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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 17 février 2025, n° 24/03959

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Aux Plaisirs Malins (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

SCP Bruneau-Grolleau, SELARL Bousquet

TJ Angoulême, du 14 août 2024, n° 24/001…

14 août 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 03 mars 2006, la SCI immobilière [Adresse 1] a donné en location à M. [K] un immeuble sis [Adresse 1]. Le bail commercial a été conclu pour une durée de 9 ans moyennant un loyer annuel de 12 000 euros payable par échéances mensuelles. Le bail comporte une clause résolutoire en cas de défaut de paiement du loyer.

M. [K] a cessé son activité en septembre 2014, et la Sarl Aux Plaisirs Malins, qui exploite un commerce de sex shop, a pris possession des lieux avec l'accord du bailleur.

En raison de loyers et accessoires impayés ou incomplètement payés, le bailleur a fait délivrer le 08 janvier 2024 à la société un commandement de payer la somme de 23 398,97 euros en principal à titre de loyers, charges et accessoires exigibles, visant la clause résolutoire. Ce commandement est resté sans effet.

Par acte du 24 avril 2024, le bailleur a assigné en référé devant le tribunal judiciaire d'Angoulême la Sarl Aux Plaisirs Malins et M. [K], aux fins de constater la résolution du bail commercial, le paiement des loyers échus et l'expulsion des occupants.

Par ordonnance réputée contradictoire du 14 août 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Angoulême a :

- Déclaré irrecevables les demandes formulées à l'encontre de Monsieur [E] [K]

- Constaté la résiliation du bail au 09 février 2024, conformément à la clause résolutoire de plein droit ;

- Condamné la SARL aux Plaisirs Malins à libérer les lieux loués situés [Adresse 1], dans le délai d'un mois après la signification de la présente ordonnance :

- Dit qu'à défaut pour la SARL aux Plaisirs Malins de libérer volontairement ces locaux commerciaux, il pourra, passé un délai de jours suivant signification de la présente décision, être procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, le cas échéant avec recours à la force publique et à celle d'un serrurier ;

- Condamné la SARL aux Plaisirs Malins à payer à la SCI [Adresse 1] la somme de 8 078,24 euros HT à titre de provision sur les loyers et charges impayés de janvier 2019 jusqu'à l'acquisition de la résiliation ;

- Condamné la SARL aux Plaisirs Malins à payer à la SCI [Adresse 1], à titre de provision sur indemnité d'occupation, à compter du 1er mars 2024 et jusqu'à la libération effective des lieux (par remise des clefs ou expulsion), la somme de 1 000 euros HT par mois ;

- Condamné la SARL aux Plaisirs Malins aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement de payer en date du 08 janvier 2024 ;

- Condamné la SARL aux Plaisirs Malins à payer à la SCI [Adresse 1] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- Rappelé que l'ordonnance de référé rendue en matière de clause résolutoire insérée dans le bail commercial a seulement autorité de chose jugée provisoire ;

- Rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration au greffe du 27 août 2024, la SARL aux Plaisirs Malins a relevé appel de l'ordonnance énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SCI [Adresse 1].

Par ordonnance du 10 septembre 2024, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 06 janvier 2025.

Par ordonnance du 10 octobre 2024, la première présidente de chambre déléguée a débouté la SARL aux Plaisirs Malins de sa demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance du 14 août 2024.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 20 septembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Sarl Aux Plaisirs Malins demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L 145 et suivants du code de commerce,

Vu les pièces produites aux débats,

Concernant la nullité du commandement de payer,

- Juger que la SCI [Adresse 1] ne peut prétendre à l'applicabilité d'une clause résolutoire non prévue par les parties,

- Juger nul et de nul effet le commandement délivré à la SARL aux Plaisirs Malins le 8 janvier 2024, comme étant dépourvu de clause résolutoire,

Par conséquent,

- Infirmer l'ordonnance de référé prononcée le 14 août 2024 en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, avec toutes conséquences de droit, en ce compris l'absence de résiliation du bail et l'expulsion corrélative,

Concernant l'absence de cause du commandement de payer,

- Juger que le commandement de payer délivré le 8 janvier 2024 à la SARL aux Plaisirs Malins est dépourvu de cause comme n'étant fondé sur aucune créance opposable à la SARL aux Plaisirs Malins,

Par conséquent,

- Infirmer l'ordonnance de référé prononcée le 14 août 2024 en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, avec toutes conséquences de droit, en ce compris l'absence de résiliation du bail et l'expulsion corrélative,

En tout état de cause,

- Condamner la SCI [Adresse 1] à verser à la SARL aux Plaisirs Malins la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la SCI [Adresse 1] aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, lesquels comprendront le coût des commandements de payer délivrés à sa requête.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 11 octobre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la SCI [Adresse 1] demande à la cour de :

Vu les articles 1134 du code civil

Vu les articles L145-41 et L 143-2 du code de commerce,

Vu le bail commercial,

Vu la clause résolutoire,

- Confirmer en tout point l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire d'Angoulême en date du 14 août 2024,

- Condamner la SARL aux Plaisirs Malins à verser la somme de 3500 euros à la SCI [Adresse 1] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 décembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité alléguée du commandement de payer

A titre principal, la société Aux Plaisirs Malins soutient la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire, qu'elle ne conteste pas avoir reçu le 8 janvier 2024. Elle fait valoir que le bail était conclu entre M. [K] et la SCI, et qu'aucun document contractuel entre elle et la SCI n'est produit ; qu'elle a pris possession des lieu sans qu'aucun contrat n'ait été établi. Elle conclut que, à défaut de contrat écrit, les droits et obligations des parties découlent des dispositions du code de commerce et non de stipulations contractuelles qui lui sont inopposables, et que le commandement visant une telle clause est nul.

La SCI [Adresse 1] oppose que cette société se contredit puisqu'elle a prétendu dans un premier temps être la seule bénéficiaire du bail commercial comme venant aux droits de M. [K] ; que si elle ne l'était pas, elle serait occupante sans droit ni titre, ce qui devrait entraîner son expulsion ; que toute modification ou cession du droit au bail doit être notifiée au bailleur.

Sur ce,

La nullité est la sanction de l'invalidité d'un acte juridique ou d'une procédure, soit que la cause de la nullité réside dans l'absence de l'utilisation d'une forme précise qui est légalement imposée, soit qu'elle résulte de l'absence d'un élément indispensable à son efficacité. Le juge ne peut prononcer la nullité d'une convention ou d'une procédure que si cette sanction a été expressément prévue par la loi.

En l'espèce, le commandement de payer litigieux ne saurait être nul au motif qu'il viserait, entre autres, une clause résolutoire contestée par le destinataire. Le cas échéant, si la clause ne s'avérait pas applicable, le commandement ne serait pas nul, mais simplement privé d'effet quant à la mise en 'uvre de la clause litigieuse.

La demande de nullité du commandement doit donc être rejetée.

Sur la demande de résiliation du bail

La société [Adresse 1] poursuit la résiliation du bail en raison du non-paiement par la société Aux Plaisirs Malins de loyers commerciaux et accessoires, malgré commandement resté infructueux.

Les parties reprennent leurs arguments ci-dessus pour s'opposer sur la possibilité de prononcer la résiliation du bail au visa de la clause résolutoire, la société Aux Plaisirs Malins tirant notamment argument de l'absence d'écrit pour considérer que toute clause contractuelle lui serait inopposable.

Sur ce,

Le bail commercial du 3 mars 2026 comporte notamment, dans ses conditions générales (pièces n° 1 de la Sarl, page 6 clause A-1), une clause résolutoire ainsi libellée :

« À défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer ou à défaut de paiement dans les délais impartis de rappels de loyers pouvant notamment être dus après révision judiciaire du prix du bail renouvelé, ou encore, à défaut d'exécution d'une seule des conditions du présent bail, qui sont toutes de rigueur, et après un simple commandement de payer ou une mise en demeure adressée par acte extrajudiciaire restée sans effet pendant un mois, et exprimant la volonté du BAILLEUR de se prévaloir de la présente clause en cas d'inexécution dans le délai précité, le bail sera résilié immédiatement et de plein droit, sans qu'il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire et nonobstant toute offre ou consignation ultérieure.

L'expulsion du LOCATAIRE ou de tout occupant de son chef pourra avoir lieu en vertu d'une simple ordonnance de référé exécutoire par provision nonobstant opposition ou appel, sans préjudice de tout dépend et dommages et intérêts, et du droit pour le BAILLEUR d'exercer toute action qu'il jugerait utile, sans que l'effet de la présente clause puisse être annulé par des offres réelles passées le délai sus indiqué. »

Or, c'est à juste titre que le premier juge a constaté que la Sarl Aux Plaisirs Malins était venue aux droits de M. [K], par son entrée dans les lieux immédiatement après la cessation d'activité de celui-ci, ainsi que par son règlement mensuel des loyers commerciaux pour le montant et les conditions prévus au bail initial, pendant près de dix années. Il doit être ajouté que le bailleur a accepté verbalement que cette société prenne la suite de son locataire initial, encaissant pendant cette durée les loyers et accessoires versés par la locataire.

Dès lors, même en l'absence d'une cession formalisée par écrit, la société Aux Plaisirs Malins doit bien être considérée comme la cessionnaire et preneuse du bail initial dont elle a pris la suite, et ce dans l'ensemble de ses stipulations.

La clause résolutoire du bail lui est donc opposable.

En l'espèce, il n'est pas contesté par la société Aux Plaisirs Malins qu'elle restait devoir au jour du commandement des loyers commerciaux et accessoires, ni qu'elle n'a pas régularisé les causes du commandement dans le délai d'un mois qui lui était imparti, ce qui justifie la délivrance d'un commandement de payer. Il en résulte également que le commandement comporte bien une cause, contrairement à ce qui est soutenu par la société preneuse.

En conséquence, c'est à bon droit que le juge des référés, au visa de la clause liant les parties, a constaté la résiliation du bail au 9 février 2024, a condamné la société Aux Plaisirs Malins à libérer les lieux, et a fixé une indemnité d'occupation.

Sur la demande de paiement d'une provision

Le premier juge a limité la demande du bailleur à une provision de 8 078,24 euros HT au visa de l'article 2277 du code civil, qui limite à cinq ans les actions en paiement des loyers, prenant pour point de départ des sommes dues le 8 janvier 2019. La SCI [Adresse 1] ne forme pas appel incident de ce chef et demande seulement la confirmation de l'ordonnance.

La société Aux Plaisirs Malins apparaît contester le montant demandé, qui comprendrait des inexactitudes quant au montant des loyers commerciaux appelés, au montant des provisions sur charge et au montant des taxes foncières, non justifiées.

La SCI oppose que le bail met expressément la taxe foncière à la charge du preneur et qu'elle produit les avis de taxe foncières de 2020 à 2023 non réglées.

Sur ce,

Aux termes des dispositions des article 834 et 835 du code de procédure civile le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En l'espèce, la Sarl Aux Plaisirs Malins, tout en ne contestant pas le principe de sa dette, ne s'explique pas sur les inexactitudes qu'elle évoque, de sorte qu'il ne peut être davantage statué sur une contestation du montant demandé au titre des loyers et provisions sur charges, ces dernières étant d'ailleurs toujours susceptibles d'une régularisation au vu des charges réellement constatées.

S'agissant de la taxe foncière, et contrairement à ce que soutient la société preneuse, la SCI produit copie des documents émanant des Finances Publiques relatifs aux taxes foncières pour les années 2020 à 2023 (ses pièces sous le n° 6), ce qui justifie suffisamment les montants demandés à ce titre.

L'ordonnance ayant condamné la Sarl Aux Plaisirs Malins à payer au bailleur la somme provisionnelle de 8 078,24 euros HT sera en conséquence confirmée.

Sur les autres demandes

Partie tenue aux dépens d'appel, la société Aux Plaisirs Malins paiera à la SCI bailleresse la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en référé,

Rejette la demande de la société Aux Plaisir Malins en nullité du commandement de payer du 8 janvier 2024,

Confirme pour le surplus l'ordonnance rendue entre les parties le 14 août 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Angoulême,

Condamne la Sarl Aux Plaisirs Malins à payer à la SCI [Adresse 1] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la Sarl Aux Plaisirs Malins aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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