procédure civile, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- «juger» que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse aurait dû rejeter l'incident soulevé par Cergy J1 Novarea, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

Au fond,

- «juger» que les stipulations de l'article 16-4-2 du Ccag spirit ne sauraient être opposables à la Selarl Evoluation ès qualités de liquidateur judiciaire de 'SAC', au sens notamment des dispositions de l'article 1119 du code civil, et ce avec toutes suites et conséquences de droit;

- «juger» que Cergy J1 Novarea ne saurait justifier de ce que le ccag 'spirit' ait été porté à la connaissance de 'SAC' et de ce que 'SAC' aurait dûment accepté le document dont s'agit, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- infirmer l'ordonnance dont appel du 25 septembre 2023 en ce qu'il a été dit que le ccag 'spirit' était opposable à 'SAC' et que ce document avait été accepté par cette dernière, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

Au fond,

- déclarer nulles et de nul effet les stipulations ressortant tant du ccag 'spirit' que de la norme Afnor P 03-001, et juger que celles-ci doivent être réputées non écrites, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

Par ailleurs,

- «juger» que le ccag 'spirit' n'a jamais été approuvé par quelque arrêté ministériel que ce soit, et ce avec toutes suites et conséquences de droit, et ne revêt par voie de conséquence aucun caractère réglementaire,

- «juger» que ce document, de ce fait, est inclus dans le périmètre des conventions susceptibles de lier les parties en la cause, et ce avec toutes suites et conséquences de droit, - «juger» que les dispositions de l'article 1356 du code civil doivent donc trouver leur plein et entier effet, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

Par voie de conséquence et au vu de ce qui précède,

- «juger» que la Selarl Evolution ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de 'SAC' est habile à demander condamnation de Cergy J1 Novarea au paiement de la somme principale de 33.031,78 euros, telle que visée sur la facture 'SAC' n° 20-06-44 du 11 juin 2020, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- «juger» que la Selarl Evolution ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de 'SAC' est donc recevable en sa demande en paiement à l'encontre de Cergy J1 Novarea, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- condamner Cergy J1 Novarea au paiement d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner enfin Cergy J1 Novarea aux entiers dépens de première instance et d'appel, et en prononcer distraction au profit de Maître Jean Louis Jeusset, avocat aux offres de droit.

À l'appui de ses prétentions, l'appelante soutient que :

- le moyen tiré de l'application de l'article 16-4-2 du ccag 'spirit' est un moyen de défense au fond et non une fin de non-recevoir,

- il reste dû en tout état de cause un solde à la liquidation judiciaire de Sac d'un montant de 375,22 euros, l'incident soulevé par la Sccv Cergy J1 Novarea ne saurait donc mettre fin à l'instance,

- il ne peut donc être fait application de l'article 789 du code de procédure civile,

- pour lui être opposable, le ccag 'spirit' doit avoir été porté à la connaissance de la Sas Société anizienne de construction, or cela n'est pas établi,

- pour lui être opposable, le ccag 'spirit' doit avoir été accepté par la Sas Société anizienne de construction, or le fait d'avoir indiqué déroger sur un point spécifique à une convention ne vaut pas acceptation tacite pour le reste,

- en vertu de l'article 1120 du code civil, le silence ne vaut pas acceptation, il aurait fallu que la Sas Société anizienne de construction paraphe les pages du ccag 'spirit' or tel n'est pas le cas,

- la charge de la preuve de l'acceptation des stipulations du ccag 'spirit' n'est pas rapporté par la société Cergy J1 Novarea,

- seule une acceptation expresse des parties confère à une norme Afnor une valeur contractuelle,

- il a été jugé que l'établissement et la notification du décompte par le maître d'ouvrage ne permet pas à ce dernier de se prévaloir d'une acceptation tacite de l'entrepreneur, si le maître d'ouvrage ne respecte pas les dispositions de l'article 19-5-4 de la norme Afnor P 03-001, ne lui permettant de faire établir le mémoire définitif par le maître d''uvre qu'après envoi d'une mise en demeure restée sans effet, or la société Cergy J1 Novarea n'a pas mis en demeure la Sas Société anizienne de construction avant envoi du décompte rectifié,

- en vertu de l'article 1356 du code civil, les contrats sur la preuve ne peuvent établir une présomption irréfragable au profit d'une partie,

- l'article 16-4-2 du ccag spirit et l'article 19-6-4 de la norme Afnor P03-001 considèrent que le silence de l'entrepreneur vaut acceptation irréfragable du décompte définitif établi par le maître d'oeuvre,

- le ccag 'spirit' n'a pas été approuvé par arrêté ministériel et n'a aucune valeur réglementaire, il entre donc dans le périmètre des conventions liant les parties et constitue un contrat,

- il en est de même de la norme Afnor P03-001,

- leurs stipulations opposées par Cergy J1 Novarea sont nulles au regard de l'article 1356 du code civil,

- la cour d'appel n'est pas compétente pour statuer au fond sur la demande en paiement, dès lors qu'elle n'est saisie que d'un appel formé à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état et qu'il n'y a pas lieu de transgresser le principe du double degré de juridiction.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 novembre 2023, la Sccv Cergy J1 Novarea, intimée, demande à la cour, au visa des articles 9 à 11, 31, 32, 122 et 789 du code de procédure civile, l'article 1353 du code civil ainsi que des articles 19.6.1 et 19.6.3 de la norme Afnor P03 001, de :

- «dire et juger» irrecevable, la Selarl Evolution, mandataire liquidateur de la Sas Société anizienne de construction en ses demandes,

- confirmer l'ordonnance rendue le 25 septembre 2023 par la juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse,

À titre subsidiaire :

- débouter la Selarl Evolution, mandataire liquidateur de la Sas Société anizienne de construction, de l'ensemble de ses demandes,

En tout état de cause :

- condamner la Selarl Evolution, mandataire liquidateur de la Sas Société anizienne de construction à payer à la Sccv Cergy J1 Novarea la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Selarl Evolution, mandataire liquidateur de la Sas Société anizienne de construction aux entiers dépens.

À l'appui de ses prétentions, l'intimée soutient que :

- en application des articles 19.6.1 et 19.6.3 de la norme Afnor P03-001, l'entrepreneur qui ne conteste pas le décompte général définitif dans les 30 jours de sa notification est réputé l'avoir accepté, rendant le décompte notifié intangible,

- le ccag 'spirit' est visé par le devis établi par la Sas Société anizienne de construction et inclus au dossier de consultation des entreprises,

- le ccag 'spirit' prévoit en son article 16.4.2 que le maître de l'ouvrage notifie le décompte définitif vérifié à l'entrepreneur qui dispose de 15 jours pour présenter ses observations par écrit, à défaut de quoi il est réputé avoir accepté le décompte définitif,

- la Sas Société anizienne de construction n'a pas adressé d'observation dans le délai précité, de sorte que ses réclamations financières sont irrecevables comme étant tardives au regard des stipulations contractuelles,

- la Sas Société anizienne ne peut prétendre ne pas avoir eu connaissance du ccag spirit puisque dans son devis du 27 août 2019 elle fait référence au ccag,

- elle a accepté les termes du ccag sauf en ce qui concerne les 'postes sur situation', clause qu'elle a expressément exclue,

- c'est bien le ccag 'spirit' version juin 2018 qui était visé par le dossier de consultation des entreprises,

- l'article 1356 du code civil n'est pas applicable à la clause 16-4-2 du ccag 'spirit' dès lors qu'elle ne concerne pas le droit d'une partie à rapporter une preuve mais celui de contester une créance contractuelle,

- le décompte général et définitif clôt l'exécution juridique et financière du marché,

- les parties ne sont donc plus fondées à émettre des réclamations liées à l'exécution du marché une fois le décompte général devenu définitif,

- le devis de la Sas Société anizienne de construction du 19 août 2019 comporte expressément la référence à la norme Afnor P03-001, outre que le ccag spirit s'y réfère au titre des documents non joints mais connus de l'entrepreneur,

- la jurisprudence considère que la référence à la norme Afnor P03-001 dans un document contractuel la rend opposable aux parties,

- l'article 19.6.3 de la norme Afnor P03-001 stipule qu'à défaut de contestation du décompte général définitif notifié par le maître d'ouvrage dans un certain délai, l'entrepreneur est réputé l'avoir accepté,

- à titre subsidiaire, la société Cergy J1 Novarea sollicite le débouté de la demande en paiement présentée par la Selarl Grave [C].

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2024 et l'affaire a été examinée à l'audience du 15 octobre 2024 à 14h.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

- Sur la recevabilité de l'action en paiement formée par le liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction :

Sur la qualification de 'fin de non-recevoir'

1. En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

La source des fins de non-recevoir n'est pas exclusivement légale et les parties à un contrat peuvent notamment s'accorder à interdire une action avant ou après l'expiration d'un délai déterminé.

La société Cergy J1 Novareo se prévaut des articles 19.6.3 de la norme Afnor P03-001 et de la clause 16-4-2 du ccag 'spirit'.

L'article 19.6.3 de la norme Afnor P03-001 de 2000 précise que 'l'entrepreneur dispose de 30 jours à compter de la notification [du décompte définitif par le maître de l'ouvrage] pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles au maître d'oeuvre et pour en aviser simultanément le maître de l'ouvrage. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté le décompte définitif'.

La clause 16-4-2 du ccag 'spirit' dans sa version de juin 2018 stipule que 'la maîtrise d'oeuvre vérifie le décompte définitif de l'entrepreneur, établit le détail définitif des sommes dues et les transmet au maître de l'ouvrage dans un délai de 15 jours.

Le maître de l'ouvrage notifie le décompte définitif vérifié à l'entrepreneur dans le délai de 1 mois à compter de la réception du décompte préalablement vérifié par le maître d'oeuvre.

L'entrepreneur dispose de 15 jours à compter de la signification pour présenter ses observations par écrit (lettre recommandée avec accusé réception), passé ce délai, il est réputé avoir accepté le décompte définitif.

Le maître de l'ouvrage dispose de 15 jours pour faire connaître par écrit s'il accepte ou non ces observations. Passé ce délai, il est réputé avoir définitivement rejeté ces observations'.

Ces clauses rendent l'entrepreneur forclos à contester le décompte une fois le délai écoulé (Civ. 3ème, 6 juillet 2011, pourvoi n°10-10.694), à condition que la procédure visée par le contrat type ait été respectée et créent une fin de non-recevoir s'agissant d'un moyen visant à déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond.

Sur la compétence du juge de la mise en état,

2. En vertu de l'article 789 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.

L'absence de contestation du décompte général définitif dans le délai imparti par le ccag 'spirit' ou la norme Afnor P03-001 constitue une fin de non-recevoir qui relève, en tant que telle, de la compétence du juge de la mise en état.

La Selarl Evolution soutient toutefois que son action en paiement ne peut être déclarée irrecevable alors qu'en tout état de cause, le maître de l'ouvrage reconnaît lui devoir a minima la somme de 375,22 euros.

Cependant, dans l'acte d'assignation ainsi que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la Selarl Grave [C] devenue Selarl Evolution en sa qualité de mandataire liquidateur a seulement sollicité le paiement de la somme de 33 031,78 euros telle que figurant sur la facture éditée par la Sas Société anizienne de construction et nullement le paiement, à titre subsidiaire de la somme de 375,22 euros. De sorte que l'analyse de la recevabilité de sa demande en paiement qui conteste le décompte général retenu par le maître de l'ouvrage relève bien de la compétence du juge de la mise en état, et est susceptible de conduire à l'irrecevabilité de la contestation du décompte général, et donc de la présentation d'une demande en paiement au-delà du décompte général. En revanche, l'action en paiement dirigée contre le maître de l'ouvrage est, en toutes hypothèses, recevable à hauteur de la somme de 375,22 euros admise dans le décompte général vérifié par le maître de l'ouvrage.

Sur l'opposabilité des stipulations de l'article 16-4-2 du ccag 'spirit' en vertu de l'article 1119 du code civil

3. Le ccag 'spirit' constitue un modèle type de conditions générales, soumises à l'article 1119 du code civil, en vertu duquel les conditions générales invoquées par une partie n'ont effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées.

En l'espèce, la lettre d'accord de travaux éditée le 24 septembre 2019 indique comme document de référence : 'ccag : juin 2018".

Cette lettre d'accord n'est pas signée par la Sas Société anizienne de construction.

La cour relève en outre que le ccag spirit produit aux débats par la société Cergy J1 Novarea n'est pas signé par la Sas Société anizienne de construction.

Sur le devis édité le 27 août 2019 par la Sas Société anizienne de construction, il est stipulé 'contrairement au ccag, les postes sur situations sont avancés à 100% tous les mois'.

Un ccag serait donc applicable à la relation contractuelle, en revanche, le ccag concerné n'est pas identifié. Il ne peut être retenu, en l'absence de signature de la lettre d'accord qui se réfère à un ccag de juin 2018 et de signature du ccag 'spirit', que celui-ci est applicable à la relation contractuelle entre les parties.

4. La norme Afnor P03-001 constitue un contrat type élaboré par un organisme privé, facultatif en principe et qui devient obligatoire lorsque le contrat reprend ses stipulations ou le vise en vertu de l'article 1103 du code civil.

En l'espèce, le ccag 'spirit' stipule que les conditions du marché résultent notamment 'du cahier des clauses générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés (document Afnor Nf P03-001, dernière édition)'. Ainsi que cela a été précédemment retenu, il ne peut être considéré que le ccag 'spirit' est applicable au contrat d'entreprise conclu entre la Sas Société anizienne de construction et la société Cergy J1 Novarea, ni la norme Afnor par son biais.

Dans son devis édité le 27 août 2019, la Sas Société anizienne de construction fait référence à la norme NF P03-001 comme suit : 'installation de chantier suivant norme NF P 03-001", permettant de considérer qu'elle a entendu se soumettre spécifiquement à cette norme technique en ce qui concerne l'installation du chantier. Elle ne fait toutefois pas référence à la totalité de la norme NF P03-001 ou, spécifiquement, à la procédure de décompte général définitif telle que définie par ladite norme qui n'est donc nullement applicable en l'espèce.

La fin de non-recevoir tirée de l'absence de contestation par l'entrepreneur du décompte général définitif vérifié par le maître de l'ouvrage doit en conséquence être rejetée. L'action en paiement formée par la Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction est donc recevable en son intégralité.

Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.

5. La Sccv Cergy J1 Novarea demande subsidiairement le rejet de l'ensemble des demandes formées par la Selarl Evolution prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction.

Il sera rappelé que la cour est présentement saisie d'un appel d'une décision du juge de la mise en état et que, pas plus que ce dernier, la cour ne possède le pouvoir, même par évocation, de statuer sur le fond des prétentions formées en première instance. Il convient en conséquence de se déclarer incompétent pour connaître de cette demande subsidiaire et de renvoyer les parties sur ce point devant la formation de jugement du tribunal judiciaire.

- Sur les dépens et frais irrépétibles :

6. la Sccv Cergy J1 Novarea, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens de l'incident de première instance et de la procédure d'appel ainsi qu'à payer à la Selarl Evolution, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

La demande au titre des frais irrépétibles, présentée par la Sccv Cergy J1 Novarea qui est tenue aux dépens, sera quant à elle rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant, dans la limite de sa saisine, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 25 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Reçoit l'action en paiement présentée par la Selarl Evolution, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction à l'encontre de la Sccv Cergy J1 Novarea.

Dit que la cour d'appel, statuant sur l'appel d'une décision du juge de la mise en état, n'a pas le pouvoir de se prononcer sur le fond des demandes dont est saisi le tribunal judiciaire.

Renvoie en conséquence la Sccv Cergy J1 Novarea à présenter devant le tribunal judiciaire de Toulouse sa demande tendant à voir rejeter la demande formée par la Selarl Evolution, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction.

Condamne la Sccv Cergy J1 Novarea aux dépens de l'incident de mise en en état et de la procédure d'appel.

Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître Jean-Louis Jeusset, avocat, à recouvrer directemement contre la Sccv Cergy J1 Novarea, ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Condamne la Sccv Cergy J1 Novarea à payer à la Selarl Evolution, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Société anizienne de construction la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente procédure d'appel.

Déboute la Sccv Cergy J1 Novarea de sa propre demande à ce même titre.

La greffière Le président

M. POZZOBON M. DEFIX

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