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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 février 2025, n° 22/14656

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Les Vidaux (SAS), CDC (SAS), Le Cellier Distribution (SAS), PM Armen (SAS), Société Générale de Distribution Drinks (Sté), PM Azur Drink's (SAS), PM Miss Carna (SAS), Delta Boissons (SAS), Distribution Azuréenne de Boissons (SAS), CDB (SAS), PM Bago (SASU), PM Centuri (SAS)

Défendeur :

Savatier Selection (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Ohana, Me Fradet, Me Garinot, Me Cuisinier, Me Firley

T. com. Marseille, du 28 juin 2022, n° 2…

28 juin 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Savatier Sélection, qui a pour activité principale l'achat, la vente, les prestations de service en rapport avec l'agriculture et le vin, a entretenu à compter de 2009 des relations commerciales avec les sociétés suivantes du groupe [F] Pietrini Boissons, distributeur en gros de boissons : la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur et la SAS PM Armen, qui détient ces dernières à 100 %.

La SAS Savatier Sélection vendait ainsi à ces dernières, avec une exclusivité de distribution sur les régions concernées :

- neuf références en bouteilles IGP méditerranée 50 cl, 75 cl et 150 cl sous la marque « Harès » ;

- sept références d'AOC et d'AOP Provence en bouteilles et deux références en Bag in Box de 10 litres sous la marque « C'ur de Rouet ».

A compter du 27 février 2017, la SAS Savatier Sélection a approvisionné la SAS Les Vidaux, rachetée en 2015 par le groupe [F] Pietrini Boissons et présidée par son associé unique, la SAS PM Armen, en produits sous marque de distributeur (ci-après, les produits « MDD ») à raison de 27 références en bouteilles IGP Méditerranée et IGP VAR et de 9 références en IGP et AOP Provence en Bag in box.

Refusant les tarifs 2018 proposés le 12 octobre 2017 par la SAS Savatier Sélection, en augmentation de 5 à 8,5 %, la SAS Les Vidaux a progressivement cessé de s'approvisionner auprès d'elle. A sa suite, les autres sociétés du groupe ne lui ont plus passé commande.

C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier signifié les 25, 26, 27 et 30 novembre 2020 et 2 décembre 2020, la SAS Savatier Sélection a assigné la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS Les Vidaux, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur et la SAS PM Armen devant le tribunal de commerce de Marseille en indemnisation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies.

La SAS PM Bago intervenait volontairement à l'instance.

Par jugement du 28 juin 2022, le tribunal de commerce de Marseille a, avec exécution provisoire, statué en ces termes :

Prend acte de l'intervention volontaire de la Société PM BAGO S.A.S. et la reçoit en son intervention volontaire ;

Déboute la Société PM BAGO S.A.S. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Constate l'existence de relations commerciales établies entre les parties de 2009 à 2019 ;

Déclare que la rupture des relations commerciales établies entre la Société SAVATIER SELECTION et le groupe [F] PIETRINI est imputable au groupe [F] PIETRINI ;

Condamne in solidum les Sociétés LES VIDAUX S.A.S.U., GENERALE DE DISTRIBUTION DRINKS AZUR, PM AZUR DRINK'S S.A.S., PM MISS CARNA S.A.S., DELTA BOISSONS S.A.S., CDB S.A.S., DISTRIBUTION AZUREENNE DE BOISSONS (DAB) S.A.S., PM CENTURI S.A.S., CDC S.A.S., CELLIER DISTRIBUTION S.A.S. et PM ARMEN S.A.S. à payer à la Société SAVATIER SELECTION S.A.S. la somme de 231 783 € (deux cent trente et un mille sept cent quatre-vingt-trois euros) au titre de l'indemnité de préavis ;

Condamne la Société LES VIDAUX S.A.S.U. à payer à la Société SAVATIER SELECTION SAS la somme de 55 328 € (cinquante-cinq mille trois cent vingt-huit euros) correspondant aux pertes de produits finis et de matières sèches ;

Déboute les Sociétés LES VIDAUX S.A.S.U., GENERALE DE DISTRIBUTION DRINKS AZUR, PM AZUR DRINK'S S.A.S., PM MISS CARNA S.A.S., DELTA BOISSONS S.A.S., CDB S.A.S., DISTRIBUTION AZUREENNE DE BOISSONS (DAB) S.A.S., PM CENTURI S.A.S., CDC S.A.S., CELLIER DISTRIBUTION S.A.S. et PM ARMEN S.A.S. de leurs demandes reconventionnelles ;

Condamne conjointement les Sociétés LES VIDAUX S.A.S.U., GENERALE DE DISTRIBUTION DRINKS AZUR, PM AZUR DRINK'S S.A.S., PM MISS CARNA S.A.S., DELTA BOISSONS S.A.S., CDB S.A.S., DISTRIBUTION AZUREENNE DE BOISSONS (DAB) S.A.S., PM CENTURI S.A.S., CDC S.A.S., CELLIER DISTRIBUTION S.A.S. et PM ARMEN S.A.S. à payer à la Société SAVATIER SELECTION S.A.S. la somme de 5 000 € (cinq mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile,

Condamne conjointement les Sociétés LES VIDAUX S.A.S.U., GENERALE DE DISTRIBUTION DRINKS AZUR, PM AZUR DRINK'S S.A.S., PM MISS CARNA S.A.S., DELTA BOISSONS S.A.S., CDB S.A.S., DISTRIBUTION AZUREENNE DE BOISSONS (DAB) S.A.S., PM CENTURI S.A.S., CDC S.A.S., CELLIER DISTRIBUTION S.A.S. et PM ARMEN S.A.S. aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de Procédure Civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 285,38 € (deux cent quatre-vingt-cinq euros et trente-huit centimes) ;

['] Rejette pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

Par déclaration reçue au greffe le 2 août 2022, la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS Les Vidaux, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur, la SAS PM Armen (ci-après, ensemble, « les sociétés du groupe MPD ») et la SAS PM Bago ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 21 avril 2023 par la voie électronique, les sociétés du groupe MPD et la SAS PM Bago demandent à la cour, au visa des articles L 442-6 et D 442-3 du code de commerce et 700, 514-1, 909 et 954 du code de procédure civile :

- à titre liminaire, de déclarer irrecevable l'appel incident de la SAS Savatier Sélection ;

- d'infirmer dans sa totalité le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille du 28 juin 2022 ;

- à titre principal, de :

o débouter la SAS Savatier Sélection de l'ensemble de ses demandes, en l'absence de relations commerciales établies la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur et la SAS PM Armen, en ce que la SAS Savatier Sélection ne pouvait légitimement anticiper leurs poursuites ;

o débouter la SAS Savatier Sélection de ses demandes formulées à l'encontre de la SAS Les Vidaux, en l'absence de relations commerciales établies eu égard à la courte durée de leurs relations d'affaires ;

- à titre subsidiaire, de débouter la SAS Savatier Sélection de toutes ses demandes en l'absence d'une rupture imputable aux sociétés du groupe [F] Pietrini ;

- à titre très subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions le préjudice sollicité par la SAS Savatier Sélection en considération du délai de préavis nécessaire et de réduire à de plus justes proportions le préjudice sollicité par la SAS Savatier Sélection en considération du calcul de la marge brute ;

- en tout état de cause, de condamner la SAS Savatier Sélection à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 novembre 2024, la SAS Savatier Sélection demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 28 juin 2022 sauf en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts dus solidairement à la SAS Savatier Sélection par les sociétés du groupe MPD à la somme de 231 783 euros ;

- dire recevable l'appel incident de la SAS Savatier Sélection tendant à la réformation du montant des condamnations solidaires prononcées par le tribunal de commerce de Marseille le 28 juin 2022 à l'encontre des sociétés du groupe MPD ;

- statuant à nouveau :

o déclarer que les sociétés défenderesses ont de concert rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SAS Savatier Sélection ;

o déclarer qu'un préavis de 18 mois aurait dû être accordé à la SAS Savatier Sélection ;

- en conséquence, condamner solidairement les sociétés du groupe MPD à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 311 573 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie ;

- en tout état de cause :

o condamner solidairement les sociétés du groupe MPD à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamner les mêmes aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 décembre 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la recevabilité de l'appel incident

Moyens des parties

Au soutien de leur fin de non-recevoir, les sociétés du groupe MPD exposent que l'appel incident de la SAS Savatier Sélection est irrecevable faute pour ses écritures de comporter expressément une demande d'infirmation du jugement.

En réponse, la SAS Savatier Sélection précise avoir sollicité la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et avoir invité la Cour à statuer à nouveau sur ce point en le majorant. Elle en déduit la recevabilité de son appel incident.

Réponse de la cour

En application de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

Et, en vertu des articles 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe, conclusions qui, adressées à la cour et notifiées dans les délais prévus, déterminent l'objet du litige et comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions.

Ainsi, les articles 908 et 954 devant être lus ensemble, des conclusions ne répondant pas aux exigences du second de ces textes, en particulier si leur dispositif ne comprend aucune demande d'infirmation du jugement attaqué, ne peuvent être regardées comme des écritures remises dans le délai prescrit par le premier (en ce sens, 2ème Civ., 31 janvier 2019, n° 18-10.983).

En outre, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l'article 914 du code de procédure civile de relever d'office la caducité de l'appel (en ce sens, 2ème Civ., 4 novembre 2021, n° 20-15.757). Néanmoins, l'appelant qui sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, la réformation de la décision entreprise et formule plusieurs prétentions, n'est pas tenu de reprendre, dans celui-ci, les chefs de dispositif du jugement dont il sollicite l'infirmation (en ce sens, 2ème Civ., 3 mars 2022, n° 20-20.017).

Cette analyse est transposable à l'article 909 du code de procédure civile qui dispose que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. En effet, l'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet, les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, devant déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel et l'étendue des prétentions dont elle est saisie étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile. Aussi, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du code de procédure civile étant nécessairement apprécié en considération des prescriptions de l'article 954, les conclusions de l'intimé ne comportant aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement attaqué, ne constituent pas un appel incident valable, quelle que soit, par ailleurs, la recevabilité en la forme de ses conclusions (en ce sens, 2ème Civ., 1er juillet 2021, n° 20-10.694).

Dans ses premières écritures d'intimée notifiées par la voie électronique le 26 janvier 2023, soit dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile, comme dans ses dernières conclusions du 4 novembre 2024, la SAS Savatier Sélection demandait à la Cour de » confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 28 juin 2022 sauf en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts dus solidairement à la SAS Savatier Sélection par [les sociétés du groupe MPD] à la somme de 231 783 euros » et, « statuant à nouveau, [' de] condamner solidairement [les sociétés du groupe MPD] à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 311 573 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie ».

La préposition « sauf » exprimant l'exclusion, la confirmation n'est sollicitée que pour le principe de la condamnation au paiement de dommages et intérêts et non pour son montant dont la majoration est expressément demandée, la Cour étant invitée à statuer à nouveau de ce chef. Ainsi, la SAS Savatier Sélection sollicite de manière univoque, depuis ses premières écritures, l'infirmation du jugement sur le quantum de l'indemnisation, peu important que le terme « infirmation » soit formellement absent du dispositif, et présente une prétention à ce titre. Le dispositif de ses conclusions remplit de ce fait les exigences légales. La Cour relève à cet égard que toute analyse contraire imposerait un formalisme excessif portant atteinte à la substance du droit d'accès à un tribunal de la SAS Savatier Sélection au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (principe récemment rappelé par la Cour européenne des droits de l'Homme dans son arrêt Justine c. France du 21 novembre 2024, n° 78664/17, et appliqué par 1ère Civ., 5 avril 2023, n° 22-21.863).

En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par les sociétés du groupe MPD sera rejetée et l'appel incident de la SAS Savatier Sélection déclaré recevable.

2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de leurs prétentions, les sociétés du groupe MPD exposent que la rupture était prévisible puisque la SAS Savatier Sélection a été informée de la cessation progressive des relations trois ans à l'avance, la baisse du chiffre d'affaires étant constante depuis 2015. Elles ajoutent que la relation avec la SAS Les Vidaux est distincte de celle entretenue avec les autres sociétés du groupe et que, ayant débuté le 27 février 2017, elle n'était pas établie, le calcul du préjudice devant quoi qu'il en soit être expurgé de toute référence au chiffre d'affaires dégagé avec les autres sociétés du groupe. Subsidiairement, elles imputent la rupture à la SAS Savatier Sélection au motif qu'elle a augmenté ses tarifs de manière significative dans des conditions qu'elles ne pouvaient accepter et qu'elle a souhaité conserver des prix très supérieurs aux prix du marché en dépit de leurs demandes. A défaut, elles contestent le calcul de sa marge brute par la SAS Savatier Sélection, les éléments de détermination du prix de revient utilisés n'étant pas communiqués et la marge brute afférente aux commandes de 2018 et 2019 n'ayant pas été déduite (39 398,97 euros), ainsi que la durée du préavis suffisant qu'elle réduit à quatre mois. Elles sollicitent l'écartement de tout doublement du préavis au titre des produits MDD. Elles ajoutent que ce mécanisme ne peut quoi qu'il en soit concerner tous les produits mais exclusivement les ventes de produits MDD, soit 25 % du chiffre d'affaires de la SAS Savatier Sélection.

En réponse, la SAS Savatier Sélection expose que la relation commerciale était établie et qu'elle pouvait légitimement espérer sa poursuite au regard de son extension aux produits MDD « Les Vidaux » en 2016 et de l'augmentation du volume d'affaires annoncée le 29 avril 2017. Elle ajoute que le partenariat avec la SAS Les Vidaux, dont la politique commerciale est dictée par la SAS PM Armen, n'était pas distinct et consistait en un élargissement de la relation antérieure globalement nouée avec les autres sociétés du groupe, la rupture étant unique. Elle conteste toute prévisibilité de cette dernière, notifiée le 13 octobre 2017 et consommée le 31 décembre 2017, et précise que l'augmentation de ses tarifs, inférieure à celle pratiquée par les autres vignerons, ne concernait que les produits MDD et étaient objectivement causée par celle de ses coûts de production. Elle ajoute que les sociétés du groupe MPD, qui jouissaient d'une exclusivité pour les produits de marque « Harès » et « Voile rose », représentaient 15 % de son chiffre d'affaires total et qu'elle avait réalisé des investissements importants pour les besoins de la relation. Elle en déduit que le préavis suffisant était de 9 mois, soit 18 mois en application du doublement prévu pour les produits MDD qui ne doit pas s'appliquer distributivement. Elle estime sa marge suffisamment établie par l'attestation de son commissaire aux comptes et prétend subir des préjudices résidant dans la perte de sa marge brute pendant la durée du préavis (311 573 euros), les frais de déstockage des produits (11 233 euros), la valeur des produits Bag in box non reconditionnés (9 168 euros), la destruction de l'affiche « Les Vidaux » (4 166 euros) et dans la valeur du stock de matières sèches sous marque « Les Vidaux » (30 761 euros).

Réponse de la cour

En vertu de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Il est constant que les relations entre la SAS Savatier Sélection et la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur et la SAS PM Armen ont débuté en 2009 quand celles nouées avec la SAS Les Vidaux ont été entamées en février 2017.

Les sociétés du groupe MPD soutiennent que ces dernières seraient distinctes des précédentes faute de preuve de l'intention de la SAS Les Vidaux, nouveau partenaire doté d'une personnalité morale propre, de se situer dans la continuité des relations antérieures tissées avec les autres sociétés du groupe et de reprendre la relation initiale en dépit du changement du partenaire. Ce dernier argument n'est en lui-même pas pertinent, la question n'étant pas celle de la substitution d'un partenaire dans la relation originaire mais celle de l'adjonction d'un flux d'affaires nourri avec une nouvelle société du groupe à la relation globalisée entretenue avec d'autres entités du même groupe.

A ce titre, la possibilité de sanctionner une rupture brutale présuppose, par hypothèse, que les partenaires soient libres d'en décider le principe et les modalités. Ce critère de la liberté décisionnelle fonde l'application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce à la société mère qui, au-delà de la simple définition de la politique commerciale du groupe et indépendamment de son éventuel intérêt direct à la relation (en ce sens, Com., 11 septembre 2012, n° 11-17.458), maîtrise en droit ou en fait les relations commerciales établies entre des tiers et ses filiales et, les privant de tout pouvoir de décision autonome quant au choix de leur partenaire et quant à la poursuite des relations qu'elles entretiennent avec lui, leur impose la rupture (en ce sens, Com., 22 juin 2022, n° 21-14.230, qui pose un critère d'autonomie décisionnelle des partenaires commerciaux également visible dans Com., 5 juillet 2016, n° 14-27.030). L'absence d'autonomie décisionnelle ou des relations commerciales justifie également une appréciation globale, y compris pour déterminer le montant du chiffre d'affaires et la suffisance du préavis, des relations nouées avec des sociétés distinctes d'un même groupe s'il est établi qu'elles ont agi de concert (en ce sens, Com., 6 octobre 2015, n° 14-19.499).

Les sociétés du groupe MPD admettent que les relations nouées entre 2009 et 2017 l'étaient avec le groupe [F] Pietrini Boissons lui-même (page 4 de leurs écritures). Cette approche globale adoptée par les appelantes, y compris à titre subsidiaire pour l'appréciation de la suffisance du délai de préavis, et par le tribunal se justifie par le fait que :

- la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons et la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur ont, aux termes de leurs statuts et des procès-verbaux de décisions produits ainsi que des extraits Kbis communiqués, pour associé unique la SAS PM Armen qui les détient à 100 % (pièces 3 à 10 de l'intimée) et dont il n'est pas contesté qu'elle était, jusqu'à la fusion opérée le 13 juillet 2022, dirigée par monsieur [O] [F] ;

- à l'occasion des échanges de courriels organisant dès l'origine les relations, les sociétés du groupe MPD étaient représentées par un salarié appartenant à la société mère ainsi que l'induit l'utilisation d'une adresse électronique comportant l'extension « mp-boissons.fr » (pièce 49 de l'intimée) ou par son dirigeant lui-même (pièces 24 et 46 de l'intimée), les négociations, y compris tarifaires, étant ainsi globales, ce que confirme la facturation des RFA en vertu d'un « accord régional 2011 Groupe [F] Pietrini Boissons » (pièce 11 de l'intimée).

Or, sous ces aspects dont les appelantes reconnaissent qu'ils fondent une globalisation des relations, la situation de la SAS Les Vidaux, en dépit de son intervention tardive, n'est pas différente. Ainsi que l'a justement relevé le tribunal, cette dernière, immatriculée le 3 juin 2015 et entrée en relation avec la SAS Savatier Sélection fin février 2017, a également pour associé unique la SAS PM Armen. Dès l'origine, le périmètre et les conditions des commandes ont été définis par des représentants du groupe utilisant des adresses électroniques comportant le même domaine (mp-boissons.fr), l'importance des volumes immédiatement envisagés en avril 2017 ne s'expliquant que par les relations antérieurement nouées avec les autres sociétés du groupe MPD (pièce 23 de l'intimée).

En outre, les discussions relatives à la tarification proposée par la SAS Savatier Sélection en octobre 2017 ont été directement menées par monsieur [O] [F] (pièces 24, 46, 50 et 51 de l'intimée et 1, 3 et 4 des appelantes) ou par son délégataire qui a, au nom du groupe, annoncé, à raison de désaccords portant sur les prix pratiqués et sur la titularité des droits sur deux marque étrangères aux relations avec la SAS Les Vidaux, la cessation de « toute collaboration commerciale » dans un courriel du 10 novembre 2017 dont l'objet « Position Groupe MPB » confirme la portée (pièces 2 et 7 des appelantes). Cette décision confirme le courriel du 13 octobre 2017 de monsieur [O] [F] qui précisait en toute généralité à son partenaire : « Nous ne travaillerons plus ensemble. Ne prends donc aucun engagement nous concernant pour 2018 » (pièce 4 de l'appelante). De fait, les commandes se sont drastiquement taries pour l'ensemble des sociétés du groupe à compter de l'année 2018 pour cesser totalement en 2019 (pièces 30 et 31 de l'intimée), ce que ne contestent pas les appelantes.

Dès lors, malgré la nécessaire distinction comptable opérée par la SAS Savatier Sélection (ses pièces 21 et 22) et l'envoi de deux lettres de mise en demeure distinctes par son conseil pour dénoncer la rupture brutale des relations (ses pièces 25 et 26), ces éléments combinés prouvent que les commandes passées par la SAS Les Vidaux ont immédiatement été conçues comme intégrant un flux globalisé antérieur et ont été traitées sans autonomie par le groupe comme un complément indistinct des relations avec ses autres filiales. Et, tant l'annonce formelle de la rupture totale des relations que sa concrétisation matérielle concomitante pour toutes les sociétés du groupe traduisent une action concertée initiée par la société mère.

En conséquence, c'est par de justes motifs que le tribunal a apprécié globalement la relation entretenue par la SAS Savatier Sélection avec les appelantes, peu important de ce fait que, pris isolément, le partenariat noué avec la SAS Les Vidaux soit trop bref pour caractériser une relation commerciale établie. Et, celles-ci ne contestant pas l'existence d'une telle relation à compter de 2009, la relation globale intégrant le flux d'affaires avec la SAS Les Vidaux l'est également, analyse que confirment les pièces comptables produites qui établissent entre 2009 et 2017 inclus un flux d'affaires continu, globalement stable, régulier et significatif (pièces 12 à 22 et 32 de l'intimée).

Dans ce cadre, la SAS Savatier Sélection a dégagé un chiffre d'affaires de 906 795 euros en 2015, de 487 719 euros en 2016 et de 1 318 317 euros en 2017 avant de chuter à 39 399 euros en 2018 et 1 897 euros en 2019.

- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et la détermination du préavis suffisant

L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Sur la réalité et l'imputabilité de la rupture

La diminution significative des commandes à compter de 2018 (74 %) avant leur cessation définitive courant 2019 caractérise, à raison de son ampleur et de son caractère définitif, une rupture partielle puis totale des relations commerciales. Pour en conteste l'imputabilité et la justifier, les appelantes invoquent d'une part la prévisibilité de la cessation des relations et d'autre part le fait de la SAS Savatier Sélection résidant dans une augmentation unilatérale et excessive de ses tarifs en 2018.

Le premier moyen manque en droit et en fait. En droit, car, même en supposant que l'achat de son domaine par le groupe MPD en 2014 ait pu rendre prévisible à long terme la rupture, elle ne dispensait pas les appelantes de notifier par écrit un préavis suffisant pour permettre à la SAS Savatier Sélection d'anticiper la réduction de son chiffre d'affaires (en ce sens, Com., 6 septembre 2016, n° 14-25.891 : « le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis »). En fait, car l'annonce en 2014 d'un arrêt progressif des commandes n'est pas prouvée, le seul document y faisant référence étant un courriel du 18 octobre 2017 émanant de monsieur [O] [F] (pièce 3 des appelantes). Et, si les commandes passées par la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur et la SAS PM Armen ont effectivement diminué à compter de 2015, cette baisse a été plus que compensée par les commandes de la SAS Les Vidaux en 2017.

Par ailleurs, si la SAS Savatier Sélection a effectivement annoncé une augmentation de ses tarifs comprise entre 5,10 % et 8,49 % selon les produits MDD et leurs conditionnements (sa pièce 27), les échanges de courriels d'octobre 2017 à mars 2018 révèlent que cette majoration était sujette à négociation (pièces 1 à 4 et 7 des appelantes). Il en est de même des augmentations concernant les vins IGP Var qui sont de surcroît inférieures à la moyenne constatée par le syndicat des vignerons du Var et par l'association interprofessionnelle des vins IGP du Sud-Est Intervins (pièces 28, 29 et 45 de l'intimée). Aussi, la pratique de prix inférieurs par un unique concurrent (pièce 6 des appelantes) ne suffit à démontrer ni la réalité d'une modification substantielle caractérisant une rupture partielle imputable à la SAS Savatier Sélection ni la pratique des prix abusifs ou simplement excessifs.

Et, la rupture des négociations relatives à ces tarifs par les appelantes, qui sollicitaient pour leur part non une absence de majoration mais une réduction des tarifs actuels de 10 à 20 %, soit une baisse plus importante que l'augmentation envisagée, et l'annonce concomitante de la cessation de toute relation était particulièrement précoce : elles étaient notifiées les 13 octobre et 10 novembre 2017, avant même que la SAS Savatier Sélection ait pu formuler une contre-offre revenant sur celle du 17 octobre 2017 (pièces 46 de l'intimée et 2, 4 et 7 des appelantes) qui n'est pas évoquée dans la réponse du 12 mars 2018 (pièce 1 des appelantes). Aussi, la proposition de la SAS Savatier Sélection ne modifie pas l'imputabilité de la rupture dont les appelantes sont auteures.

En conséquence, ainsi que l'a justement relevé le tribunal, la rupture partielle en 2018 puis totale en 2019 des relations commerciales établies est exclusivement imputable aux appelantes.

Sur la détermination du préavis suffisant

Malgré l'absence de notification claire d'un préavis, la SAS Savatier Sélection reconnaît expressément avoir bénéficié d'un préavis effectif de deux mois et demi avant la rupture partielle matérialisée le 1er janvier 2018 (page 16 de ses écritures) et annoncée par courriel du 13 octobre 2017. Au jour de cette notification, la relation a duré 9 ans et le chiffre d'affaires dégagé à son occasion par la SAS Savatier Sélection atteignant 15 % de son chiffre d'affaires total (ses pièces 21 à 23).

Cette dernière ne prétend pas être en situation de dépendance économique, état qui n'est quoi qu'il en soit pas caractérisé en l'absence d'élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SAS Savatier Sélection, qui bénéficiait cependant d'une exclusivité de distribution sur les produits commercialisés sous les marques « Harès » et « C'ur de Rouet ». Elle ne prouve pas non plus d'investissement dédié à la relation, l'embauche à durée déterminée pour accroissement d'activité invoquée à ce titre concernant une salariée présente dans l'entreprise depuis le 16 janvier 2017, soit plus d'un mois avant le début des commandes de la SAS Les Vidaux à une époque de décroissance du chiffre d'affaires dégagé avec les autres sociétés, et dont les fonctions ne sont pas spécifiquement en lien avec l'activité générée par le partenariat noué avec celle-ci (pièce 33 de l'intimée).

Au regard de ces éléments combinés, le préavis dont aurait dû bénéficier la SAS Savatier Sélection était de 9 mois, l'insuffisance de préavis étant ainsi de 6,5 mois.

S'il est constant que la SAS Savatier Sélection fournissait à la SAS Les Vidaux des produits sous marque de distributeur et que l'article L 442-6 I 5° prévoit en cette hypothèse un doublement de la durée du préavis, cette disposition, qui peut trouver à s'appliquer en cas de fourniture seulement partielle de tels produits, présuppose une relation commerciale établie. Or, le partenariat noué avec la SAS Les Vidaux ne présente ce caractère qu'à raison de son intégration dans la relation globalisée initiée en 2009. Pris isolément, il en est dépourvu à raison de sa brièveté. Aussi, la SAS Savatier Sélection, sauf à détourner le dispositif légal de sa fonction, ne peut bénéficier d'un doublement du préavis en divisant une relation globalisée à sa demande tant pour l'ensemble des produits, comme elle le sollicite, que pour la part des produits MDD vendus à la SAS Les Vidaux, comme l'a décidé le tribunal.

- Sur le préjudice

Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.

Et, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.

Pour prouver le montant de sa marge perdue, la SAS Savatier Sélection produit une attestation de son commissaire aux comptes (sa pièce 34) dont les appelantes contestent la pertinence au motif qu'elle n'est accompagnée d'aucun justificatif et qu'elle repose exclusivement sur les données fournies par la SAS Savatier Sélection. Ce raisonnement n'est pas pertinent car les données étudiées correspondent aux comptes que le commissaire aux comptes a par hypothèse personnellement audités et certifiés selon des normes d'exercice professionnel impliquant des vérifications par sondages et car ce dernier a également examiné, outre le détail du HT 2017 par produit et par contenant, les contrats d'approvisionnement, les factures justifiant des prix d'achat des matières premières, le calcul des prix de revient des produits finis ainsi qu'un tableau récapitulatif des marges brutes 2017. Aussi, les éléments retenus, accompagnés de pièces justificatives, dont le tableau récapitulant les données nécessaires à la détermination du prix de revient (sa pièce 52), qui ne sont pas utilement combattues, sont fiables et probants à raison de la qualité de l'auteur de cette attestation. En effet, celui-ci est un spécialiste du chiffre, assermenté et extérieur à l'entreprise, exerçant une profession règlementée et surveillée au sens des articles L 821-1 et suivants et L 822-1 et suivants du code de commerce et engageant sa responsabilité civile professionnelle, y compris à l'égard de tiers, à raison des fautes et négligences commises dans l'exercice de ses fonctions en vertu de l'article L 822-17 du même code. En l'absence de débat animant les parties sur l'éventuelle différence entre la marge calculée et la marge sur coûts variables, celle définie par le commissaire aux comptes sera retenue, à raison de 33,28 % pour les produits vendus sous marque propre et de 13,06 % pour les produits MDD.

Au regard des pièces comptables produites déjà citées, le chiffre d'affaires annuel moyen dégagé par la SAS Savatier Sélection pendant les trois dernières années non affectées par la rupture, soit les années 2015, 2016 et 2017, est de 578 629 euros pour les produits vendus sous marque propre, soit 537 333 euros déduction faite des ventes réalisées en 2018 et 2019 pour un total de 41 296 euros. Pour la seule année de relation avec la SAS Les Vidaux, soit l'année 2017, il est de 976 844 euros. La marge perdue pour un préavis insuffisant à hauteur de 6,5 mois est ainsi de 165 966,80 euros ((537 333/12 x 6,5) x 33,28 % + (976 844/12 x 6,5) x 13,06 %).

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point et les sociétés du groupe MPD seront condamnées in solidum à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 165 966,80 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies au titre de la marge perdue pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.

Les parties ne livrant aucune explication sur la présence en la cause de la SAS PM Bago, dont l'extrait Kbis révèle qu'elle a été radiée le 2 septembre 2019 consécutivement à son absorption par la SAS Distribution Azuréenne de Boissons et qui n'est concernée par aucun chef du dispositif du jugement, hors ceux relatifs à la recevabilité de son intervention volontaire et au rejet de l'intégralité de ses demandes, rien ne justifie de la condamner in solidum en cause d'appel au paiement de cette somme, condamnation que n'avait d'ailleurs pas sollicitée la SAS Savatier Sélection en première instance.

La SAS Savatier Sélection demande également la réparation de préjudices résidant dans les frais de déstockage des produits (11 233 euros), la valeur des produits Bag in box non reconditionnés (9 168 euros), la destruction de l'affiche Les Vidaux (4 166 euros) et dans la valeur du stock de matières sèches sous marque « Les Vidaux » (30 761 euros).

Quoiqu'elles sollicitent une infirmation totale du jugement entrepris, les appelantes ne motivent ni en droit ni en fait leur contestation au titre de ces préjudices et ne prétendent de ce fait notamment pas qu'ils soient en lien causal avec la rupture elle-même et non avec sa brutalité. Aussi, le quantum des demandes de la SAS Les Vidaux étant justifié par les documents produits (ses pièces 35 à 44 qui ne sont pas critiquées) et le tribunal ayant accordé la somme réclamée, en dépit d'une erreur matérielle dans la fixation du préjudice relatif aux BIB non reconditionnés (page 15 : 9 618 euros au lieu de 9 168 euros) qui n'a toutefois pas été répercutée dans le résultat final, le jugement, dont les motifs seront adoptés sous cette réserve, sera confirmé de ces chefs.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens, les parties ne critiquant pas le caractère conjoint des condamnations prononcées à ces titres.

Succombant partiellement, les sociétés du groupe MPD, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, seront condamnées in solidum à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, montant tenant compte en équité de l'utilité partielle de la procédure d'appel pour les sociétés du groupe MPD. En revanche, au regard de la situation juridique de la SAS PM Bago, dont la prétention au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera également rejetée, et de son absence de condamnation au fond la demande de la SAS Savatier Sélection à son égard sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Rejette la fin de non-recevoir opposée par les appelantes ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé le préjudice subi par la SAS Savatier Sélection au titre de la marge perdue pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé à la somme de 231 783 euros ;

Statuant à nouveau du chef infirmés

Condamne in solidum la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur, la SAS PM Armen et la SAS Les Vidaux à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 165 966,80 euros en réparation du préjudice de perte de marge causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

Y ajoutant,

Rejette la demande des appelantes au titre des frais irrépétibles ;

Rejette la demande formée par la SAS Savatier Sélection contre la SAS PM Bago au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur, la SAS PM Armen et la SAS Les Vidaux à payer à la SAS Savatier Sélection la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SAS CDB, la SAS CDC, la SAS Cellier Distribution, la SAS Delta Boissons, la SAS PM Azur Drink's, la SAS PM Centuri, la SAS PM Miss Carna, la SAS Distribution Azuréenne de Boissons, la SAS Société Générale de Distribution Drinks Azur, la SAS PM Armen et la SAS Les Vidaux à supporter les entiers dépens d'appel.

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