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Décisions

CA Cayenne, ch. soc., 12 février 2025, n° 23/00086

CAYENNE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Etablissement public OPRF (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouchare

Conseillers :

Mme Goillot, Mme Baudis

Avocats :

Me Leblanc, Me Marcault-Derouard

Cons. prud'h. Cayenne, formation de dépa…

9 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE :

Madame [R] [F] a été embauchée par la société OPERATEUR PUBLIC REGIONAL DE FORMATION (ci-après, OPRF) , SIRET 794 926 28, selon contrat de travail à durée déterminée en date du 29 juillet 2016, en qualité d'assistante de direction.

Selon deux avenants en dates du 29 février 2017 et du 05 septembre 2017, le contrat de travail de Madame [R] [F] a été prorogé puis il a fait l'objet d'une novation à durée indéterminée.

Selon lettre en date du 13 janvier 2021, remise en main propre contre décharge le 20 janvier 2021, la société OPRF a proposé à Madame [R] [F] un « changement de fonction » emportant un délai de réflexion de 05 jours.

Selon courriel électronique en date du 26 janvier 2021, Madame [R] [F] a sollicité une réunion de service afin d'obtenir des explications sur les termes de l'avenant. Le 04 février 2021, la société OPRF a convoqué Madame [R] [F] à un entretien fixé le 08 février 2021. Mais cette dernière n'a été ni présente ni représentée lors de cette réunion.

Selon lettre remise en main propre contre décharge en date du 22 février 2021, Madame [R] [F] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 02 mars 2021.

Selon lettre recommandée avec accusé de réception en date du 08 mars 2021, Madame [R] [F] a fait l'objet d'un licenciement pour motif personnel.

Suivant requête datée du 14 juin 2021, enregistrée au greffe le même jour, Madame [R] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Cayenne d'une demande dirigée contre la société OPRF.

Les parties ont été convoquées à l'audience du bureau de conciliation du 22 novembre 2021. A défaut de conciliation fructueuse entre les parties, l'affaire a été renvoyée à l'audience du bureau de jugement du 22 novembre 2021. L'affaire a fait l'objet de plusieurs renvois successifs avant d'être retenue et plaidée à l'audience du bureau de jugement du 07 novembre 2022.

Aux termes de ses conclusions datées du 07 mars 2022, enregistrées au greffe le 07 novembre 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, Madame [R] [F] demandait au conseil de prud'hommes de :

- Constater l'absence de cause réelle et sérieuse dans les motifs du licenciement de Madame [R] [F] ;

- Constater la fraude à la procédure de licenciement pour motif économique et l'illicéité de la procédure de licenciement ;

- Dire et juger que le licenciement de Madame [R] [F] est sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner l'employeur à verser à Madame [R] [F] la somme de 76.800,00 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et du licenciement frauduleux ;

- Condamner l'employeur à verser à Madame [R] [F] la somme de 5.000,00 € au titre de son préjudice moral (atteinte portée à la dignité du salarié) ;

- Condamner l'employeur à verser à Madame [R] [F] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 2.000,00 € ;

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

En premier lieu, Madame [R] [F] faisait valoir que le licenciement dont elle avait fait l'objet était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Madame [R] [F] insistait sur le caractère isolé de la faute commise et soutenait qu'elle n'avait jamais fait l'objet de reproche antérieur, de sorte que la cause réelle et sérieuse du licenciement était « anéantie ». En outre, Madame [R] [F] mettait en exergue la brièveté du délai de réflexion pour signer l'avenant (05 jours contre 1 mois en matière de licenciement économique) de sorte qu'elle avait été privée de tout délai raisonnable pour formuler sa position (1 mois). Enfin, Madame [R] [F] indiquait que la société OPRF aurait dû mentionner dans la lettre de licenciement les raisons impérieuses qui l'avaient poussée à modifier le contrat de travail et concluait à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

En deuxième lieu, Madame [R] [F] exposait que la société OPRF n'avait pas exécuté le contrat de travail de bonne foi. Madame [R] [F] soutenait que la véritable cause de son licenciement résidait dans les difficultés économiques rencontrées par la société OPRF. Madame [R] [F] indiquait que la société OPRF avait contourné la procédure de licenciement économique alors que quatre salariés avaient également été licenciés sur la même période (absence de plan de licenciement). Au soutien de ses allégations, Madame [R] [F] versait aux débats le registre unique du personnel ainsi que de rapport de la Cour des Comptes de Guyane de 2017 et de 2018 qui faisaient apparaître un déficit à hauteur de 2 millions d'euros.

In fine, Madame [R] [F] maintenait l'intégralité de ses demandes telles que mentionnées au terme de son dispositif.

En défense, aux termes de ses conclusions datées du 28 avril 2022, enregistrées au greffe le 07 novembre 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société OPRF demandait au conseil de prud'hommes de :

- Constater que Madame [R] [F] n'a communiqué aucune pièce au soutien de ses demandes ;

- Débouter Madame [R] [F] de sa demande d'annulation de son licenciement ;

- Déclarer le licenciement de Madame [R] [F] bien fondé ;

En conséquence :

- Débouter Madame [R] [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

En tout état de cause :

- Condamner Madame [R] [F] à payer à la société OPRF la somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

A titre liminaire, la société OPRF soulignait que les pièces versées aux débats par Madame [R] [F] ne lui avaient pas été communiquées.

En premier lieu, la société OPRF indiquait qu'elle avait procédé à une réorganisation interne de son fonctionnement nécessitant un changement de fonction de plusieurs salariés. La société OPRF faisait valoir que selon courrier en date du 13 janvier 2021, remis en main propre le 20 janvier 2021, elle avait proposé à Madame [R] [F] le poste de chargée de relation Entreprise et conditions de travail. La société OPRF précisait qu'elle avait remis à Madame [R] [F] un avenant ainsi qu'une fiche de poste emportant un délai de réflexion de 05 jours, soit au plus tard le 25 janvier 2021, délai de réflexion non respecté par Madame [R] [F] qui, en réalité, a bénéficié d'un délai d'un mois. A défaut de réponse émanant de Madame [R] [F], la société OPRF indiquait avoir légitimement crû à son refus de signer l'avenant.

En deuxième lieu, la société OPRF insistait sur l'absence de fondement juridique au soutien de la demande en nullité de licenciement. Au visa de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la société OPRF dressait une liste exhaustive des cas de nullité et indiquait que Madame [R] [F], considérait avoir fait l'objet d'une discrimination aux motifs que d'autres salariés qui n'auraient pas répondu immédiatement à la demande de modification de leur contrat de travail n'auraient pas été licenciés, alors qu'elle ne versait aucun élément aux débats. La société OPRF versait aux débats le bordereau postal qui mentionnait une date de réception de la lettre de licenciement au 11 mars 2021 et précisait que Madame [R] [F] s'est tout de même rendue sur son lieu de travail le 22 mars 2021 de sorte qu'il lui avait été remis un courrier en main propre l'informant qu'elle ne devait plus se représenter et qu'elle était dispensée d'effectuer le délai de préavis. La société OPRF insistait sur le défaut de signature de l'avenant contractuel par Madame [R] [F] de sorte qu'elle pouvait légitiment penser que cette dernière avait refusé la modification de son contrat de travail, aussi la société OPRF considérait qu'il ne pouvait lui être imputée une quelconque discrimination.

La société OPRF concluait au rejet de l'ensemble des prétentions de Madame [R] [F]. Plus particulièrement, la société OPRF considérait que la demande de dommages et intérêts d'un montant de 76.800,00 euros était inopérante dans la mesure où Madame [R] [F] se fondait sur l'existence d'un licenciement abusif non démontré et indiquait qu'il en était de même concernant le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Par jugement en date du 09 janvier 2023 (RG°21/00092), le conseil de prud'hommes de Cayenne a :

- écarté des débats les pièces sous bordereaux remises par Madame [R] [F] ;

- dit que le licenciement notifié par la société OPÉRATEUR PUBLIC RÉGIONAL DE FORMATION selon lettre recommandée avec accusé de réception en date du 08 mars 2021 à Madame [R] [F] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

- débouté Madame [R] [F] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et licenciement frauduleux ;

- débouté Madame [R] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- condamné Madame [R] [F] à verser à la société OPÉRATEUR PUBLIC RÉGIONAL DE FORMATION la somme de 800,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande formée par Madame [R] [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Madame [R] [F] aux entiers dépens;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire pour l'entier jugement ;

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions et moyens.

Madame [R] [F] a relevé appel de la décision susmentionnée en date du 14 février 2023, enregistrée le même jour, appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués, en ce que contrairement aux affirmations du premier juge et du contradicteur, le principe contradictoire a été respecté, la vraie cause du licenciement étant que l'institution ne fonctionnait plus et qu'il fallait licencier peu importe le coût. Ainsi, il n'y a jamais eu de simple refus de signer l'avenant car les missions nouvelles avaient été acceptées. Selon l'appelante, la juridiction de première instance ayant écarté des débats les pièces sous bordereaux remises par Madame [R] [F] alors qu'elles avaient été communiquées, il y a donc lieu de reformer purement et simplement le jugement querellé et de faire droit aux demandes de Madame [R] [F] et ce sera justice.

Par avis en date du 14 février 2023 la déclaration d'appel a été notifiée aux parties.

Par avis en date du 15 février 2023, l'affaire a l'objet d'un renvoi devant le conseiller de la mise en état de la chambre sociale.

L'intimée n'ayant pas constitué avocat dans le délai imparti, un avis à signifier a été envoyé à Madame [R] [F] aux fins de signification.

La déclaration d'appel et les premières conclusions d'appelant ont été signifiées à la société OPRF par actes de commissaire de justice en date du 13 avril 2023 et du 21 avril 2023.

La société OPRF a constitué avocat le 10 mai 2023 et remis ses premières conclusions d'intimé le 08 août 2023 par RPVA.

Il apparaissait donc que le délai de dépôt des conclusions, qui expirait le 13 janvier 2023 avait été dépassé par l'intimée.

Une audience sur incident a eu lieu le 5 décembre 2023, lors de laquelle, seule l'intimée concluait sur l'incident, l'appelant ayant quant à lui conclu au fond en sollicitant l'infirmation de l'entière décision.

Aux termes de ses conclusions incidentes transmises par RPVA le 1er décembre 2023, l'intimé, au visa de l'article 910-3 du code de procédure civile, demandait au conseiller de la mise en état de relever l'OPRF d'une éventuelle irrecevabilité de ses conclusions notifiées à la date du 08 août 2023, déclarer ces dernières recevables comme devant être examinées lors de l'audience à intervenir de la cour d'appel de Cayenne et statuer ce que de droit sur les dépens.

L'intimée sollicitait du conseiller de la mise en état de la relever d'une éventuelle irrecevabilité de ses conclusions notifiées à la date du 8 août 2023 en raison de la dissolution, fermeture puis réouverture de l'établissement suite à la décision de l'assemblée plénière de la collectivité territoriale de Guyane. La société OPRF faisait face à un mouvement de grève et d'occupation des locaux rendant impossible la transmission de la déclaration d'appel en date du 19 avril 2023 à laquelle les conclusions ont été jointes de sorte qu'il a pu de bonne foi se tromper sur le point de départ du jour de signification des conclusions car celle-ci avait également été faite par RPVA le 19 mai 2023 et dans ce cas les délais légaux pour répliquer allaient jusqu'au 19 août 2023.

Par ordonnance en date du 06 février 2024, le Président de la chambre sociale, chargé de la mise en état a dit qu'il n'y avait pas lieu à déclarer les conclusions de la société OPRF notifiées à la date du 8 août 2023 irrecevables et a renvoyé le dossier à l'audience de la mise en état du 02 avril 2024.

L'affaire a fait l'objet de plusieurs renvois avant d'être retenue à l'audience du 07 janvier 2025.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives remises au greffe le 21 novembre 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Madame [R] [F] demande à la cour, au visa de l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi ; des principes généraux du droit, notamment concernant la fraude ; des dispositions impératives de l'article L. 1233-61 du code du travail ; des articles L. 1233-1 et suivants, L.1232-1 et L.1222-6 du code du travail ; et de la convention collective nationale des organismes de formation du 10 juin 1988 ; de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 9 janvier 2023 ;

Et statuant à nouveau :

- constater le caractère illicite du licenciement pour non-respect des termes relatifs au délai implicite d'acception d'une modification du contrat de travail, de la convention collective ;

- constater l'absence de cause réelle et sérieuse dans les motifs du licenciement de Madame [R] [F] ;

- constater la fraude à la procédure du licenciement pour motif économique et l'illicéité de la procédure de licenciement ;

- dire et juger que le licenciement de Madame [R] [F] est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner l'employeur à verser à Madame [R] [F] la somme de 76.800,00 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et du licenciement frauduleux ;

- condamner l'employeur à verser à Madame [R] [F] la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral (atteinte portée à la dignité du salarié) ;

- condamner l'employeur à verser à Madame [R] [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 2.000,00 euros ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Au soutien de ses prétentions, d'une part, l'appelante indique qu'elle n'a pu bénéficier d'un délai raisonnable pour se positionner sur la modification proposée, alors qu'elle se questionnait sur certaines missions qui y étaient mentionnées. Elle rappelle qu'elle n'a jamais renoncé à la modification de son contrat et qu'elle a finalement signé l'avenant et la fiche de poste qui lui avaient été remis le 13 janvier 2021. Elle ajoute que cette modification repose sur un motif économique en raison des difficultés financières de l'établissement et fournit les rapports de la Chambre régionale des comptes de 2017 et 2018. Ce faisant, la procédure initiée par l'employeur était soumise à un délai de réflexion d'un mois, tel que fixé par la convention collective nationale des organismes de formation du 10 juin 1988, ce qui n'a pas été respecté. En ces circonstances, elle indique qu'aucun manquement à ses obligations contractuelles ne peut lui être reproché et que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

D'autre part, l'appelante évoque la situation de quatre autres salariés qui s'étaient vus proposer une modification de leur contrat mais qui, contrairement à elle, n'ont pas été licenciés alors qu'ils avaient refusé la proposition de l'employeur, elle en conclut donc que son licenciement a été discriminatoire. Par ailleurs, elle relève que le changement de fonction proposé constitue une modification substantielle de son contrat de travail de sorte que le délai de réflexion de 05 jours ne pouvait apparaitre comme un délai raisonnable.

En somme, elle sollicite l'octroi de diverses sommes au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de son préjudice moral.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 07 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société OPRF demande à la cour, au visa des articles L. 1232-6 et L. 1235-2 du code du travail et de la convention collective nationale des organismes de formation, de :

- confirmer la décision contestée en ce qu'elle a :

- déclarer le licenciement de Madame [F] bien fondé ;

- débouter Madame [F] de l'ensemble de ces demandes, fins et prétentions.

En tout état de cause :

- condamner Madame [F] à payer à l'OPRF la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Au soutien de ses prétentions, d'une part, l'intimée fait valoir que la modification proposée à Madame [F] consistait en un simple changement de l'intitulé de son poste car elle exécutait dors et déjà les missions listées dans la fiche de poste annexée à l'avenant et que si un délai de 05 jours lui avait été initialement octroyé, elle a finalment pu bénéficier d'un mois de réflexion afin de se positionner.

La société OPRF ajoute que Madame [F] ne s'est pas présentée au rendez-vous prévu le 08 février 2021 sans en avertir l'employeur alors qu'il s'agissait d'un entretien sollicité par la salariée qui disait se questionner sur certains éléments de la fiche de poste. Finalement, la société OPRF n'a pu répondre aux interrogations de Madame [F] qu'en date du 02 mars 2021, lors de l'entretien préalable au licenciement. En l'absence d'une acceptation formelle et de la signature de l'avenant et de la fiche de poste, la société OPRF a légitimement cru que Madame [F] déclinait la proposition faite le 13 janvier 2021, de sorte qu'une procédure de licenciement a été initiée, d'autant plus que la signature des documents a été éffectuée après la décision de la licencier.

D'autre part, la société OPRF conteste les allégations de Madame [F] concernant le motif économique de la modification proposée et estime qu'elle ne peut se prévaloir de la procédure prévue à cet effet. En outre, la société OPRF réfute également le caractère discriminatoire du licenciement de l'intéréssée et indique qu'aucun élement ne vient au soutien de ces allégations.

La clôture a été prononcée le 07 janvier 2025.

L'affaire a été mise en délibéré au 12 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la modification du contrat

En application des articles L.1221-1 du code du travail et 1193 du code civil, les contrats sont formés et ne peuvent être modifiés ou révoqués que par consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.

A ce titre, la modification du contrat de travail ne peut intervenir que d'un commun accord entre l'employeur et le salarié. En revanche, le changement des conditions de travail relève du pouvoir unilatéral de direction de l'employeur, qui peut donc l'imposer au salarié non protégé.

Le cas échéant, le refus émis par le salarié de poursuivre l'exécution du contrat de travail qui n'a fait l'objet d'aucune modification substantielle de la part de l'employeur constitue un manquement aux obligations contractuelles, que l'employeur a la faculté de sanctionner, s'il y a lieu, par un licenciement.

En revanche, la modification du contrat de travail ne peut se faire sans l'accord du salarié s'agissant du lien de subordination, du temps de travail, des fonctions et de la rémunération de sorte que le refus d'une des parties ne constitue pas un manquement aux obligations contractuelles.

1. Sur la cause de la modification du contrat

En l'espèce, les parties se querellent sur la cause de la modification du contrat et la procédure dont relève la modification proposée à Madame [F]. Cette dernière déduit de la situation économique de la structure que la modification de son contrat relève d'un motif économique et qu'à ce titre, la proposition devait se réaliser selon les dispositions fixées par l'article 8 de la convention collective nationale des organismes de formation du 10 juin 1988 (pièce d'appelante n° 22) selon laquelle la modification d'un élément essentiel du contrat pour motif économique s'effectue par l'émission de la proposition par lettre recommandée avec avis de réception et que le salarié dispose d'un délai d'un mois pour refuser la modification, l'absence de réponse s'analysant en acceptation tacite.

L'employeur, quant à lui, réfute le cause économique de la modification du contrat et conclut au regard des circonstances de la proposition de la modification du contrat que l'appelante ne peut se prévaloir de la procédure prévue par l'article 8 de la convention collective pré-citée.

Il ressort des deux rapports de la Chambre régionale des comptes de 2017 et 2018 (pièces d'appelante n°19 et 20) et de la situation économique de la structure en 2022 que s'il est indéniable que l'établissement faisait face à des difficultés économiques en 2017, 2018 et 2022, Madame [F] ne rapporte pas la preuve que la proposition faite en 2020 s'inscrivait dans le même contexte économique de sorte que ces éléments ne sauraient suffire à démontrer que la modification proposée avait été initiée pour un tel motif.

Dans ces circonstances, elle ne pouvait se prévaloir de la procédure prévue par l'article 8 de la convention collective.

2. Sur la qualification des éléments modifiés

Madame [F] fait valoir qu'elle effectuait ses nouvelles missions depuis deux mois (pièces d'appelante n°4 et 5) sans formation ni accompagnement et qu'elle avait des interrogations sur les missions énoncées dans la proposition qui impliquait un changement de fonction d'assistante de direction à chargée de relations Entreprise, ce qui s'analysait en une modification substantielle de son contrat.

La société OPRF s'oppose à cette analyse et indique que la modification proposée et procédure employée relevaient du pouvoir de direction de l'employeur (pièce d'appelante n°13 et d'intimée n°8) en ce qu'elle procédait d'un changement des conditions de travail et non une modifictaion d'un élément essentiel.

Il convient de rappeler que la modification de la fonction du salarié peut s'analyser en modification d'un élément essentiel du contrat lorsque cette dernière entraîne un changement de qualification ou une transformation des attributions.

Il apparaît que la lettre de mission signée par Madame [F] en décembre 2020 (pièce d'appelante n°5) énonçait qu'elle était mobilisée dans la mise en 'uvre du projet FSE intitulé « développer des parcours sécurisés de formation-action-accompagnement en faveur de l'insertion » à compter du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2022 et ce, en qualité de « chargée de mission relations Entreprise », à ce titre, ses misions étaient fixées comme suit :

- développer un réseau de partenariat avec les entreprises et les organismes de formation

- organiser des rencontres, manifestations mettant en relation les participants et les entreprises

- animer des sessions d'information sur le droit du travail

- réaliser des entretiens individuels [']

- [']

- développer le parrainage par des chefs d'entreprise pour les porteurs de projet

- organiser des rencontres pour favoriser des échanges de pratiques et créer un réseau de porteurs de projet.

La fiche de poste annexée à la proposition de changement de fonction, quant à elle, comportait des annotations de la salariée sur la mission suivante (pièces d'appelante n° 6 et 7) :

- constituer et mobiliser un réseau d'entreprises partenaires susceptibles d'intervenir dans les phases de construction de parcours (informations métiers, validation de formation, entretiens conseils, parrainage) ou d'accès à l'emploi (recrutement, intégration dans l'emploi).

En outre, une annotation concernant la pesée dans l'emploi avait également été faite sur les savoir-être.

Il en appert que la mission sur laquelle s'interrogeait Madame [F] était similaire aux missions qu'elle effectuait au moment de la proposition, d'autant plus qu'aucun élément ne permet d'établir que la modification opérait un changement de qualification. Dès lors, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a retenu qu'il ne s'agissait pas d'une modification substantielle de son contrat car la dénomination de la fonction qui lui était proposée relevait déjà de ses attributions.

En conséquence, Madame [F] ne pouvait se prévaloir de la procédure et du délai applicables à une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail dans la mesure où la modification proposée relevait d'un changement des conditions de travail soumis au pouvoir de direction de l'employeur.

Sur le bien-fondé du licenciement

1. Sur la discrimination alléguée

Selon l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte.

En l'espèce, l'appelante se prévaut d'une attestation signée par deux déléguées syndicales rapportant que cinq salariés n'avaient toujours pas signé leurs avenants et fiches de postes et que quatre d'entre eux se sont vus proposer un nouveau poste à la date du licenciement de Madame [F] (pièce d'appelante n°17), elle en conclut que la procédure initiée à son encontre constitue une discrimination.

Cependant, en l'absence d'éléments mieux circonstanciés pour déterminer avec certitude qu'elle se trouvait dans la même situation (cf. date de proposition d'avenant, date d'entretien) que lesdits salariés, la cour ne peut retenir le caractère discriminatoire de son licenciement sur ce seul élément.

2. Sur la cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l'espèce, l'appelante expose qu'elle n'a jamais émis de refus concernant le changement de fonction proposé par l'employeur en date du 13 janvier 2021 et que la tardiveté de la signature de l'avenant et de la fiche de poste relève d'un concours de circonstances, en effet, elle indique avoir été dans l'impossibilité de se libérer pour l'entretien proposé le 08 février 2020 pour des raisons professionnelles, à savoir un entretien avec une bénéficiaire, à l'appui elle fournit la fiche de suivi datée du même jour et la notification de refus de réunion émise par courriel (pièces d'appelante n°8).

En réponse, l'employeur rappelle la chronologie des faits et relève que la signature desdits documents a été effectuée par la salariée une semaine après l'entretien préalable au licenciement et après la décision de l'employeur de la licencier. Il ajoute que s'il était renseigné, sur la proposition initiale, que l'intéressée disposait d'un délai de 05 jours, l'employeur lui a finalement octroyé un délai d'un mois pour se positionner et lui a proposé un entretien auquel elle ne s'est pas présentée sans en avertir son employeur (pièces d'intimée n°4 à 6).

Il ressort de ces éléments que l'absence de signature par la salariée de l'avenant et de la fiche de poste entre le 13 janvier et le 08 mars 2020, constitue un manquement aux obligations contractuelles que l'employeur pouvait à juste titre sanctionner par un licenciement, bien que le manquement ne caractérise pas une faute grave et que la salariée assure n'avoir jamais formaliser son refus.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé et l'appelante déboutée de ses prétentions.

Sur les conséquences du licenciement

Au regard de la solution apportée au litige, le refus du changement des conditions de travail de la salariée ayant été retenu comme une cause réelle et sérieuse du licenciement, il n'y a pas lieu à l'octroi de sommes au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser à l'encontre de la société OPRF une faute de nature à faire grief à Madame [F]. A ce titre, il ne sera pas fait droit à la demande dommages-intérêts formée par l'appelante.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé et l'appelante déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.

Sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Au regard de la solution apportée au règlement du litige en cause d'appel, Madame [R] [F] sera condamnée à payer à l'OPRF la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés à hauteur d'appel.

Madame [R] [F], succombant, sera condamnée aux dépens en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi et en dernier ressort, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Cayenne en date du 09 janvier 2023 (RG°21/00092) ;

Y ajoutant,

DEBOUTE Madame [R] [F] de ses demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel ;

CONDAMNE Madame [R] [F] à verser à la société OPRF la somme de 500 € (cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel ;

CONDAMNE Madame [R] [F] aux dépens en cause d'appel.

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