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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 25 février 2025, n° 23/04760

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Atradius Credito Y Caucion SA De Seguros Y Reaseguros (Sté)

Défendeur :

Neximmo 103 (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Vice-président :

M. Roth

Conseiller :

Mme Muller

Avocats :

Me Dumont, Me Debray, Me Mongodin, Me Pechere

T. com. Nanterre, 4e ch., du 9 juin 2023…

9 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE

Le 21 janvier 2019, la société Neximmo 103 (société Neximmo), maître d'ouvrage de la construction d'un immeuble de bureaux à [Localité 6], a confié à la société TAM l'exécution du lot n°5 - gros 'uvre - pour un montant de 4 994 080 euros HT.

Préalablement, par acte du 8 janvier 2019, la société Atradius Credito Y Caution (société Atradius) avait délivré une caution au profit de la société TAM, afin d'éviter que celle-ci ne se voie appliquer par le maître d'ouvrage une retenue de garantie sur ses factures, et ce pour un montant de 299 645 euros.

Le 18 janvier 2021, la société Neximmo a adressé à la société TAM une mise en demeure de réaliser des travaux de reprise de malfaçons, lui précisant que, faute d'y déférer dans les délais indiqués, elle suspendrait ses paiements se réservant le droit de résilier le marché à ses torts exclusifs.

Le 26 janvier 2021, la société Neximmo a résilié le marché à effet immédiat.

Le 1er mars 2021, le tribunal de commerce d'Evry a prononcé la liquidation de la société TAM. La société Neximmo a déclaré sa créance pour la somme de 2 361 973 euros, incluant des reprises de malfaçons et surcoûts. Par ordonnance du 24 juin 2022, le juge-commissaire a admis cette créance au passif de la liquidation de la société TAM.

Le 4 mars 2021, la société Neximmo a fait signifier à la société TAM et à son liquidateur une convocation pour procéder aux constats nécessaires et à la réception des ouvrages inachevés, ce qui a donné lieu à un procès-verbal de constat du 8 mars 2021.

Le 7 septembre 2021, la société Neximmo a sollicité de la société Atradius la mise en jeu de la caution pour son montant de 299 645 euros. Le 12 septembre 2022, la société Neximmo a mis la société Atradius en demeure de lui régler la somme réclamée.

Le 2 janvier 2023, la société Neximmo a assigné la société Atradius devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Le 9 juin 2023, par jugement réputé contradictoire, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- condamné la société Atradius à payer à la société Neximmo la somme de 299 645 euros au titre de son engagement de caution personnelle et solidaire au bénéfice de la société TAM, outre intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2021, avec capitalisation ;

- condamné la société Atradius à payer à la société Neximmo la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Atradius aux dépens.

Le 11 juillet 2023, la société Atradius a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.

Par dernières conclusions du 4 décembre 2024, elle demande à la cour de :

- juger recevable et fondé son appel ;

Y faisant droit,

- débouter la société Neximmo de son appel incident ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 9 juin 2023 ;

Statuant à nouveau,

- débouter la société Neximmo de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Neximmo à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Neximmo aux entiers dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés par Maître Dumont.

Par dernières conclusions du 22 décembre 2023, la société Neximmo demande à la cour de :

- déclarer l'appel mal fondé et débouter la société Atradius de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Atradius à lui payer la somme de 299 645 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2021, et capitalisation des intérêts échus depuis plus d'une année ;

Subsidiairement,

- condamner la société Atradius à lui payer la somme de 285 662,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2021, et capitalisation des intérêts échus depuis plus d'une année ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Atradius à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant,

- condamner la société Atradius à lui payer la somme de 10 000 euros pour résistance abusive à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la société Atradius à lui payer la somme complémentaire de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans le cadre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Debray.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 décembre 2024.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

La société Atradius soutient que les conditions de mise en 'uvre de son engagement de caution ne sont pas réunies au motif de l'absence de justification, d'une part d'une réception des travaux et d'une liste de réserves, d'autre part du coût de levée des prétendues réserves. Il convient d'examiner successivement ces deux points, avant éventuellement de statuer sur la demande en paiement formée par la société Neximmo.

1 ' sur l'existence d'une réception des travaux, et d'une liste de réserves

La société Atradius rappelle que son engagement de caution ne couvre que les réserves émises à réception. Elle fait valoir que le constat d'huissier du 8 mars 2021 ne vaut pas réception des travaux et ne liste pas les réserves, de sorte que sa caution ne peut être mise en oeuvre. Elle ajoute que ce constat retrace des inachèvements, sans que l'on sache si les travaux ont été exécutés par la société TAM ou par une autre entreprise, rappelant qu'elle ne garantit que la société TAM. Elle ajoute que le constat d'huissier, s'il figurait en pièce annexe de la déclaration de créance, n'a pas été « notifié » au liquidateur. Elle indique enfin que la réception des travaux tous corps d'état, intervenue postérieurement, le 18 juin 2021 n'est pas opposable à la société TAM.

La société Neximmo soutient que les conditions de libération de la caution à son profit sont réunies dès lors qu'elle a manifesté, de manière non équivoque, sa volonté de réceptionner les travaux en convoquant l'entreprise et son liquidateur, ajoutant que le constat du 8 mars 2021 vaut réception, et qu'il a bien été notifié au liquidateur avec la déclaration de créance du 5 mai 2021. Elle soutient que les malfaçons, inexécutions et inachèvements constatés le 8 mars 2021 constituent bien des réserves à réception, qui n'ont pas été levées du fait de la liquidation de la société TAM.

Réponse de la cour

Il résulte de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1971 tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux que les paiements des acomptes sur la valeur définitive des marchés de travaux privés visés à l'article 1779-3° du code civil peuvent être amputés d'une retenue égale au plus à 5 p. 100 de leur montant et garantissant contractuellement l'exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception par le maître de l'ouvrage.(').Toutefois, la retenue de garantie stipulée contractuellement n'est pas pratiquée si l'entrepreneur fournit pour un montant égal une caution personnelle et solidaire émanant d'un établissement financier figurant sur une liste fixée par décret.

L'article 2 de cette loi dispose qu'à l'expiration du délai d'une année à compter de la date de réception, faite avec ou sans réserve, des travaux visés à l'article précédent, la caution est libérée ou les sommes consignées sont versées à l'entrepreneur, même en l'absence de mainlevée, si le maître de l'ouvrage n'a pas notifié à la caution ou au consignataire, par lettre recommandée, son opposition motivée par l'inexécution des obligations de l'entrepreneur. L'opposition abusive entraîne la condamnation de l'opposant à des dommages-intérêts.

L'article 1792-6 al.1 du code civil dispose que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. La garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception.

L'éventuelle absence d'un constructeur lors de la réception est indifférente, dès lors que ce dernier a été régulièrement convoqué (3ème civ., 3 juin 2015 ' 14-17.744).

En l'espèce, il est constant que la société Neximmo s'est opposée à la libération de la caution dans les conditions prévues à l'article 2 précité.

La société Neximmo a adressé à la société TAM et à son liquidateur - par acte d'huissier délivré le 4 mars 2021 pour une réunion du 8 mars 2021 - une : « convocation pour état de réception de travaux ». Il était clairement précisé que l'objet de cette convocation était de : « constater les ouvrages exécutés du lot de la société TAM, les matériaux approvisionnés ainsi que l'inventaire descriptif et quantitatif de son matériel et de procéder ainsi à la réception des ouvrages inachevés. »

Le procès-verbal de constat, établi le 8 mars 2021 en l'absence de la société TAM et de son liquidateur, mentionne en préambule que la société Neximmo entend : « faire constater ce jour les ouvrages exécutés, les matériaux approvisionnés ainsi que l'inventaire descriptif et quantitatif du matériel de la société TAM présents sur le site, ainsi que la réception des ouvrages inachevés ».

Au regard des termes, tant de la convocation du 4 mars 2021, que de ceux du préambule du constat, il ne fait aucun doute que ce document - compte tenu de la résiliation du marché survenue le 26 janvier 2021- vaut procès-verbal de réception d'un ouvrage inachevé.

S'il est exact que le constat n'utilise pas le mot « réserves », il n'en reste pas moins qu'il établit une liste détaillée des malfaçons ou inachèvements (chacun d'eux donnant lieu à photographie), ces derniers caractérisant bien des réserves au sens de l'article 1792-6 précité.

Si le procès-verbal indique enfin en dernière page (page 15), au titre des déclarations du maître d''uvre, que : « l'intégralité des prestations relevant du gros-'uvre qui ont été reprises ou effectuées depuis le constat du 20 janvier 2021 ont été réalisées par d'autres entreprises », cela ne signifie pas - contrairement à ce que soutient la société Atradius - que l'on ignore si les travaux ont été exécutés par la société TAM ou une autre entreprise, mais simplement que les reprises postérieures au 20 janvier 2021 ont été réalisées par des entreprises autres que la société TAM, ce qui se comprend aisément dès lors que le marché a été résilié le 26 janvier 2021. Dès lors que les prestations ont été « reprises ou effectuées depuis le constat du 20 janvier 2021 », il ne s'agit pas de réserves, celles-ci n'ayant été constatées qu'en mars 2021. Le constat du 8 mars 2021 mentionne d'ailleurs clairement ces reprises réalisées par des entreprises extérieures à la société TAM (exemple : « dans les sanitaires, le maître d''uvre déclare que les finitions des voiles ont été effectuées par l'entreprise ADM (page 4), la trémie nord a été coffrée, ferraillée et coulée par Les Maçons Parisiens » (page 13), '). Il apparaît ainsi que les prestations reprises depuis le 20 janvier 2021, et réalisées par d'autres entreprises que la société TAM, ne figurent pas dans le constat comme des réserves, mais comme des travaux réalisés par d'autres entreprises.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le constat du 8 mars 2021 permet de justifier de la volonté du maître de l'ouvrage de réceptionner l'ouvrage avec une liste de réserves détaillée tout au long des 15 pages de ce constat.

La société Neximmo justifie enfin avoir transmis, le 5 mai 2021, au liquidateur de la société TAM, le constat du 8 mars 2021 valant procès-verbal de réception (transmission en annexe de la déclaration de créance). Cette transmission suffit à justifier que le liquidateur, représentant la société TAM, a été informé de la réception avec réserves.

2. Sur le coût de levée des réserves, et la mise en 'uvre de la caution

La société Atradius rappelle que sa caution ne couvre que la levée des réserves imputables à la société TAM, de sorte que la société Neximmo doit justifier du coût de cette levée. Elle soutient qu'aucune déclaration de créances n'a été faite sous l'intitulé « levée des réserves », de sorte que la demande en paiement est infondée. Elle soutient en outre que la société Neximmo n'a pas soldé le marché de la société TAM de sorte qu'elle ne peut solliciter paiement du montant de la retenue de garantie

La société Neximmo soutient que les postes du décompte général et définitif (DGD) intitulés « coût de reprise des malfaçons » et « surcoûts commandes » sont imputables aux défaillances de la société TAM et correspondent aux travaux permettant de lever les réserves, ajoutant que le DGD, ayant servi de base à la déclaration de créances, n'a jamais été contesté par la société TAM et qu'il a été validé par le juge-commissaire. La société Neximmo soutient en outre, à titre principal, qu'elle a réglé le montant total du prix des travaux de la société TAM, et à titre subsidiaire qu'elle resterait uniquement devoir la somme de 13 982,76 euros, somme qu'il conviendrait de déduire de sa demande, cette dernière étant alors ramenée à 285 662,24 euros.

Réponse de la cour

Le DGD du 5 mai 2021 comprend un poste « reprise des malfaçons », pour un coût de 429 051,95 euros, qui est lui-même divisé en 12 postes, chacun étant justifié par des devis et des ordres de service (pièces 22, annexes au DGD). Ces 12 postes couvrent notamment des travaux de : « reprise des escaliers, fermeture de trémie, calfeutrements' » qui correspondent aux réserves mentionnées dans le constat du 8 mars 2021. Les devis et ordres de service, qui ne sont pas discutés par la société Atradius, permettent ainsi de justifier du coût de levée des réserves pour un montant de 429 051,95 euros, nettement plus élevé que celui de la caution qui ne porte que sur une somme de 299 645 euros.

La société Neximmo est dès lors fondée en sa demande de mise en 'uvre de la caution à hauteur de la somme de 299 645 euros, afin de faire face aux travaux nécessaires à la levée des réserves, étant ici rappelé que la société TAM n'était plus en mesure de procéder à cette levée.

La société Neximmo admettant toutefois qu'elle reste devoir une somme de 13 982,76 euros à la société TAM, ce qui ressort clairement du DGD, il convient de déduire cette somme, de sorte que la société Atradius reste finalement devoir la somme de 285 662,24 euros. Elle sera condamnée au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2021, date de la mise en demeure, avec capitalisation. Le jugement sera infirmé sur le quantum de la condamnation.

3 ' sur la demande indemnitaire pour résistance abusive

La société Neximmo sollicite paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, au motif que la société Atradius n'a pas répondu à ses mises en demeure des 12 septembre et 20 octobre 2022.

La société Atradius s'oppose à cette demande, faisant valoir qu'elle a répondu aux demandes de la société Neximmo, notamment en sollicitant des pièces qui n'ont jamais été communiquées.

Réponse de la cour

L'absence de réponse à deux mises en demeure, à la supposer établie, est insuffisante à caractériser un abus dans la résistance au paiement, de sorte que la demande indemnitaire sera rejetée.

4 ' sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Atradius, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel. Elle sera en outre condamnée à payer à la société Neximmo la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 juin 2023 en ce qu'il a condamné la société Atradius à payer à la société Neximmo la somme de 299 645 euros au titre de son engagement de caution,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Atradius à payer à la société Neximmo la somme de 285 662,24 euros au titre de son engagement de caution, outre intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2021, capitalisés selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil,

Confirme le jugement pour le surplus,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Y ajoutant,

Condamne la société Atradius à payer à la société Neximmo la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne la société Atradius aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct par application de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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