CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 19 février 2025, n° 24/18288
PARIS
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaffinel
Conseiller :
Mme Gaffinel
Par décision du 11 septembre 2024, le tribunal de commerce d'Evry a notamment condamné la société Eurofins Pharma à payer à la société Gimopharm la somme de 102.900 euros outre 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 18 octobre 2024, la société Eurofins Pharma a interjeté appel de cette décision.
Par acte du 20 novembre 2024, la société Eurofins Pharma a assigné la société Gimopharm, au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile, devant le premier président de la cour d'appel de Paris afin, à titre principal, d'arrêt de l'exécution provisoire de la décision précitée et, à titre subsidiaire, de consignation des sommes dues.
A l'audience du 15 janvier 2025, la société Eurofins Pharma, reprenant oralement ses conclusions déposées à l'audience, maintient ses demandes et sollicite également la fixation de l'affaire à bref délai.
Elle fait valoir qu'il existe des moyens sérieux de réformation aux motifs que le premier juge a commis une erreur de droit et de fait en retenant qu'elle avait effectué des actes de concurrence déloyale. En effet, elle soutient qu'elle n'a pas débauché les salariés de la société Gimopharm, lesquels ont spontanément répondu à ses appels d'offres et n'a commis aucune man'uvre déloyale en vue de créer une véritable désorganisation au sein de la société Gimopharm. Elle précise que cette dernière, sur qui repose la charge de la preuve, ne démontre ni la désorganisation créée par le départ de ses salariés ni le préjudice financier subi et que le premier juge pour la condamner à verser la somme de 102.900 euros à la société Gimopharm n'a pas caractérisé le lien de causalité et s'est fondé exclusivement sur une attestation de l'expert-comptable de la société Gimopharm.
Par ailleurs, elle prétend que l'exécution de la décision aurait pour elle des conséquences manifestement excessives dès lors qu'il existe un risque de non restitution des sommes par la société Gimopharm. Elle expose que cette dernière n'a publié ses comptes 2022 et 2023 que le 4 novembre 2024, postérieurement à l'assignation, qu'il en résulte qu'elle a enregistré une perte de 106.323,94 euros en 2023, a des capitaux propres qui sont inférieurs de moitié à son capital social et a des dettes qui s'élèvent à plus de 1,6 millions d'euros.
La société Gimopharm, soutenant oralement ses conclusions déposées à l'audience, conclut au rejet des demandes de la société Eurofins Pharma et à sa condamnation à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que la société Eurofins Pharma, qui se prévaut d'une erreur d'appréciation du premier juge, ne démontre pas l'existence d'un moyen sérieux de réformation et que le premier président n'étant pas une juridiction d'appel pouvant rejuger l'affaire, ne peut apprécier dans le détail la pertinence ou le mérite d'un moyen.
S'agissant des conséquences manifestement excessives, elle fait valoir que la société Eurofins Pharma, sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontre pas qu'elle serait insolvable ou dans une situation d'instabilité alors qu'elle a publié ses comptes annuels 2022 et 2023.
MOTIFS
Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire
L'article 514-3 du code de procédure civile dispose qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Ces conséquences manifestement excessives s'apprécient par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assortie de l'exécution provisoire.
Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.
Par ailleurs, le moyen sérieux d'annulation ou de réformation, au sens du texte précité, est celui qui présente des chances raisonnables de succès, sans qu'il appartienne au premier président de se livrer à un examen approfondi de l'ensemble des moyens et arguments avancés par les parties et soumis à l'examen, au fond, de la cour d'appel.
Le premier juge pour retenir que la société Eurofins Pharma avait commis un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Gimopharm a considéré qu'elle avait débauché cinq de ses salariés, que le caractère simultané ne saurait relever du hasard et que cette situation, même si elle ne procédait pas forcément d'une démarche intentionnelle, ne pouvait être ignorée par la société Eurofins Pharma. Le premier juge a ainsi déduit de la concomitance des recrutements par la société Eurofins Pharma de cinq anciens salariés de la société Gimopharm l'acte de concurrence déloyale.
Or, l'acte de concurrence déloyale suppose de caractériser la faute commise par la société Eurofins Pharma et la désorganisation effective résultant du départ des salariés au sein de la société Gimopharm.
La société Eurofins Pharma justifie avoir recruté les cinq salariés de la société Gimopharm dont quatre techniciens et un cadre, après avoir publié des offres d'emploi et produit les attestations desdits salariés expliquant les motifs de leur départ liés à leur insatisfaction professionnelle au sein de la société Gimopharm et leur envie d'évoluer dans un autre environnement. Elle justifie également avoir recruté en 2022 trente techniciens dont seulement cinq provenaient de la société Gimopharm.
Par ailleurs, aux termes de leurs attestations circonstanciées, les salariés recrutés par la société Eurofins Pharma exposent comment et par qui ils pouvaient être remplacés dans leur poste au sein de la société Gimopharm, de sorte que la seule considération retenue par le juge reposant sur la perte pour la société Gimopharm de cinq salariés pour qualifier la désorganisation pourrait être insuffisante.
Enfin, il convient de relever que le premier juge n'a pas caractérisé le lien de causalité entre la perte de chiffre d'affaires de la société Gimopharm et le départ des salariés.
Au regard de ces éléments, et en l'absence de réplique motivée de la société Gimopharm qui se borne à dire qu'il n'appartient pas au premier président de rentrer dans le détail de l'argumentation des parties, la société Eurofins Pharma démontre qu'il existe des moyens sérieux de réformation de la décision.
S'agissant des conséquences manifestement excessives, les comptes de la société Gimopharm publiés pour l'année 2023, laissent apparaître une perte de 106.323,94 euros et des dettes qui s'élèvent à plus de 1,6 millions d'euros, dont 654.600 euros de dettes fournisseurs et 235.888 euros de dettes fiscales et sociales. Au regard des pertes de l'année 2023, comme l'a constaté la décision de l'associé unique du 28 juin 2024, les capitaux propres de la société sont devenus inférieurs à la moitié du capital social, de sorte qu'en application de l'article L.223-42 du code de commerce, la société devait se prononcer dans les quatre mois sur la poursuite ou non de son activité. La société Gimopharm n'a produit aucune pièce pour contester ces éléments. La société Eurofins Pharma justifie ainsi, compte tenu de la situation économique de la société Gimopharm, qu'il existe un risque de non restitution des sommes en cas d'infirmation de la décision.
Il convient en conséquence d'arrêter l'exécution provisoire de la décision dont appel.
Sur la demande de fixation de l'affaire à bref délai
L'article 917 du code de procédure civile dispose que "Si les droits d'une partie sont en péril, le premier président peut, sur requête, fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité. Il désigne la chambre à laquelle l'affaire est distribuée. Les dispositions de l'alinéa qui précède peuvent également être mises en 'uvre par le premier président de la cour d'appel ou par le conseiller de la mise en état à l'occasion de l'exercice des pouvoirs qui leur sont conférés en matière de référé ou d'exécution provisoire."
La société Eurofins Pharma justifie sa demande par la possibilité pour la société Gimopharm de procéder à des actes d'exécution forcée. Mais dès lors que l'exécution provisoire attachée à la décision rendue le 11 septembre 2024 est suspendue, les droits de la société Eurofins Pharma ne sont pas en péril. Sa demande est rejetée.
La société Gimopharm, succombant à l'instance, est condamnée aux dépens et à verser à la société Eurofins Pharma la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Arrêtons l'exécution provisoire attachée à la décision rendue le 11 septembre 2024 par le tribunal de commerce d'Evry,
Rejetons la demande de fixation de l'affaire à bref délai,
Condamnons la société Gimopharm à verser à la société Eurofins Pharma la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamnons la société Eurofins Pharma aux dépens.
ORDONNANCE rendue par Mme Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.