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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-7, 25 février 2025, n° 22/01589

VERSAILLES

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Orange (SA)

Défendeur :

Orange (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bonnet

Conseiller :

Mme Bonnet

Avocats :

Me Saltiel, Me Mze, AARPI Latham & Watkins, SELARL LX Paris-Versailles-Reims

CA Versailles n° 22/01589

24 février 2025

Vu l'ordonnance du 28 mars 2023 aux termes de laquelle la présente juridiction a :

- ordonné la jonction des recours formés par la société Orange ;

- ordonné la réouverture des débats ;

- invité la société Orange à établir une liste, devant être communiquée à l'Autorité de la concurrence, de l'ensemble des correspondances avocat-client s'inscrivant dans le cadre de l'exercice des droits de la défense, peu important que ce soit au sujet d'un dossier de concurrence ou d'un autre type de contentieux ;

- invité l'Autorité de la concurrence, sur la base de cette liste, à indiquer quelles correspondances ne relèveraient pas du cadre qui vient d'être indiqué et, partant, pour quelles raisons elle aurait vocation à les garder.

Vu l'ordonnance du 24 septembre 2024 qui a :

- ordonné la réouverture des débats ;

- invité la société Orange à établir une liste des fichiers, devant être communiquée à l'Autorité de la concurrence avant le 30 novembre 2024, dont elle revendique la protection des correspondances avocat-client dans le cadre de l'exercice des droits de la défense (1109 fichiers) qui figurent dans les 10 203 documents sélectionnés par l'Autorité de la concurrence ; la société Orange est également invitée en élaborant cette liste à tenir compte des motifs invoqués par l'Autorité de la concurrence dans ses observations récapitulatives du 3 mai 2024 (cf tableau pages 21 à 30) ;

- renvoyé l'affaire à l'audience du mardi 28 janvier 2025 ;

- réservé l'ensemble des demandes et des dépens.

Lors de l'audience du 28 janvier 2025, la société Orange, développant les termes de ses conclusions après réouverture remises par RPVA le 29 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens qui y sont développées, demande à la juridiction du premier président de :

à titre liminaire :

' annuler la saisie des documents E09841-000230136 et E09841-000230132-0001 (communiqués dans la pièce n° 23 bis) ;

à titre principal :

' annuler les opérations de visite et saisie qui se sont déroulées au sein des locaux d'Orange SA les 10 et 11 mars 2022 ;

' ordonner la restitution immédiate de l'ensemble des documents saisis par les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence lors des OVS des 10 et 11 mars 2022 ;

à titre subsidiaire :

' annuler les opérations de visite et saisie réalisées au sein des locaux d'Orange Concessions au [Adresse 1] ;

' annuler les opérations d'ouverture des scellés fermés provisoires qui se sont déroulées au sein des locaux d'Orange SA les 5, 6 et 7 avril 2022 ;

' ordonner la restitution immédiate de l'ensemble des fichiers informatiques saisis par les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence au sein des locaux d'Orange SA les 10 et 11 mars

2022 et placés dans les scellés fermés provisoires ;

à titre très subsidiaire :

' annuler la saisie de l'ensemble des messageries des personnes suivantes : [AK] [I], [D] [U], [NN] [L], [N] [V], [S] [T], [F] [X], [W] [TI], [E] [Z], [P] [O], [A] [H], [C] [B] et [TT] [J] ;

à titre infiniment subsidiaire :

' annuler la saisie de l'ensemble des 1 260 correspondances avocat-client regroupées en pièce

n°23 bis ;

' ordonner la restitution immédiate de l'ensemble des documents dont la saisie a été annulée ;

' ordonner la destruction immédiate par l'Autorité de la concurrence des copies des documents dont la saisie a été annulée ;

' interdire à l'Autorité de la concurrence de faire un quelconque usage de ces documents et de

leur contenu, en original ou en copie ;

condamner l'Autorité de la concurrence à verser la somme de 15 000 euros à Orange SA, en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Dans ses écritures datées du 3 mai 2024, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens qui y sont développées, l'Autorité de la concurrence demande à la juridiction du premier président de :

- rejeter la demande de la société Orange portant sur l'annulation de 1098 documents (1034 + 64) qui ne relèvent pas en tout ou en partie de l'exercice des droits de la défense, devenue de surcroît sans objet depuis la sélection opérée le 2 mai 2024 des 10 203 documents utiles ou pour partie utiles à la manifestation de la vérité dont aucun ne relève de la protection alléguée ;

- rejeter la demande d'annulation de 151 documents dont la requérante soutient elle-même qu'ils ne relèvent pas de l'exercice des droits de la défense, devenue de surcroît sans objet depuis la sélection opérée le 2 mai 2024 des 10 203 documents utiles ou pour partie utiles à la manifestation de la vérité dont aucun ne relève de la protection alléguée.

Le représentant de l'Autorité de la concurrence a fait des observations orales sur les deux documents identifiés par la société Orange, estimant qu'ils ne relevaient pas de la protection revendiquées par celle-ci.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que dans sa décision précitée du 28 mars 2023 la juridiction du premier président a déjà répondu à trois des quatre moyens soutenus par la société Orange à l'appui de ses recours pour contester le déroulement des opérations de visite et de saisie et que dans ses dernières écritures remises par RPVA la société Orange maintient encore ces moyens. Seul celui relatif à la violation du secret professionnel reste à examiner, et ce en tenant compte des motifs figurant dans les deux ordonnances avant dire droit précitées.

La société Orange a finalement identifié deux documents comme relevant du secret des correspondances parmi les 1 109 dont elle revendiquait la protection et qui ont été sélectionnés et retenus par l'Autorité de la concurrence.

Il convient d'examiner ces deux documents.

* sur le document E09841-000230136

Il s'agit d'un email envoyé le 27 janvier 2021 par M. [Y] [R], de la direction juridique de la société Orange, à plusieurs salariés de la société et à maître Alexandre Limbour, avocat de la société Orange, ayant pour objet 'rencontre Bouygues QoS'. Ce mail est ainsi rédigé : 'Bonjour, Je viens d'avoir par téléphone mon homologue coté Bouygues pour préparer la rencontre sur le dossier QoS. La rencontre se déroulera dans les locaux de Vogel & Vogel (si cela est toujours possible). Pour le moment, la liste minimum des participants me semble être (suivent des noms et autres détails...). Par la suite, il faudra également caler une réunion préparatoire entre nous'.

Ce document concerne l'organisation d'une réunion avec Bouygues au sujet du dossier QoS, contentieux opposant les deux sociétés qui a donné lieu à un jugement rendu le 26 juin 2024 par le tribunal de commerce de Paris, étant souligné qu'à l'occasion de son instruction au fond, l'Autorité de la concurrence a adressé à la société Orange un questionnaire comportant en question 14 la demande de copie de ce jugement 'relatif aux allégations de Bouygues Telecom sur la dégradation de la qualité du service des accès fournis par Orange'. Ce mail qui organise une réunion relative au contentieux précité bénéficie ainsi de la protection du secret des correspondances avocat-client.

* sur le document E09841-000230132-0001

Il s'agit d'un document joint à un email de Mme [E] [Z] (directrice de Orange Wholesale France) adressé le 10 février 2021 à différents interlocuteurs internes d'Orange et à maître Alexandre Limbour ayant pour objet 'script RDV BYT' ainsi libellé 'j'ai bien relu le doc envoyé par BYT. Il faut déplacer le combat sur la partie économique et les dynamiques de marché et ne pas opposer des arguments sur la QoS.

J'ai par ailleurs réuni des données sur la dynamique de parc de BYT sur la période (issue de leurs publis). Voici le script que je propose pour ce soir'.

La pièce jointe est un script de préparation de la réunion avec Bouygues Telecom évoquée ci-dessus et concerne le dossier contentieux précité. Ce document soumis à l'appréciation de l'avocat de la société Orange est bien relatif à la stratégie de défense de cette dernière, ce qui résulte clairement de l'introduction : 'on est là pour mieux comprendre le différend que BYT a mis sur la table. On ne va pas échanger des arguments juridiques mais plutôt économique pour voir si on a une voie de convergence', du point 1. 'Comprendre l'évaluation économique faite par BYT. On a bien compris l'argumentaire développé sur la QOS. Bravo, beau dossier ! Mais on voudrait plutôt passer du temps à mieux comprendre vos évaluations de préjudices économiques car certains points méritent d'être éclaircis', et de la conclusion : 'soit vous devenez raisonnables et on peut avoir une discussion ensemble... soit( ...) et donc on se retrouvera au tribunal avec nos arguments'.

L'Autorité de la concurrence ne peut sérieusement soutenir que ce document relève d'un débat économique et qu'il comporte des éléments publiés par Bouygues sur son site ; il a trait au contentieux indemnitaire opposant les sociétés Bouygues Telecom et Orange et à la préparation de ce contentieux, en sorte qu'il relève bien du secret des correspondances avocat-client.

Il convient par conséquent de faire droit à la demande de la société Orange et d'annuler la saisie des documents E09841-000230136 et E09841-000230132-0001.

* sur les autres demandes

Le 2 mai 2024, l'Autorité de la concurrence a supprimé la totalité des quatre copies de travail des données numériques saisies du 5 au 7 avril 2022 et elle a conservé une sélection de 10 203 documents (sur 3,5 millions de documents saisis d'après le chiffrage de la requérante) qu'elle estime comme entrant dans le champ des investigations, non protégés et précisément identifiés.

La société Orange ne peut utilement reprocher à l'Autorité de la concurrence d'avoir violé ses droits de la défense en examinant les correspondances avocat-client dans le cadre de sa sélection des fichiers utiles à l'instruction. En effet, la sélection des documents implique effectivement que les services d'enquête un moment les consulte, sans quoi leur fonctionnement serait totalement paralysé. Au demeurant, dans l'ordonnance du 28 mars 2024, la présente juridiction avait invité l'Autorité de la concurrence à indiquer quelles correspondances ne relèveraient pas de la protection alléguée par la société Orange, ce qui implique nécessairement de procéder à leur examen. Dans la mesure où les documents qu'elle ne retient pas pour les besoins de son enquête sont restitués ou détruits, il va de soi que l'Autorité de la concurrence ne pourra faire un quelconque usage des documents rentrant dans le champ de la protection et il ne peut être considéré que le recours qui a été exercé soit dépourvu de caractère effectif.

Dès lors que finalement seuls deux fichiers sur les 10 2023 documents sélectionnés par l'Autorité de la concurrence comme étant utiles ou pour partie utiles à son enquête bénéficient de la protection du secret des correspondances, les demandes d'annulation de la saisie de l'ensemble des 1 260 correspondances regroupées en pièce n°23 bis de la société Orange, d'annulation des opérations de visite et de saisie et de restitution ou de destruction des documents saisies, à l'exception des deux documents susvisés, sont rejetées.

Enfin, s'agissant de la demande d'annulation de la saisie de l'ensemble des messageries de [AK] [I], [D] [U], [NN] [L], [N] [V], [S] [T], [F] [X], [W] [TI], [E] [Z], [P] [O], [A] [H], [C] [B] et [TT] [J], celle-ci n'est nullement fondée puisqu'un seul email (celui de Mme [E] [Z] du 10 février 2021) non restitué bénéficie de la protection des correspondances avocat-client, la société Orange ne pouvant utilement prétendre que les messageries constituent chacune des fichiers insécables.

L'appel et le recours n'auront pas été inutiles dès lors qu'en cours d'instance l'Autorité de la concurrence a procédé à une sélection des documents dont elle a admis pour certains qu'ils étaient couverts par le secret des correspondances entre avocat et client, de sorte que quand bien même la société Orange succombe pour l'essentiel en ses demandes, il convient de laisser à chacune des parties la charge des dépens qu'elles ont respectivement exposés et de dire qu'aucune d'elles ne sera tenue à une quelconque indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Vu l'ordonnance avant dire droit du 28 mars 2023 ;

Vu l'ordonnance avant dire droit du 24 septembre 2024 ;

Annule la saisie des documents E09841-000230136 et E09841-000230132-0001 ;

Rejette la demande d'annulation des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au sein des locaux d'Orange SA les 10 et 11 mars 2022 ;

Rejette la demande d'annulation des opérations de visite et saisie réalisées au sein des locaux d'Orange Concessions au[Adresse 1]) ;

Rejette la demande d'annulation des opérations d'ouverture des scellés fermés provisoires qui se sont déroulées au sein des locaux d'Orange SA les 5, 6 et 7 avril 2022 ;

Rejette toute autre demande de la société Orange ;

Dit que les parties conserveront chacune la charge des dépens afférents à la présente instance en référé qu'elles ont respectivement exposés ;

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

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