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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 17 février 2025, n° 23/00434

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/00434

17 février 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 17 FEVRIER 2025

N° RG 23/00434 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NC3I

S.E.L.A.R.L. PHILAE

c/

S.A.S. VAD SYSTEM

S.E.L.A.R.L. EKIP'

S.C.P. CBF ASSOCIES

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 janvier 2023 (R.G. 2021F01304) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 27 janvier 2023

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. PHILAE, es qualité de liquidateur à la liquidation judiciare de la SAS TRAVELDREAMS, domiciliée en cette qualité [Adresse 1]

Représentée par Maître Frédéric CUIF de la SELARL LX BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Anne-Sophie FINOCCHIARO du cabinet FIDAL, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMÉES :

S.A.S. VAD SYSTEM, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]

S.E.L.A.R.L. EKIP', es qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAS VAD SYSTEM, domiciliée en cette qualité [Adresse 2]

S.C.P. CBF ASSOCIES, es qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la SAS VAD SYSTEM, domiciliée en cette qualité [Adresse 3]

Représentées par Maître Raphaël MONROUX de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE, et assistées de Maître Clément GERMAIN de la SELARL DUCOS-ADER OLHAGARAY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL S&D Developpement est une société holding, notamment celle des sociétés VAD System et Traveldreams. La société Traveldreams était spécialisée dans la vente à distance sur catalogue spécialisé de gestion et réservations hôtelières ainsi que dans les services marketing et publicitaires destinés à fidéliser la clientèle. La société VAD System était particulièrement en charge du stockage des marchandises de Traveldreams, de la préparation des commandes et de l'expédition des produits aux clients finaux. Une convention de prestation de services unissaient les deux sociétés.

Dans le cadre d'un mandat ad hoc dont elle bénéficiait, la société V&D Developpement a vainement sollicité le 10 octobre 2019 le remboursement du compte courant qu'elle détenait sur la société Traveldreams, d'un montant de 108 303,78 euros au 30 juin 2019.

Cette somme avait été mise à disposition par convention d'avance en compte courant du 14 septembre 2017 dans le but d'améliorer la trésorerie de Traveldreams sans recourir à un endettement externe.

Dans le même temps, la société Traveldreams ne payait plus les factures qui lui étaient adressées par la société VAD System, qui l'a assignée pour demander l'ouverture d'un redressement judiciaire, procédure ouverte par jugement du 22 janvier 2020 du tribunal de commerce de Bordeaux.

Le 20 novembre 2019, la société S&D Developpement a assigné en référé la société Traveldreams afin d'obtenir le remboursement de son compte courant. Le juge des référés a fait droit à la demande par ordonnance du 30 juin 2020, condamnant à titre provisionnel la société Traveldreams à payer à la société S&D Developpement la somme de 108 303,78 euros représentant le montant de l'avance consentie. Le 24 juillet 2020, la SAS Bocchio et associés a délivré un procès-verbal de saisie-attribution à la banque CIC Sud-Ouest pour exécuter l'ordonnance rendue.

En parallèle, la société Traveldreams a assigné le 10 décembre 2019 la société VAD System en référé aux fins de solliciter du président du tribunal que soit ordonnée à la société VAD System la restitution sous astreinte de marchandises ainsi que le versement d'une provision de 60 000 à valoir sur son préjudice financier. Par ordonnance du 30 juin 2020, le juge des référés a débouté la société Traveldreams de ses demandes.

Par jugement du 22 janvier 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société VAD System, la Selarl Ekip' étant désignée comme mandataire judiciaire et la SCP BCF en qualité d'administrateur judiciaire.

La société Traveldreams a également saisi le 3 avril 2020 le juge commissaire à la procédure collective de la société VAD System, afin qu'il soit statué sur sa demande en revendication et restitution de marchandises stockées par la société VAD System.

Par jugement du 26 août 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de la société Traveldreams, la société Philae étant désignée en qualités de mandataire liquidateur.

Le 23 septembre 2020, la société Traveldreams, représentée par son liquidateur, a saisi le juge de l'exécution d'une contestation de la saisie-attribution du 24 juillet 2020, sollicitant le prononcé de la nullité de la saisie, sa main-levée, et la restitution de la somme de 110 271,76 euros au CIC. Par jugement du 15 juin 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux a débouté le liquidateur de la société Traveldreams de ses demandes et a validé la saisie-attribution. La société Philae a relevé appel de la décision le 28 juin 2021, et, par arrêt du 16 juin 2022, la cour d'appel a confirmé l'intégralité des chefs du jugement et a validé la saisie.

Le société Traveldreams s'est désistée le 30 novembre 2020 de l'instance en restitution devant le juge-commissaire, motif pris de ce que le stock de marchandises litigieux était devenu inutilisable.

Néanmoins, par acte du 1er novembre 2021, la société Traveldreams, représentée par son liquidateur, a assigné au fond la société VAD System et les organes de sa procédure collective devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 105 575,79 euros au titre de la valeur de marchandises stockées et non restituées, de 54 000 euros au titre du préjudice financier subi, et de 30 000 euros au titre de la désorganisation et dégradation de son image commerciale.

Par jugement du 02 janvier 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Débouté la SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Traveldreams SAS de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné la SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Traveldreams SAS à payer à la société VAD System SAS la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Travel Dreams SAS aux entiers dépens.

Le tribunal a relevé que les parties s'accordaient sur le fait que VAD System n'avait pas rendu son stock à Traveldreams, qui avait renoncé à sa revendication en restitution, mais que cette dernière société n'avait pas exécuté son obligation de remboursement du compte courant de S&D Développement, qui avait alors demandé à sa filiale de ne pas restituer le stock en application des dispositions de l'article 1217 du code civil. Il a alors considéré que Traveldreams était à l'origine du litige, et qu'au surplus elle ne démontrait pas un préjudice du fait de la non-restitution.

Par déclaration au greffe du 27 janvier 2023, le SELARL Philae a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS VAD System, la SELARL Ekip et la SCP CBF Associés.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 27 avril 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Philae, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Traveldreams, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' Debouté la SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Traveldreams SAS de l'ensemble de ses demandes ;

' Condamné la SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Traveldreams SAS à payer à la société VAD System SAS la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamné la SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Traveldreams SAS aux entiers dépens.

- Juger que la société Traveldreams n'est pas à l'origine du litige lié à la rétention abusive de ses marchandises par la société VAD System.

- Fixer la créance de la société Traveldreams SAS au passif de la société VAD System à la somme de 189 575,79 euros se décomposant comme suit :

' 105 575,79 euros correspondant au préjudice lié à la perte des marchandises,

' 54 000 euros correspondant aux charges financières supportées en raison du blocage des marchandises,

' 30 000 euros correspondant au préjudice d'image et de désorganisation.

- Condamner la société VAD System et/ou la SELARL Ekip', es qualité, et la SCP CBF Associes, es qualité, à payer à la société SELARL Philae, ès qualités de liquidateur de la société Traveldreams SAS, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 24 juillet 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la SAS Vad System, la Selarl Ekip, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Vad System, et la SCP CBF, en sa qualité d'administrateur judicdiaire de la société Vad System, demandent à la cour de :

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

Vu les articles 1103, 1104, 1217 et 1353 du code civil,

- Confirmer en tous points le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 2 janvier 2023,

- Débouter la SELARL Philae es qualité de liquidateur judiciaire de la société Traveldreams de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions

- Condamner la SELARL Philae es qualité de liquidateur judiciaire de la société Traveldreams à payer aux intimées la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la SELARL Philae es qualité de liquidateur judiciaire de la société Traveldreams aux entier dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 23 décembre 2023, et l'affaire renvoyée à l'audience du 6 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Il est acquis que, dans le cadre de leurs relations commerciales, la société VAD System, dont c'était la finalité, détenait en permanence, pour en assurer la livraison, des marchandises des société du groupe S&D Développement, dont celles de la société Traveldreams, et et il est tout aussi constant que des marchandise qu'elle détenait dans ce cadre n'ont pas été récupérées par la société VAD System. Ainsi, le litige porte sur la responsabilité de cette non-récupération de marchandises et sur le préjudice qui en aurait découlé pour Traveldreams.

Sur la responsabilité de la non-récupération des marchandises

La société appelante soutient qu'elle ne saurait être tenue pour responsable de la rétention de son stock par la société VAD System au prétexte qu'elle n'aurait pas remboursé le compte courant à une société tierce ; qu'elle n'est contractuellement liée à aucune convention de compte courant avec la société VAD System, et que celle-ci ne peut invoquer l'absence d'un remboursement dont elle n'était ni créancière ni bénéficiaire ; qu'elle n'est donc pas à l'origine de son préjudice.

La société VAD System et les sociétés organes de sa procédure collective relèvent que la société Traveldreams ne saurait prétendre qu'elle aurait subitement décidé ses services au mois d'octobre 2019, puisqu'en réalité, les société du groupe ont à ce moment-là déménagé d'un site à [Localité 6] sur un site à [Localité 5], en raison de difficultés économiques du groupe. Elles ajoutent alors qu'elle n'assurerait plus sa prestation en raison de ces difficulté, et qu'il appartenait alors à Traveldreams, qui en était parfaitement informée, de prendre ses dispositions et de rembourser le compte courant dû à la maison mère ; que Traveldreams n'a jamais envoyé un transporteur pour récupérer sa marchandise à [Localité 6], ce que Traveldreams a pourtant accepté de faire dans le cadre des débats lors de l'audience ayant donné lieu à l'ordonnance du 3 juillet 2020 ; que cette société a d'ailleurs pris des conclusions de désistement de son instance en restitution devant le juge-commissaire.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1217 du code civil, invoqué par le tribunal de commerce pour motiver sa décision, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut notamment refuser d'exécuter ou suspendre sa propre obligation. Ce texte, inclus dans une section du code civil traitant de l'inexécution du contrat, requiert pour être mis en 'uvre l'existence préalable d'un contrat entre les parties, dont l'une n'aurait pas exécuté son obligation contractuelle.

Ainsi, c'est de manière erronée que le tribunal de commerce a considéré que la société VAD System aurait procédé sur ce fondement à une rétention licite des marchandises de la société Traveldreams parce que celle-ci n'aurait pas respecté son obligation de remboursement de son compte courant à la société S&D développement, alors que cette dernière est un tiers extérieur à la convention de prestation de services conclue entre VAD System et Traveldreams, et que la société VAD System est un tiers extérieur à la convention d'apport en compte courant de S&D Développement à Traveldreams. Le texte invoqué du code civil ne peut pour ce motif trouver application dans les relations entre le propriétaire des marchandises et son détenteur.

Pour autant, il ressort des pièces et explications que la société VAD System a cessé ses activités en raison de son départ du site de [Localité 6], comme l'ensemble des sociétés du groupe, ce que la société Traveldreams ne saurait sérieusement soutenir ignorer.

La société Traveldreams ne justifie ni n'offre de justifier qu'elle se serait vainement présentée à l'entrepôt de la société VAD System pour récupérer ses marchandises et que cette société aurait refusé de les représenter. La société appelante se borne à soutenir qu'elles ne lui ont pas été restituées, alors même que les parties ne produisent aucun élément ni explication relatif à la charge du transport dans un tel cas, et notamment pas la convention de prestation de services qui liait les deux sociétés. Il convient de relever ici que la société Traveldreams a été déboutée d'une demande en restitution par le juge des référés, puis s'est désistée de son instance en restitution devant le juge-commissaire, alors qu'elle aurait pu obtenir dans ce dernier cadre un titre exécutoire, nonobstant l'état de la marchandise.

Il en résulte qu'il n'est pas établi que la non-récupération de ses marchandises par la société Traveldreams serait un défaut de restitution ni qu'elle découlerait d'une faute contractuelle exclusive de la société VAD System.

Sur le préjudice allégué par la société Traveldreams à raison de la rétention des marchandises

La société Traveldreams énumère les marchandises non récupérées, dont elle chiffre le total à 105 575,79 euros HT, produisant des factures (sa pièce n° 29). Elle demande par ailleurs 54 000 euros HT pour des charges financières en raison de ses investissements pour compenser la marchandise litigieuse (sa pièce n° 14). Enfin, elle fait valoir un préjudice d'image et de désorganisation qu'elle chiffre à 30 000 euros.

La société VAD System et les organes de sa procédure opposent que les factures concernent des marchandises que Traveldreams a renoncé à revendiquer ; que le préjudice financier invoqué concerne en réalité des commandes postérieures à novembre 2019 ; qu'il n'est pas justifié de préjudice d'image dans son principe ou son montant.

Sur ce,

Au vu des motifs ci-dessus, et de leur conclusions, aucune faute contractuelle n'étant caractérisée à l'encontre de la société VAD System, il n'y a pas lieu à statuer davantage sur un hypothétique préjudice.

* * *

Ainsi, en dépit du motif tenant à l'application de l'article 1217 du code civil, erroné mais surabondant, le jugement attaqué doit être confirmé.

Sur les autres demandes

Partie tenue aux dépens d'appel, la société Philae, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Traveldreams, paiera à la société VAD System la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Ces frais irrépétibles et les dépens d'appel de la présente instance, nés pour les besoins du déroulement de la procédure au sens de l'article L. 622-17 du code de commerce, seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société Traveldreams.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 2 janvier 2023,

Condamne la société Philae, en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Traveldreams, à payer à la SAS VAD System la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Philae, en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Traveldreams, aux dépens d'appel.

Dit que ces frais irrépétibles et les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société Traveldreams.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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