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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 17 février 2025, n° 24/00574

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/00574

17 février 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 17 FEVRIER 2025

N° RG 24/00574 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NT5Z

Monsieur [B] [Z]

Madame [J] [I] [S] épouse [Z]

c/

S.A.R.L. DEFIS

S.E.L.A.R.L. PHILAE

Nature de la décision : AU FOND

Notifié aux parties par LRAR le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 11 janvier 2024 (R.G. 2023M07166) par le Juge commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux suivant déclaration d'appel du 07 février 2024

APPELANTS :

Monsieur [B] [Z], né le [Date naissance 4] 1957 à [Localité 6] (33),

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

Madame [J] [I] [S] épouse [Z], née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 7] (ESPAGNE), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

Représentés par Maître Nicolas NAVEILHAN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

S.A.R.L. DEFIS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

Non représentée

S.E.L.A.R.L. PHILAE, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL DEFIS, nommée à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de BORDEAUX du 06 novembre 2019, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

Représentée par Maître Victoire DEFOS DU RAU de la SELAS CABINET LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 16 décembre 2016, Madame et Monsieur [Z] ont cédé d'une part à la société Defis et, d'autre part, à la société Macabat Travaux, l'intégralité des titres sociaux qu'ils détenaient dans le capital de la SAS [Z].

Le prix de cession a été arrêté entre les parties à la somme de 1'160 '000 euros dont les modalités de paiement ont été fixées comme suit dans l'acte de cession :

Au moyen d'un crédit-vendeur pour un montant de 100'000 euros consenti par chacun des cédants (à hauteur de 50'000 euros chacun), remboursable au cédant dans les proportions et délais suivants :

Le 30 avril 2018, à concurrence de 33'000 euros, soit 16'500 euros par cédant ;

Le 30 avril 2019, à concurrence de 33'000 euros, soit 16'500 euros par cédant ;

Le 30 avril 2020, à concurrence de 34'000 euros, soit 17'000 euros par cédant ;

L'acte précise que chaque échéance du crédit vendeur sera supportée à concurrence de :

- 70 % par la société Defis ;

- 30 % pour la société Mecabat Travaux ;

A concurrence de 1'060'000 euros, réglé comptant au jour de la signature de l'acte de cession.

Il était par ailleurs stipulé un complément de prix, fixé à l'article 4 de l'acte de cession, les parties ayant convenu d'un commun accord que le complément de prix « sera d'un montant maximum de 233'000 euros et ne pourra être négatif ».

En garantie du paiement du complément de prix, la somme de 233'000 euros a été mise sous séquestre sur un compte ouvert dans les livres de la Carpa par le séquestre désigné par les parties, le cabinet Vincent Cornet Segurel.

L'acte précise que le séquestre a été constitué par les cessionnaires à concurrence de :

- 163'100 euros par la société Defis ;

- 69'900 euros par la société Mecabat Travaux.

Le 16 décembre 2016, par acte sous seing privé signé concomitamment avec l'acte de cession des titres de la société [Z], les parties ont régularisé une convention de garantie de passif, d'une durée de trois années, moyennant un seuil de déclenchement de garantie de 8'000 euros et un plafond de 210'000 euros, assortie d'une garantie de la garantie prenant la forme d'une affectation et délégation au profit du cessionnaire de la quote-part du prix de cession à verser au titre du crédit vendeur d'un montant de 100'000 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 décembre 2017, les sociétés Defis et Mecabat Travaux ont notifié aux époux [Z] la mise en jeu de la clause de garantie.

Les époux [Z] ont saisi le 28 septembre 2018 le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir la condamnation des cessionnaires pour le défaut de versement de la première échéance de crédit vendeur.

Par jugement du 07 novembre 2018, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de sauvegarde judiciaire à l'égard de la SARL Defis, la SARL Philae ayant été désignée ès qualités de mandataire judiciaire.

Par courrier du 10 décembre 2018, les consorts [Z] ont déclaré leur créance entre les mains du mandataire judiciaire pour un montant de 333'000 euros ainsi décomposé : 100 000 euros au titre du crédit-vendeur, et 233 000 euros au titre du complément de prix.

La SARL Defis a contesté cette déclaration.

La SARL Philae est intervenue volontairement à l'instance de référé.

Le président du tribunal, statuant en référé, a ordonné le 12 février 2019 une expertise avant dire droit, désignant M. [D] [A] aux fins de vérifier le bien-fondé de la mise en oeuvre de la garantie de passif, de fixer le cas échéans le montant du complément de prix devant revenir aux cédants, de déterminer s'il existait un passif exigible justifiant le non-paiement du crédit vendeur par les cessionnaires.

Par jugement du 06 novembre 2019, la procédure de sauvegarde a été convertie en liquidation judiciaire.

Par ordonnance du 09 septembre 2021, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la SARL Defis saisi de la contestation de créance a prononcé un sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 28 décembre 2021.

Le juge commissaire a été saisi par la société Defis afin qu'il soit statué sur l'admission des créances déclarées par les cédants.

Par ordonnance du 11 janvier 2024, le juge commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Admis la créance déclarée par Monsieur [B] et Madame [J] [I] [S] [Z] au passif de la procédure de la liquidation judiciaire de la société Defis SARL pour la somme de 196'025 euros à titre chirographaire ;

- Dit que la présente ordonnance sera notifiée par le greffier par lettre recommandée avec avis de réception au créancier et au débiteur et par lettre simple aux mandataires de justice.

Par déclaration au greffe du 07 février 2024, les consorts [Z] ont relevé appel de l'ordonnance, énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SELARL Philae et la SARL Defi.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 07 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, les consorts [Z] demandent à la cour de :

- Recevoir Monsieur [B] [Z] et Madame [J] [I] [S] épouse [Z] en leur appel et les y declarer aussi recevables que bien fondes ;

A titre principal,

- Annuler l'ordonnance rendue par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux statuant en matière d'admission des créances au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société Defis en date du 11 janvier 2024, faute pour les créanciers d'avoir été dûment convoqués a l'audience du juge commissaire ;

Vu l'effet dévolutif de l'appel,

- Admettre, la creance de Monsieur [B] [Z] et Madame [J] [I] [S] épouse [Z] pour un montant de 251'877 euros au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société Defis, à titre chirographaire ;

A titre subsidiaire,

- Infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux le 11 janvier 2024 ;

Statuant à nouveau,

- Admettre, la créance de Monsieur [B] [Z] et Madame [J] [I] [S] epouse [Z] pour un montant de 251'877 euros au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société Defis, a titre chirographaire ;

En tout état de cause,

- Condamner la SELARL Philae es qualité de liquidateur judiciaire de la société Defis a verser a Monsieur [B] [Z] et Madame [J] [I] [S] epouse [Z] une somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner SELARL Philae es qualite de liquidateur judiciaire de la société Defis aux entiers de l'instance ;

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 25 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SELARL Philae ès qualités demande à la cour de :

Vu l'article 1202 du code civil,

- Réformer l'ordonnance déférée ;

- Donner acte à la SELARL Philae ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Defis de ce qu'elle s'en rapporte sur la demande tendant à voir annuler l'ordonnance déférée ;

- Prononcer l'admission de Monsieur [B] [Z] au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Defis à hauteur de :

68'608,75 euros au titre du complément de prix cession, à titre chirographaire ;

19'548,20 euros au titre du crédit vendeur, à titre chirographaire ;

- Prononcer l'admission de Madame [J] [Z] née [I] [S] au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Defis à hauteur de :

68'608,75 euros au titre du complément de prix cession, à titre chirographaire ;

19'548,20 euros au titre du crédit vendeur, à titre chirographaire ;

- Débouter Monsieur [B] [Z] et Madame [J] [Z] née [I] [S] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires ;

- Dire n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dire que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 décembre 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de l'ordonnance et l'évocation de l'affaire

1 - Les consorts [Z], non-comparants lors de l'audience devant le juge-commissaire, affirment ne pas avoir été convoqués, n'ayant pas reçu de lettre recommandée avec avis de réception. Ils sollicitent la nullité de l'ordonnance et que la cour se saisisse de l'entier litige.

2 - La SELARL Philae ès qualités ne présente aucune argumentation sur ce point.

Sur ce

3 - Selon l'article R624-4 du code commerce :

'Lorsque la compétence du juge-commissaire est contestée ou que ce juge soulève d'office son incompétence ou encore en présence d'une contestation sérieuse, le greffier convoque par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le débiteur, le créancier, le mandataire judiciaire et l'administrateur, lorsqu'il en a été désigné. La convocation du créancier reproduit les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 624-1 et du troisième alinéa de l'article R. 624-3.

Ces dispositions sont applicables lorsque le juge-commissaire est appelé à statuer sur une contestation de créance. Toutefois, il n'y a pas lieu à convocation du créancier lorsque celui-ci n'a pas contesté la proposition du mandataire judiciaire dans le délai prévu à l'article L. 622-27. '

Selon l'article 562 code de procédure civile :

'L'appel défère à la cour la connaissance des chefs du dispositif de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Toutefois, la dévolution opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement.'

4 - La convocation à l'audience de contestation de créances d'une procédure collective relève des règles du code de procédure civile, comme le dispose l'article R662-1 du code de commerce :

« A moins qu'il n'en soit disposé autrement par le présent livre : 1° Les règles du code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie législative du présent code' ».

La convocation doit impérativement être faite par lettre recommandée avec accusé de réception.

Ainsi, la notification est réputée faite à personne lorsque l'avis de réception est signé par son destinataire (article 670 du code de procédure civile). A défaut, la partie doit procéder par voie de signification (article 670-1 du code de procédure civile).

En l'espèce, il est seulement indiqué sur l'ordonnance du 11 janvier 2024 que 'les parties ont été dûment convoquées par les soins de Monsieur le Greffier par lettre recommandée pour l'audience du 7 décembre 2023.'

La convocation n'a donc pas été faite dans les formes. La procédure est orale devant le juge commissaire et les consorts [Z] n'ont pu présenter leurs prétentions et moyens à l'audience, ce qui leur fait nécessairement grief.

Dès lors, il convient de prononcer la nullité de l'ordonnance. Saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, la cour statuera sur le fond.

Sur le montant de la créance

5 - Les consorts [Z] font valoir que le mandataire liquidateur a opéré une confusion entre les créances qu'ils ont déclarées au titre du crédit vendeur et du complément de prix. Le solde de la créance au titre du crédit-vendeur est de 55 852 euros et le complément de prix fixé par l'expert judiciaire est de 196 025 euros. Dès lors, le montant total de la créance est de 251 877 euros.

6 - La SARL Philae ès qualité soutient que la solidarité a été expressément écartée dans l'acte de cession.

Sur ce

7 - Par exception à la règle de droit commun, en matière commerciale, la solidarité passive est présumée. Ce qui signifie que l'exclusion de la solidarité doit être expressément stipulée. A défaut, les débiteurs seront présumés solidaires

8 - S'agissant de la créance de complément de prix, l'expert en a ramené le montant à la somme de 196 025 euros, non contestée par les parties.

L'acte de cession de titres sociaux prévoit en son article 4.4 'Garantie du paiement du complément du prix' un séquestre constitué par les cessionnaires à concurrence de 163 100 euros pour la société Defis, soit 70 % du montant du complément de prix, et concurrence de 69 900 euros pour la société Mecabat Travaux, soit 30% du montant.

Dès lors, la société Defis n'est tenue de supporter que 70% du complément de prix soit 195 025 euros x 70 % = 137 217,50 euros.

9 - S'agissant du crédit vendeur, au terme de l'expertise judiciaire, le montant a été réévalué à 55 852 euros, montant non contesté par les parties. L'article 3.2 du l'acte de cesion prévoit que chaque échéance sera supportée à concurrence de :

- 70 % par la société Defis

- 30 % par la société Mecabat Travaux

Dès lors, la société Defis n'est tenue de supporter que 70% du montant du crédit vendeur soit 55 852 euros x 70 % = 39 096,40 euros.

L'ordonnance sera donc infirmée de ce chef et il conviendra de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Defis la créance des consorts [Z] à hauteur de 176 313,39 euros à titre chirographaire.

Sur les demandes accessoires

10 - En équité, il n'y a pas lieu à allouer de somme au titre des frais irrépétibles.

Chaque partie supportera ses dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Annule l'ordonnance rendue par juge commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux le 11 janvier 2024,

Fixe la créance des consorts [Z] au passif de la liquidation judiciaire de la société Defis à la somme de 176 313,39 euros à titre chirographaire,

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie supportera ses dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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