CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 19 février 2025, n° 23/01308
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Clomen (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Robert
Conseillers :
Mme Leclercq, Mme Asselain
Avocats :
Me Cantaloube-Ferrieu, Me Dahan, Me Laurent, SCP Boonstoppel Laurent
EXPOSE DU LITIGE ET PROCEDURE
En novembre 2010, M.[D] [K] a fait procéder au remplacement des menuiseries de l'immeuble dont il est propriétaire, situé [Adresse 4], à [Localité 5].
La société Clomen a établi à l'ordre de M.[K] une facture datée du 5 novembre 2010, d'un montant de 5.850 euros, mentionnant le versement d'un acompte de 1.500 euros.
M.[K] a réglé le solde dû à la société Clomen par deux chèques des 12 novembre et 22 décembre 2010.
En 2019, le maître de l'ouvrage s'est plaint d'infiltrations, qu'il a fait constater par huissier le 12 juillet 2019.
Par ordonnance du 10 janvier 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Castres, saisi par M.[K] après échec des démarches amiables engagées auprès de la société Clomen, a désigné M.[F] [C] pour rechercher la cause des désordres et les moyens d'y remédier.
L'expert a déposé son rapport le 23 mars 2021.
Par acte d'huissier du 14 avril 2021, M.[K] a fait assigner la société Clomen devant le tribunal judiciaire de Castres pour obtenir réparation de son préjudice.
La société Clomen a fait appeler en cause la SMABTP, par acte d'huissier du 12 novembre 2021.
Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal judiciaire de Castres a:
- condamné la société Clomen à payer à M.[K] la somme de 19.715,03 euros au titre des travaux de remise en état outre intérêts au taux légal à compter du jugement;
- rejeté les demandes présentées à l'encontre de la SMABTP;
- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires;
- condamné la société Clomen à payer à M.[K] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné la société Clomen à payer à la SMABTP la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné la société Clomen aux dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire;
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
La société Clomen a relevé appel de ce jugement par déclaration du 11 avril 2023, en n'intimant que M.[K].
La société Clomen, appelante, demande à la cour d'appel, par conclusions notifiées le 7 juillet 2023, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, 1363 du code civil actuel et 1341 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance de 2016, de:
- réformer en son entier le jugement déféré,
- juger que le tribunal ne pouvait faire prévaloir la preuve testimoniale sur l'écrit,
- juger que la société Clomen n'est intervenue qu'en qualité de fournisseur des ouvrants, lesquels ne présentent pas de défauts ou de désordres intrinsèques selon le rapport de l'expert judiciaire,
- juger en conséquence qu'elle n'a pas la qualité de constructeur et n'est pas à l'origine des travaux litigieux réalisés et des désordres constatés;
- juger également en tant que de besoin qu'il n'est pas justifié d'une réception des prétendus travaux de pose allégués, de sorte que le demandeur ne pouvait se prévaloir du bénéfice de la garantie décennale;
En conséquence,
- débouter M.[K] de ses entières prétentions,
- le condamner au paiement de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Clomen soutient n'être intervenue qu'en qualité de fournisseur des menuiseries, exemptes de défauts, et non de locateur d'ouvrage. Elle précise ne disposer d'aucun élément relatif à ce litige, la société ayant fait l'objet d'une cession récente avant l'introduction de la procédure. Elle affirme qu'elle avait en 2010 une activité exclusive de négoce, et aucune activité de pose, et se prévaut de la facture du 5 novembre 2010. Elle invoque également l'absence de réception des travaux.
Dans ses conclusions notifiées le 28 octobre 2024, M. [D] [K], intimé, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, de:
- débouter la Sas Clomen de ses demandes,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a jugé que la Sas Clomen était bien intervenue pour assurer la pose des ouvrants, et que les désordres présentaient un caractère décennal,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné la Sas Clomen au paiement des sommes de 19.715,03 euros au titre des travaux de réparation desdits désordres, et '500 euros' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre l'intégralité des dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
M.[K] indique qu'il était âgé de 72 ans lorsqu'il a fait appel à la société Clomen, et qu'il a fait le choix de cette société parce qu'elle lui proposait une intervention dans le cadre d'une fourniture et pose de menuiseries, conformément à ce qui apparaît sur son site internet. Il fait valoir que la facture est incomplète et produit une attestation de sa locataire pour établir que les prestations ont été réalisées par la société Clomen.
La clôture de la mise en état a été prononcée le 26 novembre 2024. L'affaire a été appelée à l'audience du 10 décembre 2024.
MOTIFS
* Sur la nature du contrat liant les parties
M.[K], né en 1938, fait valoir qu'il était âgé de 72 ans lorsqu'il a fait appel à la société Clomen, et indique qu'il a fait le choix de cette société parce qu'elle lui proposait une intervention dans le cadre d'une fourniture et pose de menuiseries, conformément à ce qui apparaît sur son site internet. Il souligne que la facture est incomplète et produit une attestation de sa locataire pour établir que les prestations ont été réalisées par la société Clomen.
La société Clomen soutient n'être intervenue qu'en qualité de fournisseur des menuiseries, et non de locateur d'ouvrage. Elle précise ne disposer d'aucun élément relatif à ce litige, la société ayant fait l'objet d'une cession récente avant l'introduction de la procédure. Elle affirme qu'elle avait en 2010 une activité exclusive de négoce, et aucune activité de pose, et se prévaut de la facture du 5 novembre 2010, qui ne mentionne pas de prestation de pose. Elle invoque l'ancien article 1341 du code civil, et la jurisprudence selon laquelle il n'est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu des actes, ce type de preuve ne pouvant être invoqué que pour interpréter un acte obscur ou ambigu.
L'article 1341 du code civil, dans sa version applicable au litige, prévoyait qu' 'il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret', soit 1.500 euros, et qu' 'il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes'.
En l'espèce, l'existence du contrat liant les parties n'est pas contestée, seul l'étant son contenu.
Aucune des parties ne produit de contrat de vente ni de contrat d'entreprise signé par elles, pas plus qu'un bon de commande.
Seule une facture datée du 5 novembre 2010, établie par la société Clomen, d'un montant de 5.850 euros, est versée aux débats.
Cette facture constitue, pour M.[K] qui n'en est pas l'auteur, un commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, autorisant un complément de preuve par tout moyen.
La facture, ou copie de facture produite par M.[K], ne mentionne pas, sur les deux pages versées aux débats, de prestation de pose des menuiseries. Mais ce document est manifestement incomplet, puisqu'il vise en page 1 une menuiserie dont les caractéristiques et dimensions sont décrites, d'un prix unitaire de 940,80 euros, et deux portes-fenêtres d'un prix unitaire de 472,42 euros, ce qui ne correspond pas au total facturé en page 2, d'un montant de 5.850 euros. Le verso de la première page n'est donc pas produit, à moins que la facture elle-même ait été incomplète.
La société Clomen, qui ne produit aucune pièce complémentaire, explique que la direction de la société a changé, sans davantage apporter de justificatif sur ce point.
Le commencement de preuve produit par M.[K], qui ne permet ni d'établir ni d'exclure les prestations de pose qu'il invoque, est régulièrement complété en premier lieu par le témoignage de Mme [J] [L], qui indique, dans une attestation régulière en la forme datée du 10 janvier 2022, avoir été locataire de la maison appartenant à M.[K], et 'atteste que lorsque les poseurs de menuiserie se sont présentés à (son) domicile pour effectuer leur tâches, ils (lui) ont dit être la société Clomen', et précise 'durant les travaux, j'ai aperçu un véhicule de la société'.
M.[K] produit également une impression d'informations figurant sur le site internet de la société Clomen, dont une page indiquant notamment:
'TOUT COMPRIS
Devis gratuit
Prise ou contrôle des dimensions
Conseils techniques
Livraison
Etude 3D
Pose
Suivi de chantier
Garanties
SAV
Produits visibles en showroom'.
La société Clomen affirme qu'elle avait en 2010 une activité exclusive de négoce, et aucune activité de pose, mais ne produit pas davantage de quelconque pièce sur ce point. Elle n'a pas non plus dénié, à réception de la mise en demeure que lui a adressée M.[K] le 11 septembre 2019, lui reprochant des fautes d'exécution lors de la réalisation des travaux, avoir procédé à ces travaux.
Par ailleurs, il y a contrat d'entreprise et non vente lorsque les produits fabriqués sont destinés à répondre aux besoins particuliers du client, et supposent, comme en l'espèce, une prise de cotes pour s'adapter aux dimensions des ouvertures.
Au regard des pièces versées aux débats par les parties, M.[K] rapporte la preuve du contrat d'entreprise le liant à la société Clomen.
* Sur la responsabilité de la société Clomen
L'expert judiciaire conclut, au terme des opérations d'expertise auxquelles la société Clomen n'a pas participé, que les désordres, qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination du fait des traces de pénétrations d'eau constatées, procèdent essentiellement de 'la prise de cote non adaptée', et de 'tentatives de comblement et de colmatage' qui n'ont pas permis d'assurer l'étanchéité.
Il a été retenu ci-dessus que la pose des menuiseries, et a fortiori la prise de cotes concernant les dimensions des fenêtres, dûment mentionnées dans la facture produite, ont été confiées à la société Clomen.
L'ouvrage de la société Clomen est donc affecté de désordres de nature décennale, propres à engager la responsabilité du constructeur sur le fondement de l'article 1792 du code civil.
La société Clomen ne peut utilement contester l'existence d'une réception tacite des travaux, condition de la mise en oeuvre de la responsabilité décennale, alors que la prise de possession de l'ouvrage, jointe au règlement intégral de la facture, établit la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter l'ouvrage. Il est rappelé qu'en toute hypothèse, à défaut de réception, la mauvaise exécution des prestations contractuelles aurait suffi à engager la responsabilité contractuelle de la société Clomen.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Clomen, et l'a condamnée à réparation des dommages matériels constatés, à hauteur d'une somme dont le montant n'est pas contesté, conforme à l'évaluation de l'expert.
* Sur les demandes accessoires:
Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la société Clomen, partie perdante, les dépens de première instance ainsi que le coût de l'expertise ordonnée en référé, outre une indemnité allouée à M.[K] au titre des frais irrépétibles.
La société Clomen, qui perd son procès en appel, doit également supporter les dépens d'appel, et ne peut prétendre au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement rendu le 9 mars 2023,
Y ajoutant,
Dit que la société Clomen doit supporter les dépens d'appel;
Rejette la demande formée par la société Clomen sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.