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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 12 février 2025, n° 24/03805

VERSAILLES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Sovereve (SAS), Roclaysa (Sté)

Défendeur :

Aljuan (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Lafon, Me Chateauneuf, Me Cayre, Me Bes, SCP Bes Sauvaigo & Associés, Me Gentilhomme, SEL Vidok

T. com. Chartres, du 6 déc. 2023, n° 202…

6 décembre 2023

EXPOSE DES FAITS

Les sociétés de droit espagnol Aljuan et Roclaysa étaient liées, depuis 2009, par un contrat d'agent commercial non écrit aux termes duquel la première a confié à la seconde la mission de prospecter de potentiels clients, présenter ses produits et services, négocier les prix et signer les contrats.

La société Roclaysa, qui a pour dirigeant M. [G] [K], dit avoir confié l'exécution de cette mission sur le territoire français à la société de droit français Soverev, également dirigée par M. [K].

Par courrier du 7 avril 2021, la société Aljuan a informé la société Roclaysa qu'elle mettait fin au contrat d'agent commercial. Par courrier du 4 mai suivant, la société Soverev a contesté la rupture des relations commerciales et, le 20 mai suivant, la société Aljuan lui a répondu qu'elle ne la connaissait pas, son agent commercial étant la société Roclaysa.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 août 2021, les sociétés Roclaysa et Soverev ont mis en demeure la société Aljuan de payer les sommes de 136.775 euros et de 239.683 euros au titre respectivement de l'indemnité de rupture et de la réduction des commissions unilatéralement décidée par la société Aljuan. Par lettre du 30 août 2021, la société Aljuan s'y est opposée. Le 21 mars 2022, la société Roclaysa a mis en demeure la société Aljuan de lui verser ces sommes, en vain.

Par acte du 9 juin 2022, les sociétés Roclaysa et Soverev ont assigné la société Aljuan devant le tribunal de commerce de Chartres en paiement des sommes de 136.775 euros et de 239.683 euros à titre principal à la société Soverev et à titre subsidiaire à la société Roclaysa.

La société Aljuan a soulevé une exception de nullité de l'assignation et une exception d'incompétence du tribunal saisi au profit des juridictions espagnoles.

Par jugement du 6 décembre 2023, le tribunal a :

- dit l'assignation entachée de nullité au regard de l'absence de mention de la liquidation de la société Soverev et de l'irrégularité de sa représentation en justice,

- dit que le droit espagnol est applicable au présent litige, le tribunal de commerce de Chartres étant incompétent pour en connaître,

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- condamné solidairement les sociétés Soverev et Roclaysa à payer à la société Aljuan la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens solidairement à la charge des sociétés Soverev et Roclaysa.

Par déclaration du 2 janvier 2024, les sociétés Soverev et Roclaysa ont fait appel de ce jugement en chacune de ses dispositions ; l'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 24/183.

Par déclaration du 17 juin 2024, les sociétés Soverev et Roclaysa ont de nouveau fait appel de ce jugement en chacune de ses dispositions et, par ailleurs, demandé à être autorisées à assigner la société Aljuan à jour fixe ; l'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 24/3805 et les sociétés requérantes autorisées à assigner la société Aljuan à l'audience du 10 décembre 2024, 9 heures.

Par dernières conclusions n° 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 novembre 2024, les sociétés Soverev et Roclaysa demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau :

- de juger valable l'assignation signifiée le 9 juin 2022 à la société Aljuan, de juger les juridictions françaises compétentes pour connaître du litige, de juger le droit français applicable au litige, de les juger recevables et bien fondées en leurs demandes, en conséquence de renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Chartres autrement constitué (sic),

- « à défaut » (sic) de juger recevable et bien fondée l'action directe de la société Soverev, en sa qualité de sous-agent commercial, exercée à l'encontre de la société Aljuan, de condamner la société Aljuan à lui payer la somme de 136.775 euros au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat et la somme de 239.683 euros au titre de la réduction unilatérale du taux de commission, avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 2021 et capitalisation des intérêts,

- subsidiairement, de condamner la société Aljuan à payer à la société Roclaysa les mêmes sommes, la seconde avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 2021 et capitalisation des intérêts,

- en tout état de cause, de débouter la société Aljuan de l'intégralité de ses demandes, de la condamner à payer à chacune d'elles une somme de 7.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Par dernières conclusions n° 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 9 décembre 2024, la société Aljuan demande à la cour de juger la déclaration d'appel nulle en application de l'article 901 du code de procédure civile et, en tout état de cause, irrecevable en application des articles 538 et 546 du code de procédure civile, subsidiairement de confirmer le jugement, plus subsidiairement de juger les appelantes irrecevables et en tous les cas mal fondées en l'intégralité de leurs demandes et de les en débouter, en tout état de cause de condamner solidairement les sociétés Soverev et Roclaysa à lui payer la somme de 7.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

SUR CE,

Sur la demande de sursis à statuer :

Dans leurs écritures, les sociétés Soverev et Roclaysa demandent à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur la caducité de la déclaration d'appel du 2 janvier 2024. Cette demande n'est toutefois pas formée dans le dispositif de leurs conclusions sur lequel, en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la cour statue. Cette demande ne sera donc pas examinée.

Sur la nullité de la déclaration d'appel :

La société Aljuan soutient que la déclaration d'appel est nulle en raison de l'inexactitude de l'adresse de la société Soverev mentionnée dans cette déclaration et du grief que cette irrégularité lui cause. Elle fait valoir que le procès-verbal de signification du jugement atteste de cette inexactitude et qu'elle subit un grief en ce que la société Soverev telle qu'identifiée et domiciliée à tous les actes de la procédure n'a aucune existence.

Les sociétés Soverev et Roclaysa soutiennent que la société Aljuan ne justifie d'aucun grief.

La société Soverev se dit domiciliée [Adresse 4] [Localité 3]. La société Aljuan a fait signifier le jugement dont appel à cette adresse le 18 mars 2024. L'huissier de justice a constaté que, sur place, le nom du destinataire ne figurait sur aucun élément matériel, que la boîte aux lettres ne comportait pas le nom du destinataire, qu'une recherche sur l'annuaire sur la commune et de façon plus générale n'avait rien donné, qu'une recherche sur le registre national du commerce et des sociétés/registre national des entreprises ne donnait aucune autre adresse, qu'aucune information exploitable n'était visible au BODACC, que le gérant de l'entreprise Thierry Christophe lui avait indiqué que le destinataire était parti sans laisser d'adresse il y avait environ un an, que le site Pappers.fr indiquait « aucun établissement en activité », qu'un procès-verbal d'assemblée générale consultable faisait mention de la dissolution de la société Soverev au 31 décembre 2021.

La société Soverev ne conteste pas l'exactitude de ces mentions. Elle ajoute toutefois que ce procès-verbal d'assemblée générale du 31 décembre 2021 précise que le siège de la liquidation est fixé à l'adresse personnelle de M. [G] [K] sise [Adresse 7], [Localité 2].

La déclaration d'appel ne mentionnant pas la dissolution par anticipation de la société Soverev ni le siège de la liquidation ne respecte pas l'article 901 du code de procédure civile aux termes duquel, par renvoi à l'article 54, 3°, du même code, à peine de nullité la déclaration d'appel doit, pour les personnes morales, faire mention de leur siège social.

Cependant la société Aljuan n'établit pas que cette irrégularité lui cause un grief dès lors que le jugement dont appel se borne à dire l'assignation entachée de nullité et à renvoyer les parties à mieux se pourvoir et que, s'agissant du recouvrement de la somme de 1.000 euros, il lui est possible d'y procéder auprès de la société Roclaysa ou du liquidateur de la société Soverev dont l'adresse figure dans le procès-verbal d'assemblée générale du 31 décembre 2021 rendu public.

La nullité de la déclaration d'appel ne sera donc pas prononcée.

Sur la recevabilité de l'appel :

La société Aljuan soulève l'irrecevabilité de l'appel au premier motif qu'il a été formé le 17 juin 2024 plus d'un mois après la signification du jugement et au second motif qu'il se heurte au principe « appel sur appel ne vaut » compte tenu du premier appel interjeté par les sociétés Soverev et Roclaysa le 2 janvier 2024.

Les sociétés Soverev et Roclaysa soutiennent que la société Aljuan ne peut se prévaloir d'une irrecevabilité de l'appel en raison de sa tardiveté alors que la signification du jugement porte une mention erronée sur le délai d'appel et que le second et présent appel n'ayant pas le même objet que le premier est recevable.

Il résulte de l'article 546 du code de procédure civile, disposant que le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, que lorsque la cour d'appel est régulièrement saisie par une première déclaration d'appel dont la caducité n'a pas été constatée, est irrecevable le second appel, faute d'intérêt pour son auteur à interjeter un appel dirigé contre le même jugement entre les mêmes parties.

En l'espèce, les sociétés Soverev et Roclaysa ont formé deux appels à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Chartres, les 2 janvier et 17 juin 2024, en critiquant, à chaque fois, chacun des chefs du jugement et en intimant la société Aljuan. Les deux déclarations d'appel, dirigées contre le même jugement entre les mêmes parties, ont dès lors le même objet.

La caducité de la première déclaration d'appel a été soulevée et, au jour où la cour statue par le présent arrêt sur le deuxième appel des sociétés Soverev et Roclaysa, le conseiller de la mise en état n'a pas statué sur cette caducité.

La cour d'appel ayant ainsi été régulièrement saisie par une première déclaration d'appel des sociétés Soverev et Roclaysa dont la caducité n'a pas été constatée à ce jour, le second appel des sociétés Soverev et Roclaysa est irrecevable faute d'intérêt pour elles à interjeter un appel dirigé contre le même jugement entre les mêmes parties et ce, nonobstant la motivation exposée par les appelantes pour justifier leur second appel et tirée de l'incident de caducité soulevé dans l'instance ouverte sur la première déclaration d'appel et de la sauvegarde de leurs droits si la caducité devait être prononcée.

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'appel, l'appel des sociétés Soverev et Roclaysa sera donc déclaré irrecevable.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Succombant en leur second appel, les sociétés Soverev et Roclaysa seront condamnées aux dépens de l'appel. Elles ne peuvent dès lors prétendre à une indemnité procédurale. Elles seront en revanche condamnées à payer à la société Aljuan une somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés dans cette instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant contradictoirement,

Rejette l'exception de nullité de la déclaration d'appel soulevée par la société Aljuan ;

Déclare irrecevable l'appel interjeté par les sociétés Soverev et Roclaysa le 17 juin 2024 ;

Condamne in solidum les sociétés Soverev et Roclaysa aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum les sociétés Soverev et Roclaysa à payer à la société Aljuan une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés dans la présente procédure d'appel ;

Déboute les sociétés Soverev et Roclaysa de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

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