CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 21 février 2025, n° 24/11225
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Occhio (SARL)
Défendeur :
Novapierre 1 (SCI), Credit Industriel et Commercial (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Gaffinel, M. Birolleau
Avocats :
Me Duval, Me Krief, Me Janet, SCP Blumberg & Janet Associes, Me Trouvin, Me Simonneau
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
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Par acte des 1er et 2 août 2022, la société Novapierre 1 a donné à bail commercial à la société Occhio des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4], moyennant un loyer annuel de 85.000 euros hors taxes et hors charges.
Des loyers n'ayant plus été payés, le bailleur a fait délivrer, le 26 octobre 2023, à la société Occhio un commandement de payer, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour la somme en principal de 110.407,15 euros au titre des loyers et charges impayés, outre 11.040,76 euros représentant le montant de la clause pénale.
Par acte du 14 février 2024, la société Novapierre 1 a assigné la société Occhio et la société Crédit Industriel et commercial, en qualité de créancier inscrit, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la société locataire et condamnation de celle-ci au paiement, par provision, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.
Par ordonnance réputée contradictoire du 22 mai 2024, le premier juge a :
constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 26 novembre 2023 ;
ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dépendant d'un immeuble situé 21 rue Pierre Lescot à [Localité 4] dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion du défendeur et de tout occupant de son chef des lieux susvisés avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
condamné la société Occhio à payer à la société Novapierre 1 la somme provisionnelle de 119.319,38 euros au titre de la dette locative arrêtée au 1er janvier 2024, avec intérêts au taux légal ainsi que les indemnités d'occupation postérieures, jusqu'au jour de la libération effective des lieux, ainsi qu'aux dépens, qui comprendront notamment le coût du commandement de payer ;
dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 18 juin 2024, la société Occhio a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif, à l'exception de celui relatif à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 30 octobre 2024, le tribunal de commerce de Paris a ouvert à l'encontre de la société Occhio une procédure de redressement judiciaire et a désigné Maître [E] en qualité d'administrateur judiciaire et la société Argos en la personne de Maître [F] en qualité de mandataire judiciaire.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 12 décembre 2024, la société Occhio, Maître [E] et la société Argos, en leurs qualités respectives d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la première et intervenant volontairement à l'instance, demandent à la cour de :
infirmer l'ordonnance de référé du 22 mai 2024 en ses dispositions dont il a été relevé appel ;
Statuant à nouveau,
recevoir Maître [E] ès-qualités et la société Argos, en la personne de Maître [F], ès-qualités en leur intervention volontaire ;
constater que par l'effet du jugement d'ouverture de la procédure collective, la cour est dessaisie du litige qui avait été porté devant la juridiction des référés, et n'a plus pouvoir de statuer ;
déclarer irrecevables les demandes de la société Novapierre 1 ;
En tout état de cause
dire n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Novapierre 1 ;
rejeter toute autre demande ;
condamner la société Novapierre 1 à payer à la société Occhio une somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 décembre 2024, la société Novapierre 1 demande à la cour de :
déclarer la société Occhio recevable mais mal fondée en son appel ;
la débouter ainsi que les intervenants volontaires de toutes leurs demandes ;
en conséquence,
juger que son action et l'exécution de l'ordonnance entreprise sont interrompues temporairement en dépit du caractère exécutoire de celle-ci, du fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Occhio par jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 octobre 2024 ;
déclarer interrompue la procédure et les effets de l'ordonnance du 22 mai 2024 concernant l'acquisition de la clause résolutoire ;
la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ;
y faisant droit,
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Occhio à lui payer la somme provisionnelle de 119.319,38 euros ;
actualiser le montant de la dette locative à la somme provisionnelle de 224.757,85 euros, selon la somme visée à la déclaration de créance ;
juger que le montant de la dette locative de 224.757,85 euros correspond au montant de sa créance antérieure ;
fixer le montant de sa créance antérieure au jugement d'ouverture à la somme de 224.757,85 euros, conformément à sa déclaration de créance ;
juger que la société Occhio reste redevable du paiement des loyers, charges et accessoires en cours, postérieurs à l'ouverture de la procédure collective ;
condamner la société Occhio, représentée par Maître [E], administrateur judiciaire, et la société Argos, prise en la personne de Maître [F], mandataire judiciaire, à lui verser la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, qui comprendront, notamment, les frais du commandement de payer, de signification de l'assignation, de l'ordonnance de référé et de la décision à intervenir, d'éventuelle saisie bancaire et de levée de l'état de nantissement et d'extraits kbis.
La société Crédit Industriel et Commercial a constitué avocat mais n'a pas conclu.
La clôture de la procédure a été prononcée le 18 décembre 2024.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l'intervention volontaire de Maître [E] et de la société Argos
Par jugement du 30 octobre 2024, le tribunal de commerce de Paris a ouvert à l'encontre de la société Occhio une procédure de redressement judiciaire et désigné Maître [H] [E] en qualité d'administrateur judiciaire, lui confiant une mission d'assistance, et la société Argos en la personne de Maître [R] [F] en qualité de mandataire judiciaire.
L'intervention volontaire de ces derniers à la présente instance se justifiant par la situation juridique de la société Occhio est donc recevable.
Sur les demandes dirigées contre la société Occhio
Aux termes de l'article L. 622-21 du code de commerce :
'I.- Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
II.- Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
III.- Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus'.
Il résulte de ce texte que l'action introduite par le bailleur avant la mise en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.
En l'espèce, le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Occhio est intervenu le 30 octobre 2024, au cours de l'instance d'appel, cette société ayant fait l'objet, à cette date, d'un redressement judiciaire.
Il en résulte que la décision entreprise n'était pas passée en force de chose jugée lors du jugement d'ouverture et que l'action en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut être poursuivie.
En outre, l'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par ce dernier contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L. 622-21 du code de commerce.
Il revient en effet au seul juge-commissaire de se prononcer sur la déclaration de créance, ce qui prive le juge des référés et, par suite, la cour, du pouvoir de statuer sur la créance.
Il convient en conséquence, comme le sollicite l'appelante et les intervenants volontaires d'infirmer l'ordonnance entreprise et de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes dirigées contre la société Occhio.
Il est par ailleurs sans utilité de se prononcer sur la demande de la société Novapierre 1 tendant à ce qu'il soit jugé que la société Occhio reste redevable des loyers, charges et accessoires dus postérieurement au jugement d'ouverture dès lors que la dette locative postérieure au 30 octobre 2024 résulte de la poursuite du bail et que cette demande ne saurait s'analyser comme une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Novapierre 1.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'intervention volontaire de Maître [H] [E] et de la société Argos, en la personne de Maître [R] [F], en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Occhio ;
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Novapierre 1 ;
Condamne la société Novapierre 1 aux dépens de première instance et d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.