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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 19 février 2025, n° 23/01265

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Teseven Autobody (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robert

Conseillers :

Mme Leclercq, Mme Asselain

Avocats :

Me Maurel-Fiorentini, Me Benoit-Daief

TJ Castres, du 2 févr. 2023, n° 21/01471

2 février 2023

EXPOSE DU LITIGE ET PROCEDURE

M.[K] [H] est propriétaire d'un véhicule Toyota Land Cruiser série 4.

Il a accepté trois devis de réparation de son véhicule, établis par la société Teseven Autobody, pour un montant total de 42.615,94 euros TTC, et a versé un acompte de 10.000 euros.

La société Teseven Autobody a émis le 6 avril 2020 une facture sur avancement de travaux d'un montant de 29.092 euros TTC.

Le 9 avril 2020, un incendie, né chez un voisin de la société Teseven Autobody, a détruit les locaux de l'entreprise et 17 véhicules, dont celui de M.[H].

La valeur du véhicule de M.[H] au jour du sinistre, soit après réparations et rénovations par la société Teseven Autobody, exécutés à hauteur de 80%, a été estimée par l'expert mandaté par la société MMA, assureur de la société Teseven Autobody, à la somme de 64.092 euros TTC, que la société MMA a versée à M.[H] le 30 mai 2021.

La société Teseven Autobody a mis en demeure M.[H] de lui régler le solde des prestations effectuées par le garage, soit 24.092,74 euros TTC, après déduction de l'acompte de 10.000 euros initialement versé, outre 3.000 euros au titre des frais de gardiennage.

A défaut de règlement, la société Teseven Autobody a fait assigner M.[H] devant le tribunal judiciaire de Castres, par acte d'huissier du 12 octobre 2021, pour obtenir paiement de ces sommes.

Par jugement du 2 février 2023, le tribunal judiciaire de Castres a:

- condamné la société Teseven Autobody à payer à M.[H] la somme de 10.000 euros au titre du remboursernent de l'acompte ; .

- condamné M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 465 euros au titre des frais de gardiennage ;

- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires;

- condamné la société Teseven Autobody à payer à M.[H] la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné la société Teseven Autobody aux depens de l'instance;

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.

La société Teseven Autobody a relevé appel de ce jugement par déclaration du 6 avril 2023.

La société Teseven Autobody, appelante, demande à la cour d'appel, par conclusions notifiées le 19 novembre 2024, au visa des articles 1710 et suivants du code civil, 1728 et 1343-2 du code civil, de:

- infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de M.[H] au titre de la reconstruction du véhicule,

Et, statuant à nouveau,

- condamner M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 24.092,74 euros au titre des travaux de restauration effectués sur son véhicule, assortie des intérêts au taux légal capitalisés à compter du 15 février 2021,

- condamner M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 3.000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive à paiement,

- condamner M.[H] à restituer à la société Teseven Autobody la somme de 10.000 euros au titre du remboursement de l'acompte payée en application du jugement,

- condamner M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 1.770 euros au titre des frais de gardiennage,

- rejeter l'appel incident de M.[H] portant sur les demandes relatives aux frais de gardiennage et à l'octroi de la somme de 37.796,08 euros au titre de la reconstruction du véhicule,

- débouter M.[H] de l'ensemble de ses demandes,

- débouter M.[H] de sa demande reconventionnelle au titre des frais de gardiennage,

- débouter M.[H] de sa demande reconventionnelle au titre de la reconstruction du véhicule,

- condamner M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

La société Teseven Autobody fait valoir que l'indemnisation versée par la société MMA a été calculée en prenant en compte la valeur initiale du véhicule et la valeur des travaux réalisés. Elle soutient qu'il revenait dès lors à la société Teseven Autobody le prix de son intervention, et que le refus de M.[H] de consentir au règlement du montant du travail effectué entraîne pour lui un enrichissement sans cause. Elle précise que tous les clients du garage ont reçu, de l'assurance MMA, l'indemnité correspondant à la valeur de leur voiture avant travaux, et ont reversé le montant du travail effectué à dire d'expert à la société Teseven Autobody. Elle invoque les règles applicables au contrat de dépôt. Elle précise que M.[H] n'a retiré son véhicule que le 27 septembre 2021. Elle rappelle que l'incendie ne lui est pas imputable, mais procède d'une faute de l'entreprise voisine.

M. [K] [H], intimé, demande à la cour d'appel, par conclusions notifiées le 15 mai 2024, au visa des articles 1788, 1789 et 1790 du code civil, 1927, 1928, 1934 et 1947 du code civil, L.124-3 du code des assurances, et 1231-1 et suivants du code civil, de:

- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Teseven Autobody la somme de 465 euros au titre des frais de gardiennage et débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la reconstruction de son véhicule;

Et, statuant à nouveau,

- débouter la société Teseven Autobody de sa demande de dommages et intérêts au titre des frais de gardiennage,

- condamner la société Teseven Autobody à payer à M.[H] la somme de 37.796,08 euros à titre de dommages et intérêts pour la reconstruction de son véhicule,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- débouter la société Teseven Autobody de toutes ses demandes,

Y ajoutant,

- condamner la société Teseven Autobody à payer à M.[H] la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

M.[H] rappelle que dans le cadre d'un contrat d'entreprise, les risques pèsent sur le locateur d'ouvrage, qui n'a pas droit à rémunération et doit restituer l'acompte, en application des articles 1788 et 1790 du code civil. Il soutient qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la somme versée par l'assureur et les travaux effectués par la société Teseven Autobody, l'assureur ayant seulement indemnisé le préjudice subi par M.[H], correspondant au coût de reconstruction du véhicule. Il souligne que la société Teseven Autobody n'a ni qualité, ni intérêt pour discuter l'indemnité que l'assurance lui a versée. Il fait valoir d'autre part que la société Teseven Autobody ne l'a jamais mis en demeure de récupérer l'épave, et a même refusé dans un premier temps qu'il l'évacue. Il sollicite le coût de reconstruction du véhicule, en indiquant que la société Teseven Autobody ne démontre pas avoir effectué toutes diligences pour protéger les véhicules confiés par ses clients contre les risques d'incendie.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 26 novembre 2024. L'affaire a été examinée à l'audience du 10 décembre 2024.

MOTIFS

* Sur le règlement du coût des travaux de réparation

M.[H] a confié son véhicule à la société Teseven Autobody, pour qu'il soit procédé à des réparations supposant la fourniture de pièces et de main d'oeuvre.

Les parties sont donc liées par un contrat d'entreprise, et un contrat de dépôt accessoire à ce contrat principal.

Le droit à rémunération du garagiste est soumis aux articles 1787 et suivants du code civil applicable au contrat d'entreprise.

L'article 1788 du code civil dispose que 'si, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose'.

Ainsi, la perte de l'ouvrage, détruit par un incendie avant que la réception des travaux ait eu lieu, étant, en application de l'article 1788, pour l'entrepreneur, celui-ci ne peut prétendre au paiement du coût de la prestation qu'il n'est pas en mesure de livrer. En conséquence, les acomptes versés par le maître de l'ouvrage en paiement de ces travaux, alors même que leur inexécution ne serait pas fautive, doivent lui être restitués.

En l'espèce, l'incendie qui a détruit le garage et les véhicules qui y étaient entreposés est survenu avant que les réparations soient achevées et que M.[H] ait été mis en demeure de reprendre son véhicule.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a, en application de ces textes, rejeté la demande en paiement de la société Teseven Autobody, et dit que cette société devait procéder au remboursement de l'acompte de 10.000 euros reçu.

* Sur l'indemnité sollicitée par M.[H] et l'enrichissement sans cause invoqué par la société Teseven Autobody

M.[H] reçu paiement, par l'assureur de la société Teseven Autobody, d'une indemnité de 64.092 euros TTC, que la société MMA lui a versée le 30 mai 2021.

Cette somme, selon le rapport de l'expert mandaté par la société MMA, se décompose ainsi:

- valeur de remplacement à dire d'expert: 25.000 €

- restauration effective à hauteur de 80% estimée à 35.513,28 € - 20% = 28.410,62 € HT

- valeur du préjudice: 25.000 + 28.410,62 = 53.410,62 € HT, soit 64.092 € TTC.

La société Teseven Autobody invoque un enrichissement sans cause de M.[H], qui a perçu une indemnité excédant la valeur du véhicule confié, à la date de son dépôt.

M.[H], formant appel incident, demande reconventionnellement, sur le fondement des articles 1789 et 1231 du code civil, paiement du prix de reconstruction de son véhicule, sous déduction de l'indemnité déjà perçue de l'assureur. Il produit un devis de reconstruction d'un montant de 101.888,08 euros, et demande paiement d'une somme de 37.796,08 euros correspondant à la différence avec l'indemnité de 64.092 euros perçue de l'assureur.

Il est rappelé que le contrat liant les parties comporte les obligations accessoires liées au dépôt du véhicule confié.

L'indemnité due au déposant dont le bien a été détruit est soumise aux dispositions des articles 1927 et suivants du code civil.

L'article 1929 énonce que 'le dépositaire n'est tenu, en aucun cas, des accidents de force majeure, à moins qu'il n'ait été mis en demeure de restituer la chose déposée'. L'article 1932 indique que 'le dépositaire doit rendre identiquement la chose même qu'il a reçue'. L'article 1933 dispose que 'le dépositaire n'est tenu de rendre la chose déposée que dans l'état où elle se trouve au moment de la restitution. Les détériorations qui ne sont pas survenues par son fait sont à la charge du déposant'.

Il résulte de ces dispositions que la société Teseven Autobody, dépositaire du véhicule incendié, ne saurait être tenue de payer à M.[H] une indemnité supérieure à celle qu'elle reconnait être due, soit la valeur du véhicule confiée au moment de son dépôt, que s'il est prouvé qu'elle a commis une faute à l'origine de la détérioration du bien.

En l'espèce, il est établi que la destruction du bien procède de l'incendie survenu chez le voisin de la société Teseven Autobody, qui s'est propagé au garage exploité par la société Teseven Autobody. Cet évènement revêt pour la société Teseven Autobody, co-contractant de M.[H], un caractère de force majeure qui l'exonère de sa responsabilité.

M.[H] n'est donc pas en droit d'obtenir une indemnité équivalente au prix de reconstruction du véhicule, et ne peut réclamer à la société Teseven Autobody paiement d'une indemnité complémentaire, excédant celle qu'il a déjà perçue de l'assureur.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de M.[H].

La société Teseven Autobody ne peut quant à elle bénéficier des dispositions de l'article 1303 du code civil, selon lesquelles 'en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement'.

Le lien de corrélation entre l'appauvrissement et l'enrichissement doit être prouvé. Or la société Teseven Autobody ne démontre pas avoir subi un appauvrissement personnel, corrélatif à l'enrichissement qu'elle dénonce. L'indemnité réglée à M.[H] a en effet été payée par la société MMA, assureur de la société Teseven Autobody. Et la société Teseven Autobody, qui ne verse pas aux débats le contrat conclu avec la société MMA, ni ne justifie du contenu des garanties souscrites, n'explicite nullement à quel titre elle aurait personnellement pu recevoir, de son assureur, une indemnité couvrant les travaux effectués avant l'incendie et non réglés. Le fait que le garage ne puisse obtenir de son co-contractant paiement des travaux exécutés ne résulte que de l'application de la loi. Quel que soit l'enrichissement dont M.[H] a pu bénéficier, dont celui-ci conteste au demeurant le principe, la preuve d'un appauvrissement corrélatif de la société Teseven Autobody n'est en toute hypothèse pas rapportée.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la société Teseven Autobody, au titre des travaux exécutés.

* Sur les frais de gardiennage

Le tribunal a condamné M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 465 euros au titre de frais de gardiennage courant du 26 juillet 2021, date de réception d'une mise en demeure datée du 21 juillet 2021, jusqu'au 27 septembre 2021, date de l'enlèvement effectif du véhicule.

La société Teseven Autobody, appelante principale, demande règlement d'une somme portée à 1.770 euros, décomptée du 30 mai 2021 au 27 septembre 2021, et M.[H], appelant incident, conteste toute dette à ce titre.

La quittance de règlement de l'indemnité d'assurance signée par M.[H] le 30 mai 2021 mentionne l'obligation pour M.[H] de retirer le véhicule du parc de la société Teseven Autobody.

L'article 1231 du code civil prévoit que les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s'exécuter dans un délai raisonnable.

La lettre adressée par le conseil de la société Teseven Autobody à M.[H] le 21 juillet 2021 porte essentiellement mise en demeure de régler le coût des travaux exécutés. L'avocat de la société Teseven Autobody y indique également que la société entend facturer des frais de gardiennage à hauteur de 50 euros par jour à compter du 30 mai 2021, évalués à 3.000 euros; le même avocat a ensuite indiqué au conseil de M.[H], par mail officiel du 11 août 2021, qu' 'il est inenvisageable que votre client récupère son bien (ce qu'il avait l'obligation de faire depuis le mois de mai) sans qu'il ne débourse les sommes dues au titre du gardiennage'.

A défaut de mise en demeure préalable expresse d'avoir à enlever le véhicule, la société Teseven Autobody n'était pas fondée à réclamer paiement de frais de gardiennage à compter du 31 mai 2021, ni par conséquent à exercer un quelconque droit de rétention faisant obstacle à l'enlèvement du véhicule. Le maintien du dépôt du véhicule dans les locaux du garage, du 26 juillet au 27 septembre 2021, alors que la société a fait obstacle à son enlèvement, n'est donc pas imputable à M.[H].

Par ailleurs, l'article 1947 du code civil dispose que 'la personne qui a fait le dépôt est tenue de rembourser au dépositaire les dépenses qu'il a faites pour la conservation de la chose déposée, et de l'indemniser de toutes les pertes que le dépôt peut lui avoir occasionnées'.

Or le garage, détruit par l'incendie, ne justifie pas, par les seules photographies versées aux débats, de dépenses de conservation ni de pertes occasionnées par le dépôt.

La société Teseven Autobody n'est donc pas fondée à demander paiement de frais de gardiennage.

Le jugement est infirmé sur ce point.

* Sur les demandes accessoires:

La société Teseven Autobody ne peut prétendre au paiement de dommages et intérêts 'pour résistance abusive à paiement', alors qu'elle ne justifie pas d'une créance. Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Teseven Autobody de ce chef.

Le jugement déféré doit aussi être confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la société Teseven Autobody, partie perdante, les dépens de première instance outre une indemnité allouée à M.[H] au titre des frais irrépétibles de première instance.

La société Teseven Autobody, qui perd son procès en appel, doit également supporter les dépens d'appel, et régler à M.[H] une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 2 février 2023 par le tribunal judiciaire de Castres, sauf en ce qu'il a condamné M.[H] à payer à la société Teseven Autobody la somme de 465 euros au titre de frais de gardiennage;

Statuant à nouveau sur ce chef de décision infirmé et y ajoutant,

Rejette la demande de la société Teseven Autobody tendant au paiement de frais de gardiennage;

Condamne la société Teseven Autobody aux dépens d'appel;

Condamne la société Teseven Autobody à payer à M.[H] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

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