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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 25 février 2025, n° 24/00185

POITIERS

Arrêt

Autre

CA Poitiers n° 24/00185

25 février 2025

ARRET N°80

LM/KP

N° RG 24/00185 - N° Portalis DBV5-V-B7I-G6YI

[T]

C/

PARQUET GENERAL

S.E.L.A.R.L. [D] [Z] - MJO - MANDATAIRES JUDICIAIRES

Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

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Copie gratuite délivrée

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 25 FEVRIER 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00185 - N° Portalis DBV5-V-B7I-G6YI

Décision déférée à la Cour : jugement du 10 janvier 2024 rendu par le Tribunal de Commerce de POITIERS.

APPELANT :

Monsieur [J] [T]

né le [Date naissance 6] 1945 à [Localité 23] (37)

[Adresse 4]

[Localité 7]

Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane PRIMATESTA de la SELARL TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS.

INTIMES :

PARQUET GENERAL

Cour d'Appel de POITIERS - Palais de Justice des Feuillants

[Adresse 8]

[Localité 10]

S.E.L.A.R.L. [D] [Z] [2] JUDICIAIRES SELARL [D] [Z] [3], prise en la personne de son représentant légal domicilié encette qualité audit siège agissant ès qualités de liquidateur de la société [17].

[Adresse 9]

[Localité 10]

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas DUFLOS, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Lydie MARQUER, Présidente

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Madame Lydie MARQUER, Présidente et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société par actions simplifiée Entreprise [33] exploitait depuis 1971 un fonds de commerce de vente de charpente métalliques, serrurerie, menuiserie métallique, constructions métalliques et entreprise de bâtiments.

En septembre 2005, les actions de la société Entreprise [33] ont été cédées à la société à responsabilité limitée [19] [U], société holding spécialement créée à cet effet, dont les cogérants étaient Monsieur [J] [T] et Monsieur [X] [U], ceux-ci ayant été désignés respectivement Président et Directeur général de la société Entreprise [33].

Suivant procès-verbal des décisions du 24 juin 2011, la société [19] [U] représentée par M. [J] [T], associée unique de la sas Entreprise [33], a accepté les fonctions de Présidente.

Le 30 juin 2011, l'assemblée générale ordinaire de la société [19] [U] a pris acte de la démission de M. [X] [U] et de ses fonctions de co-gérant de cette société, M. [J] [T] restant le seul gérant.

Par jugement du 25 février 2014, le tribunal de commerce de Poitiers a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société Entreprise [33], Maître [R] étant désigné aux fonctions d'administrateur judiciaire et la selarl [D] [Z] [28], prise la personne de Maître [D] [Z], aux fonctions de mandataire judiciaire.

Le 21 juillet 2015, le tribunal de commerce de Poitiers a arrêté le plan de redressement de la sas Entreprise [33] mais le 10 avril 2018, le même tribunal a prononcé la résolution du plan de redressement, fixé la date de cessation des paiements au 28 mars 2018 et ouvert une procédure de liquidation judiciaire. La société d'exercice libéral à responsabilité limitée [D] [Z] [3] (ci-après 'société [D] [Z] [28]') a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire. La Selarl [13] prise en la personne de Maître [K] [R] a été désigné aux fonctions d'administrateur judiciaire avec mission de représentation en vue d'une cession de l'entreprise.

Le 19 septembre 2018, le fonds de commerce a été cédé à la société [34].

Aux motifs que les opérations avaient révélé l'existence d'un passif considérable que la réalisation d'actifs ne permettaient pas de combler et que de graves fautes de gestion avaient été constatées ayant contribué à cette insuffisance d'actifs, la société [D] [Z] [28], agissant en qualité de liquidateur de la société Entreprise [33], a fait délivrer à M. [J] [T] une assignation le 9 avril 2021 devant le tribunal de commerce de Poitiers en responsabilité pour insuffisance d'actif et en faillite personnelle.

Dans le dernier état de ses demandes, la société [D] [Z] [28] ès qualités a notamment demandé de :

- condamner M. [T] à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur 3.363.177,68 euros,

- prononcer une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans,

- condamner M. [T] à payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Devant le tribunal de commerce, M. [T] a soulevé in limine litis la nullité de l'acte introductif pour vice de forme et la violation des dispositions de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme pour absence de remise du rapport du juge commissaire avant délivrance de l'assignation. A titre subsidiaire il a demandé de constater le défaut d'éléments de preuve à son encontre et à titre très subsidiaire il a sollicité un sursis à statuer.

Par jugement en date du 10 janvier 2024, le tribunal de commerce de Poitiers a statué ainsi :

- Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer de M. [T],

- Rejette les exceptions de nullité et fins de non-recevoir de M. [T],

- Déclare la société [D] [Z] [28] ès qualités recevable en ses demandes,

- Déclare la société [D] [Z] [28] ès qualités bien fondée en ses demandes

- Déclare que l'insuffisance d'actif est certaine,

- Déclare que M. [T], en sa qualité de dirigeant de la société [18] [T] [14], elle-même personne morale dirigeante de la société Entreprise [33], a commis de graves fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif,

- Déclare que M. [T] a engagé sa responsabilité au titre de cette insuffisance d'actif,

- Condamne M. [T] à payer à la société [D] [Z] [28] ès qualités la somme de 500.000 euros,

- Prononce la faillite personnelle de M. [T] né le [Date naissance 6] 1945 à [Localité 23] de nationalité française, domicilié [Adresse 4] à [Localité 25], pour une durée de 5 ans,

- Rappelle à M. [T] que la faillite personnelle emporte, notamment comme conséquence, pour la durée ci-dessus, conformément à l'article L.653-2 du code de commerce, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,

- Rappelle à M. [T] que s'il ne respecte pas l'interdiction ci-dessus, il sera passible des sanctions pénales suivantes : emprisonnement de deux ans et amende de 375.000 euros (article L.654-15 du code de commerce),

- Déboute M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamne M. [T] au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement,

- Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par déclaration en date du 25 janvier 2024, M. [T] a relevé appel de cette décision en visant ses chefs expressément critiqués et en intimant la société [D] [Z] [28] ès qualités ainsi que le ministère public.

M. [T], par dernières conclusions transmises le 16 décembre 2024, demande à la cour d'appel de :

A titre principal avant toute défense au fond :

Premièrement,

- Annuler le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 10 janvier 2024,

Deuxièmement,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 10 janvier 2024 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

- Juger nulles pour vices de fond et de forme faisant grief, l'assignation délivrée le 9 avril 2021,

- Juger contraire à l'article 6§1 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et aux règles gouvernant la procédure de sanction, l'absence de mise à disposition au profit de Monsieur [J] [T] du rapport écrit du juge commissaire de l'article R. 662-12 du Code de commerce, antérieurement ou concomitamment à la délivrance de l'assignation en comblement de l'insuffisance d'actif ainsi que l'absence de lecture du rapport écrit à l'audience de sanction,

En conséquence,

- Juger nulle la procédure de sanction,

- Débouter la société [D] [Z] [28] ès qualités de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire :

- Juger qu'au sens de l'article L. 651-1 du Code de commerce, la preuve n'est pas rapportée que M. [T] serait en droit le représentant permanent de la société [20] au sein de la société Entreprise [33],

- Juger que M. [T] ne peut être poursuivi en dehors de ce cadre légal,

En conséquence,

- Débouter la société [D] [Z] [3] ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions les jugeant mal fondées,

A titre très subsidiaire,

- Juger que la société [D] [Z] [3] ès qualités ne justifie pas, à raison de son propre fait, d'une insuffisance d'actif certaine en son quantum,

- Juger que la société [D] [Z] [3] ès qualités ne rapporte pas, par des moyens légalement admissibles, la preuve d'une faute de gestion ayant contribué à une insuffisance d'actif imputable à M. [T],

- Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le chantier souscrit avec [31] [Localité 26] pour la réalisation d'un centre commercial [32] ne caractérise pas une faute de gestion,

- Juger que la société [D] [Z] [3] ès qualités ne rapporte pas, par des moyens légalement admissibles, la preuve d'une faute de gestion pouvant conduire à la faillite personnelle de M. [T],

En conséquence,

- Débouter la société [D] [Z] [3] ès qualités de son appel incident et de sa demande subsidiaire de confirmation du jugement,

- Débouter la société [D] [Z] [3] ès qualités du surplus de ses demandes, fins et conclusions les jugeant mal fondées,

En toute hypothèse,

- Condamner la société [D] [Z] [3] ès qualités à payer à M. [T] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1240 du Code civil, pour avoir agi avec mauvaise foi et à tout le moins une légèreté blâmable,

- Condamner la société [D] [Z] [3] ès qualités à payer à M. [T] la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société [D] [Z] [3] ès qualités aux entiers dépens de l'instance.

La société [D] [Z] [28], par dernières conclusions transmises le 9 décembre 2024, demande à la cour d'appel de :

- Dire M. [T] mal fondé en son appel,

- Débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

A titre principal,

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité le montant de la condamnation financière de M. [T] à 500.000 euros,

- Le réformer de ce seul chef et statuant à nouveau,

- Condamner M. [T] à payer à la société [D] [Z] [3] ès qualités de liquidateur de la société Entreprise [33] la somme de 3.000.000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif,

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En tout état de cause, y ajoutant,

- Condamner M. [T] à payer à la société [D] [Z] [3], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Entreprise [33] la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [T] aux entiers dépens.

Le ministère public a, par avis communiqué le 15 mai 2024, déclaré avoir eu communication du dossier et s'en rapporter à la décision de la cour.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 décembre 2024.

MOTIVATION

Sur la nullité du jugement

Sur la formation de jugement

L'article L 662-7 du code de commerce dispose qu'à peine de nullité du jugement, ne peut siéger dans les formations de jugement ni participer au délibéré de la procédure :

1°) Le président du tribunal, s'il a connu du débiteur en application des dispositions du titre Ier du présent livre.

M. [T] relève que le président d'audience, M. [S] [G], est l'ancien dirigeant de la sas [12] (agences d'intérim) et que cette société faisait partie des créanciers de la sas entreprise [33], notamment lors du prononcé de son redressement judiciaire, de sorte que M. [G], qui avait connu du débiteur au sens des dispositions ci-dessus ne pouvait donc faire partie de la composition du tribunal de commerce.

La société [D] [Z] [28] rétorque que c'est uniquement quand il a eu à connaître de la société débitrice à l'occasion d'une procédure de prévention des difficultés que le président du tribunal de commerce ne peut plus siéger pour juger d'une affaire relative à une procédure de traitement (redressement ou liquidation judiciaire), qu'il faut donc qu'il ait connu de la société débitrice dans le cadre de ses fonctions de juge consulaire au titre de ses attributions juridictionnelles.

Or, selon la société [D] [Z] [28], M. [T] ne démontre pas que M. [G] aurait connu de la société Entreprise [33] au titre d'une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc, ou plus généralement d'une procédure relevant du Titre I du livre VI du code de commerce.

En effet, la demande de nullité formée par M. [T] est mal fondée dès lors que les dispositions précitées, introduites par l'ordonnance du 12 mars 2014, ont pour objectif de se mettre en conformité avec l'impératif d'impartialité résultant de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme en interdisant donc à un magistrat consulaire qui a connu du débiteur au stade de la prévention d'en connaître dans ses fonctions de juge consulaire dans le cadre de ses attributions juridictionnelles.

Or, il n'est ni démontré ni même allégué que M. [G], président de la formation de jugement qui a connu de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif et en faillite personnelle, ait eu à connaître de la société Entreprise [33] dans le cadre d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation.

Le jugement n'est donc pas nul pour violation des dispositions de l'article L 662-7 du code de commerce précité.

Sur l'impartialité du tribunal

Selon l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

L'article 455 1er alinéa du code de procédure civile dispose que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

L'article 458 du même code précise que ce qui est prescrit à l'article 455 doit être observé à peine de nullité.

En l'espèce, M. [T] reproche au jugement déféré de ne pas être impartial, sa motivation étant la reprise quasi-servile de l'argumentaire développé par le mandataire judiciaire, et ignorant la contradiction apportée par lui-même.

La société [D] [Z] [28] rétorque que la Cour de cassation n'interdit pas aux juges du fond de reproduire certains éléments ou arguments de l'une ou l'autre des parties, seule l'absence de recul ou de distance par rapport à la position d'une partie étant sanctionnée.

Elle ajoute que M. [T] est mal fondé à prétendre à la partialité du tribunal alors que celui-ci n'a fait droit que partiellement aux demandes du mandataire, divisant par dix le montant de la condamnation financière sollicitée et par deux la durée de la faillite personnelle, le mandataire relevant d'ailleurs appel incident partiel de la décision du tribunal de commerce.

La cour d'appel constate à la lecture du jugement critiqué que s'il reprend l'intégralité des prétentions de M. [T], il ne fait état des moyens au soutien de celles-ci que concernant la demande de sursis à statuer et les exceptions de procédure alors que sur le fond du litige, il reprend presque mot à mot les conclusions du mandataire judiciaire pour les faire siennes, ce qui en soit ne serait pas critiquable, s'il reprenait en substance et même succinctement les moyens de défense de M. [T], ce qui n'est pas le cas.

Cette motivation du jugement du tribunal de commerce est donc de nature à faire peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction et ce, même si finalement, il n'est pas intégralement fait droit aux prétentions de la partie adverse, la décision étant en tout état de cause défavorable à M. [T] qui peut légitimement considérer qu'il n'a pas été entendu en ses moyens en défense relatifs à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif et au prononcé d'une faillite personnelle.

Il convient donc d'annuler le jugement déféré pour ce motif.

Toutefois, la cour d'appel qui annule un jugement, pour un motif autre que l'irrégularité de l'acte introductif d'instance est, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, tenue de statuer sur le fond de l'affaire.

Il n'y a donc pas lieu d'examiner le dernier motif de nullité du jugement soulevé par M. [J] [T] pour non-respect des dispositions relatives au rapport du juge commissaire dans la mesure où l'éventuelle absence de rapport du juge commissaire n'affecte pas l'acte introductif d'instance, de sorte que la cour est tenue de statuer sur le fond.

Sur les exceptions de nullité

Sur la nullité de l'assignation

- Sur la désignation de la personne à la requête de laquelle l'assignation est délivrée :

L'article 54 du code de procédure civile dispose notamment que 'à peine de nullité, la demande initiale mentionne : 3° b) pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement.'

En l'espèce, l'assignation mentionne qu'elle est délivrée à la requête de :

'La selarl [D] [Z], mandataire judiciaire

Société d'exercice libéral à responsabilité limitée au capital de 100 000 euros

(...)

Représentée par Me [D] [Z],

Agissant en qualité de mandataire judiciaire de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la sas Entreprise [Adresse 35],

Nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Poitiers rendu le 10/04/2018".

M. [T] soutient qu'il résulte d'une telle syntaxe 'nommé à cette fonction' que le sujet est masculin, ce qui est rappelé dans le corps de l'assignation où il est encore mentionné le 'requérant' et que par conséquent, l'assignation est délivrée à la requête de 'Me [D] [Z]'.

Il soutient encore que c'est la Selarl [D] [Z] [3], ce qui correspond à sa dénomination sociale exacte, qui a été nommée en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la sas Entreprise [33] et non la selarl '[D] [Z], mandataire judiciaire'.

Selon M. [T], seule une assignation délivrée à la requête de la selarl [21] était susceptible de saisir valablement le tribunal, étant par ailleurs souligné que 'Me [D] [Z]' n'est pas au sens de l'article 648 du code de procédure civile, un 'organe' qui la représente légalement.

Selon lui, cette irrégularité affectant l'assignation est une cause de nullité pour vice de fond qui ne peut être régularisée du fait de la prescription intervenue.

Selon lui, c'est un vice de fond car la selarl [D] [Z], mandataire judiciaire, visée à l'acte, est dépourvue d'existence légale et est donc incapable d'ester en justice.

La société [D] [Z] [28] considère quant à elle que l'imprécision de la dénomination sociale d'une personne morale qui existe effectivement n'est pas une cause de nullité de l'acte d'assignation, seule l'inexistence de la personne morale ne pouvant être couverte comme constituant un vice de fond.

Elle ajoute que l'erreur matérielle résultant en l'espèce de l'omission du sigle MJO dans la désignation de la société n'est pas de nature à induire les défendeurs en erreur sur la personne du demandeur dès lors que l'assignation mentionne la forme et le capital de la société, la dénomination partielle, le siège social, le numéro SIREN qui permet d'identifier de manière certaine le demandeur ainsi que le représentant légal de la société ; selon lui, il s'agit donc d'un vice de forme qui peut être régularisé par voie de conclusions et n'emporte nullité qu'à la condition que M. [T] démontre un grief, ce qu'il ne fait pas.

Réponse de la cour d'appel :

Dans la présente affaire, il y a lieu de considérer que l'acte d'assignation est affecté d'une erreur relative à la dénomination de la demanderesse et non qu'il est affecté d'un vice de fond lié à une incapacité à agir en justice d'une personne morale inexistante.

En effet, aucune confusion n'est possible quant à la personne morale auteur de la délivrance de l'assignation, du fait des nombreux éléments d'identification de celle-ci ainsi que ci-dessus listés par la société [D] [Z] [28] et du fait de la référence au jugement du tribunal de commerce rendu le 10 avril 2018 qui a nommé la société [D] [Z] [28] aux fonctions de mandataire judiciaire de la procédure de liquidation judiciaire concernant M. [J] [T].

La dénomination de la selarl [21] : 'La selarl [D] [Z], mandataire judiciaire' et l'utilisation du masculin au lieu du féminin pour désigner la requérante à l'assignation ne sont donc que des erreurs matérielles.

S'agissant d'erreurs matérielles, il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de l'assignation pour ce motif.

- Sur le non-respect de l'ordonnance de fonctionnement du tribunal de commerce de Poitiers par l'assignation :

L'article L 662-3 du code de commerce dispose : 'Les débats devant le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire ont lieu en chambre du conseil. Néanmoins, la publicité des débats est de droit après l'ouverture de la procédure si le débiteur, le mandataire judiciaire, l'administrateur, le liquidateur, le représentant des salariés ou le ministère public en font la demande. Le président du tribunal peut décider qu'ils auront lieu ou se poursuivront en chambre du conseil s'il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice.

Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, les débats relatifs aux mesures prises en application des chapitres Ier et III du titre V ont lieu en audience publique. Le président du tribunal peut décider qu'ils ont lieu en chambre du conseil si l'une des personnes mises en cause le demande avant leur ouverture'.

Ainsi, par dérogation au premier alinéa de cette disposition et en application des dispositions de l'alinéa 2, les actions aux fins de sanction d'un dirigeant que ce soit en responsabilité pour insuffisance d'actif ou pour faillite personnelle et autres mesures d'interdiction qui dépendent des chapitres I et III du titre V du livre VI, doivent se tenir en audience publique (les débats pouvant se tenir en chambre du conseil à la demande de l'intéressé).

M. [T] fonde une exception de nullité de l'assignation sur ces dispositions en soutenant que l'acte dont s'agit qui délivre assignation à une audience de 9H00 concernait une audience en chambre du conseil dès lors que l'ordonnance de fonctionnement du tribunal de commerce de Poitiers ne prévoit pas d'audiences publiques le vendredi à 9H00.

La société [D] [Z] [28] conclut au rejet de cette exception de nullité de l'assignation en soutenant que celle-ci mentionne une convocation à l'audience du vendredi 4 juin 2021 à 9H00 sans dire qu'elle se tiendrait en chambre du conseil et qu'elle ne serait pas publique, s'agissant d'une convocation devant la chambre des procédures collectives en présence du Ministère Public, le caractère public de l'audience ne résultant que du fait qu'elle est accessible au public, ce qui est le cas lorsque la porte de la salle d'audience reste ouverte pour permettre au public d'y accéder.

Il n'est pas contesté que l'ordonnance de fonctionnement du tribunal de commerce de Poitiers pour l'année 2021 énonce :

'Disons que pour l'année judiciaire 2021, les audiences d'assignations en procédures collectives auront lieu le vendredi ouvrable à 14H00 et les audiences de procédures collectives se tiendront le vendredi ouvrable à partir de 8H30...'

Et il n'est pas contesté que l'audience du vendredi 4 juin 2021 à 9H00 existait bien, M. [T] y ayant été représenté.

La cour d'appel rappelle qu'il n'existe pas de nullité sans texte et que si l'article 56 du code de procédure civile prévoit que l'assignation contient à peine de nullité :

1°) Les lieu, jour et heure de l'audience à laquelle l'affaire sera appelée,

ainsi que :

4°) Les modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire,

l'assignation devant comporter, le cas échéant, la chambre désignée,

il n'exige pas que soit précisé le caractère public ou en chambre du conseil de l'audience.

Or, il n'est pas contesté que l'audience à laquelle M. [T] a été invité à se présenter existait bien, aucune irrégularité de l'assignation n'étant donc caractérisée à cet égard.

- Sur les modalités de comparution :

L'article 853 du code de procédure civile dispose que les parties sont, sauf dispositions contraires, tenues de constituer avocat devant le tribunal de commerce mais qu'elles sont dispensées de l'obligation de constituer avocat notamment dans le cadre des procédures instituées par le livre VI du code de commerce, les parties pouvant dans ce cas se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix, à condition que le représentant justifie d'un pouvoir spécial.

L'assignation délivrée à M. [T] reprend ces modalités de comparution.

C'est à tort que M. [T] prétend que l'article R 662-2 du code de commerce qui prévoit que toute partie qui ne se présente pas personnellement ne peut être représentée que par un avocat est applicable en l'espèce.

C'est à raison que la société [D] [Z] [28] soutient que cette disposition réglementaire n'est pas applicable devant le tribunal de commerce mais seulement devant le tribunal judiciaire, ce qui ressort de la lettre même du texte qui indique que :

'les formes de procéder applicables devant le tribunal judiciaire dans les matières prévues par le livre VI de la partie législative du présent code sont déterminées par les articles 853 et suivants du code de procédure civile pour tout ce qui n'est pas réglé par ce livre et par le présent livre.

Toute partie qui ne se présente pas personnellement ne peut être représentée que par un avocat.'

En conséquence, la critique de l'assignation délivrée à M. [T] ne peut prospérer en ce qu'elle contiendrait une erreur sur les modalités de comparution.

Sur le fond

Aux termes de l'article L 651-2 code de commerce, 'lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.'

Sur la qualité de dirigeant de la société Entreprise [33] de M. [J] [T]

L'article L 653-1 du code de commerce prévoit que :

'Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables :

1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;

2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;

3° Aux personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2°.'

En l'espèce, M. [J] [T], qui constate que le mandataire liquidateur agit contre lui en tant que dirigeant de droit et non en tant que dirigeant de fait, conteste être le représentant permanent de la société Entreprise [33].

Il soutient en effet que le fait qu'il soit le gérant de la sarl [18] [T] [14], personne morale désignée en qualité de présidente de la sas Entreprise [33], ne fait pas de lui un dirigeant de droit de la sas Entreprise [33], étant précisé que les statuts ne prévoient pas la désignation, par la personne morale présidente, d'un représentant permanent auquel elle peut déléguer ses pouvoirs, aucun représentant permanent n'étant inscrit sur le Kbis.

M. [T] en déduit qu'il ne peut donc être poursuivi en responsabilité pour insuffisance d'actif.

La société [D] [Z] [28] soutient le contraire, en invoquant l'article L 227-7 du code de commerce, selon lequel lorsqu'une personne morale est nommée présidente ou dirigeante d'une société par actions simplifiée, les dirigeants de la dite personne morale sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, que le dirigeant de droit de la société [18] [T] [14] est M. [T], lequel assume donc les mêmes responsabilités que la société qu'il représente et ce, sans qu'il ait besoin d'être inscrit sur l'extrait Kbis en tant que représentant permanent.

Elle fait ensuite observer que M. [T] s'est d'ailleurs présenté devant le tribunal de commerce à toutes les étapes de la procédure en tant que dirigeant de la personne morale débitrice et qu'il s'est lui-même prévalu de cette qualité pour demander au tribunal de commerce la désignation d'un conciliateur.

Réponse de la cour d'appel :

La situation des sociétés anonymes est particulière car l'article L. 225-20, alinéa 1, du code de commerce prévoit que lorsqu'une personne morale peut être nommée administrateur, elle est tenue, lors de sa nomination de désigner un représentant permanent qui est soumis aux mêmes conditions et obligations et qui encourt les mêmes responsabilités civile et pénale que s'il était administrateur en son nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu'il représente.

Ainsi la désignation d'un représentant permanent est-elle donc une obligation légale.

Toutefois, la situation des sociétés anonymes par actions simplifiées diffère de celle des sociétés anonymes dans la mesure où ce sont les statuts qui fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ; il doit y avoir un président « investi des pouvoirs les plus étendus » pour agir au nom de la société (art. L. 227-5 et L. 227-6 C. Com.).

Par ailleurs, vis-à-vis des tiers, la loi du 1er août 2003 a prévu, dans l'article L. 227-6 du code de commerce, que les statuts puissent confier à une autre personne que le président, dite « directeur général » ou « directeur général délégué », les pouvoirs légaux confiés au président de la SAS (art. L. 227-6 C. Com.).

Ainsi, aucune obligation de désignation d'un représentant permanent n'est prévue concernant les sociétés anonymes par actions simplifiées, même si pour autant, la Cour de cassation a consacré la possibilité d'une désignation facultative d'un représentant permanent, prévue par les statuts, sans être légalement obligatoire (Cass. Com., 19 novembre 2013, pourvoi n 12-16.099, Bull. 2013, IV, n 170).

En conséquence, lorsque la personne morale mise en liquidation judiciaire est une société anonyme par actions simplifiées dirigée par une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d'actif prévue à l'article L. 651-2 du code de commerce est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit ou de fait, mais aussi par le représentant légal de cette dernière, en l'absence d'obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d'une société anonyme par actions simplifiées (Com., 13 décembre 2023, pourvoi n° 21-14.579).

En l'espèce, les statuts de la société [19] [14], associée unique et Présidente de la sas Entreprise [33], ne prévoient pas la désignation d'un représentant permanent, de sorte que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif peut être dirigée contre la personne morale présidente elle-même ou son dirigeant de droit ou de fait.

L'action diligentée par la société [D] [Z] [28] l'est donc valablement contre M. [J] [T], dont il n'est pas contesté qu'il est le dirigeant de droit de la personne morale présidente de la sas Entreprise [33], M. [T] étant le président, l'associé unique et le gérant unique de la société [20].

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

La responsabilité pour insuffisance d'actif nécessite la réunion de trois éléments : une insuffisance d'actif certaine, une ou plusieurs fautes de gestion et un lien de causalité.

Sur l'insuffisance d'actif

M. [T] prétend que l'insuffisance d'actif n'est pas sérieusement quantifiée, le mandataire n'ayant cessé d'évoluer sur le quantum de celui-ci pour in fine demander la condamnation de M. [T] à supporter l'insuffisance d'actif 'à hauteur de la somme de 5 000 000 d'euros' et il soutient que les prétendues démonstrations du mandataire sont truffées d'erreurs.

L'appelant rappelle que le mandataire a sollicité la prolongation de la procédure de liquidation judiciaire pour une 'reprise de la vérification des créances', le juge commissaire ayant noté dans son ordonnance que seules les créances privilégiées avaient été vérifiées et qu'en dépit de la prolongation accordée, un nouvel état des créances n'a pas été déposé et publié au BODACC ni a fortiori notifié à M. [T] à l'issue et ce, bien que la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif soit recherchée.

Il soutient aussi qu'en tout état de cause, un nouvel état des créances n'aurait pas pu être publié car il n'aurait pas correspondu aux cas admis en jurisprudence.

Il conteste tant l'actif réalisé que le passif avancé par le mandataire en soutenant que les approximations et fautes manifestes du mandataire pour gonfler artificiellement les chiffres du passif relèvent d'un abus qui devra être sanctionné par l'allocation de 50 000 euros de dommages intérêts pour faute caractérisée en application de l'article 1240 du code civil.

Selon lui, le seul document opposable à la procédure concernant le passif est l'état des créances déposé au greffe le 30 août 2018 mentionnant un passif provisoire de 2 108 754,35 euros dont 648 894,79 euros non définitif sans que l'état des créances ne fasse l'objet de recours et il prétend que le passif non définitif à la date où le juge statue ne peut être pris en compte.

M. [J] [T] considère, pour les seuls besoins du raisonnement, à supposer que les pièces du mandataire soient pertinentes, qu'il en résulterait une éventuelle insuffisance d'actif de 1 459 859,56 euros (passif) - 732 714,52 (actif) de 727 415,04 euros, soit moins d'un huitième de ce qui est revendiqué dans l'assignation.

La société [D] [Z] [28] expose que les allégations de M. [T] sur la réalité des actifs ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère certain de l'insuffisance d'actif et que :

- l'actif réalisé s'élève à 473 724,16 euros,

- le total des sommes perçues en recettes s'établissait au 22 mars 2023 à 738 131,40 euros,

- toutefois les avances versées entre les mains du mandataire judiciaire par le [15] (145 033,22 euros au total) au titre de sa garantie pour permettre le paiement des salaires et cotisations impayés ne relèvent pas des actifs de la société et n'ont pas à être prises en compte pour le calcul de l'insuffisance d'actif,

- par ailleurs, certains clients de la société [34] ont par erreur effectué le paiement sur l'ancien compte bancaire de la société Entreprise [33] ou entre les mains du liquidateur, ces paiements indus ayant du être remboursés au fur et à mesure à la société [34] pour un montant de 119 374,02 euros

de sorte qu'à ce jour, l'actif s'établit à :

738 131,40 euros - 145 033,22 euros - 119 374,02 euros = 473 724,16 euros.

Elle fait valoir que la reddition des comptes qui retrace l'intégralité des opérations financières comptabilisées pour la liquidation judiciaire n'avait pas à être déposée au greffe et notifiée en dehors de la présente instance, le dépôt au greffe n'étant imposé qu'après la clôture de la procédure, la liquidation judiciaire dont s'agit étant toujours en cours.

Quant au passif de la liquidation, la société [D] [Z] [28] soutient que M. [T] est mal fondé dans sa contestation de toutes les décisions aujourd'hui définitives qui sont intervenues aussi bien dans la procédure collective de redressement judiciaire que depuis la liquidation judiciaire alors que le dirigeant n'a émis aucune contestation ni exercé des recours auparavant.

Or, le passif privilégié définitivement admis né pendant le plan de redressement s'établit à 744 575,61 euros, le passif chirographaire né pendant le plan de redressement définitivement admis s'établissant à 489 396,64 euros, de sorte que le passif définitivement admis est de 5 563 928,51 euros.

En conséquence, selon la société [D] [Z] [28], l'insuffisance d'actif certaine est d'ores et déjà de - 5 090 204,35 euros (5 563928,51 - 473 724,16 euros).

En tout état de cause, le mandataire demande à la cour d'appel de constater que du propre aveu de M. [T] à l'occasion de la vérification du passif ou des différentes actions qu'il a pu mener pendant les 10 dernières années, l'insuffisance d'actif s'établit à 3 870 879,03 euros (557 935,87 euros - 4 438 735,90 euros), de sorte qu'il est mal fondé à prétendre que l'insuffisance d'actifs n'est pas certaine, la société [D] [Z] [28] demandant à la cour d'appel de condamner M. [T] à hauteur de 3 000 000 d'euros.

Réponse de la cour d'appel :

L'insuffisance d'actif peut être définie comme la différence entre le passif et l'actif, c'est-à-dire la part des dettes qui ne pourra pas être couverte par la liquidation des actifs de la société.

Si le passif résulte en principe des créances vérifiées et admises, il suffit qu'au moment de l'engagement de l'action en responsabilité, l'insuffisance d'actif soit d'ores et déjà certaine au regard de celles des créances qui ne sont pas contestées, et la Cour de cassation admet la démonstration de l'insuffisance d'actif alors même que seul le passif privilégié a été vérifié (Cass com 5 novembre 2013 n°12-22510).

De plus, même s'il suffit qu'elle soit certaine, le juge appréciant son existence et son montant au jour où il statue (Cass com 7 juin 2005 n°04-13262), il peut se fonder par exemple sur l'état des créances non contestées par le débiteur (Cass com 23 septembre 2014 n°13-22095).

Même si l'article L641-4 du code de commerce prévoit qu'en cas de risque d'action en comblement, l'entier passif doit être vérifié (ou la vérification des créances reprise à cette fin), la coordination des textes applicables en la matière n'impose pas que le passif soit arrêté lorsque le juge statue sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Dans la présente affaire, l'actif réalisé s'élève à 473 724,16 euros, celui-ci ne pouvant être retenu à hauteur de la somme de 732 714,52 euros, comme le demande M. [T] alors que de cette somme correspondant aux recettes enregistrées au 8 avril 2021 par le mandataire liquidateur, doivent être déduites d'une part, la somme de 145 033 euros constituant les avances versées entre les mains de Maître [Z] au titre de sa garantie pour le paiement des salaires et cotisations impayés, ne relevant donc pas de l'actif de la société, et alors que d'autre part, une somme de 119 374,02 euros avait été enregistrée à tort dans les recettes de la société alors qu'elle correspondait à des paiements indus.

L'état des créances du redressement judiciaire établi le 17 juillet 2014, annoté par le greffe qui y a annexé les décisions du juge commissaire, fait ressortir un passif définitif et vérifié de 3 743 602,63 euros.

Le passif privilégié définitivement admis à la liquidation judiciaire en 2018 (constitué depuis l'ouverture de la procédure collective) s'établit, au regard des pièces versées aux débats par le mandataire liquidateur, à la somme de 744 575,61 euros.

Sur reprise des opérations de vérification des créances chirographaires dont le mandataire liquidateur avait dans un premier temps demandé à être dispensé, le passif chirographaire constitué pendant la période de redressement judiciaire s'établit à 489 396,64 euros, sans que M. [T] ne puisse valablement le contester alors qu'il a pu faire ses observations et ses recours devant le juge commissaire et la cour d'appel.

En conséquence, le passif qui peut être retenu comme définitivement admis est d'un total de 4 977 574,88 euros (3 743 602,63 euros + 744 575,61 euros + 489 396,64 euros).

L'insuffisance d'actif s'établit donc à la somme de 4 503 850,72 euros.

Sur les fautes de gestion

La société [D] [Z] [28] reproche à M. [J] [T] les fautes de gestion suivantes :

- la poursuite d'une activité déficitaire,

- les carences dans le suivi de la rentabilité et la conclusion de marchés de faible marge,

- l'usage des biens de la société pour favoriser une autre entreprise dans laquelle le dirigeant est intéressé.

- Sur la poursuite d'une activité déficitaire :

Le mandataire reproche au dirigeant d'avoir poursuivi l'activité pendant trois ans après adoption du plan en générant de nouvelles pertes et des dettes nouvelles.

Il soutient que l'entreprise a accumulé un passif considérable et qu'il revenait au seul dirigeant de déclarer la cessation des paiements quand celle-ci a eu lieu. Selon l'intimée, le commissaire à l'exécution du plan n'était pas informé d'un quelconque état de cessation des paiements et n'avait aucune raison de solliciter la résolution du plan puisque le plan prévoyait des échéances faibles pendant les deux premières années d'exécution et la société Entreprise [33] faisait face à ses échéances.

Maître [Z] fait notamment grief à M. [T] d'avoir distribué des dividendes de 30 000 euros le 2 mai 2013 alors que l'entreprise avait enregistré des pertes importantes depuis 2010, l'exercice ayant pourtant enregistré des pertes d'1,8 million euros et d'avoir poursuivi une activité qui générait des flux financiers importants vers les autres sociétés dans lesquelles M. [T] avait des intérêts (430 800 euros par an dans le cadre de la convention de prestation de services de gestion et administratif avec la holding ; 14 400 euros par an de sous-location de bureaux mis à disposition de la sarl [T] [14]).

Selon le mandataire une telle gestion conduite dans l'intérêt du dirigeant et de la holding familiale au détriment des créanciers est fautive.

Selon le liquidateur, le dirigeant a ensuite poursuivi une activité déficitaire après l'adoption du plan de redressement entre 2015 et 2018 sans prendre les mesures de restructuration suffisantes et n'a pas géré l'entreprise avec prudence et précaution pendant la recherche d'un repreneur : selon le mandataire, en constatant l'existence de nouvelles pertes dès l'exercice 2015, il aurait du immédiatement prendre les mesures nécessaires et solliciter la résolution du plan de redressement. Au lieu de cela, il a poursuivi l'activité pendant encore 18 mois en générant de nouvelles dettes, la poursuite de l'activité n'ayant permis l'apurement que de 7% du passif.

La société [D] [Z] [28] prétend que la poursuite déficitaire a profité aux membres de la famille du dirigeant, lesquels ont profité de rémunérations confortables, sans rapport avec les salaires versés aux autres salariés : l'épouse de M. [T] percevait un salaire mensuel de 3 450 euros et M. [U], son gendre, de 4 500 euros mensuels, les autres cadres de l'entreprise ne percevant pas plus de 2 670 euros.

M. [T] rétorque qu'il a fait une demande de manda ad hoc dès le 12 décembre 2013, les dettes invoquées par le mandataire n'étant pas toutes exigibles à cette date. Il souligne qu'après l'adoption du plan et après le paiement des deux premières échéances, malgré ses nombreux efforts et ennuis de santé, il a constaté qu'il aurait des difficultés à exécuter la totalité du plan et a sollicité la désignation d'un conciliateur en vue d'un 'prépack' cession, ce qu'il a obtenu par la désignation par le tribunal de commerce de Maître [R], ce dernier ayant régulièrement informé de l'évolution des recherches de repreneurs en 2017.

Il rappelle qu'après l'adoption du plan, le mandataire lui a écrit qu'il devait lui communiquer annuellement, spontanément un exemplaire de son dernier bilan afin qu'il puisse exercer sa mission de surveillance et informer le tribunal de l'évolution de sa situation courante pour que celui-ci puisse mettre fin au plan et prononcer la liquidation judiciaire immédiate. Or, il fait observer que le mandataire n'a pas réagi dans le cadre de sa surveillance légale alors qu'il connaissait parfaitement l'état de la sas Entreprise [33] (pertes de 2015 à 2017).

Pour lui, c'est sans fondement qu'il est allégué que l'activité de la sas était structurellement déficitaire alors qu'en réalité, la conjoncture est à l'origine de la situation.

M. [T] rappelle que le mandataire a approuvé le plan de redressement alors qu'il aurait pu s'opposer à l'adoption de celui-ci et que M. [R] atteste à la procédure des nombreuses recherches de repreneurs qui ont été faites, les propositions formulées dans le projet de plan ayant été jugées sérieuses par le tribunal de commerce comme devant permettre un apurement total du passif privilégié et chirographaire sur une durée de 10 ans.

Il explique que dans le cadre de la convention de prestation de service, chaque année la sarl [20] a facturé à sa filiale, la sas [33], des prestations de services, refacturées à leur coût réel, à savoir la masse salariale et les dépenses de structure liées, ce qui relève d'un fonctionnement classique d'une holding animatrice.

Quant aux dividendes distribués en mai 2013, ils ont été prélevés sur le bénéfice de l'exercice 2012 réalisé pour 327 509 euros, laissant à l'entreprise la somme de 297 509 euros pour renforcer les capitaux propres, les 30 000 euros effectivement perçus par la sarl [20] ayant permis à celle-ci de renforcer ses fonds propres et n'ont pas bénéficié à ses associés.

M. [T] explique ensuite que dans le cadre d'un bail, la sas Entreprise [33], dans le respect des règles applicables, a facturé des loyers à la société [20], pour l'occupation d'une partie des locaux par les salariés de la [20] et que la société [11] n'est pas partie prenante dans cette sous-location. Il ajoute que ces conventions ne résultent pas d'une gestion hasardeuse et n'ont pas été conduites dans l'intérêt du dirigeant ou de la holding et en outre, sans préjudice pour les créanciers s'agissant de conventions courantes conclues à des conditions normales et vérifiées par le commissaire aux comptes lors de ses contrôles.

M. [T] conteste la réalité des salaires invoqués par le mandataire pour les membres de sa famille, M. [U] n'étant plus son gendre depuis 2011 et les sommes évoquées étant brutes, les salaires versés correspondant en tout état de cause aux emplois exercés.

- Sur les carences dans le suivi de la rentabilité et la conclusion de marchés de faible marge :

Le mandataire reproche à M. [T] d'avoir pratiqué de trop faibles marges, lesquelles ont été constatées par l'administrateur judiciaire dans son rapport d'ouverture de 2014 et dans le rapport après LJ de 2018, invoquant des carences de M. [T] dans la négociation et la sécurisation des contrats. Il lui reproche aussi une insuffisance des efforts de restructuration alors que l'entreprise n'était plus rentable depuis 2011 et n'a connu qu'un exercice bénéficiaire en 2012 ; M. [T] ne démontre pas qu'il suivait régulièrement la rentabilité de sa société.

M. [T] fait grief au mandataire de ne se fonder que sur le seul rapport de l'administrateur judiciaire de 2014 lors de l'ouverture du redressement judiciaire pour reprocher d'avoir souscrit des marchés trop faibles pour couvrir l'intégralité des charges d'exploitation en rappelant le contexte d'extrême concurrence dans lequel il était à cette période, lequel l'obligeait à traiter à des prix bas comme il est indiqué sur le même document.

Le marché aux conséquences catastrophiques auquel le mandataire fait référence et qui, à l'origine était rentable, a pour origine le comportement de la société [30] ainsi que le maître de l'ouvrage de la construction du centre commercial dont s'agit en atteste, le litige étant toujours en cours, une expertise ayant été ordonnée.

Par ailleurs, il soutient que des mesures de gestion ont été prises par la suppression de 8 postes sur la sas Entreprise [33] et d'un poste sur la sarl [20], la mise en place d'un chômage partiel et celle d'un plan de long terme (élargissement des marchés), plus de 234 offres de marchés ayant été adressées et seulement 70 attribuées. Selon lui, la preuve n'est pas faite de l'absence de suivi comptable. Au contraire, il prétend qu'il suivait la situation de sa société et l'ancien expert-comptable de l'entreprise en atteste.

- Sur l'usage des biens de la société pour favoriser une autre entreprise dans laquelle le dirigeant est intéressé :

La société [D] [Z] [28] considère aussi que M. [T] a fait supporter à la sas Entreprise [33] des dépenses contraires à l'intérêt de la société en liquidation au profit d'une société dans laquelle lui et sa famille ont des intérêts :

- elle lui reproche le détournement des fonds de la société Entreprise [33] pour des investissements immobiliers au seul bénéfice de la sci familiale [11] : les investissements pour les travaux réalisés lui apparaissent exorbitants, M. [T] ayant de surcroît caché l'implication de la société [33] dans l'édification des bâtiments, les investissements n'ayant pas été pris en compte au moment de la cession du fonds de commerce, faisant ainsi réaliser une importante plus-value à la société [11],

- elle invoque aussi le fait qu'à partir de 2015, la sas a payé des loyers à la sci [11] pour occuper des immeubles qu'elle avait fait construire elle-même sur le terrain d'autrui en renonçant à leur propriété sans contrepartie, privant ainsi la société d'une réalisation d'actif contribuant à la diminution du passif.

M. [T] fait valoir qu'un fonds de commerce n'inclut pas l'immobilier et précise que la sas Entreprise [33] a effectivement réalisé deux bâtiments sur le terrain d'autrui (celui de la société [11]) mais les a immobilisés en comptabilité comme tels, ces deux bâtiments concernant directement l'activité de la société Entreprise [33]. Il ajoute qu'en 2005, avant l'acquisition par la sci [11], la société Entreprise [33] avait déjà réalisé des investissements immobiliers sur des bâtiments qui étaient loués auprès de la sci [27] (cédant). Il dit ne jamais avoir fait mystère de la construction des immeubles sur le terrain d'autrui et que l'immeuble dit 'la maison du gardien' était la propriété de l'entreprise. En outre, il soutient que les travaux réalisés correspondaient à des urgences des exigences de normes sanitaires ou des impératifs nécessaires au développement de l'exploitation. De plus, il fait observer qu'il ne dispose que de 25 parts sur les 91 du capital social de la société [11]. Selon lui, le bail suffit à lui seul à écarter toute qualification possible d'un enrichissement injustifié, le nouveau loyer correspondant à l'indexation et en aucun cas à la location des bâtiments construits par la sas Entreprise [33]. Quant au prétendu enrichissement de la sci [11], il résulte d'une vue de l'esprit du mandataire au regard des chiffres, aucune faute en lien causal avec la liquidation judiciaire n'étant démontrée.

Réponse de la cour d'appel :

Il résulte des pièces versées aux débats que l'objet social de la société Entreprise [33] est la réalisation de façades, menuiserie aluminium acier, PVC, de sorte qu'elle a été concernée par la crise immobilière de 2008 qui a eu pour conséquence une pression sur les prix et donc sur les marges bénéficiaires des entreprises.

Dans ces conditions, la conclusion de marchés de faible marge constatée en début de procédure collective ne peut être considérée comme une faute de gestion alors qu'elle résultait d'un contexte particulièrement défavorable à l'entreprise, laquelle a été fragilisée par ce contexte dès 2010.

Les pièces versées aux débats par le mandataire liquidateur ne viennent pas étayer l'affirmation selon laquelle le dirigeant aurait commis une faute en continuant après 2014 et jusqu'en 2018 à souscrire des marchés à faible marge alors que M. [R] ès qualités précise que le marché était très concurrentiel à cette période.

Il ressort par ailleurs des pièces versées aux débats que la société Entreprise [33] a rencontré des problèmes de trésorerie après avoir essuyé les conséquences d'un conflit entre architecte, entreprise générale et maître de l'ouvrage dans un chantier important à [Localité 26] représentant 50 % de son chiffre d'affaires en 2013, un impayé de 900 000 euros ayant du être enregistré, ce qui l'a mise en difficulté pour faire face à ses charges d'exploitation et a entraîné son placement en redressement judiciaire en 2014, la cessation des paiements ayant été fixée au 18 février 2014.

Une mauvaise gestion du marché avec la [29] peut difficilement être qualifiée de faute de gestion dans ce contexte.

Toutefois, Maître [R] ès qualités a indiqué qu'en dépit d'un chiffre d'affaires quasiment équivalent à 2015, l'entreprise avait enregistré une forte dégradation de son résultat avec une perte de 347 000 euros et il apparaît au regard des pièces et des débats que M. [J] [T] est fautif d'avoir poursuivi l'activité déficitaire de l'entreprise pendant plusieurs années de 2014 à 2018, même s'il a fait des démarches de recherche d'un repreneur pendant toute cette période, en ne prenant pas les mesures nécessaires à y mettre fin alors qu'il savait la situation irrémédiablement compromise et ce, en termes de restructuration de l'entreprise, de réduction des charges et de maintien de flux financiers au profit de sociétés dans lesquelles il avait des intérêts personnels.

Il a ainsi maintenu son salaire et celui de son épouse à un niveau élevé en dépit du contexte de résultats déficitaires de l'entreprise.

Il ne justifie pas avoir pris les mesures de restructuration nécessaires alors qu'en 2018, Maître [R] ès qualités fait état de la seule mesure prise, à savoir le chômage partiel, laquelle s'est révélée insuffisante, et du fait que l'entreprise était incapable de financer seule un plan de réduction des effectifs.

Ensuite, les opérations dont ont été bénéficiaires les sociétés [11] et [22] [T] [14] pendant cette période constituent des fautes de gestion dépassant la simple négligence alors que dans le contexte de faibles marges bénéficiaires sus-rappelé ne permettant pas de faire face aux charges d'exploitation de l'entreprise, d'activité déficitaire constante depuis 2013 et d'augmentation du passif, l'Entreprise [33] a continué à verser :

- 430 800 euros par an à la société holding dans le cadre de la convention de prestation de services de gestion et administratif,

- 14 400 euros par an au titre de la sous-location de bureaux mis à disposition de la sarl [T] [14] dans laquelle M. [T] a des intérêts personnels,

- 84 000 euros par an de location immobilière avec la société [11] dans laquelle M. [T] a des intérêts personnels.

Il sera relevé que les bureaux dont s'agit se trouvaient dans des bâtiments construits sur le terrain de la société civile familiale [11] qui ont été construits et financés par la société Entreprise [33] depuis que M. [T] en est le dirigeant à hauteur de la somme de 397 359,94 euros.

En outre, la société [11], dans laquelle M. [T] a des parts et à laquelle il n'a demandé aucune contrepartie financière, l'entreprise [33] ayant même payé un loyer pour occuper les locaux qu'elle avait construit, a vendu en même temps que le terrain et les autres bâtiments dont elle était propriétaire les dits bâtiments pour un montant total de 980 000 euros.

M. [T] ne peut valablement s'exonérer de sa responsabilité en invoquant le plan de redressement dont il a bénéficié et la validation par le mandataire judiciaire pas plus que le fait que ce dernier n'ait pas lui-même saisi le tribunal de commerce plus tôt aux fins de résolution du plan alors que le rôle des organes de la procédure collective est d'assister ou de surveiller la gestion de l'entreprise mais pas de se substituer au dirigeant dans l'administration de la société.

C'est bien au dirigeant qui constate des résultats sociaux déficitaires de 'prendre les mesures propres à rétablir la situation financière de la société débitrice soit en appelant de la trésorerie supplémentaire, soit en cessant immédiatement l'activité afin d'éviter d'accroître le passif' (Com. 20/9 2017, n° 16-13566).

M. [J] [T] a donc bien contribué à l'insuffisance d'actif de la société liquidée et au regard de l'aggravation du passif entre 2015 et 2018 et des flux financiers qui ont bénéficié à des entreprises dans lesquelles il a des intérêts personnels pendant cette période, il sera donc condamné à payer la somme de 1 000 000 d'euros.

Par voie de conséquence, il ne sera pas fait droit à la demande de M. [T] tendant à condamner le mandataire judiciaire à lui verser une somme de 50 000 euros à titre de dommages intérêts, les prétendues 'approximations et fautes manifestes pour gonfler artificiellement les chiffres du passif' n'étant pas constatées par la cour d'appel.

Sur la faillite personnelle

La société [D] [Z] [28] soutient qu'il a été démontré que M. [T] a poursuivi volontairement pendant plusieurs années une activité déficitaire alors que les prix des marchés qu'il proposait ne permettaient pas de couvrir les charges de structure de la sas Entreprise [33] et a en toute connaissance de cause poursuivi une exploitation qui ne pouvait mener qu'à la cessation des paiements et aggravé un passif déjà colossal.

Elle ajoute que cette poursuite d'activité a été conduite dans un intérêt personnel au profit de M. [T] et de ses associés, par ailleurs, membres de sa famille.

Enfin, elle fait valoir que M. [T] e employé les actifs de la sas Entreprise [33] pour améliorer les biens de la sci [11] dans laquelle lui et sa famille avaient des intérêts et que ces actifs ont été vendus par la sci [11] sans contrepartie pour la sas Entreprise [33], ce qui caractérise un détournement d'actif.

Pour elle, ce comportement particulièrement déloyal de M. [T] justifie le prononcé de sa faillite personnelle et ce, pour 5 ans.

M. [J] [T] s'y oppose en faisant valoir que l'intérêt personnel du dirigeant qui a poursuivi une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale doit être démontré et ne peut s'appuyer uniquement sur des déclarations de principe non étayées comme c'est le cas en l'espèce.

Il soutient qu'ainsi, l'existence d'associés communs dans des structures distinctes est insuffisante à caractériser une communauté d'intérêts entre deux sociétés et souligne :

- l'abandon par lui de sa rémunération à hauteur de 48 000 euros,

- la perte de son apport à hauteur de 165 000 euros,

- les paiements qu'il a dû assurer en tant que caution personnelle ([16] 48 064,13 euros)

et qu'il est 'inepte' de considérer en droit que la vente par la sci [11] de ses propres actifs 'sans contrepartie pour la sas Entreprise [33]' (caractériserait) un détournement d'actifs.

Réponse de la cour d'appel :

Aux termes de l'article L 653-4 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

En l'espèce, au regard des développements ci-dessus, il apparaît que M. [J] [T] a fait des biens ou du crédit de la société Entreprise [33] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles, en tous cas pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement, soit la sarl [18] [T] [14] et la sci [11], et qu'il a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, outre que la construction sans contrepartie financière de bâtiments sur le terrain de la société [11] à qui il a en revanche payé un loyer doit s'analyser en une augmentation frauduleuse du passif de la société Entreprise [33].

À ce titre, la sanction de la faillite personnelle doit être prononcée pour une durée de cinq ans.

Sur les dommages intérêts, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il apparaît conforme à l'équité de condamner M. [J] [T] à verser à la selarl [D] [Z] [28] la somme de 8 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

M. [J] [T], partie perdante dans la présente instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour d'appel, statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Annule le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 10 janvier 2024 ;

Vu l'effet dévolutif de l'appel,

Déboute M. [J] [T] de sa demande d'annulation de l'assignation délivrée le 9 avril 2021 ;

Déclare la selarl [D] [Z] [3] ès qualité de liquidateur de la sas Entreprise [33] recevable en ses demandes ;

Condamne M. [J] [T] à payer la somme de 1 000 000 d'euros à la selarl [D] [Z] [3], ès qualité de liquidateur de la sas Entreprise [33] , au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;

Prononce la faillite personnelle de M. [J] [T] né le [Date naissance 6] 1945 à [Localité 23], de nationalité française, domicilié [Adresse 5] à [Localité 24] pour une durée de cinq ans ;

Rappelle à M. [J] [T] que la faillite personnelle emporte notamment comme conséquence, pour la durée ci-dessus, conformément à l'article L 653-2 du code de commerce, l'interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ;

Rappelle à M. [J] [T] que s'il ne respecte pas l'interdiction ci-dessus, il sera passible des sanctions pénales suivantes : emprisonnement de deux ans et amende de 375 000 euros (article L 654-15 du code de commerce) ;

Condamne M. [J] [T] à verser à la selarl [D] [Z] [1] - mandataires judiciaires ès qualité de liquidateur de la sas Entreprise [33] la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [J] [T] de toutes ses demandes autres supplémentaires ou contraires ;

Condamne M. [J] [T] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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