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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 11, 17 février 2025, n° 25/00874

PARIS

Ordonnance

Autre

CA Paris n° 25/00874

17 février 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 11

L. 743-22 du Code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile

ORDONNANCE DU 17 FEVRIER 2025

(1 pages)

Numéro d'inscription au numéro général et de décision : B N° RG 25/00874 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKZW2

Décision déférée : ordonnance rendue le 14 février 2025, à 13h34, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

Nous, Pascal Latournald, magistrat, à la cour d'appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assisté de Catherine Charles, greffier aux débats et au prononcé de l'ordonnance,

APPELANTS :

1°) LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE PRÈS LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS,

MINISTÈRE PUBLIC, en la personne de Antoine Pietri, avocat général

2°) LE PRÉFET DE POLICE,

représenté par Me Elif Iscen, du cabinet Centaure, avocats au barreau de Paris

INTIMÉ:

M. [J] [L]

né le 14 Décembre 1994 à [Localité 2], de nationalité marocaine

RETENU au centre de rétention de [Localité 3]

assisté de Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris et de Mme [H] [G] (Interprète en arabe) tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté,

ORDONNANCE :

- contradictoire,

- prononcée en audience publique,

Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l'application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

Constatant qu'aucune salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n'est disponible pour l'audience de ce jour.

- Vu l'ordonnance du 14 février 2025, à 13h34, du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

rejetant la demande de troisième prolongation de la rétention administrative, mettant fin à la rétention administrative de Monsieur [J] [L] et rappelant à l'intéressé qu'il a l'obligation de quitter le territoire national,

- Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 14 février 2025 à 16h34 par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris, avec demande d'effet suspensif ;

- Vu l'appel de ladite ordonnance, interjeté le 14 février 2025, à 20h57, par le préfet de police ;

- Vu l'ordonnance du 15 février 2025 conférant un caractère suspensif au recours du procureur de la République ;

- Vu la décision de jonction, par mention au dossier, des deux appels ;

- Vu les conclusions et les pièces du conseil de l'intéressé reçues le 17 février 2025 à 08h12 ;

- Vu les observations :

- de l'avocat général tendant à l'infirmation de l'ordonnance ;

- du conseil de la préfecture lequel, s'associant à l'argumentation développée par le ministère public, nous demande d'infirmer l'ordonnance et de prolonger la rétention pour une durée de 15 jours ;

- de M. [J] [L], assisté de son conseil qui demande la confirmation de l'ordonnance ;

SUR QUOI,

L'intimé demande de:

- DECLARER irrecevable l'appel formé par le Procureur de la République à l'encontre de l'ordonnance du Magistrat du siège dans la mesure où la déclaration d'appel n'était pas accompagnée de la décision critiquée, tel que cela ressort des mentions apposées par le greffe du Magistrat du siège, destinataire de la déclaration d'appel du Parquet ;

- DIRE ET JUGER que l'absence de notification régulière, par le truchement d'un interprète, au retenu de la déclaration d'appel du Parquet a porté atteinte aux droits de la défense, et en particulier à son droit de prendre connaissance des raisons pour lesquelles le Parquet a entendu contester la décision du Premier Juge, et de son droit de formuler des observations dans les deux heures, à défaut d'en avoir été informé régulièrement ;

- DECLARER irrégulière la procédure d'appel, et en tout état de cause irrecevable l'appel formé par le Procureur de la République avec demande d'effet suspensif, à défaut d'avoir été porté, régulièrement, à la connaissance du retenu ;

- CONSTATER par ailleurs qu'il ne ressort d'aucune pièce de la procédure que Monsieur [L] se soit vu notifier, régulièrement, par le truchement d'un interprète, l'ordonnance du 15 février 2025 de la Cour statuant sur les effets suspensifs ;

- DECLARER que cette décision ne saurait être exécutée, à défaut de notification régulière au retenu, ce qui vicie la privation de liberté du concluant ;

- DIRE et JUGER en outre que l'absence de notification régulière, par le truchement d'un interprète, de l'acte d'appel du Parquet et de l'ordonnance ayant statuer sur la demande d'effet suspensif du Parquet porte atteinte aux droits de l'intéressé privé de la possibilité de prendre connaissance de la motivation de ces deux actes qui le privent de liberté, mais également de la possibilité de formuler toutes observations utiles dans le délai de 2 heures suivant la notification de la déclaration d'appel du Parquet;

S'agissant de l'appel du Préfet:

- DECLARER irrecevable l'appel formé par le Préfet en ce que la déclaration d'appel ne contient aucune critique relative au moyen accueilli ;

- DECLARER irrecevable l'appel formé par le Préfet à défaut de motivation suffisante en fait de la déclaration d'appel

- DECLARER irrecevable l'appel formé par le Préfet à l'encontre de l'ordonnance du Magistrat du siège en ce que cet appel ne peut tendre à la réformation de la décision du Premier Juge;

- DIRE et JUGER à toutes fins l'appel du Préfet comme dénué de motivation au sens de l'article R.743-11 du CESEDA ;

- DECLARER de plus fort irrecevable l'appel du Préfet SE CONTENTE D'AGIR

PAR VOIE ASSERTIVE SANS RESPECTER UN SYLLOGISME JURIDIQUE

En conséquence avant de statuer au fond sur l'appel du Parquet et l'éventuel appel du Préfet ;

- DIRE et JUGER que ces atteintes justifient le refus de prolongation de sa rétention

administrative, au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation ;

- DECLARER irrégulière la procédure d'appel ;

- ORDONNER qu'il soit mis fin immédiatement à la rétention judiciaire de l'intimé ;

- ORDONNER dès lors sans désemparer la remise en liberté immédiate de l'intéressé, avant tout examen des mérites de l'éventuel appel du Préfet dont le

recours ne peut entraîner de privation de liberté ;

- AVISER l'intimé qu'il peut quitter librement et sans délai le CRA et/ou la Cour d'appel de PARIS;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- CONFIRMER l'ordonnance entreprise par adoption ou substitution de motif ;

- ACCUEILLIR les irrégularités de procédure et moyens au fond ;

- DECLARER la procédure irrégulière ;

SUR LES INCIDENTS RELATIFS A LA PROCEDURE D'APPEL ET LA RECEVABILITE DE L'APPEL DU MINISTERE PUBLIC

I/ SUR LE MOYEN TIRE DE L'IRREGULARITE DE LA PROCEDURE D'APPEL ET DE L'IRRECEVABILITE D'APPEL DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE POUR DEFAUT DE NOTIFICATION AU RETENU PAR LE TRUCHEMENT D'UN INTERPRETE

L'article L. 743-22 du CESEDA dispose :

" L'appel n'est pas suspensif.

Toutefois, le ministère public peut demander au premier président de la cour d'appel ou à son délégué de déclarer son recours suspensif lorsqu'il lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l'ordre public. Dans ce cas, l'appel est accompagné de la demande qui se réfère à l'absence de garanties de représentation effectives ou à la menace grave pour l'ordre public, et transmis au premier président de la cour d'appel ou à son délégué. Celui-ci décide, sans délai, s'il y a lieu de donner à cet appel un effet suspensif, en fonction des garanties de représentation dont dispose l'étranger ou de la menace grave pour l'ordre public, par une ordonnance motivée rendue contradictoirement et qui n'est pas susceptible de recours.

L'intéressé est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un effet suspensif à l'appel du ministère public, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond. ".

L'article R.743-12 du même code dispose : " Lorsque le ministère public entend solliciter du premier président de la cour d'appel qu'il déclare son recours suspensif, il interjette appel dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification qu'il a reçue de l'ordonnance. Il fait notifier la déclaration d'appel, immédiatement et par tous moyens, à l'autorité administrative, à l'étranger et, le cas échéant, à son avocat, qui en accusent réception.

La notification mentionne que des observations en réponse à la demande de déclaration d'appel suspensif peuvent être transmises par tout moyen au premier président ou à son délégué dans un délai de deux heures ".

Le conseil de l'intimé soutient que les dispositions susvisées ont été violées de sorte que l'appel est irrecevable en estimant qu'il n'est pas justifié que la déclaration d'appel aurait été régulièrement portée à la connaissance du retenu " immédiatement et par tout moyen ", ce qui est de nature à porter atteinte aux droits de la défense puisque le retenu n'a pas été placé en mesure d'en appréhender le sens, ni la motivation de la déclaration d'appel et donc les raisons de la poursuite de sa privation de liberté.

Aussi, il demande à la Cour de déclarer irrégulière la procédure d'appel et en tout état de cause irrecevable la déclaration d'appel, et d'ordonner la cessation immédiate de la rétention judiciaire de son client par le truchement d'un interprète.

Sur ce, la Cour constate qu'il est dument justifié en procédure que l'appel fait par le procureur de la République a été en bonne et due forme notifié au retenu le 14 février 2025 à 16h46 avec interprète par téléphone par l'intermédiaire de Mme [C] [V].

Ce moyen d'irrecevabilité sera donc rejeté.

II/ SUR LE MOYEN TIRE DU DEFAUT DE SIGNIFICATION REGULIERE DE L'ORDONNANCE PRIVATIVE DE LIBERTE A LA SUITE DE L'APPEL DU PARQUET ET LA PRIVATION ILLEGALE DE LIBERTE A DEFAUT DE NOTIFICATION REGULIERE DE LADITE ORDONNANCE SANS INTERPRETE, ET L'ATTEINTE AU DROIT DE CONNAITRE LA MOTIVATION DE LA DECISION STATUANT SUR LA DEMANDE DU PARQUET RELATIVE AUX EFFETS SUSPENSIFS POUR SE DETERMINER ET SE DEFENDRE EFFICACEMENT, LE DROIT DE CONNAITRE LES RAISONS POUR LESQUELLES IL EST PRIVE DE LIBERTE, L'ATTEINTE AU PROCES EQUITABLE ET AUX DROITS DE LA DEFENSE ET L'ILLEGALITE DE LA PRIVATION DE LIBERTE

Le conseil du retenu soutient que la procédure d'appel est irrégularité le retenu est placé dans l'impossibilité de connaître les raisons pour lesquelles il reste privé de liberté, au titre d'une décision de justice qui ne lui a pas été notifiée avec un interprète en langue arabe en violation de l'article 503 du CPC.

Aussi, l'intimé saisit la Juridiction de céans de moyens ayant trait :

o au caractère obligatoire de cette notification afin de permettre à l'ordonnance statuant sur la demande d'effet suspensif de produire ses effets ;

o à la violation de l'article 6 § 1 de la CEDH découlant de l'atteinte au droit de connaître la motivation de la décision le privant de liberté pour se déterminer et se défendre efficacement ; le droit de connaître les raisons pour lesquelles il perd son procès étant pour le justiciable le pendant de l'obligation de motiver pesant sur le Juge.

Le conseil du retenu soutient que l'appel du ministère public avec demande d'effet suspensif n'a pas été porté à la connaissance de l'intéressé ni même l'ordonnance ayant statué sur la demande d'effet suspensif du Parquet. Tout au moins il prétend qu'il n'est pas justifié de la notification régulière de cette ordonnance. De sorte que le Conseil du retenu ne peut vérifier qu'elle aurait été régulièrement portée à la connaissance de l'intéressé, de sorte qu'elle ne saurait dès lors recevoir début d'exécution à défaut de notification régulière. Il en conclut que cela porte atteinte aux droits de la défense puisque le retenu n'a pas été placé en mesure d'en appréhender le sens, ni la motivation de la décision et donc les raisons de la poursuite de sa privation de liberté. Il ajoute que cela porte également atteinte au droit de connaitre sans délai le sens et la motivation de la décision rendue sur appel du retenu.

De plus, au visa de l'article 503 du code de procédure civile, il estime que pour produire des effets juridiques, les actes de procédure doivent être portés à la connaissance des intéressés par voie de notification. Aussi il en conclut que pèse dès lors sur le Juge du fond, l'obligation de rechercher si l'ordonnance de la Cour d'appel a bien été notifiée au retenu. Le conseil du retenu s'estime donc fondé à se prévaloir tant des dispositions de l'article 6 de la Convention, que des dispositions, à valeur de principe constitutionnel, de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen pour faire déclarer la procédure d'appel irrégulière pour atteinte au procès équitable, atteinte aux droits de la défense et privation illégale de la liberté.

Sur ce,

La cour constate que l'ordonnance statuant sur les effets suspensifs rendue par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris a été notidfiée à l'intéressé le 15 février 2025 à 19h45 ; cette ordonnance notifiée indique expressément qu'elle n'est pas susceptible de recours. Lorsque le centre de rétention a notifié à M. [J] [L] la décision, il n'a pas été fait mention de la présence d'un interprète. Pour autant la notification mentionne expressément que la présente décision n'est pas susceptible de recours et été signée par M. [J] [L].

Il est rappelé qu'au terme de l'art L. 743-12 du CESEDA, " en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction (') qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger ". Aucune nullité ne peut être formelle, il doit donc être démontré en quoi celle-ci affecte effectivement les droits reconnus à l'étranger.

Il faut donc démontrer que l'irrégularité a causé à la personne une atteinte à ses intérêts " pas de nullité sans grief ".

De même en matière de contentieux administratif, l'ordre administratif, par arrêt d'assemblée du 23 décembre 2011, le Conseil d'État rendait l'arrêt [M] énonçant qu'un vice de procédure n'entraîne l'illégalité d'une décision administrative qu'en deux situations :

¢ soit s'il a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise,

¢ soit s'il a privé les intéressés d'une garantie.

(CE Ass. 23 déc. 2011, [M])

Cette exigence du vice substantiel développé par l'arrêt du CE assemblée 23 décembre 2011 [M]: suppose que seuls les vices de procédure ayant eu une influence sur le contenu de la décision ou ayant privé l'administré d'une garantie entraîne une irrégularité de la décision.

Il faut donc une atteinte aux droits de la personne.

Etant précisé que les irrégularités portant ou non atteinte aux droits de la personne relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond ( Cass. 1re civ., 15 oct. 2020, n° 20-15.691. - Cass. 1re civ., 10 févr. 2021, n° 19-25.224. Cass. 1re civ., 3 mars 2021, n° 19-23.581 ).

Sur ce,

Bien que M. [J] [L] n'ait pas bénéficié de la présence d'un interprète lorsque la notification de l'ordonnance statuant sur l'effet suspensif du 15 février 2025 est intervenue, il s'avère que cette irrégularité n'a pas eu pour effet de porter substantiellement atteinte aux droits de l'étranger qui a porté à l'audience de ce jour, toutes les constestations sur la régularité de la procédure avec l'assistance de son conseil. Le 15 février 2025 à réception de l'ordonnance suspensive, il n'était en mesure d'effectuer aucun exercice des droits pour contester ladite ordonnance à laquelle la loi accorde un effet exécutoire insusceptible de recours. Ce jour à l'audience M. [J] [L] peut discuter l'ensemble des moyens d'attaquer et l'ensemble de la procédure diligentée. De plus, il ne fait pas la démonstration d'avoir été privé d'un autre de ses droits.

Le moyen d'irrégularité sera donc rejeté.

III SUR LE MOYEN TIRE DE L'IRRECEVABILITE DE L'APPEL DU PREFET QUI NE PEUT TENDRE A LA REFORMATION A DEFAUT DE CRITIQUES OPERANTES, DE MOTIVATION SUFFISANTE EN FAIT ET EN DROIT ET DU DEFAUT DE CRITIQUE DE L'UN DES MOYENS ACCUEILLIS PAR LE JLD

L'article R.743-11du CESEDA prévoit : " A peine d'irrecevabilité, la déclaration d'appel est motivée"

Le conseil du retenu estime qu'il convient de déclarer irrecevable la déclaration d'appel à défaut de motivation suffisante en fait et du défaut de motivation en droit, en ce que l'appel ne pouvant tendre à la réformation de l'ordonnance.

En l'espèce l'appel de la préfecture est dument motivé en droit et en fait, en droit puisqu'il vise l'article L 742-5 du CESEDA et en fait puisqu'il explique que M. [J] [L] est démuni de document d'identité mais que les autorités marocaines ont délivré un laissez-passer le 11 février 2025 de nature à fonder un éloignement à bref délai.

Le moyen sera donc rejeté.

IV. SUR LE MOYEN TIRE DE L'IRRECEVABILITE DE L'APPEL DU PREFET QUI " SE CONTENTE D'AGIR PAR VOIE ASSERTIVE SANS RESPECTER UN SYLLOGISME JURIDIQUE " :

L'article 933 du CPC qui s'applique en toute procédure d'appel sans représentation obligatoire dispose:

"La déclaration comporte les mentions prescrites par l'article 58. Elle désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l'appel est limté, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l'adresse du représentant de l'appelant devant la cour. Elle est accompagnée de la copie de la décision."

Le conseil du retenu conteste la conformité de l'appel du préfet.

En l'espèce l'appel de la préfecture est dument motivé en droit et en fait, en droit puisqu'il vise l'article L 742-5 du CESEDA et en fait puisqu'il explique que M. [J] [L] est démuni de document d'identité mais que les autorités marocaines ont délivré un laissez-passer le 11 février 2025 de nature à fonder un éloignement à bref délai.

Le moyen sera donc rejeté.

Sur les conditions d'une troisème prolongation de la rétention administrative

Il résulte des dispositions de l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'à titre exceptionnel, le juge du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l'article L. 742-4, lorsqu'une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

"1° L'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;

2° L'étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :

a) une demande de protection contre l'éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ;

b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public."

Les critères énoncés ci-dessus n'étant pas cumulatif, il suffit à l'administration d'établir l'un d'eux pour justifier d'une prolongation de la rétention.

Pour l'application du dernier alinéa de l'article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, il appartient à l'administration de caractériser l'urgence absolue ou la menace pour l'ordre public.

En l'espèce, comme le relève le conseil du retenu, un document de voyage a été délivré le 11 février 2025 par les autorités consulaires, un vol était demandé depuis le 4 février 2025 et a été obtenu pour le 17 février 2025 ou le 18 février 2025.

Le conseil du retenu estime que la loi ne permet pas une quatrième prolongation de la rétention pour un tel cas d'absence de moyen de transport. Au soutien de ses prétentions, le conseil du retenu se fonde sur divers arrêts dont 3 émanant de la première chambre civile de la Cour de cassation des 13 septembre 2023, 23 novembre 2022 et 5 octobre 2022.

Sur ce, la Cour relève suite aux arrêts énoncés par le conseil du retenu, le législateur a doté le cadre légal de nouveaux critères par l'adoption de la loi du 26 janvier 2024. Dorénavant pour fonder une prolongation exceptionnelle de la rétention au-delà du délai de 60 jours, le législateur permet de viser l'urgence absolue ou la menace pour l'ordre public.

En droit administratif, la théorie de l'urgence offre à l'Administration les moyens de son action pour agir rapidement face à des troubles ou des situations imprévues. L'urgence permet à l'administration d'agir rapidement pour préserver l'ordre public ou faire assurer le respect des décisions qu'elle prend. Cette notion consacre à l'administration la possibilité de faire face à une situation justifiant sous la réserve de l'appréciation du juge de passer outre certains obligations ou exigences de forme ou de procédure.

D'une manière générale l'urgence est une notion qui permet de valider des actes juridiques en passant outre certaines règles.

Au cas d'espèce, l'administration fournit le justificatif de deux routing prévus les 17 et 18 février 2025 à destination de [Localité 1] avec un laissez-passer du 11 février 2025. De sorte que les vols à destination du pays natal sont prévus le jour de l'audience voire le lendemain.

En l'occurrence, s'agissant de la situation de M. [J] [L], la notion d'urgence consacre à l'administration la possibilité de faire face à une situation en l'espèce en ayant recours à la prolongation exceptionnelle de rétention sous la réserve du contrôle du juge.

Le critère de l'urgence absolu est donc caractérisé s'agissant de maintenir la personne en rétention pour rendre effective la mesure d'éloignement.

Cette notion d'urgence absolue au cas d'espèce est corrélée avec la menace à l'ordre public puisqu'à l'occasion de son arrêté portant obligation de quitter le territoire du 16 décembre 2024, le préfet vise expressément le comportement de l'intéressé qui a été signalé par les services de police le 14 décembre 2024 pour des faits d'escroquerie menaces de mort avec arme et recel de bien provenant d'un délit. La Cour relève de surcroît que le retenu a également été signalisé le 17 juin 2024 pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité et détention frauduleuse en vue de la vente de tabac manufacture. De sorte que la présence en France de [J] [L] fait peser une menace de trouble à l'ordre public.

De plus, il est rappelé que l'article 15 de la directive 2008/115/CE prévoit :

" 1.À moins que d'autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l'éloignement, en particulier lorsque :

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d'un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n'est maintenue qu'aussi longtemps que le dispositif d'éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.

La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.

Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :

a) soit prévoient qu'un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention,

b) soit accordent au ressortissant concerné d'un pays tiers le droit d'engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l'objet d'un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d'un pays tiers de la possibilité d'engager cette procédure.

Le ressortissant concerné d'un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n'est pas légale.

3.Dans chaque cas, la rétention fait l'objet d'un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d'un pays tiers, soit d'office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l'objet d'un contrôle par une autorité judiciaire.

4. Lorsqu'il apparaît qu'il n'existe plus de perspective raisonnable d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5.La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu'il est nécessaire de garantir que l'éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n'excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l'opération d'éloignement dure plus longtemps en raison:

a) du manque de coopération du ressortissant concerné d'un pays tiers, ou

b)des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires. "

Il convient à titre liminaire de relever que la directive 2008/115/CE n'a pas prévu limitativement de motifs susceptibles de permettre le placement ou le maintien en rétention administrative, l'utilisation de l'expression " en particulier " étant claire, en ce que cette mesure de contrainte n'est pas nécessairement motivée par les deux critères du risque de fuite ou de l'obstruction prévus dans son paragraphe 1.

La décision rendue le 6 octobre 2022 par la Cour de Justice de l'Union européenne (C-241/21) confirme cette analyse puisque le considérant 36 de la décision indique : " Dès lors, les Etats membres peuvent prévoir d'autres motifs de rétentions spécifiques, en complément des deux motifs explicitement prévus par cette disposition [l'article 15, paragraphe 1 de la directive 2008/115 ] ".

Le paragraphe 3 du texte susvisé régit le nécessaire examen régulier du maintien en rétention administrative.

Il s'en déduit que le régime de rétention existant en France est conforme aux exigences européennes qui accordent aux Etats membres 6 mois de rétention. De sorte que lorsqu'en France la rétention dépasse 60 jours pour une prolongation exceptionnelle lors de la 3ème voire la 4ème prolongation, les principes consacrés par la directive Retour, en ce qu'il n'écarte pas la possibilité pour le juge national de mettre fin à la rétention administrative en l'absence de toute perspective raisonnable d'éloignement, sont respectés.

Concernant la situation de [J] [L] la prolongation de la rétention pour 15 jours supplémentaires conduit à l'examen des critères de la menace pour l'ordre public et de l'urgence absolue, lesquels sont appréciés avec la finalité même de la mesure de rétention administrative, à savoir l'effectivité de la mesure d'éloignement.

Ces critères sont soumis à l'appréciation du juge judiciaire, gardien des libertés. La notion de menace pour l' ordre public est prévue par la directive Retour et ont été souverainement appréciés par la juridiction de Céans.

Pour ces motifs, la cour considère que les critères légaux de l'article L742-5 du ceseda sont réunis et fondent une troisième prolongation.

Il conviendra donc d'infirmer l'ordonnance de première instance en ce qu'elle n'a pas accordé la prolongation de la rétention alors que les exigences légales de l'article L742-5 du CESEDA sont réunies.

PAR CES MOTIFS

RECEVONS les appels du procureur de la République et de la préfecture,

CONSTATONS l'absence d'irrégularité sur les appels,

INFIRMONS l'ordonnance,

STATUANT À NOUVEAU,

REJETONS les moyens,

DÉCLARONS la requête du préfet recevable,

ORDONNONS la prolongation de la rétention de M. [J] [L] dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de quinze jours,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d'une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 17 février 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :

Pour information :

L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L'intéressé L'interprète

L'avocat de l'intéressé L'avocat général

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