CA Rennes, 1re ch., 25 février 2025, n° 24/01289
RENNES
Arrêt
Autre
1ère chambre B
ARRÊT N°
N° RG 24/01289
N° Portalis
DBVL-V-B7I-USEP
(Réf 1ère instance : 22/01296)
AB TRANS SA
C/
Me [X] [P]
Société AJ UP
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 FEVRIER 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère
GREFFIER
Madame Marie-Claude COURQUIN lors des débats et Mme Elise BEZIER lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 2 juillet 2024 devant Madame Véronique VEILLARD et Madame Caroline BRISSIAUD, magistrates rapporteurs, tenant l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT
Contradictoire,prononcé publiquement le 25 février 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 29 octobre 2024
****
APPELANTE
AB TRANS SA prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, postulant, avocat au barreau de RENNES et par Me Florent VIGNY de la SELAS BREMENS AVOCATS, plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
Maître [X] [P] venant aux droits de Maître [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
SELARL AJ UP prise en la personne de ses reprsentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège venant aux droits de Maître [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Tous deux représentés par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, postulant, avocat au barreau de RENNES et par Me Yves-Marie LE CORFF de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT ET ASSOCIES, plaidantt, avocat au barreau de PARIS
EXPOSÉ DU LITIGE
1. Par deux contrats du 28 septembre 2012, la SA Ab Trans, agissant tant en son nom personnel que pour le compte de ses différentes filiales, a donné en location à la société Bomex divers engins de travaux publics et tracteurs, d'une part, ainsi que des remorques et semi-remorques d'autre part, pour une durée de 24 mois à effet du 1er octobre 2012.
2. La société Bomex n'honorant plus ses échéances locatives, les contrats de location ont été résiliés après mise en demeure, la SA Ab Trans ayant, lors d'une réunion entre les parties le 28 mars 2014, accepté une restitution progressive des matériels loués moyennant apurement des loyers déjà facturés et versement d'indemnités de jouissance équivalentes aux loyers antérieurs, 33 tracteurs et 50 semi-remorques ayant toutefois été restitués le jour même avec un effacement d'une partie de la dette.
3. Le 26 juin 2014, les parties ont régularisé un nouveau protocole transactionnel afin d'organiser le paiement de la dette locative résiduelle, à savoir la restitution progressive des remorques pour laquelle une indemnité de jouissance était facturée mensuellement.
4. Le 29 décembre 2014, alors qu'elle continuait d'avoir la jouissance de 204 semi-remorques et de 5 porteurs appartenant à la SA Ab Trans, la société Bomex a été placée en redressement judiciaire, Me [V] [P] étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire.
5. La SA Ab Trans a déclaré sa créance à hauteur de 63.273,22 € entre les mains du mandataire judiciaire le 3 février 2015.
6. Le 25 mars 2015, Me [V] [P] s'est engagé à restituer 135 véhicules sur les 209 encore utilisés, à charge pour la SA Ab Trans de venir les récupérer sur site.
7. Par jugement du 6 juillet 2016, le tribunal de commerce de Nantes a converti le redressement judiciaire de la société Bomex en liquidation judiciaire, Me [V] [P] étant maintenu en qualité d'administrateur judiciaire afin de passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession, veiller au transfert des contrats poursuivis et procéder aux licenciements des personnels non repris.
8. Le 4 août 2016, la SA Ab Trans a déclaré au passif de la liquidation judiciaire une créance privilégiée à hauteur de 232.603,51 € représentant les indemnités de jouissance du 29 décembre 2014 au 30 juin 2016, ainsi que les frais de réparation et de contravention.
9. Un certificat d'irrécouvrabilité concernant la déclaration de créance du 3 février 2015 a été adressé le 1er août 2019 à la SA Ab Trans.
10. Le 31 décembre 2020, le conseil de la SA Ab Trans a mis en demeure Me [V] [P] de déclarer le sinistre à son assurance de responsabilité civile, considérant qu'en application des articles L. 622-13 et L. 631-14 du code de commerce, l'administrateur aurait dû procéder à la restitution du matériel loué sans délai, et à tout le moins dans le mois suivant le jugement d'ouverture de redressement judiciaire, alors qu'en conservant le matériel loué sans s'acquitter de l'intégralité des indemnités de jouissance mensuelle, le mandataire a engagé sa responsabilité civile professionnelle en accroissant la dette de son administrée.
11. La SELARL Aj Up, qui avait entre-temps accueilli en son sein Me [V] [P], a répondu par mail du 6 janvier 2021 en sollicitant les pièces correspondant au bordereau de déclaration de créance adressée au mandataire le 4 août 2016.
12. Par exploit du 14 mars 2022, la SA Ab Trans a fait assigner la SELARL Aj Up 'venant aux droits de Me [V] [P]'ainsi que Me [X] [P] 'venant aux droits de Me [V] [P]' devant le tribunal judiciaire de Nantes aux fins de les voir condamner solidairement, au visa notamment de l'article 1240 du code civil, à lui verser la somme de 232.603,51 € à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
13. Par conclusions d'incident transmises le 8 décembre 2022, Me [X] [P] et la SELARL Aj Up ont sollicité du juge de la mise en état, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, qu'il rejette comme irrecevable l'ensemble des demandes formées à leur encontre pour défaut de qualité à défendre, subsidiairement en raison de la prescription, et très subsidiairement pour défaut de qualité à agir de la SA Ab Trans.
14. Par ordonnance du 21 décembre 2023, le juge de la mise en état a :
- déclaré irrecevables les demandes formées par la SA Ab Trans à l'encontre de la SELARL Aj Up,
- déclaré irrecevables les demandes formées par la SA Ab Trans à l'encontre de Me [V] [P],
- condamné la SA Ab Trans à payer à la SELARL Aj Up la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Ab Trans à payer à Me [X] [P] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Ab Trans aux dépens de l'incident.
15. Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état, après avoir écarté la nullité de l'assignation à raison de l'erreur dans la domiciliation de la SA Ab Trans faute pour la SELARL Aj Up et Me [X] [P] de justifier d'un grief puisque les défendeurs ont pu exécuter une précédente ordonnance, a retenu que Me [V] [P] n'a accompli aucun acte en qualité de mandataire vis-à-vis de la société Bomex une fois devenu associé de la SELARL Aj Up et qu'il n'est pas établi que cette dernière a repris sa branche antérieure d'activité, de sorte qu'elle ne saurait être tenue pour comptable des actes professionnels commis par un de ses associés avant qu'il n'intègre la société.
16. S'agissant de Me [X] [P], ce dernier n'a fait qu'acquérir les parts que détenait son père Me [V] [P] dans la SELARL Aj Up et il ne peut venir aux droits de ce dernier pour des actes accomplis antérieurement à son intégration dans la société.
17. Par déclaration parvenue au greffe de la cour d'appel de Rennes le 4 mars 2024, la SA Ab Trans a interjeté appel de cette décision.
18. Le 12 mars 2024, le greffe a adressé un avis de fixation à bref délai, avec une audience de plaidoiries prévue le 2 juillet 2024.
* * * * *
19. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 3 juin 2024, la SA Ab Trans demande à la cour de :
- annuler et subsidiairement réformer l'ordonnance dont appel,
- statuant à nouveau,
- la déclarer recevable et bien fondée en son action dirigée à l'encontre de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P], en qualité de gérant, venant aux droits de Me [V] [P],
- ordonner à la SELARL Aj Up et à Me [X] [P], en qualité de gérant, venants aux droits de Me [V] [P], de communiquer les coordonnées de son assureur garantissant sa responsabilité civile contractuelle et le numéro de la police d'assurance souscrite,
- assortir cette demande de production d'une astreinte journalière de 100 € à compter de la signification de l'assignation, le juge de la mise en état se réservant le droit de la liquider,
- y faisant droit,
- condamner solidairement SELARL Aj Up et Me [X] [P], en qualité de gérant, tous deux venants aux droits de Me [V] [P], au paiement de la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement aux entiers dépens, en ce compris les frais d'huissier à venir afin d'exécuter la présente décision, dont distraction au profit de la SELARL d'avocats Lhermitte Gauvain Demidoff.
20. À l'appui de ses prétentions, la SA Ab Trans fait en effet valoir :
- que le juge de la mise en état n'a pas statué sur l'absence d'acquisition de la prescription et sur l'absence de demande de reconstitution du gage commun, ce qui entraîne la nullité de l'ordonnance en vertu de l'article 5 du code de procédure civile,
- que le juge de la mise en état ne pouvait pas dire 'qu'il ne ressortait pas des procès-verbaux de la SELARL Aj Up que Me [V] [P] ait apporté sa branche d'activité complète', alors qu'il ressort de divers éléments, et notamment du profil LinkedIn de Me [X] [P] ainsi que du traité d'apport partiel du 16 février 2018, que ce dernier exerçait encore la fonction de gérant au sein d'un des établissements détenus par la SELARL Aj Up,
- qu'à tout le moins, la SELARL Aj Up et son gérant Me [X] [P] ont volontairement entretenu une confusion à son détriment du fait de la demande qu'ils ont formulée auprès de leur assureur,
- que l'action engagée n'est pas prescrite dès lors que, en présence d'une procédure collective, c'est l'impossibilité définitive de recouvrer les créances déclarées qui fixe le point de départ de l'action contre l'administrateur judiciaire, lequel correspond en l'espèce à la date du 1er août 2019, date du certificat d'irrécouvrabilité,
- que la présente action constitue une action en responsabilité de l'administrateur judiciaire et non en reconstitution de gage commun, d'où il suit que la fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à agir doit être rejetée.
* * * * *
21. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 18 avril 2024, la SELARL Aj Up et Me [X] [P] demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- rejeter comme irrecevables l'ensemble des demandes de la SA Ab Trans en ce qu'elles sont dirigées contre la SELARL Aj Up d'une part et contre Me [X] [P] d'autre part, qui ne viennent pas aux droits de Me [V] [P] et qui n'ont donc pas qualité à agir en défense,
- très subsidiairement,
- rejeter comme irrecevables les demandes de la SA Ab Trans, car prescrites et plus subsidiairement pour défaut de qualité à agir en demande,
- en toute hypothèse,
- rejeter comme irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, la demande de la SA Ab Trans tendant à obtenir communication, sous astreinte, des coordonnées de la compagnie d'assurance responsabilité civile de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P], et en toute hypothèse pour défaut de qualité à agir en défense,
- condamner la SA Ab Trans à verser à chacun d'eux une somme complémentaire au stade d'appel de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
22. À l'appui de leurs prétentions, la SELARL Aj Up et Me [X] [P] font en effet valoir :
- que la SELARL Aj Up ne vient pas aux droits de Me [V] [P], lequel n'a intégré la société qu'à partir 1er juillet 2017, soit bien après les faits litigieux,
- que, de même, il n'est pas établi par la SA Ab Trans que Me [X] [P] vienne aux droits de Me [V] [P], étant précisé qu'il n'existe aucune dissimulation ou confusion quelconque entretenue par les intimés sur ce point,
- qu'au contraire, les procès-verbaux d'assemblée générale extraordinaire ainsi que les statuts actualisés versés par la SA Ab Trans indiquent que la SELARL Aj Up n'a en aucun cas repris le passif et les obligations de Me [V] [P] lorsque celui-ci a été associé,
- qu'en tout état de cause, le fait que Me [X] [P] ait acquis les parts de son prédécesseur ne permet pas de considérer qu'il vient aux droits (et obligations) de l'ensemble du patrimoine personnel de ce dernier,
- que la faute imputée à Me [V] [P] (restitution tardive, au mois de juin 2016, des derniers véhicules sans paiement des loyers ou indemnités d'occupation en contrepartie) était nécessairement connue, y compris dans ses manifestations dommageables, de la SA Ab Trans au plus tard à la fin du mois de juin 2016, d'où il suit que l'action introduite le 14 mars 2022 est prescrite,
- qu'il est vain de prétendre que l'assignation du 9 juin 2021 serait interruptive de prescription alors qu'elle a abouti à une ordonnance du juge de la mise en état déclarant l'irrecevabilité de l'action, outre qu'elle n'a pas mentionné la qualité adéquate s'agissant de la SELARL Aj Up,
- que la SA Ab Trans ne peut soutenir que la faute de Me [V] [P] 'a eu pour effet d'accroître la dette de la société Bomex', alors que les actions en reconstitution du gage commun relèvent du monopole du liquidateur judiciaire conformément aux articles L. 622-20 (par renvoi) et L. 641-4 du code de commerce,
- que les demandes concernant les coordonnées d'assurance sont confuses quant à leur destinataire et devront de ce fait être rejetées.
* * * * *
23. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 18 juin 2024.
24. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de l'ordonnance
25. La SA Ab Trans reproche à l'ordonnance entreprise de n'avoir statué que sur la validité de l'acte introductif au visa de l'article 54 du code de procédure civile et sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendeur, alors qu'il était saisi de deux autres points : l'absence d'acquisition de la prescription et l'absence de demande de reconstitution du gage commun.
26. Les intimés ne répliquent pas à ce sujet.
Réponse de la cour
27. Aux termes de l'article 5 du code de procédure civile, 'le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé'.
28. Lorsque le juge, saisi de plusieurs fins de non-recevoir, les examinant dans l'ordre auquel le défendeur les lui a soumises, fait droit à l'une d'entre elles, laquelle met un terme au litige, il n'est pas tenu d'examiner les autres.
29. En l'espèce, après avoir écarté l'exception de nullité de l'assignation, le premier juge a examiné et fait droit à la première fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre.
30. Ce faisant, il n'était pas tenu d'examiner la fin de non-recevoir tirée de la prescription ni le moyen tiré de la nature de l'action, à savoir une action en responsabilité professionnelle.
31. La nullité de l'ordonnance n'est pas encourue.
Sur la qualité à défendre
32. Pour solliciter la réformation de l'ordonnance, la SA Ab Trans fait valoir que la SELARL Aj Up est, en application de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990, solidaire de Me [V] [P] dès son intégration dans la société et que Me [X] [P], en acquérant les parts de son père, vient à ses droits. Elle affirme que la SELARL Aj Up a maintenu la confusion en dissimulant ses associés derrière le voile social, allant jusqu'à déclarer un sinistre auprès de son assureur, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée se heurte à la règle de l'estoppel et, partant, est irrecevable.
33. Les intimés répliquent que la SELARL Aj Up ne vient pas aux droits de Me [V] [P], lequel n'a du reste intégré la société qu'à partir du 1er juillet 2017, soit bien après les faits litigieux. Elle n'a pas à répondre des manquements de son associé commis avant son intégration. Il en est de même de Me [X] [P]. Aucune confusion n'a jamais été entretenue, la solidarité évoquée ne concernant que les actes commis par l'administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire lorsqu'il exerce à travers une forme sociale.
L'étude de Me [V] [P] à [Localité 4] n'a pas fait l'objet d'un apport partiel d'actifs à la SELARL Aj Up et ses parts ont fait l'objet d'une acquisition en numéraires. La SELARL Aj Up n'a donc pas davantage repris le passif de Me [V] [P]. Me [X] [P] quant à lui a simplement repris les parts sociales de son père aux droits duquel il ne vient pas dans l'ensemble de son patrimoine personnel.
Réponse de la cour
34. L'article 31 du code de procédure civile dispose que 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.
35. Aux termes de l'article 32, 'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir'.
36. L'article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, dans sa version applicable au litige, dispose que 'chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit.
La société est solidairement responsable avec lui'.
38. La responsabilité professionnelle d'un mandataire judiciaire peut être engagée à raison des fautes commises dans l'exercice de ses fonctions, sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil. Le mandataire judiciaire n'est responsable que de son propre fait.
39. En l'espèce, la SA Ab Trans a, par courrier du 31 décembre 2020, mis en cause Me [V] [P] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Bomex pour avoir conservé le matériel qu'elle louait à l'appelante 'jusqu'au mois de juin 2016, soit durant plus de dix-huit mois suivant le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire' sans régler les indemnités de jouissance, alourdissant considérablement un passif dont l'irrécouvrabilité a été confirmée.
40. C'est le sens de l'action en responsabilité professionnelle intentée par la SA Ab Trans à l'encontre de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P], fondée sur des manquements ayant eu lieu jusqu'en juin 2016.
41. Il ressort par ailleurs des actes de cession du fonds de commerce de la société Bomex du 27 octobre 2016 et de l'acte de cession de l'ensemble immobilier à usage industriel du 6 décembre 2016 que la mission de Me [V] [P] pour cette société s'est terminée à l'occasion de ce dernier acte.
42. Or, Me [V] [P] (comme d'ailleurs son fils Me [X] [P]) a été agréé au statut d'associé de la SELARL Aj Up suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 mai 2017, soit postérieurement aux faits reprochés et en tout cas après la cessation de son mandat judiciaire d'administrateur de la société Bomex.
43. Ce n'est que par l'effet de la transmission universelle du patrimoine propre aux sociétés que la société absorbante se voit transférer l'intégralité du passif de la société absorbée, ce transfert n'étant pas subordonné à la mention spécifique des passifs dans le traité de fusion, et l'intégralité des passifs existants, éventuels ou simplement latents à la date de réalisation de la fusion étant automatiquement transmis, de sorte que la société absorbante peut être condamnée en lieu et place de la société absorbée pour des fautes commises antérieurement à la fusion.
44. Par ailleurs, un simple apport partiel d'actif doit préciser les éléments du passif également transmis en cette occasion.
45. Le traité d'apport partiel d'actif dont fait état la SA Ab Trans, déposé le 16 février 2018 au registre du tribunal de commerce de Chambéry, concerne l'apport de la SELARL [Z] [J] à la SELARL Aj Up.
46. Si ce traité rappelle que la SELARL Aj Up 'détient à ce jour 5 études d'administrateurs judiciaires dirigées par un responsable également cogérant de la SELARL Aj Up', notamment 'l'étude située à [Localité 4] (Loire Atlantique), [Adresse 2] dont le responsable est Me [X] [P]', le terme 'détient' est particulièrement vague et doit correspondre à la réalité juridique de l'intégration de Me [V] [P] au sein de la SELARL Aj Up.
47. Or, le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la SELARL Aj Up du 30 mai 2017 concernant l'agrément de Me [V] [P] mentionne que cette intégration se fait par 'la souscription, en numéraires ou par compensation avec des créances certaines, liquides et exigible sur la société' de la valeur nominale de 70.066 parts sociales nouvelles d'une valeur d'un euro chacune, par suite de l'augmentation du capital social.
48. Contrairement aux autres associés qui ont effectué des apports partiels d'actif de branches complètes et autonomes d'activité, l'intégration de Me [V] [P] s'est faite par un apport en numéraires, du moins la preuve contraire n'est-elle pas établie.
49. Dès lors que Me [V] [P] n'a accompli aucun acte en qualité de mandataire de la société Bomex une fois associé de la SELARL Aj Up et qu'il n'est pas établi que la SELARL Aj Up ait repris sa branche antérieure d'activité, elle ne saurait être tenue pour comptable des actes professionnels commis par un de ses associés avant que celui-ci n'intègre la société.
50. Par la suite, Me [V] [P] a cédé ses parts sociales à son fils Me [X] [P], ce dont l'assemblée générale extraordinaire du 20 octobre 2017 a pris acte. Cette simple cession n'a pas eu pour effet de transmettre l'universalité du patrimoine de Me [V] [P] à Me [X] [P].
51. La preuve, dont la charge incombe à la SA Ab Trans, de ce que la SELARL Aj Up ou Me [X] [P] viendrait aux droits et obligations de Me [V] [P] pour répondre de faits personnels commis dans l'exercice de ses fonctions jusqu'en juin 2016 n'est pas rapportée.
52. À cet égard, la SA Ab Trans plaide vainement le principe de l'estoppel en stigmatisant une défense de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P] inédite au moment de l'engagement de l'action diligentée contre eux, et dont elle ne tire d'ailleurs aucune conséquence de droit appropriée dans le dispositif de ses conclusions, alors qu'elle ne produit comme seule pièce en provenance des intimés qu'un courrier électronique du 2 juin 2021 dans lequel la SELARL Aj Up répond au conseil de la SA Ab Trans en ces termes : 'la caisse de garantie a pris la décision d'attendre votre assignation', formulation insuffisante à caractériser l'absence de toute contestation sur sa qualité à défendre ou, plus prosaïquement, la reconnaissance d'un droit d'agir contre elle.
53. De ce point de vue, la demande de communication sous astreinte des coordonnées de son assureur garantissant sa responsabilité civile contractuelle et le numéro de la police d'assurance souscrite est parfaitement dépourvue d'intérêt.
54. L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a déclaré la SA Ab Trans irrecevable en sa demande dirigée contre la SELARL Aj Up et Me [X] [P].
Sur les dépens
55. Les dispositions relatives aux dépens de première instance seront confirmées. La SA Ab Trans, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel. Les avocats qui en ont fait la demande seront autorisés à recouvrer directement les dépens dont ils auraient fait l'avance.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
56. Les dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées. L'équité commande de faire bénéficier la SELARL Aj Up et Me [X] [P] ensemble des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes du 21 décembre 2023,
Y ajoutant,
Condamne la SA Ab Trans aux dépens d'appel,
Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement les dépens dont ils auraient fait l'avance,
Condamne la SA Ab Trans à payer à la SELARL Aj Up et à Me [X] [P] ensemble la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
ARRÊT N°
N° RG 24/01289
N° Portalis
DBVL-V-B7I-USEP
(Réf 1ère instance : 22/01296)
AB TRANS SA
C/
Me [X] [P]
Société AJ UP
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 FEVRIER 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère
GREFFIER
Madame Marie-Claude COURQUIN lors des débats et Mme Elise BEZIER lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 2 juillet 2024 devant Madame Véronique VEILLARD et Madame Caroline BRISSIAUD, magistrates rapporteurs, tenant l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT
Contradictoire,prononcé publiquement le 25 février 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 29 octobre 2024
****
APPELANTE
AB TRANS SA prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, postulant, avocat au barreau de RENNES et par Me Florent VIGNY de la SELAS BREMENS AVOCATS, plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
Maître [X] [P] venant aux droits de Maître [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
SELARL AJ UP prise en la personne de ses reprsentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège venant aux droits de Maître [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Tous deux représentés par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, postulant, avocat au barreau de RENNES et par Me Yves-Marie LE CORFF de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT ET ASSOCIES, plaidantt, avocat au barreau de PARIS
EXPOSÉ DU LITIGE
1. Par deux contrats du 28 septembre 2012, la SA Ab Trans, agissant tant en son nom personnel que pour le compte de ses différentes filiales, a donné en location à la société Bomex divers engins de travaux publics et tracteurs, d'une part, ainsi que des remorques et semi-remorques d'autre part, pour une durée de 24 mois à effet du 1er octobre 2012.
2. La société Bomex n'honorant plus ses échéances locatives, les contrats de location ont été résiliés après mise en demeure, la SA Ab Trans ayant, lors d'une réunion entre les parties le 28 mars 2014, accepté une restitution progressive des matériels loués moyennant apurement des loyers déjà facturés et versement d'indemnités de jouissance équivalentes aux loyers antérieurs, 33 tracteurs et 50 semi-remorques ayant toutefois été restitués le jour même avec un effacement d'une partie de la dette.
3. Le 26 juin 2014, les parties ont régularisé un nouveau protocole transactionnel afin d'organiser le paiement de la dette locative résiduelle, à savoir la restitution progressive des remorques pour laquelle une indemnité de jouissance était facturée mensuellement.
4. Le 29 décembre 2014, alors qu'elle continuait d'avoir la jouissance de 204 semi-remorques et de 5 porteurs appartenant à la SA Ab Trans, la société Bomex a été placée en redressement judiciaire, Me [V] [P] étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire.
5. La SA Ab Trans a déclaré sa créance à hauteur de 63.273,22 € entre les mains du mandataire judiciaire le 3 février 2015.
6. Le 25 mars 2015, Me [V] [P] s'est engagé à restituer 135 véhicules sur les 209 encore utilisés, à charge pour la SA Ab Trans de venir les récupérer sur site.
7. Par jugement du 6 juillet 2016, le tribunal de commerce de Nantes a converti le redressement judiciaire de la société Bomex en liquidation judiciaire, Me [V] [P] étant maintenu en qualité d'administrateur judiciaire afin de passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession, veiller au transfert des contrats poursuivis et procéder aux licenciements des personnels non repris.
8. Le 4 août 2016, la SA Ab Trans a déclaré au passif de la liquidation judiciaire une créance privilégiée à hauteur de 232.603,51 € représentant les indemnités de jouissance du 29 décembre 2014 au 30 juin 2016, ainsi que les frais de réparation et de contravention.
9. Un certificat d'irrécouvrabilité concernant la déclaration de créance du 3 février 2015 a été adressé le 1er août 2019 à la SA Ab Trans.
10. Le 31 décembre 2020, le conseil de la SA Ab Trans a mis en demeure Me [V] [P] de déclarer le sinistre à son assurance de responsabilité civile, considérant qu'en application des articles L. 622-13 et L. 631-14 du code de commerce, l'administrateur aurait dû procéder à la restitution du matériel loué sans délai, et à tout le moins dans le mois suivant le jugement d'ouverture de redressement judiciaire, alors qu'en conservant le matériel loué sans s'acquitter de l'intégralité des indemnités de jouissance mensuelle, le mandataire a engagé sa responsabilité civile professionnelle en accroissant la dette de son administrée.
11. La SELARL Aj Up, qui avait entre-temps accueilli en son sein Me [V] [P], a répondu par mail du 6 janvier 2021 en sollicitant les pièces correspondant au bordereau de déclaration de créance adressée au mandataire le 4 août 2016.
12. Par exploit du 14 mars 2022, la SA Ab Trans a fait assigner la SELARL Aj Up 'venant aux droits de Me [V] [P]'ainsi que Me [X] [P] 'venant aux droits de Me [V] [P]' devant le tribunal judiciaire de Nantes aux fins de les voir condamner solidairement, au visa notamment de l'article 1240 du code civil, à lui verser la somme de 232.603,51 € à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
13. Par conclusions d'incident transmises le 8 décembre 2022, Me [X] [P] et la SELARL Aj Up ont sollicité du juge de la mise en état, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, qu'il rejette comme irrecevable l'ensemble des demandes formées à leur encontre pour défaut de qualité à défendre, subsidiairement en raison de la prescription, et très subsidiairement pour défaut de qualité à agir de la SA Ab Trans.
14. Par ordonnance du 21 décembre 2023, le juge de la mise en état a :
- déclaré irrecevables les demandes formées par la SA Ab Trans à l'encontre de la SELARL Aj Up,
- déclaré irrecevables les demandes formées par la SA Ab Trans à l'encontre de Me [V] [P],
- condamné la SA Ab Trans à payer à la SELARL Aj Up la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Ab Trans à payer à Me [X] [P] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Ab Trans aux dépens de l'incident.
15. Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état, après avoir écarté la nullité de l'assignation à raison de l'erreur dans la domiciliation de la SA Ab Trans faute pour la SELARL Aj Up et Me [X] [P] de justifier d'un grief puisque les défendeurs ont pu exécuter une précédente ordonnance, a retenu que Me [V] [P] n'a accompli aucun acte en qualité de mandataire vis-à-vis de la société Bomex une fois devenu associé de la SELARL Aj Up et qu'il n'est pas établi que cette dernière a repris sa branche antérieure d'activité, de sorte qu'elle ne saurait être tenue pour comptable des actes professionnels commis par un de ses associés avant qu'il n'intègre la société.
16. S'agissant de Me [X] [P], ce dernier n'a fait qu'acquérir les parts que détenait son père Me [V] [P] dans la SELARL Aj Up et il ne peut venir aux droits de ce dernier pour des actes accomplis antérieurement à son intégration dans la société.
17. Par déclaration parvenue au greffe de la cour d'appel de Rennes le 4 mars 2024, la SA Ab Trans a interjeté appel de cette décision.
18. Le 12 mars 2024, le greffe a adressé un avis de fixation à bref délai, avec une audience de plaidoiries prévue le 2 juillet 2024.
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19. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 3 juin 2024, la SA Ab Trans demande à la cour de :
- annuler et subsidiairement réformer l'ordonnance dont appel,
- statuant à nouveau,
- la déclarer recevable et bien fondée en son action dirigée à l'encontre de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P], en qualité de gérant, venant aux droits de Me [V] [P],
- ordonner à la SELARL Aj Up et à Me [X] [P], en qualité de gérant, venants aux droits de Me [V] [P], de communiquer les coordonnées de son assureur garantissant sa responsabilité civile contractuelle et le numéro de la police d'assurance souscrite,
- assortir cette demande de production d'une astreinte journalière de 100 € à compter de la signification de l'assignation, le juge de la mise en état se réservant le droit de la liquider,
- y faisant droit,
- condamner solidairement SELARL Aj Up et Me [X] [P], en qualité de gérant, tous deux venants aux droits de Me [V] [P], au paiement de la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement aux entiers dépens, en ce compris les frais d'huissier à venir afin d'exécuter la présente décision, dont distraction au profit de la SELARL d'avocats Lhermitte Gauvain Demidoff.
20. À l'appui de ses prétentions, la SA Ab Trans fait en effet valoir :
- que le juge de la mise en état n'a pas statué sur l'absence d'acquisition de la prescription et sur l'absence de demande de reconstitution du gage commun, ce qui entraîne la nullité de l'ordonnance en vertu de l'article 5 du code de procédure civile,
- que le juge de la mise en état ne pouvait pas dire 'qu'il ne ressortait pas des procès-verbaux de la SELARL Aj Up que Me [V] [P] ait apporté sa branche d'activité complète', alors qu'il ressort de divers éléments, et notamment du profil LinkedIn de Me [X] [P] ainsi que du traité d'apport partiel du 16 février 2018, que ce dernier exerçait encore la fonction de gérant au sein d'un des établissements détenus par la SELARL Aj Up,
- qu'à tout le moins, la SELARL Aj Up et son gérant Me [X] [P] ont volontairement entretenu une confusion à son détriment du fait de la demande qu'ils ont formulée auprès de leur assureur,
- que l'action engagée n'est pas prescrite dès lors que, en présence d'une procédure collective, c'est l'impossibilité définitive de recouvrer les créances déclarées qui fixe le point de départ de l'action contre l'administrateur judiciaire, lequel correspond en l'espèce à la date du 1er août 2019, date du certificat d'irrécouvrabilité,
- que la présente action constitue une action en responsabilité de l'administrateur judiciaire et non en reconstitution de gage commun, d'où il suit que la fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à agir doit être rejetée.
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21. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 18 avril 2024, la SELARL Aj Up et Me [X] [P] demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- rejeter comme irrecevables l'ensemble des demandes de la SA Ab Trans en ce qu'elles sont dirigées contre la SELARL Aj Up d'une part et contre Me [X] [P] d'autre part, qui ne viennent pas aux droits de Me [V] [P] et qui n'ont donc pas qualité à agir en défense,
- très subsidiairement,
- rejeter comme irrecevables les demandes de la SA Ab Trans, car prescrites et plus subsidiairement pour défaut de qualité à agir en demande,
- en toute hypothèse,
- rejeter comme irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, la demande de la SA Ab Trans tendant à obtenir communication, sous astreinte, des coordonnées de la compagnie d'assurance responsabilité civile de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P], et en toute hypothèse pour défaut de qualité à agir en défense,
- condamner la SA Ab Trans à verser à chacun d'eux une somme complémentaire au stade d'appel de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
22. À l'appui de leurs prétentions, la SELARL Aj Up et Me [X] [P] font en effet valoir :
- que la SELARL Aj Up ne vient pas aux droits de Me [V] [P], lequel n'a intégré la société qu'à partir 1er juillet 2017, soit bien après les faits litigieux,
- que, de même, il n'est pas établi par la SA Ab Trans que Me [X] [P] vienne aux droits de Me [V] [P], étant précisé qu'il n'existe aucune dissimulation ou confusion quelconque entretenue par les intimés sur ce point,
- qu'au contraire, les procès-verbaux d'assemblée générale extraordinaire ainsi que les statuts actualisés versés par la SA Ab Trans indiquent que la SELARL Aj Up n'a en aucun cas repris le passif et les obligations de Me [V] [P] lorsque celui-ci a été associé,
- qu'en tout état de cause, le fait que Me [X] [P] ait acquis les parts de son prédécesseur ne permet pas de considérer qu'il vient aux droits (et obligations) de l'ensemble du patrimoine personnel de ce dernier,
- que la faute imputée à Me [V] [P] (restitution tardive, au mois de juin 2016, des derniers véhicules sans paiement des loyers ou indemnités d'occupation en contrepartie) était nécessairement connue, y compris dans ses manifestations dommageables, de la SA Ab Trans au plus tard à la fin du mois de juin 2016, d'où il suit que l'action introduite le 14 mars 2022 est prescrite,
- qu'il est vain de prétendre que l'assignation du 9 juin 2021 serait interruptive de prescription alors qu'elle a abouti à une ordonnance du juge de la mise en état déclarant l'irrecevabilité de l'action, outre qu'elle n'a pas mentionné la qualité adéquate s'agissant de la SELARL Aj Up,
- que la SA Ab Trans ne peut soutenir que la faute de Me [V] [P] 'a eu pour effet d'accroître la dette de la société Bomex', alors que les actions en reconstitution du gage commun relèvent du monopole du liquidateur judiciaire conformément aux articles L. 622-20 (par renvoi) et L. 641-4 du code de commerce,
- que les demandes concernant les coordonnées d'assurance sont confuses quant à leur destinataire et devront de ce fait être rejetées.
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23. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 18 juin 2024.
24. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de l'ordonnance
25. La SA Ab Trans reproche à l'ordonnance entreprise de n'avoir statué que sur la validité de l'acte introductif au visa de l'article 54 du code de procédure civile et sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendeur, alors qu'il était saisi de deux autres points : l'absence d'acquisition de la prescription et l'absence de demande de reconstitution du gage commun.
26. Les intimés ne répliquent pas à ce sujet.
Réponse de la cour
27. Aux termes de l'article 5 du code de procédure civile, 'le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé'.
28. Lorsque le juge, saisi de plusieurs fins de non-recevoir, les examinant dans l'ordre auquel le défendeur les lui a soumises, fait droit à l'une d'entre elles, laquelle met un terme au litige, il n'est pas tenu d'examiner les autres.
29. En l'espèce, après avoir écarté l'exception de nullité de l'assignation, le premier juge a examiné et fait droit à la première fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre.
30. Ce faisant, il n'était pas tenu d'examiner la fin de non-recevoir tirée de la prescription ni le moyen tiré de la nature de l'action, à savoir une action en responsabilité professionnelle.
31. La nullité de l'ordonnance n'est pas encourue.
Sur la qualité à défendre
32. Pour solliciter la réformation de l'ordonnance, la SA Ab Trans fait valoir que la SELARL Aj Up est, en application de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990, solidaire de Me [V] [P] dès son intégration dans la société et que Me [X] [P], en acquérant les parts de son père, vient à ses droits. Elle affirme que la SELARL Aj Up a maintenu la confusion en dissimulant ses associés derrière le voile social, allant jusqu'à déclarer un sinistre auprès de son assureur, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée se heurte à la règle de l'estoppel et, partant, est irrecevable.
33. Les intimés répliquent que la SELARL Aj Up ne vient pas aux droits de Me [V] [P], lequel n'a du reste intégré la société qu'à partir du 1er juillet 2017, soit bien après les faits litigieux. Elle n'a pas à répondre des manquements de son associé commis avant son intégration. Il en est de même de Me [X] [P]. Aucune confusion n'a jamais été entretenue, la solidarité évoquée ne concernant que les actes commis par l'administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire lorsqu'il exerce à travers une forme sociale.
L'étude de Me [V] [P] à [Localité 4] n'a pas fait l'objet d'un apport partiel d'actifs à la SELARL Aj Up et ses parts ont fait l'objet d'une acquisition en numéraires. La SELARL Aj Up n'a donc pas davantage repris le passif de Me [V] [P]. Me [X] [P] quant à lui a simplement repris les parts sociales de son père aux droits duquel il ne vient pas dans l'ensemble de son patrimoine personnel.
Réponse de la cour
34. L'article 31 du code de procédure civile dispose que 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.
35. Aux termes de l'article 32, 'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir'.
36. L'article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, dans sa version applicable au litige, dispose que 'chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit.
La société est solidairement responsable avec lui'.
38. La responsabilité professionnelle d'un mandataire judiciaire peut être engagée à raison des fautes commises dans l'exercice de ses fonctions, sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil. Le mandataire judiciaire n'est responsable que de son propre fait.
39. En l'espèce, la SA Ab Trans a, par courrier du 31 décembre 2020, mis en cause Me [V] [P] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Bomex pour avoir conservé le matériel qu'elle louait à l'appelante 'jusqu'au mois de juin 2016, soit durant plus de dix-huit mois suivant le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire' sans régler les indemnités de jouissance, alourdissant considérablement un passif dont l'irrécouvrabilité a été confirmée.
40. C'est le sens de l'action en responsabilité professionnelle intentée par la SA Ab Trans à l'encontre de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P], fondée sur des manquements ayant eu lieu jusqu'en juin 2016.
41. Il ressort par ailleurs des actes de cession du fonds de commerce de la société Bomex du 27 octobre 2016 et de l'acte de cession de l'ensemble immobilier à usage industriel du 6 décembre 2016 que la mission de Me [V] [P] pour cette société s'est terminée à l'occasion de ce dernier acte.
42. Or, Me [V] [P] (comme d'ailleurs son fils Me [X] [P]) a été agréé au statut d'associé de la SELARL Aj Up suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 mai 2017, soit postérieurement aux faits reprochés et en tout cas après la cessation de son mandat judiciaire d'administrateur de la société Bomex.
43. Ce n'est que par l'effet de la transmission universelle du patrimoine propre aux sociétés que la société absorbante se voit transférer l'intégralité du passif de la société absorbée, ce transfert n'étant pas subordonné à la mention spécifique des passifs dans le traité de fusion, et l'intégralité des passifs existants, éventuels ou simplement latents à la date de réalisation de la fusion étant automatiquement transmis, de sorte que la société absorbante peut être condamnée en lieu et place de la société absorbée pour des fautes commises antérieurement à la fusion.
44. Par ailleurs, un simple apport partiel d'actif doit préciser les éléments du passif également transmis en cette occasion.
45. Le traité d'apport partiel d'actif dont fait état la SA Ab Trans, déposé le 16 février 2018 au registre du tribunal de commerce de Chambéry, concerne l'apport de la SELARL [Z] [J] à la SELARL Aj Up.
46. Si ce traité rappelle que la SELARL Aj Up 'détient à ce jour 5 études d'administrateurs judiciaires dirigées par un responsable également cogérant de la SELARL Aj Up', notamment 'l'étude située à [Localité 4] (Loire Atlantique), [Adresse 2] dont le responsable est Me [X] [P]', le terme 'détient' est particulièrement vague et doit correspondre à la réalité juridique de l'intégration de Me [V] [P] au sein de la SELARL Aj Up.
47. Or, le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la SELARL Aj Up du 30 mai 2017 concernant l'agrément de Me [V] [P] mentionne que cette intégration se fait par 'la souscription, en numéraires ou par compensation avec des créances certaines, liquides et exigible sur la société' de la valeur nominale de 70.066 parts sociales nouvelles d'une valeur d'un euro chacune, par suite de l'augmentation du capital social.
48. Contrairement aux autres associés qui ont effectué des apports partiels d'actif de branches complètes et autonomes d'activité, l'intégration de Me [V] [P] s'est faite par un apport en numéraires, du moins la preuve contraire n'est-elle pas établie.
49. Dès lors que Me [V] [P] n'a accompli aucun acte en qualité de mandataire de la société Bomex une fois associé de la SELARL Aj Up et qu'il n'est pas établi que la SELARL Aj Up ait repris sa branche antérieure d'activité, elle ne saurait être tenue pour comptable des actes professionnels commis par un de ses associés avant que celui-ci n'intègre la société.
50. Par la suite, Me [V] [P] a cédé ses parts sociales à son fils Me [X] [P], ce dont l'assemblée générale extraordinaire du 20 octobre 2017 a pris acte. Cette simple cession n'a pas eu pour effet de transmettre l'universalité du patrimoine de Me [V] [P] à Me [X] [P].
51. La preuve, dont la charge incombe à la SA Ab Trans, de ce que la SELARL Aj Up ou Me [X] [P] viendrait aux droits et obligations de Me [V] [P] pour répondre de faits personnels commis dans l'exercice de ses fonctions jusqu'en juin 2016 n'est pas rapportée.
52. À cet égard, la SA Ab Trans plaide vainement le principe de l'estoppel en stigmatisant une défense de la SELARL Aj Up et de Me [X] [P] inédite au moment de l'engagement de l'action diligentée contre eux, et dont elle ne tire d'ailleurs aucune conséquence de droit appropriée dans le dispositif de ses conclusions, alors qu'elle ne produit comme seule pièce en provenance des intimés qu'un courrier électronique du 2 juin 2021 dans lequel la SELARL Aj Up répond au conseil de la SA Ab Trans en ces termes : 'la caisse de garantie a pris la décision d'attendre votre assignation', formulation insuffisante à caractériser l'absence de toute contestation sur sa qualité à défendre ou, plus prosaïquement, la reconnaissance d'un droit d'agir contre elle.
53. De ce point de vue, la demande de communication sous astreinte des coordonnées de son assureur garantissant sa responsabilité civile contractuelle et le numéro de la police d'assurance souscrite est parfaitement dépourvue d'intérêt.
54. L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a déclaré la SA Ab Trans irrecevable en sa demande dirigée contre la SELARL Aj Up et Me [X] [P].
Sur les dépens
55. Les dispositions relatives aux dépens de première instance seront confirmées. La SA Ab Trans, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel. Les avocats qui en ont fait la demande seront autorisés à recouvrer directement les dépens dont ils auraient fait l'avance.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
56. Les dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées. L'équité commande de faire bénéficier la SELARL Aj Up et Me [X] [P] ensemble des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes du 21 décembre 2023,
Y ajoutant,
Condamne la SA Ab Trans aux dépens d'appel,
Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement les dépens dont ils auraient fait l'avance,
Condamne la SA Ab Trans à payer à la SELARL Aj Up et à Me [X] [P] ensemble la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE